Un « prétexte à quelque chose de plus profond » : Ellery Queen et les manuscrits de la mer Morte

Bien que de nombreux critiques aient écrit à propos des aspects religieux du roman policier, ces études se sont généralement employées à examiner les œuvres d’auteurs chrétiens. Les articles consacrés à l’auteur collectif judéo-américain publiant sous le nom d’Ellery Queen se concentrent principalement sur l’aspect logique de ses romans, sur son célèbre « défi au lecteur », ou sur les subtilités de la collaboration littéraire. Les deux auteurs principaux du tandem Queen étaient connus pour être des Juifs peu pratiquants, et leur détective est décrit comme étant agnostique. Cependant, la panne d’inspiration de l’écrivain Manfred Lee au début des années 1960 a conduit à l’écriture de And on the Eighth Day (1964) par l’ancien spécialiste du Talmud Avram Davidson, un juif pieux, à partir d’une longue ébauche de Frederic Dannay, lui-même intrigué par les articles d’Edmund Wilson parus dans le New Yorker sur les manuscrits de la mer Morte. En résulte un récit numineux aux connotations bibliques et métaphysiques, qui se déroule dans une communauté très similaire à celle de Qumrân lors du siècle précédant l’ère chrétienne. Le roman est ce qu’Anthony Boucher appelle « non pas un mystère mais un Mystère », un récit qui est religieux sans être explicitement lié à aucune religion, mais qui fait écho à de nombreux systèmes de croyances et à de nombreuses philosophies en posant des questions éthiques profondes. Peu d’éléments de l’intrigue de And on the Eighth Day sont nouveaux. La plupart des techniques littéraires et de nombreux thèmes se retrouvent également dans le corpus d’Ellery Queen datant des décennies précédentes. Cependant, l’écriture, mais aussi son langage biblique et son incertitude cosmique, liée à l’état d’épuisement mental du protagoniste, sont inédits. Dannay et Davidson ont co-écrit un roman policier où l’identité du coupable est loin d’être le problème le plus important auquel est confronté le détective et qui, en dépit du scepticisme de certains critiques, peut être décrit comme une œuvre d’une puissance et d’une imagination considérables, comportant des éléments à la fois tragiques et édifiants.