Chapitre 8
Cette troisième partie expose les résultats de notre enquête longitudinale, menée par entretiens auprès des étudiantes et des étudiants, à savoir, dans un premier temps, les motivations des étudiants et des étudiantes pour devenir vétérinaires avant leur entrée à l’école (chapitres 8 et 9) et, dans un second temps, la construction et l’évolution de leurs choix professionnels en relation avec leurs représentations socioprofessionnelles au fur et à mesure des années de leur formation, notamment à travers leurs stages dans des cliniques privées et pendant les semaines d’enseignement clinique à l’école (chapitres 10 et 11).
Des études (Langford, 2010 ; Sans et al., 2011 ; Lecoeur, 2013 ; Pensuet, 2024) montrent que les anciennes générations vétérinaires comme les nouvelles avancent souvent avoir envisagé la profession de vétérinaire très jeunes, en moyenne entre huit et 12 ans. Les femmes et hommes vétérinaires nés dans les années 1960 expliquent souvent leur attrait pour la profession, dès leur enfance, par la phrase suivante : « Je suis de la génération Daktari ! » (Rousseau, 2001 ; Fontanini, 2008). Depuis plus de 40 ans, cette série télévisuelle américaine n’est plus diffusée en France et ne peut donc avoir influencé les vétérinaires plus jeunes.
Quels sont les éléments mis en avant par les étudiants et les étudiantes pour expliquer, à posteriori, leur attirance pour la profession ? Comment et pourquoi ce projet a-t-il été maintenu jusqu’à leur choix d’orientation postbac ?
Les réponses des étudiants et des étudiantes confirment les études précédentes, sauf celle de Sylvain Dernat et Arnaud Siméone (2014)1, puisque la quasi-totalité a souhaité devenir vétérinaire lorsqu’elle avait entre six et 11 ans. Nous ne relevons pas de différence d’âge entre les filles et les garçons. Ils et elles ont énoncé plusieurs éléments qui ont concouru à l’apparition de cette idée.
Tout d’abord, la grande majorité relate avoir vécu, dès son enfance, avec au moins un animal de compagnie. Voilà une phrase type énoncée par ces étudiants et étudiantes : « J’ai toujours eu des animaux chez moi, des chiens, des chats… ». Pour la plupart d’entre eux et elles, leur présence au sein de la famille n’était pas liée à une demande de leur part, mais au souhait de leurs parents ou de l’un des deux, comme le raconte Jonathan : « Ma mère avait trois chiens ». Ainsi, ces enfants ont grandi avec des parents appréciant la compagnie des animaux domestiques. Quelques étudiants et étudiantes leur ont demandé d’en avoir un et leurs souhaits ont été exaucés lorsque leurs parents ont considéré qu’ils ou elles étaient capables de s’en occuper : « Nos parents ne nous ont pas autorisés à avoir des animaux avant qu’on ait l’âge d’être organisés » (Aurélien).
Certains étudiants et étudiantes ont, en outre, été en contact régulièrement avec des animaux de la ferme qui appartenaient à des membres de leurs familles élargies (grands-parents, oncles, tantes…) ou parce qu’ils et elles vivaient à la campagne : « Mes grands-parents vivaient dans une ferme où il y avait des animaux de la ferme, j’aidais mes grands-parents de temps en temps, donc enfin je les aidais, je les suivais quoi [rire], parce que bon j’étais un peu jeune » (Tristan).
Par ailleurs, deux étudiantes ont connu très jeunes le métier de vétérinaire grâce à leurs grands-pères qui les accueillaient dans leurs cliniques, comme le raconte Johanna : « Il me donnait une blouse et je le suivais dans la clinique, et du coup j’aimais bien en fait quand j’étais petite, je voyais surtout le côté “animaux”, parce que j’adorais les animaux et, petit à petit, j’ai trouvé que ça avait l’air intéressant d’en faire son métier ». C’est également le cas d’Alicia : « Mon grand-père parlait beaucoup de son travail. Depuis que j’avais l’idée fixe d’être véto, il me parlait des techniques que lui faisait, de ses outils ». Ces deux étudiantes ont probablement été fières et admiratives de leur grand-père qu’elles voyaient comme un héros qui soigne les animaux.
Le père d’une étudiante détenait une animalerie et elle appréciait beaucoup y aller avec lui : « Le samedi quand j’avais pas école, j’allais avec mon père à l’animalerie, alors du coup je m’éclatais à prendre les animaux, à pêcher les poissons, à faire tout ce que je voulais » (Chloé).
Les étudiants et les étudiantes n’ayant pas vécu avec un animal à la maison avaient pour certains et certaines l’occasion de voir des animaux de la ferme détenus par des personnes de leurs familles élargies. D’autres recherchaient leur présence, à différents endroits, comme l’explique Lisa : « Je n’avais pas d’animaux chez moi. J’en voyais dans les parcs zoologiques et près de chez moi (des lapins, des biches, des cochons, des chats, des chiens, etc.), j’essayais d’aller voir des animaux car c’était un manque pour moi ». Et Renaud : « J’ai jamais eu d’animaux mais j’étais tout le temps, dès qu’il y avait des animaux, chez mes copains quand j’étais à la maternelle, au primaire, au collège, j’allais tout le temps vers eux pour les caresser ».
Certains parents refusaient d’adopter un animal de compagnie pour ne pas souffrir à nouveau, à la suite de son décès : « Ma mère a eu pour ses 18 ans un berger allemand et, quand il est mort, ça a été un véritable drame familial parce qu’il est mort à 13 ans, c’était un membre de la famille, et du coup elle ne s’en est jamais relevée, et du coup avoir un chien, ça lui pose problème, elle voulait pas revivre une souffrance comme elle avait pu ressentir » (Renaud). Un étudiant a relaté que ses parents voulaient protéger leurs enfants de la souffrance à la suite de la mort d’un chat : « On a eu un chat quand on était petit mais deux mois après, elle s’est fait écraser par un camion, on l’avait très très mal vécu, du coup depuis ce jour-là, mes parents n’ont plus jamais voulu avoir de chats, et les chiens, n’en parlons pas ! » (Rémi).
Ces récits montrent que la plupart des étudiants et des étudiantes ont vécu avec des parents aimant les animaux qui ont probablement influencé leurs enfants à cet égard, même si certains et certaines n’ont pas pu partager leur vie avec un animal domestique.
Près de la moitié des étudiantes et des étudiants ont évoqué leur amour, voire leur passion des animaux dès leur plus jeune âge en précisant qu’ils les attiraient, sans pouvoir expliquer cette attirance : « J’ai toujours aimé les animaux, c’est ma passion, quoi » (Jade). Cet intérêt des étudiants et des étudiantes vétérinaires a été mis en évidence dans d’autres études (Serpell, 2005 ; Langford, 2010). Cette passion a amené plusieurs d’entre eux et elles à se renseigner sur la vie des animaux, notamment sauvages, à travers des livres et/ou des documentaires à la télévision : « Je regardais des documentaires sur les animaux, j’ai toujours beaucoup aimé les animaux sauvages, en Afrique ou en Asie, enfin la jungle, la savane, oui, ça m’a toujours intéressé » (Théo). Quelques filles ont rapporté avoir lu beaucoup de collections de romans racontant des histoires de vétérinaires qui ont contribué, sans doute, à leur projection dans la profession : « J’avais toute une collection sur un roman qui racontait l’histoire d’une fille qui avait des parents vétérinaires et qui allait au bout du monde pour soigner les animaux, donc ça, j’en ai des tiroirs et des tiroirs » (Jade).
Près de la moitié des filles ont évoqué leur pratique de l’équitation et notamment le contact avec l’animal comme un élément qui a motivé leur désir et/ou renforcé leur souhait de devenir vétérinaire : « J’ai commencé l’équitation vers le CM2 et c’est une passion que j’ai développée et que j’ai jamais vraiment lâchée, ça a sûrement participé à mon choix » (Morgane). Ces cavalières ont l’habitude de communiquer avec le cheval, du contact physique avec lui lors de son entretien (brossage des poils, des crins, nettoyage des sabots, alimentation…), mais aussi en montant à cheval et par les récompenses affectueuses (tapotage sur l’encolure). En outre, selon Catherine Tourre-Malen (2006), pratiquer l’équitation exige « une attention et des soins constants ainsi que des savoirs spécialisés » (p. 144) induisant une expérience de prise en charge physique d’un animal.
Certaines cavalières ont mentionné avoir lu des séries de romans sur la pratique de l’équitation renforçant probablement leur passion pour les chevaux : « Je lisais “Grand Galop”, je regardais à la télévision Grand Galop, enfin, je regardais et lisais pleins de trucs comme ça » (Pauline).
Ce n’est pas surprenant que ce soient des filles qui aient mentionné la pratique de l’équitation, car elle est très féminisée. Selon la Fédération française d’équitation, c’est le sport le plus pratiqué par les femmes en France avec 84,58 % de licenciées2. Comme l’explique Catherine Tourre-Malen (2006), ce sport est considéré comme convenant particulièrement aux filles, car le maintien du corps sur le cheval leur permet de montrer leur élégance et leur grâce. Qui plus est, l’intérêt des filles pour les chevaux est stimulé, depuis une trentaine d’années, par la littérature de jeunesse, la presse pour enfants et adolescentes, les jeux et les jouets (Tourre-Malen, 2006 ; Fontanini, 2010).
Un autre facteur avancé par plusieurs étudiantes et étudiants est l’accompagnement de leurs mères à la clinique vétérinaire pour leurs animaux de compagnie. Clément raconte : « Vers mes huit ans, j’avais une chienne qui est tombée malade et on l’a emmenée chez le vétérinaire, et j’ai vu le vétérinaire qui la soignait, et c’est là que j’ai eu le déclic que c’était le métier que je voulais faire ». Margot a vécu une expérience similaire : « Je suis allée avec ma mère chez le véto pour mon lapin qui avait eu un abcès à l’œil, ça a conforté mon idée de devenir vétérinaire ».
Les visites sans problème de santé étaient également prisées par les étudiants et les étudiantes : « J’allais toujours avec ma mère chez le véto et, d’ailleurs, je voulais qu’elle attende que je rentre de l’école pour amener le chat juste pour faire son vaccin, j’ai toujours aimé même l’odeur du cabinet » (Caroline). Elles ont également eu un impact sur leur projet professionnel : « Je suivais à chaque fois ma mère chez le vétérinaire pour mon chien et les visites me plaisaient, au fur et à mesure, en grandissant, ce qui m’intéressait, c’est le soin pour l’animal et le contact avec le client. En voyant le véto, ça m’a donné envie de faire la même chose » (Lisa). « J’ai accompagné ma mère chez le véto et ça a influencé mon désir de devenir vétérinaire parce que je pense que c’est comme ça, tu peux voir le métier, enfin, une partie du métier, du coup, t’as une vision du métier, si j’étais pas allée, j’aurais peut-être moins eu envie de le faire parce que je le connaîtrais pas » (Rosa).
Environ un tiers des étudiants et des étudiantes ont fait leur stage de découverte professionnelle en classe de troisième dans une clinique vétérinaire pour animaux de compagnie pour confirmer leur projet de devenir vétérinaire, ce qui a été le cas pour toutes et tous, « car j’avais bien aimé voir les choses sur les animaux », même lorsque « les vétérinaires étaient pas hyper sympas, ils faisaient pas trop attention à moi, j’étais un peu la stagiaire de troisième, donc j’avais pas trouvé ça exaltant » (Jade). Quelques étudiantes ont fait des stages supplémentaires dans des cliniques, pendant leurs vacances scolaires, au cours de leurs années au lycée, par intérêt pour la pratique de la profession : « Les jeunes, animés par leur amour inconditionnel pour les animaux, voient en ces professionnels des sauveurs dévoués qui veillent sur leurs compagnons. Ils les considèrent comme de véritables superhéros capables de prodiguer des soins médicaux et de sauver des vies animales »3.
Les quelques étudiantes et étudiants ayant eu le projet de devenir vétérinaires au collège ou en terminale ont des caractéristiques proches. Ils et elles aimaient les animaux et vivaient au quotidien avec eux. Leur « déclic plus tardif », pour certains et certaines, est provenu à la suite de leurs stages en classe de troisième, comme le relate Adrien : « Mon idée de devenir véto, c’était en troisième. Le stage obligatoire en troisième, je l’ai fait chez un vétérinaire et c’est ça qui m’a donné l’idée, je ne sais pas vraiment pourquoi ni comment. J’y réfléchis maintenant et c’est pas le stage qui m’a le plus plu en fait. Je ne sais plus pourquoi j’ai eu envie de faire ce stage de troisième chez un véto, ça devait déjà m’intéresser de près ou de loin. J’ai toujours grandi avec des animaux chez moi, des chats, des chiens, des oiseaux… ». Quelques-uns et quelques-unes avaient d’autres projets de métiers quand ils et elles étaient plus jeunes et ce sont finalement des copains ou des copines qui souhaitaient devenir vétérinaires qui leur ont transmis cette idée. Enfin, deux étudiantes et un étudiant ont eu ce projet seulement en terminale en réfléchissant à leurs souhaits d’orientation postbac. C’est en se renseignant sur les classes préparatoires scientifiques que les deux filles ont élaboré leur projet de se tourner vers la profession vétérinaire et, pour Joffrey, c’est une rencontre : « J’avais pas d’idée sur ce que je voulais faire, j’ai toujours été passionné par le vivant et pas mal les poissons, donc je pensais m’orienter vers la pisciculture et, un jour, je suis allé voir une île aux serpents, une espèce de grand vivarium avec des serpents, des tortues et des lézards, et justement il y avait une femme qui présentait un serpent comme ça et qui disait que ça manquait de vétos pour s’occuper de ces animaux-là et, moi aussi, j’étais passionné de reptiles, et c’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic et que je me suis dit que je pourrais carrément faire ça, je me suis lancé là-dedans sans trop réfléchir ». Pour ces étudiants et étudiantes, leur projet a émergé grâce à leur vécu dans une clinique vétérinaire lors de leurs stages de découverte professionnelle en classe de troisième ou grâce à des personnes extérieures.
La quasi-totalité des étudiants et des étudiantes étaient de bons et bonnes élèves, voire d’excellents et d’excellentes élèves au collège et au lycée, ce qui leur a permis d’intégrer une première et une terminale scientifique et d’obtenir le baccalauréat scientifique, pour la plupart avec une mention « bien » ou « très bien ». Un seul étudiant a relaté avoir été un élève moyen en classe de seconde, mais en terminale, ses notes ont progressé. Il craignait néanmoins de ne pas être accepté en classe préparatoire « biologie, chimie, physique, sciences de la vie et de la Terre » (BCPST), car il n’avait pas un très bon dossier. Deux étudiantes ont connu des difficultés scolaires en troisième et ont été orientées vers des baccalauréats technologiques qu’elles ont obtenus avec des mentions.
Ces bons résultats scolaires, tout au long du collège et du lycée, ont permis aux étudiants et aux étudiantes de conserver leur idée de devenir vétérinaires ou de se projeter vers d’autres projets professionnels en choisissant finalement en terminale de s’orienter vers les filières préparant aux concours vétérinaires.
Presque un tiers d’entre eux et elles n’ont pas eu d’autres idées de métier que vétérinaire entre leur enfance et leur projet postbac. La phrase type de ces étudiants et étudiantes est : « J’ai toujours voulu faire véto ». Les autres ont eu différents projets professionnels entre leur scolarité à l’école primaire et leur terminale.
Une poignée de garçons et de filles ont eu d’autres idées à l’école primaire ou au collège, principalement en lien avec les animaux (zoologue, biologiste marin, fauconnier, ostéopathe pour chevaux), avec l’évolution du monde vivant (paléontologue) ou avec la santé humaine (médecin, nutritionniste). Au collège, certains et certaines ont redouté de ne pas décrocher un concours vétérinaire, car il est très sélectif, et ont cherché des « plans B ».
Au lycée, environ un quart des filles et des garçons était attiré par la médecine humaine et a donc hésité entre celle-ci et celle en vétérinaire. Cette dernière a été choisie finalement par certaines filles, car elle est plus variée, comme l’explique Rosa : « Je voulais être chirurgienne, j’ai fait un stage en première, ça m’a plu, mais j’ai trouvé que c’était trop spécialisé contrairement à véto qui reste très polyvalent, je pense que ça me plaisait mais que c’était quand même toujours en second plan par rapport à véto, je savais qu’au fond je voulais faire véto ». Une autre raison du choix de la profession vétérinaire était la préférence pour le contact avec les animaux plutôt qu’avec les humains. Et la dernière explication avancée par une petite poignée de garçons, mais par aucune fille, concernait leur inquiétude d’avoir la vie de personnes entre leurs mains, comme l’explique Maxime : « Je pense qu’il y a plus de conséquences si on se loupe sur un humain que sur un animal, y a moins de pression ».
Les autres rares idées qui ont traversé les esprits de quelques étudiants et étudiantes, au lycée, étaient proches de la médecine vétérinaire, comme la recherche en biologie, ou complètement éloignées (l’aéronautique, le contrôle aérien, la physique).
Peu de recherches ont été menées sur les idées de métier des enfants quand ils seront adultes. D’après Merryn Hutchings (1997), les enfants se réfèrent à cinq modèles pour déterminer leurs préférences en matière d’activité professionnelle. Tout d’abord, la famille, qui permet à l’enfant d’avoir une première approche de la réalité du monde du travail en visitant les lieux de travail de ses parents et en écoutant parler les membres de sa famille de leurs occupations et de leurs préoccupations professionnelles. La vie en société permet également à l’enfant de découvrir diverses professions à travers des rencontres (médecin, coiffeur ou coiffeuse, vendeur ou vendeuse, garagiste…) et par l’observation de son entourage (maçon ou maçonne, paysagiste, policier ou policière…). La télévision présente différents métiers, dont certains peuvent susciter des aspirations extraordinaires, tels que footballeur, star de cinéma, super héros ou héroïne… À l’école, les enfants découvrent diverses professions (enseignant ou enseignante, personnel d’entretien…). Enfin, les activités extrascolaires amènent les enfants à rencontrer d’autres professionnels et professionnelles comme moniteur ou monitrice d’équitation ou de ski, professeur ou professeure de danse, peintre…
Les propos des étudiants et des étudiantes montrent que leur désir de devenir vétérinaires s’est construit à travers ces différents modèles, dans leur enfance. Au sein de leurs familles, ils et elles ont vécu dans un univers lié au monde animal : avec leurs parents et leurs frères et sœurs et/ou dans leurs familles élargies. Ils et elles ont sans doute entendu des discussions d’adultes à propos des animaux domestiques et/ou de la ferme. La découverte de la profession vétérinaire s’est faite pour une bonne partie des étudiants et des étudiantes à travers l’accompagnement de leur mère chez le ou la vétérinaire pour leurs animaux domestiques et/ou, un peu plus tard, à l’occasion de leurs stages de découverte professionnelle en classe de troisième. Ils et elles partagent cet élément avec des étudiants et étudiantes en médecine qui mettaient en avant deux raisons de leur choix de devenir médecins : l’expérience de la maladie d’une personne proche ou la rencontre avec le milieu médical (Deschamps-Leroux, 1994).
Les documentaires à la télévision sur la profession vétérinaire et la lecture de séries de romans sur des femmes vétérinaires ont permis aux filles et aux garçons de s’identifier aux personnages comme l’avaient fait des vétérinaires lorsqu’ils et elles regardaient la série Daktari à la télévision dans leur enfance (Dumora, 1990). Ces étudiants et ces étudiantes ont vu les vétérinaires présentés dans ces médias comme des « super héros » et « super héroïnes », capables de sauver des animaux. Cette représentation de la profession était donc particulièrement enthousiasmante vu qu’ils avaient eux-mêmes au moins un animal de compagnie pour lequel ils et elles éprouvaient un amour inconditionnel. Enfin, la pratique de l’équitation et la lecture de romans sur des cavalières par des filles ont renforcé leur intérêt pour les animaux.
Au cours de leur adolescence, les étudiants et les étudiantes ont persisté dans leur idée d’exercer la profession vétérinaire. Ainsi, leur attrait pour cette dernière a été « le résultat d’une comparaison (d’un appariement) plus ou moins consciente » qu’ils et elles ont opéré entre l’image qu’ils et elles se faisaient d’eux-mêmes « et l’image prototypique des personnes » qui exercent cette profession : « Pour qu’une formation ou profession puisse être, dans un premier temps, pensée, puis retenue comme possible, il faut un certain degré de congruence, de ressemblance entre ces deux images » (Vouillot, 2007, p. 94).
La profession vétérinaire est donc apparue comme possible autant pour les filles que pour les garçons. Par conséquent, ils et elles n’avaient pas une représentation de cette profession comme particulièrement féminine ou masculine qui aurait pu dissuader les filles ou les garçons de s’orienter vers celle-ci. Qui plus est, les étudiants et les étudiantes n’ont pas mentionné avoir eu, au lycée, de projet précis de modalités d’exercice qui auraient pu renvoyer à des projections considérées comme plus « féminines » telles que la médecine auprès des animaux de compagnie ou plus « masculines » telles que l’exercice auprès des animaux de rente (Vouillot, 2007). Ils et elles n’ont fait aucune allusion au prestige de la profession et aux revenus qu’elle procure. Les étudiantes n’ont pas relaté avoir choisi cette profession par anticipation de leurs futures tâches domestiques et parentales (Duru‑Bellat, 2004). Jusqu’en terminale, les étudiantes et les étudiants apparaissent comme ayant été motivés exclusivement par l’amour des animaux et par leur volonté de les soigner. De ce fait, elles et ils ne se sont pas informés sur les différentes activités de la profession et les débouchés professionnels après leur formation dans les écoles vétérinaires. Il en est de même pour les conditions de travail et le niveau de rémunération.
Eli Ginzberg et al. (1951) distinguent trois stades dans l’histoire du choix professionnel d’un individu : le stade du choix fantaisiste entre cinq et dix ans, le stade du choix-essai à l’adolescence et le stade du choix réaliste à partir de 19 ans. Ainsi, ces étudiants et étudiantes vétérinaires sont passés d’un choix fantaisiste ou à l’essai au choix réaliste sans changer de projet de métier.
Nous relevons que les étudiantes n’ont pas plus douté que les étudiants de leur potentiel scolaire pour intégrer une des préparations aux concours, ni de leur réussite au baccalauréat. Ainsi, chaque étudiant et étudiante a opéré un contrôle sur sa capacité à mobiliser des compétences et des connaissances spécifiques en accord avec le but professionnel qu’il ou elle s’était fixé (Bandura, 1977 ; 1982). Nous soulignons également qu’aucun étudiant ni aucune étudiante n’a relaté avoir eu des parents réticents ou en désaccord avec leur projet professionnel. Leurs parents avaient, sans doute, une image positive et valorisée de la profession, notamment ceux qui étaient ou qui avaient été propriétaires d’animaux de compagnie.