Chapitre 9
Comme nous l’avons vu précédemment, les étudiants et les étudiantes vétérinaires avaient un projet professionnel précis qui les a amenés à s’orienter après leur baccalauréat vers les filières préparant aux concours vétérinaires, contrairement aux préparationnaires en général qui se dirigent vers cette voie de l’enseignement supérieur à la suite de bons ou très bons résultats scolaires au lycée et « sans objectif précis à plus long terme mais plutôt de pluralité et d’ouverture, par refus d’un enfermement dans une spécialisation précoce » (Daverne et Dutercq, 2013, p. 82). Selon Teodor Limann, dans les classes préparatoires en mathématiques et physique, « les bacheliers s’engagent rarement en prépa dans la perspective d’exercer un métier particulier. Rares sont ceux qui veulent consciemment devenir ingénieurs » (2009, p. 55).
L’objectif de ce chapitre est d’étudier, d’une part, les différentes voies choisies par les étudiants et les étudiantes1 pour se présenter aux concours vétérinaires et les raisons de ces choix, et d’examiner, d’autre part, comment ils et elles ont vécu leurs années de préparation pour atteindre leur projet professionnel.
Tous les étudiants et la plupart des étudiantes ont opté pour une classe préparatoire « biologie, chimie, physique, sciences de la vie de la Terre » (BCPST) sans se poser de questions et sans s’informer de l’existence d’autres voies, comme le relate notamment Paulo : « Les autres voies n’étaient pas sur Internet et j’ai su qu’on pouvait accéder aux écoles vétos par la fac ou par des BTS quand j’étais en prépa en fait, et j’en ai encore découvert en arrivant ici, finalement en ayant fait un bac général et en connaissant les prépas et en ayant le niveau pour y aller, je ne me suis pas trop posé de questions ». Ils et elles ont expliqué que la préparation BCPST était la voie classique pour les bons et bonnes élèves scientifiques et qui offrait beaucoup de places au concours. Les quelques étudiants et étudiantes qui s’étaient renseignés sur la préparation en deux ans à l’université ont renoncé par peur de ne pas être encadrés et/ou parce que leurs professeurs et professeures en terminale ou leurs parents le leur ont déconseillé. On retrouve, à travers ces propos, l’image négative véhiculée par l’université, notamment à cause des faibles encadrement et volume d’heures de cours (Bodin et Orange, 2013) comparés à ceux des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Pousser les meilleurs et meilleures élèves vers une classe préparatoire est assez habituel de la part des enseignants et enseignantes des lycées, que ceux-ci possèdent des CPGE ou non, « parce qu’un bon élève fait prépa, c’est comme ça » (Daverne et Dutercq, 2013, p. 73). Par ailleurs, le choix de la classe préparatoire a sans doute été rassurant pour ces étudiants et étudiantes qui y retrouvaient les règles et les repères connus pendant leurs trois années de lycée (Huerre et Azire, 2005).
Les rares étudiantes n’ayant pas suivi la préparation BCPST se sont orientées vers un diplôme universitaire de technologie (DUT) puis une préparation après brevet de technicien supérieur ou technicienne supérieure (BTS) ou DUT « pour échapper au travail intensif » dans les préparations BCPST. Deux étudiantes titulaires d’un baccalauréat technologique se sont dirigées vers la préparation « technologie et biologie » (TB) qui est réservée pour les bacheliers et bachelières technologiques de certaines séries.
Quelle que soit la filière choisie, quasiment tous les étudiants et toutes les étudiantes ont indiqué, dans leurs premiers vœux, sur la plateforme Admission Post-Bac (APB), une préparation dans un lycée ou un DUT dans un rayon géographique proche du lieu d’habitation de leurs parents, parfois par souci financier et surtout par anticipation d’un besoin de réconfort quand le moral ne serait pas au beau fixe, comme l’explique Anna : « Pour la proximité, parce que je pense que pendant la prépa, on a certains moments difficiles, donc du coup je voulais pouvoir rentrer chez moi les week-ends, ce que j’ai fait ». Quelques étudiants et étudiantes ont candidaté à une classe préparatoire dans les lycées où ils et elles étaient déjà en terminale. Les renseignements pris auprès des préparationnaires sur l’ambiance avec les professeurs et professeures et entre les élèves les avaient rassurés, ce qui les a amenés à demander en premier vœu leur établissement d’origine. Pour ces étudiants et ces étudiantes, le cadre de vie ne changeait pas entre la terminale et la classe préparatoire : le même lycée et l’encadrement familial habituel. Habiter dans le cadre familial ou non loin de celui-ci permet, en effet, de limiter des contraintes du quotidien comme préparer les repas, faire les courses, s’occuper de son linge. La famille procure également une sécurité affective et un réconfort qui favorisent la réussite scolaire.
Les étudiants et les étudiantes n’ont donc pas fait de choix stratégiques en postulant pour leurs premiers vœux dans des préparations plus cotées selon les classements liés aux résultats aux concours des différentes dernières années, mais plus distantes de leurs domiciles familiaux. Cependant, certains et certaines ont indiqué des vœux de préparations plus éloignées géographiquement après les préparations de proximité pour se donner toutes les chances d’en intégrer une, et un tiers d’entre eux et elles ont choisi leurs classes préparatoires en fonction du classement des préparations lorsqu’il y en avait plusieurs dans les villes convoitées, comme en témoigne Paulo : « J’ai choisi en fonction de la proximité géographique et de la réputation de la prépa ».
La plupart des étudiants et des étudiantes ont obtenu leurs premiers vœux de classes préparatoires BCPST et TB et de DUT. Les autres ont eu leurs seconds vœux.
Les classes préparatoires aux grandes écoles forment un monde à part, car elles se distinguent des autres filières de l’enseignement supérieur par le curriculum, les traditions, les méthodes de travail, d’encadrement, etc. Elles sont une filière sélective à laquelle n’accèdent que les bons et bonnes élèves qui sont « le produit d’une longue série d’actes de séparation et d’agrégation » (Bourdieu, 1989, p. 31). Ces élèves se singularisent par « leurs dispositions à l’égard de l’école, c’est-à-dire [par] leur docilité au moins autant [que par] leurs aptitudes scolaires » (Bourdieu, 1989, p. 123). Les commissions d’admission recherchent, en effet, des élèves avec de (très) bons résultats scolaires et aussi sérieux dans leurs études, car elles sélectionnent « une population à mettre au travail » (Darmon, 2013, p. 31).
En classes préparatoires BCPST, TB et en année préparatoire spéciale pour technicien supérieur ou technicienne supérieure (ATS) « biologie », les élèves ont, par semaine, entre 30 et 32 heures de cours obligatoires auxquels s’ajoutent deux colles2 d’une heure en binôme ou en trinôme et un devoir sur table de quatre heures. Pour chaque contrôle et à la fin de chaque trimestre, les élèves d’une même classe sont classés, ce qui les amène à vivre la « logique du concours permanent » (Bourdieu, 1989).
Les soirs et les week-ends, les élèves doivent apprendre leurs cours, effectuer leurs exercices et les devoirs à rendre, préparer les colles et réviser pour le devoir sur table. En moyenne, le travail personnel est de deux à trois heures par soir et de sept à huit heures le samedi et le dimanche.
La grande majorité des étudiants et des étudiantes ont affirmé que leur année (pour les préparationnaires après un BTS ou un DUT) ou leurs deux ou trois années de préparation (pour les préparationnaires BCPST et TB) se sont bien passées globalement, car il y avait une bonne ambiance entre les élèves sans trop de compétition entre eux et elles, mais plutôt avec une entraide mutuelle qui leur a permis de travailler dans des conditions sereines. L’organisation pédagogique des colles a amené à des rapprochements de deux ou trois élèves : « Il y avait de l’entraide, on est en trinôme toute l’année pour passer des colles, des interros orales, on en avait toutes les semaines, ça resserre les liens donc le fait de travailler en trinôme, on s’entraide plus, du coup, comme on a tout le temps le même groupe, donc déjà, ça fait un petit groupe qui s’entraide, puis le reste de la classe aussi » (Camille).
Le rassemblement prolongé des semblables est le véritable fondement de ce qu’on appelle « l’esprit de corps » […]. C’est en effet l’adhésion enchantée aux valeurs et à la valeur d’un groupe qui constitue ce groupe en tant que corps intégré et disposé à toutes les espèces d’agences propres à renforcer l’intégration et la solidarité entre ses membres : ceux-ci se trouvent ainsi durablement inclinés à mettre au service de chacun (au moins jusqu’à un certain point) les ressources détenues par tous les autres, selon la formule « Un pour tous, tous pour un ». [Bourdieu, 1989, p. 258]
De réelles amitiés se sont formées également en classes préparatoires, permettant un soutien psychologique, comme en témoigne notamment Jonathan : « Niveau moral, ça a été parce que j’ai eu la chance de tomber sur une bande d’amis formidable, on s’entendait tous super bien, donc ça, franchement, ça a énormément joué, je pense, sur mon moral parce que j’ai jamais eu de coup de blues en prépa ». La vie en internat facilite aussi les amitiés entre élèves qui travaillent ensemble et se soutiennent moralement : « Je me suis fait de super amies, on s’entendait bien, et puis il y avait une bonne ambiance de travail à l’internat » (Julia).
Les années de préparation rapprochent et soudent les élèves qui vivent tous et toutes des périodes intenses de travail avec des moments de découragement et peu de relations avec l’extérieur. Leurs amis et amies de l’extérieur ne comprennent pas toujours leur manque de disponibilité physique ou mentale et parfois leurs états d’âme. Certains étudiants et étudiantes ont mentionné également avoir eu des professeurs et professeures qui les soutenaient scolairement et psychologiquement et « qui étaient pas du tout là pour nous couler » (Théo).
Néanmoins, comme toutes et tous les préparationnaires, la plupart d’entre eux et elles ont rencontré des difficultés à s’adapter au rythme de travail à fournir alors qu’ils et elles n’avaient pas eu l’habitude de travailler jusqu’en terminale. Les élèves doivent, en effet, incorporer les pratiques et les fonctionnements du système de la préparation en apprenant à maîtriser les règles du travail et du temps (Daverne et Dutercq, 2013 ; Darmon, 2013).
Par ailleurs, ils et elles découvrent que « jusqu’en terminale on galère pas trop, on est les premiers de la classe, et là, on se rend compte qu’en fait il y a des gens qui sont aussi bons que nous, qui sont même meilleurs en fait » (Amandine). Ces étudiants et étudiantes ont ainsi pris conscience que « les capacités » et « l’aisance naturelle » ne sont plus suffisantes pour réussir (Daverne et Dutercq, 2013). L’arrivée en classe préparatoire est souvent vécue comme un choc, car ils et elles travaillent « comme des dingues et on a toujours des notes de merde, après on s’y fait, et on s’améliore et on progresse » (Camille). La chute des notes en classes préparatoires est courante, car « sous prétexte de rappeler aux élèves leurs exigences du concours, ils [les professeurs] écrasent globalement la notation » (Bourdieu, 1981, p. 150). Ce rite, selon ce sociologue, est à mettre sous le même registre que « les brimades initiatiques » qui d’après Émile Durkheim, « visent à plier les individus à leur nouvelle existence, à les assimiler à leur nouveau milieu » (1990, p. 448). Les enseignants et les enseignantes considèrent que les notes et les classements sont des moyens d’inciter les élèves au travail (Darmon, 2013). Il ne faut pas oublier que chaque lycée a pour objectif de présenter aux concours les étudiants et les étudiantes les plus susceptibles, d’après les enseignants et enseignantes, de les réussir afin d’avoir les meilleurs taux de réussite qui constituent leurs renommées et leur attrait auprès des futurs élèves.
Le rythme et le travail important à fournir ont pesé sur plusieurs filles et garçons qui auraient aimé pouvoir faire des pauses. Ils et elles se sentaient fatigués moralement et physiquement car, selon Jade, « on faisait vraiment que de travailler, et j’ai pas eu un seul moment pour moi, c’était horrible. Donc voilà, même au niveau social, je suis quelqu’un d’assez sociable, j’aime bien faire plein de sorties, tout ça ». Quelques étudiants et étudiantes s’octroyaient néanmoins quelques heures d’arrêt de travail par semaine, par exemple, en sortant le samedi soir, mais sans excès, comme le relate Johanna : « Je m’accordais le samedi soir, mais je faisais pas une grosse soirée parce que sinon, le dimanche, après on peut plus bosser, je faisais un cinéma ou un repas avec une copine ou des petits trucs qui font pas mal à la tête ». Les étudiants et étudiantes avaient conscience que leurs corps ne devaient pas subir d’excès qui les rendraient encore plus fatigués qu’ils et elles ne l’étaient déjà.
D’autres continuaient à pratiquer une activité sportive ou de loisir en première année, mais dans un temps plus court qu’en terminale : « En première année, je continuais à faire du cheval tous les samedis, mais d’habitude, j’y restais six heures, et là, j’y restais que deux, trois heures, j’ai un peu réduit » (Johanna). En deuxième année, la plupart ont arrêté leur activité par manque de temps.
Ainsi, les étudiants et les étudiantes, au cours de leurs classes préparatoires, ont consacré leur vie au travail intellectuel et ont laissé de côté leurs loisirs, leurs relations amicales et amoureuses dans le seul but de réussir aux concours vétérinaires et donc de réaliser leur projet professionnel, comme c’est souvent le cas pour les élèves en CPGE (Daverne et Dutercq, 2013) et en première année de médecine (Millet, 2000).
La seconde année de préparation en BCPST et en TB a été estimée par plusieurs étudiantes et étudiants comme plus stressante et fatigante que la première. Les raisons évoquées concernaient le travail encore plus important à fournir, comme en témoigne Raphaël : « Il y avait beaucoup plus de boulot et surtout il fallait réviser en même temps ce qu’on faisait et ce qu’on avait fait l’année dernière pour préparer les concours, donc c’était plus compliqué ». De ce fait, les temps de pause et de décompression étaient rares : « Il n’y a aucun jour de repos, on peut se relâcher à aucun moment et, à partir de la période de la révision des écrits, c’est un peu version plongée en apnée jusqu’au retour des oraux, mais après, il faut toujours garder en tête pourquoi on fait ça, mais après, c’est pas facile, vraiment pas facile » (Amandine). Se rappeler régulièrement l’objectif de la réussite au concours pour pouvoir entrer dans une école vétérinaire leur permettait de tenir la cadence de travail et de supporter une vie monacale, car la préparation aux concours démarre dès la rentrée de la deuxième année.
Quelques étudiants et étudiantes auraient hésité à redoubler leur deuxième année de préparation pour tenter à nouveau le concours vétérinaire, à cause du stress vécu pendant la préparation et le passage du concours, comme le relate Amandine : « Refaire une prépa, non, franchement, j’aurai pris l’école que j’avais, enfin, je dis ça, mais je sais pas, honnêtement je ne me reverrais pas repasser le concours, c’est pas la prépa, moi, c’est le concours que j’ai vraiment mal vécu, c’était trop de stress pour moi, je trouve que c’était une période abominable ». Nous faisons l’hypothèse que ce stress si important dans la période des concours est lié à leur projet professionnel précis existant depuis de nombreuses années. L’éventualité de rater les concours n’était pas envisageable pour eux et elles.
Une petite poignée d’étudiants et d’étudiantes ont vécu difficilement leurs deux années de classe préparatoire BCPST ou une des deux. La mauvaise ambiance est évoquée notamment par Lisa : « La première année de prépa s’est bien passée, au niveau travail, ça a été, je l’ai supportée correctement mais j’ai eu plus de mal en deuxième année, l’ambiance de la classe était pas terrible, car il y avait de la compétition, j’ai pas trop supporté ». Raphaël explique aussi : « J’aimais pas trop, l’ambiance qu’il y avait, même les profs, j’aimais pas, j’avais pas l’impression qu’ils étaient pas là pour nous aider, ils étaient là juste pour nous enfoncer, moi j’ai pas aimé, après, y en a dans ma classe qui ont adoré, mais moi j’ai pas du tout aimé ». Nous constatons, en effet, que des étudiantes et des étudiants ayant suivi une même classe préparatoire dans un lycée toulousain n’ont pas vécu de la même manière leurs deux années de préparation, au niveau de l’ambiance dans la classe et des relations entre les élèves et les enseignants et enseignantes.
Nous souhaitons nous attarder sur deux étudiantes qui se sont réorientées, pour des motifs différents, après leur première année BCPST vers deux autres préparations aux concours vétérinaires. Anna raconte qu’elle était très mal classée par manque de travail car, « quand je suis partie en prépa, je me disais que ça allait être facile et je n’avais pas compris que c’était vraiment dur ». Elle s’est donc tournée vers un DUT « biologie », moins exigeant scolairement, où elle a repris confiance en elle et acquis une méthode de travail. À la suite de son DUT, elle a intégré une classe préparatoire après BTS ou DUT qui lui a permis de réussir le concours et de rentrer à l’école vétérinaire.
Rosa rencontrait des difficultés en mathématiques, mais pas dans les autres matières. Elle travaillait énormément ses cours de maths en étant épaulée par une professeure particulière, mais ses notes ne progressaient pas suffisamment :
J’avais peur d’aller à la fac, car préparer un concours, toute seule, c’est pas pour moi mais en même temps, je me disais que je réussirais plus les épreuves du concours B3 que celui du concours A4… je savais pas quoi prendre comme décision. J’ai discuté avec mon prof de physique qui m’a dit que je passais en deuxième année et je lui ai dit que je n’avais pas envie de rester, car j’avais peur de ne pas avoir le concours véto. Il m’a conseillé d’aller à la fac, car c’était un bon compromis. Du coup, j’ai décidé d’aller à la fac. J’étais contente d’être admise en deuxième année de prépa, car ça veut dire qu’au final, j’étais pas si mauvaise que ça. Ma deuxième année en préparation agro-véto s’est bien passée, car il y avait moins de maths, ça me convenait mieux parce qu’il y avait plus de bio et que j’avais plus de chance d’avoir le concours par là. En plus, après une prépa, tu sais ce que c’est que travailler, c’est pas faire ce qu’il faut, c’est faire plus, contrairement aux autres étudiants et étudiantes qui sont venus directement après le bac à la fac. [Rosa]
Cette étudiante expliquait sa décision de manière rationnelle : les bénéfices escomptés étaient plus élevés (c’est-à-dire la réussite au concours) qu’en préparation BCPST, grâce aux épreuves et coefficients différents au concours B. Sa décision de réorientation a été payante puisqu’elle a obtenu le concours vétérinaire du premier coup.
Toutes les étudiantes5 ayant suivi une autre préparation que la BCPST ont réussi le concours vétérinaire dès la deuxième année de classe préparatoire alors que cela a été le cas d’un peu plus de la moitié des étudiants et des étudiantes en classes préparatoires BCPST. Une des raisons avancées pour expliquer leurs échecs est leur manque de travail, comme le relate Rémi : « Je pensais avoir le niveau pour avoir véto, au conseil avant le concours, les profs disaient que j’allais l’avoir, du coup j’étais parti un peu avec la confiance et j’ai pas travaillé assez, j’avais pas fait d’exos ». Une autre explication est liée au manque de confiance en leurs potentiels qui a généré un énorme stress pendant le concours, notamment aux oraux, comme pour Sylvain : « J’ai perdu 150 places à l’oral parce que je stressais ». Ce fut également le cas pour Alicia : « Aux oraux je me suis écroulée de fatigue, trop de stress, j’ai perdu beaucoup de places à l’oral en 3/26, j’étais extrêmement fatiguée, j’étais au bout du rouleau, et je sais que ma dernière épreuve, je dormais à moitié debout, j’ai paniqué au tableau, j’arrivais plus à trouver mes mots, je me suis effondrée, ça m’a fait vraiment peur, je me suis dit que véto c’est, c’était mort pour moi ».
Ces étudiantes et ces étudiants n’ont pas hésité à redoubler leur deuxième année de préparation pour retenter le concours vétérinaire, même ceux et celles qui avaient réussi des concours des écoles d’agronomie.
L’échec au concours vétérinaire a fait réagir les étudiants et les étudiantes qui s’étaient rendu compte de leur manque de travail l’année précédente en travaillant beaucoup plus tout au long de leur année de redoublement pour réussir le concours. La plupart d’entre eux et elles ont considéré que cette dernière était moins chargée que la précédente, car ils et elles avaient déjà étudié tous les cours. Ils et elles pouvaient ainsi se consacrer à l’approfondissement et à la révision des cours en faisant de nombreux exercices d’annales. Par conséquent, ils et elles avaient un rythme de travail moins chargé en dehors des cours et « au final, c’était pas si horrible que ça » (Sylvain).
Qui plus est, ils et elles avaient de meilleurs résultats scolaires leur permettant de reprendre confiance en eux et elles. Quelques-uns et quelques-unes ont néanmoins stressé à l’approche du concours, car c’était leur dernière chance de l’obtenir, comme le raconte Renaud : « C’était le stress de savoir que c’était la dernière fois que je pouvais le passer, donc j’avais plus droit à l’erreur, et donc ce stress m’a hanté jusqu’au bout ». D’autres ne croyaient pas en leur réussite, car « je voulais juste m’éviter une autre déception, donc, du coup, je me suis blindé l’esprit en me disant que j’aurais pas véto et que je serais pas si mal que ça en agro » (Jonathan).
Ces étudiants et ces étudiantes en 5/2 avaient également passé les concours des écoles d’agronomie au cas où ils et elles n’auraient pas réussi le concours vétérinaire. En cas d’échec à ce dernier, la plupart d’entre eux et elles auraient intégré une école d’agronomie, mais sans grande conviction puisque leur projet, depuis très longtemps, était de devenir vétérinaire : « Si j’avais réussi à avoir juste agro, j’aurais pris une école d’agro, je pense que ça m’aurait plu aussi, ça aurait pas été une passion, on va dire, mais ça m’aurait plu » (Anna). Toutefois, peu d’entre eux et elles savaient quelle école d’agronomie ils et elles auraient choisi dans celles qui leur étaient accessibles. D’autres ne savaient pas quelle école les tenterait, car elles et ils ne s’étaient pas renseignés, par manque de motivation. Qui plus est, ils et elles pensaient qu’une école d’agronomie ne les intéresserait pas, comme le raconte Renaud : « Je pense que j’aurais fait une école d’agronomie, mais tout en sachant pour moi que ça ne m’aurait pas plu du tout, j’aurais pris Agro Paris Tech, la meilleure école d’agro de France, et je me serais dirigé plutôt vers une branche zoologique pour me rapprocher au maximum des animaux, mais au fond de moi, j’aurais vécu ça comme un échec toute ma vie ».
Enfin, quelques-uns et quelques-unes auraient hésité entre une école d’agronomie et une autre voie complètement différente. Les propos de Joffrey montrent le désarroi dans lequel ces étudiants et ces étudiantes auraient été en cas d’échec au concours vétérinaire :
Si je n’avais pas eu le concours véto, je ne sais pas ce que j’aurais fait, je serais peut-être parti à la fac, j’aurais fini prof de bio, mais à assez haut niveau, mais la recherche, ça m’intéressait pas, après il y avait des choses qui auraient pu être sympas dans le domaine de l’agronomie, dans l’optimisation des semences dans les cultures, tout ça me plaisait aussi, mais pas autant que véto, vraiment j’y allais pour ça et j’envisageais pas autre chose.
Il en est de même dans le discours de Salomé : « Si je n’avais pas eu véto la deuxième fois, je ne sais pas ce que j’aurais fait… je pense que j’aurais essayé de partir dans un autre pays, en Belgique ou dans un autre pays… les écoles d’agro m’intéressent moins, si je n’avais pas eu le choix, j’aurais pris ça… ».
Tout au long de leurs années de classes préparatoires, les étudiantes et les étudiants se sont focalisés sur leur travail et la préparation aux concours vétérinaires. Rosa explique l’état d’esprit dans lequel les préparationnaires se trouvaient : « J’avais tellement peur de pas avoir véto que je voulais pas chercher plus loin ». Pendant ces années de préparation, ils et elles se « bloquaient » sur le concours sans s’autoriser à rêver à leurs années d’écoles vétérinaires et à leurs vies professionnelles futures. Leur énorme investissement intellectuel et leurs angoisses de ne pas accéder à leur but entraînaient une interruption ou une mise en parenthèse d’un questionnement existentiel (Dejours, 2014).
Pendant leurs préparations, les étudiants et les étudiantes n’avaient d’ailleurs pas réfléchi à l’école vétérinaire qu’ils et elles souhaitaient le plus intégrer. C’est seulement au moment de la découverte de leur réussite aux concours qu’ils et elles se sont posé la question, alors qu’ils et elles avaient une semaine pour faire leurs vœux en classant les quatre écoles. Nous pourrions penser que, lors de cette semaine de réflexion, elles et ils se seraient renseignés sur les sites des quatre écoles ou auprès d’étudiants et d’étudiantes vétérinaires pour connaître les spécificités de chacune.
En fait, ils et elles ont fait leurs choix sur des critères « non scolaires ». Certains et certaines ont choisi l’école de Toulouse pour rester proches de leurs parents. D’autres, au contraire, l’ont mise en premier vœu pour s’éloigner le plus possible de leurs domiciles familiaux, comme le raconte Tristan : « C’était mon premier vœu, Toulouse, c’est le plus loin, parce que je voulais partir un peu de chez moi et pas devoir rentrer trop souvent ». Nous supposons que ces étudiantes et ces étudiants, après avoir passé deux, voire trois années à se consacrer uniquement à la préparation aux concours, ont désiré vivre pleinement leur vie étudiante sans contrainte parentale.
Des étudiants et des étudiantes ont choisi leurs écoles en fonction de leurs amis et amies en classes préparatoires, comme l’explique Maxime : « Avec deux de mes amis de prépa, on avait décidé d’être tous les trois, on s’était dit Toulouse, parce qu’on était pas super bien classés ». D’autres ont demandé l’école de Toulouse, car « je préférais venir à Toulouse pour le soleil… quitte à partir loin, je me suis dit que le climat serait l’avantage » (Salomé) ou parce qu’ils et elles ne voulaient pas intégrer l’école à Alfort, car « il faut prendre le métro une demi-heure pour aller à Paris et que le campus est tout petit » (Théo), ni l’école de Lyon, car « l’école de Toulouse est assez proche de la ville quand même, Lyon, c’est plus loin, y avait l’obligation d’avoir une voiture » (Maxime).
Une seule étudiante a choisi l’école de Toulouse car elle la connaissait, étant venue la visiter aux portes ouvertes en terminale, et parce qu’elle pratiquait l’équitation dans le club de l’école avant sa préparation : « Comme je n’avais jamais visité les autres écoles, je n’ai vu que celle de Toulouse dans ma tête pendant mes deux années de prépa, dans les autres, je n’arrivais pas à me projeter, en fait, je n’avais pas réfléchi dans quelle école aller, ça paraissait tellement impossible d’arriver d’avoir une école véto que finalement laquelle… c’est juste parce que c’est celle que je connaissais » (Rosa).
Les étudiantes et les étudiants n’ont pas regretté d’avoir consacré une, deux ou trois années de leurs vies en classes préparatoires, car elles leur ont permis de concrétiser leur désir de devenir vétérinaires, qui les accompagnait depuis de nombreuses années. Ils et elles ont affirmé qu’ils et elles feraient le même parcours, parfois en précisant : « En sachant que j’ai réussi ». Quelques-uns et quelques-unes ont considéré que c’était une bonne expérience, comme l’explique Gauthier : « Quand on est en prépa, c’est stressant, c’est sûr, mais on peut plus se donner, voir un petit peu nos limites au niveau du travail et, du coup, ça m’a permis de savoir comment m’organiser dans mon travail pour être le plus efficace possible ».
En étudiant les biais du récit autobiographique, Pierre Bourdieu explique que :
La vie constitue un tout, un ensemble cohérent et orienté, qui peut et doit être appréhendé comme expression unitaire d’une « intention » subjective et objective d’un projet. […] Le récit autobiographique s’inspire toujours, au moins pour une part, du souci de donner sens, de rendre raison, de dégager une logique à la fois rétrospective et prospective, une consistance et une constante, en établissant des relations intelligibles, comme celle de l’effet à la cause efficiente ou finale, entre les états successifs, ainsi constitués en étapes d’un développement nécessaire. [1986, p. 71]
Globalement, nous ne relevons pas de différences entre les étudiantes et les étudiants concernant leurs choix de classes préparatoires, leurs vécus scolaires et personnels au cours de leurs années de préparation et leurs motivations pour l’école vétérinaire de Toulouse. Leur choix pour cette dernière ne semble pas lié à un intérêt plus prononcé pour l’activité auprès des animaux de rente, bien qu’elle possède des hôpitaux pouvant accueillir de nombreux animaux de rente, plus développés que dans les autres écoles vétérinaires.