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Cover of The Metaphysical Shudder of the Detective Novel  (E. Jardon, 2024) Show/hide cover

Préface

« La littérature noire aurait peu d’intérêt, selon moi, si elle n’était liée à la métaphysique », écrivait l’auteur de polar anglais Robin Cook dans son autobiographie Mémoire vive (p. 196). « Tout à fait », affirmait un autre spécialiste du genre, Claude Chabrol, qui ajoutait :

Dans le polar, il s’agit de mort, de morale. C’est formidable quand on y pense : les auteurs de polars sont par définition des gens humbles, puisqu’ils acceptent d’appartenir à un genre populaire, et en même temps, ils ne sont intéressés que par l’importance des enjeux, c’est-à-dire l’énigme, le grand mystère résolu, la mort gratuite ou non, la manipulation, plus tout un tas de choses du même acabit qui sont le quotidien du polar et que l’on trouve peu, ou mal, dans d’autres bouquins. [Guérif, 2011, p. 221]

L’auteur parle ici de Frederic Dannay et Manfred Lee, les deux cousins qui signaient Ellery Queen, qui le fascinaient « parce qu’ils sont allés vers une plus grande conscience métaphysique du roman policier » (p. 122). Claude Chabrol jugeait son adaptation de La Décade prodigieuse (œuvre structurée comme Le Décalogue) ratée, pour ne pas avoir assez souligné l’importance de l’induction,« qui amène les gens à croire en une entité supérieure. Il fallait expliquer ce qu’était l’induction pour montrer qu’elle pouvait entraîner à l’erreur majeure » (p. 124). L’erreur majeure étant de croire en un dieu qui pardonne. « Encore que les Ellery Queen s’y soient repris à deux fois pour l’expliquer, puisqu’ils ont écrit plus tard Et le huitième jour1 dans lequel ils acceptent la réalité métaphysique de l’univers » (p. 124).

Il est question de ce Huitième jour dans ce recueil.Il y est aussi question de La Lune dans le caniveau2 de David Goodis. Ce roman fut publié en 1953 aux États-Unis et en 1981 en France. Celui d’Ellery Queen en 1964 aux États-Unis et en 1978 en France. Soit vingt-huit ans d’écart pour le roman de Goodis et quatorze pour celui d’Ellery Queen. Or, ces auteurs avaient leurs éditeurs attitrés en France. Ayant fait traduire et publier ces deux œuvres essentielles, je me suis permis de demander aux responsables pourquoi ils avaient « éliminé » a priori ces textes. Les réponses furent claires : le roman de Goodis n’était que le délire d’un alcoolique repenti et celui d’Ellery Queen était un roman ésotérique qui dérouterait leurs lecteurs habituels, une œuvre marginale et mineure. (Il se trouve que j’ai la chance d’avoir rencontré Frederic Dannay et qu’il m’a dédicacé Et le huitième jour, « [s]on roman préféré »). Bref, les deux « n’étaient pas des romans policiers ».

Qu’on me pardonne cette anecdote personnelle et ces souvenirs d’éditeur, mais ils sont la parfaite illustration du problème dont il est question ici. J’étais un « fou » de publier ces livres, car le polar était un genre « populaire et mineur », « vite lu et vite oublié », édité dans des collections spécialisées aux couvertures souvent bariolées et vulgaires. Mais, si les collections étaient standardisées, les écrivains ne l’étaient pas et méritaient plus de considération. Quel plaisir donc de lire Le Frisson métaphysique du roman policier dont la première vertu est de reconnaître l’importance, la richesse et la profonde ambiguïté du roman policier. Quel soulagement aussi de voir rappelé que cet intérêt ne date pas d’hier en faisant référence à Siegfried Kracauer et en republiant le texte de Nicolas Freeling. Je ne vais pas paraphraser l’introduction très claire de cet ouvrage, qui est une sorte de menu qui met en appétit lorsqu’on apprend qu’il va y être question d’Edgar Allan Poe, Wilkie Collins, Gilbert Keith Chesterton, Dashiell Hammett et le roman noir américain, Harry Kemelman, Henning Mankell, et bien d’autres. Il s’agit aussi d’y dévoiler « l’importance des enjeux » de ces auteurs et d’essayer d’en déchiffrer « le grand mystère » (Guérif, 2011, p. 221). Je dirais pour conclure que la force de ces études métaphysiques est de poser en effet les énigmes essentielles sans les fermer.

Références

Cook Robin, 1993, Mémoire vive, Paris, Éditions Rivages.

Guérif François, 2011, Conversations avec Claude Chabrol, Paris, Éditions Payot.

  • 1.Titre de la traduction française du roman And on the Eighth Day (1964).
  • 2.Titre de la traduction française du roman The Moon in the Gutter (1953).
  • Références

    Cook Robin, 1993, Mémoire vive, Paris, Éditions Rivages.
    Guérif François, 2011, Conversations avec Claude Chabrol, Paris, Éditions Payot.