Show cover
La Féminisation du métier de véterinaire (Edul, 2025) Show/hide cover

Chapitre 5

Entrée massive et rapide des femmes dans les écoles et la profession

Arrivée des femmes dans les écoles vétérinaires

À partir de 1970, les filles entrent de plus en plus nombreuses dans les écoles vétérinaires. Elles représentent 9 % des élèves admis aux concours des écoles en 1970, 25 % en 1975, 30 % en 1980 et 38 % en 1985 (Charles, 2004). Le droit à l’internat dans toutes les écoles, à partir de 1977, a contribué à cette croissance du nombre de filles dans les écoles (Zot, 1987).

En 1991, leur taux d’admission est supérieur (52 %) pour la première fois à celui des garçons (Dedet, 1991) et cette supériorité s’est accentuée au fur et à mesure des années : 58,8 % en 1995 et 62,6 % en 2000 (Charles, 2004). Entre 2010 et 2019, la part des filles admises1 a oscillé entre 70 et 75 %. Depuis 2020, elle s’est stabilisée autour de 75 %.

Ainsi, en 50 ans, les filles sont devenues largement majoritaires puisqu’elles composent désormais les trois quarts des effectifs dans les écoles nationales vétérinaires (ENV) en France. Cette surreprésentation féminine (75 %) dépasse celle en médecine, odontologie et pharmacie (66,1 %) [Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2022]. Les formations de l’enseignement supérieur où les parts des étudiantes sont les plus élevées se trouvent parmi les formations paramédicales et sociales (86,7 %) [Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2022] qui sont historiquement investies par les filles (Fontanini, 2015c).

Cette ascension puis cette surreprésentation des filles dans les écoles vétérinaires ne sont pas propres à la France. Dès les années 1970, les filles représentaient 16 % de l’ensemble des diplômés dans les écoles vétérinaires au Royaume-Uni et 11 % aux États-Unis ; en 2016, elles étaient plus de 80 % (Allen, 2016). En Suisse, dès 1985‑1986, les filles constituaient la moitié des effectifs et, en 2002‑2003, 70 % (Surdez, 2007).

La percée régulière et croissante des filles dans les écoles vétérinaires en France, comme dans toutes les formations de l’enseignement supérieur, est liée à différentes mutations de la société depuis la fin des années 1960.

Tout d’abord, quelques lois ont permis aux femmes de maîtriser davantage leur vie. En 1965, les femmes mariées n’avaient plus besoin de l’autorisation de leur mari pour exercer une profession, ouvrir un compte et disposer de leurs biens ; la loi Neuwirth, promulguée en 1967, a autorisé la contraception et notamment la pilule ; huit ans plus tard, la loi Veil a légalisé l’interruption volontaire de grossesse (1975). Grâce à ces deux dernières lois, les femmes ont ainsi pu choisir le « bon moment » pour une grossesse, ce qui leur a permis de suivre des études dans l’enseignement supérieur et ensuite d’accéder au marché du travail (Goldin et Lawrence, 2002). En parallèle, les organisations féministes ont remis en cause, dès les années 1970, les rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes et ont revendiqué l’émancipation des femmes par l’autonomisation financière et l’exercice d’un emploi (Guionnet et Neveu, 2004).

À partir de 1971, les filles furent plus nombreuses à obtenir le baccalauréat, dans toutes les séries. Toutefois, les choix d’orientation selon les filières du baccalauréat restaient différenciés entre les garçons et les filles. Ces dernières se dirigeaient plus vers la filière littéraire, mais progressaient néanmoins vers les sections scientifiques, notamment vers la filière D du baccalauréat où prédominait la biologie, ce qui les amenait à investir, entre autres, les filières de la santé dans l’enseignement supérieur et les classes préparatoires au concours d’entrée des écoles vétérinaires (Baudelot et Establet, 1992).

L’accroissement du nombre de bachelières a débouché sur une augmentation du nombre d’étudiantes, et celles-ci sont devenues majoritaires (50,6 %) dans l’enseignement supérieur dès 1980 (Lixi et Theulière, 2004). Toutefois, les filles se sont orientées vers les formations en fonction de leurs séries de baccalauréat, induisant des proportions différentes dans toutes les filières de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, elles sont encore minoritaires dans les formations scientifiques et techniques et toujours très concentrées dans les filières paramédicales, du travail social et de l’enseignement. Cependant, elles sont devenues majoritaires, depuis 30 à 40 ans, dans celles du barreau, de la magistrature, de la pharmacie, de la médecine humaine et animale, de l’ingénierie en agronomie et plus récemment de commissaire de police (Fontanini, 2015c).

L’accès accru des femmes aux études supérieures, la tertiarisation et la salarisation du travail ont facilité leur entrée et leur progression sur le marché du travail (Guionnet et Neveu, 2004). En 1975, 52 % des femmes et 90 % des hommes âgés de 15 à 64 ans exerçaient une activité professionnelle2. En 2021, 70 % des femmes et 76,2 % des hommes, dans cette même tranche d’âge, étaient actives et actifs (Brunner et Maurin, 2023). Qui plus est, le taux d’activité augmente pour les femmes comme pour les hommes avec un diplôme de l’enseignement supérieur. En 2020, 85,2 % des femmes âgées de 15 à 64 ans diplômées du supérieur sont actives (89,5 % pour les hommes) contre 52,7 % pour celles qui n’ont pas de diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (65,1 % pour les hommes) [Institut national de la statistique et des études économiques, 2022].

L’entrée des filles dans les écoles vétérinaires est également liée à la forte croissance du nombre de vétérinaires entre 1970 et 1990 (Rault, 1993) à la suite du développement des soins pour les animaux familiers, comme on l’a vu dans le chapitre précédent. Pour répondre à la demande de soins des propriétaires de chiens et chats, le nombre de places aux concours des écoles a fortement augmenté – environ 300 par an entre 1970 et 1974, autour de 400 par an entre 1975 et 1979 et dans les alentours de 500 par an entre 1980 et 1987 (Charles, 2004) – jusque 2015 (Godfroy, 2021). Face à l’érosion du nombre de vétérinaires exerçant auprès des animaux de rente, le nombre de places aux concours a été augmenté, passant de 550 en 2016 à 646 en 2021 pour accroître potentiellement le nombre de jeunes vétérinaires auprès des animaux de production (Godfroy, 2021).

Le développement de l’activité auprès des animaux de compagnie a permis aux femmes d’envisager plus facilement l’exercice de la profession, car elle n’était plus centrée sur le modèle masculin du vétérinaire à la campagne soignant les animaux de rente (Surdez, 2007) pour lesquels il fallait nécessairement de la force et de l’endurance, des qualités « érigées en principes et exigées des futurs élèves par Bourgelat et ses épigones » (Hubscher, 1999, p. 348). Ces qualités jugées comme spécifiquement masculines ont perduré pendant des dizaines d’années et n’ont pas encore complètement disparu dans tous les esprits. La médecine auprès des animaux de production était l’apanage des hommes où les femmes n’avaient pas leur place.#

L’augmentation puis la surreprésentation des filles dans les écoles vétérinaires, depuis plus de 30 ans, s’expliquent aussi par la diminution du nombre de garçons en classes préparatoires vétérinaires et, par corrélation, des candidatures masculines au concours principal3.

Entre 1980‑1981 et 1987‑1988, la part des filles a augmenté progressivement dans les classes préparatoires vétérinaires. Elle est passée de 37 % en 1980‑1981 (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 1981) à 40 % en 1983‑1984 (Lemonnier, 1984) et à 48,5 % en 1987‑1988 (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 1988). En 1990‑1991, elle a dépassé (54 %) celle des garçons (Chatillon, 1991) et, dans les années suivantes, elle a poursuivi sa croissance. En 1999‑2000, elle était de 65,6 % (Dethare, 2000). Ainsi, la proportion des filles en classes préparatoires vétérinaires correspond à celle des admises au concours vétérinaire puisqu’en 1980, elle était de 30 % (Charles, 2004), en 1991 de 52 % (Dedet, 1991) et en 2000 de 62,6 % (Charles, 2004). À partir de 2003 où les classes préparatoires vétérinaires ont fusionné avec celles qui menaient aux concours des écoles d’agronomie, on retrouve la même tendance. Les parts des filles inscrites et admises au concours des classes préparatoires « biologie, chimie, physique, sciences de la vie et de la Terre » (BCPST) en 20054, en 20155 et en 20216 sont très proches7.

Ainsi, la proportion de filles de plus en plus élevée dans les écoles vétérinaires n’est pas due à leur meilleure réussite au concours. Elle est la conséquence de deux facteurs concomitants : la hausse du nombre de filles en classes préparatoires et candidates au concours, et la diminution du nombre de garçons en préparation et candidats au concours, comme en première année de médecine (Hardy-Dubernet, 2005).

Nous nous sommes alors posé la question suivante : la baisse régulière du nombre de garçons en classes préparatoires est-elle liée à la meilleure réussite des filles en première et terminale scientifiques qui évincerait les candidats masculins à la sélection sur dossier scolaire pour l’entrée en préparation ? Pour y répondre, nous avons mené une enquête, en septembre 2010, auprès des 51 lycées métropolitains publics offrant au moins une classe préparatoire BCPST afin de connaître le nombre de candidatures féminines et masculines reçues pour leurs classes préparatoires BCPST en juin 2010 et les années précédentes (Fontanini, 2015c). Les réponses de 13 lycées montrent que la part des candidatures féminines pour la préparation BCPST est très proche de la proportion de filles en première année de cette filière. Par conséquent, ce n’est pas la meilleure réussite scolaire des filles en première et en terminale scientifiques qui entraîne cette supériorité quantitative des filles en classes préparatoires BCPST, mais bien leur forte volonté de les intégrer dès la terminale. Ainsi, la forte présence des filles en classes préparatoires scientifiques BCPST puis en écoles d’ingénieurs agronomes et vétérinaires est due à la baisse des candidats et à la hausse des candidates à ces formations dès la terminale. Certes, les réponses obtenues auprès de seulement 13 lycées en 2010 ne permettent pas une généralisation. Cependant, nous pouvons considérer qu’elles reflètent la réalité, car cette désaffection des garçons, dès la terminale, se retrouve en médecine dans les mêmes périodes (Hardy-Dubernet, 2005) et à l’École nationale de la magistrature (Boigeol, 1993).

Cette diminution progressive des vœux d’orientation des garçons vers les classes préparatoires vétérinaires puis BCPST signifie que ces derniers ont été et sont de moins en moins attirés par l’exercice de la profession vétérinaire qui a perdu du prestige social dès les années 1980 (Hubscher, 1999). Le déclin de l’attirance des garçons pour la profession vétérinaire est aussi lié à la baisse progressive de l’identité masculine de la profession depuis les années 1970 avec la diminution des vétérinaires pratiquant auprès des animaux de rente et la modification de leur pratique professionnelle. A contrario, comment expliquer que les filles soient autant attirées par la profession vétérinaire ?

Les femmes vétérinaires dans les jeux et livres pour enfants

À partir des années 1970, les filles ont investi la médecine vétérinaire, notamment auprès des animaux domestiques, pour les mêmes raisons qui les poussaient à se diriger, depuis plusieurs décennies, vers la médecine humaine, les professions d’infirmière et de sage-femme. Les soins des corps, des femmes enceintes aux personnes âgées, ont incombé aux femmes à travers les siècles et les civilisations (Dall’Ava-Santucci, 2004) dans l’espace domestique, dans les congrégations religieuses puis dans les hôpitaux (Schweitzer, 2002). À la fin du 19e siècle, malgré les résistances des hommes, les études médicales s’ouvrirent peu à peu aux étudiantes, car le domaine des soins leur était traditionnellement dévolu (Schweitzer, 2010). Selon Francine Saillant, « la préparation des filles aux tâches familiales et au maternage favorise l’intériorisation de l’attitude de base des soins : le souci de l’autre, qui implique la protection du corps et l’entraide, pour soi et pour les proches. La socialisation inscrit le caring comme ingrédient de l’identité féminine » (1992, p. 96).

Au 21e siècle, les filles sont encore éduquées dans les familles au maternage et à prodiguer les soins aux enfants par le biais notamment des jouets qui les invitent à s’amuser avec des poupons, à être infirmière… Les enfants apprennent également par les comportements et les tâches domestiques effectuées par les pères et les mères que celles-ci consacrent beaucoup plus de temps aux soins des enfants (Couprie, 2023) et à la prise en charge des animaux domestiques8 (achat de nourriture, rendez-vous chez le ou la vétérinaire, gestion de la garde de l’animal pour les vacances, toilettage…). De ce fait, les enfants perçoivent, dès leur plus jeune âge, les tâches effectuées principalement par les femmes dans les familles, puis dans la sphère professionnelle où elles s’occupent majoritairement des enfants (crèches, écoles maternelles) ou exercent des professions de soin auprès des humains (Bereni et al., 2020) ou auprès des animaux domestiques (vétérinaires et auxiliaires vétérinaires).

Depuis une trentaine d’années, plusieurs jouets sont proposés aux filles9, à partir de l’âge de trois ans, pour s’amuser à être vétérinaire dans une clinique pour animaux de compagnie. Les rares fois où il est proposé aux garçons de jouer à être vétérinaire, c’est avec les animaux de la ferme. Ainsi, à travers ces jouets, les femmes sont présentées comme plus aptes à soigner des animaux domestiques et mignons dans un cabinet (à l’intérieur) et les hommes plus capables de s’occuper des animaux gros et sales à la campagne (à l’extérieur) [Fontanini, 2008].

L’étude des jeux vidéo10 et des jeux de vétérinaire11 sur Internet (Fontanini, 2008) met également en évidence que l’activité « soins aux animaux » est destinée principalement aux filles. L’examen précis des boîtes de la collection « Mission vétérinaire » montre que, selon la mission, les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes activités. Pour la mission « je soigne les animaux de la ferme », il y a un vétérinaire masculin (avec une blouse) et une adolescente qui démontre de l’affection à la biquette qu’elle porte dans ses bras. Et pour la mission « je soigne les animaux familiers », une vétérinaire est en premier plan et démontre plus de tendresse pour le chien qu’elle porte dans ses bras que le vétérinaire pour le perroquet qui est juste posé sur son bras. En outre, seul le vétérinaire porte un stéthoscope autour de son cou. Sur la boîte « je soigne les animaux du zoo » est présentée une vétérinaire en train de caresser la tête d’un zèbre avec, en arrière-plan, un homme en train de nettoyer l’oreille d’un éléphant avec un balai. La vétérinaire est vêtue d’une blouse blanc immaculé et ses ongles des mains portent du vernis rouge. Cette présentation nous interroge quant à la réalité des soins vétérinaires apportés aux animaux. S’agit-il de rassurer les petites filles sur la « féminité conservée » de cette vétérinaire ? En tous les cas, ces images sur les boîtes présentent explicitement les types d’animaux soignés par les hommes (animaux de ferme) et par les femmes (animaux domestiques et sauvages) et les qualités professionnelles des vétérinaires masculins (diagnostic avec le stéthoscope) et des femmes vétérinaires (caresses rassurantes et sans se salir).

À travers ces jeux vidéo et ces jouets, il est proposé principalement aux filles de s’occuper des animaux, notamment familiers ou sauvages, et de les soigner. Ceci peut influencer leur choix ultérieur d’activité professionnelle, car « pour pouvoir se projeter dans une activité professionnelle, il est primordial d’avoir eu à sa disposition à un moment ou un autre de son existence des modèles réels ou fictifs de personnes de son propre sexe exerçant cette profession » (Dafflon Novelle, 2006, p. 372).

Une recherche sur les représentations des vétérinaires dans les livres12 pour enfants âgés de zéro à cinq, six ou sept ans, parus entre 1972 et 2017, a mis en évidence les mêmes constats (Fontanini et Schneider, 2019).

Alors que la profession est de plus en plus exercée par les femmes, l’examen des titres et/ou des textes des 32 livres étudiés montre que le nom « vétérinaire » est rarement accompagné de l’article féminin (« la » ou « une ») lorsqu’il s’agit d’une femme vétérinaire13. Il semble y avoir une résistance à la féminisation de ce nom de métier de la part des éditeurs et éditrices et/ou des auteurs et autrices qui préfèrent utiliser une forme neutre.

L’étude des titres met également en évidence que, pour les personnages féminins, le métier de vétérinaire est davantage présenté comme un rêve par l’utilisation d’expressions comme « mon rêve de vétérinaire »14 ou par l’emploi du futur comme projection possible (« un jour, je serai vétérinaire »15), alors que, pour les personnages masculins, nous relevons des affirmations telles que « je suis vétérinaire »16 ou des personnalisations, comme le titre Le Vétérinaire Totof17. Ainsi, pour les filles, contrairement aux garçons, le métier de vétérinaire n’apparaît pas comme une réalité possible. Qui plus est, nous avons relevé des phrases dans les textes qui accentuent cette possibilité de non-réalisation du projet de devenir vétérinaire pour les filles telles que : « Ce sera peut-être son métier quand elle sera grande ». Ou : « Tout cela n’est qu’un rêve. Jennifer est encore bien petite, mais peut-être se réalisera-t-il un jour »18. Aucune phrase de ce type n’a été constatée dans les livres qui présentent un homme vétérinaire. Les filles devraient-elles douter de leurs compétences pour accéder à cette profession ?

L’étude des attributs professionnels montre la présence d’accessoires portés par les personnages : tenue, stéthoscope, trousse d’intervention, ou accessoires féminins. Dans les albums pour les enfants de zéro à cinq ans, tous les personnages vétérinaires, hommes et femmes, portent une tenue professionnelle (blouse blanche) et un stéthoscope. Pour les enfants petits, l’image du soignant et de la soignante est donc mise en avant. Toutefois, dans ces mêmes albums, deux tiers des garçons ou des hommes sont équipés d’un accessoire médical, le plus souvent une trousse de secours, ce qui n’est jamais le cas des personnages féminins. L’image renvoyée pour les hommes est qu’ils sont donc prêts en cas d’urgence à assumer une intervention grave, au même titre qu’un pompier, dont l’imagerie populaire est très présente chez les enfants. Dans les romans pour les enfants de six à sept ans, toutes les femmes vétérinaires portent une tenue professionnelle, et la moitié d’entre elles un stéthoscope, alors que ce n’est le cas que d’un tiers des hommes. Le message sous-jacent est-il de montrer que la compétence des hommes vétérinaires est suffisamment connue pour qu’il ne soit pas nécessaire de l’affubler d’une tenue professionnelle et d’un stéthoscope ?

Dans les albums pour les enfants petits, les deux tiers des filles ou des femmes portent sur elles un accessoire « féminin » tel qu’un bandeau ou des barrettes dans les cheveux, des boucles d’oreilles… Dans les romans pour les enfants de six à sept ans, la quasi-totalité des femmes vétérinaires portent au moins un accessoire « féminin » (et plusieurs dans certains cas). Cette représentation féminine des vétérinaires a-t-elle pour objectif de montrer aux petites filles que l’on peut exercer cette profession sans perdre sa « féminité » ?

Concernant les espèces animales soignées par les vétérinaires masculins et féminines, nous avons relevé que ces dernières sont davantage présentées dans les soins aux animaux familiers et aux chevaux que les hommes. En revanche, les femmes et les hommes sont autant montrés auprès d’animaux sauvages.

Une autre étude sur des albums et livres de jeunesse destinés aux enfants âgés de six à 11 ans (Fontanini, 2008), montre que 32 livres, édités ou réédités entre 1995 et 2007 (source : Electre), font découvrir la profession vétérinaire. Parmi eux, 14 proposent une histoire avec une vétérinaire et 18 avec un vétérinaire. Nous relevons ainsi une légère prépondérance masculine dans la présentation de ce métier. En revanche, en prenant en compte les séries, les résultats sont inversés puisque nous comptons 112 histoires avec une femme vétérinaire dans trois séries différentes (« Jenifer, apprentie vétérinaire », « Grand Galop » et « Sheltie ») et 14 histoires avec un homme vétérinaire dans une série (« Le Ranch de la pleine lune »). Seule une série télévisée (Heartland) propose un homme et une femme vétérinaires. En faisant le total de tous les livres et de toutes les histoires des séries, nous relevons que les femmes vétérinaires sont largement plus représentées (157 fois sur 225, soit 70 %). Ainsi, en lisant ces séries, les filles peuvent se projeter dans cette profession qui apparaît comme pouvant être exercée par les femmes, voire comme un métier « féminin ».

Fin 2023, nous avons consulté un site Internet19 qui propose des histoires de vétérinaires pour les enfants de trois à 12 ans. Ces récits sont « inventés » par les adultes en utilisant l’outil d’intelligence artificielle du site qui prend en compte le prénom de l’enfant indiqué pour que ce dernier ou cette dernière soit le héros ou l’héroïne. Le site offre des histoires de petites filles et de petits garçons (selon les tranches d’âges20) qui rêvent de devenir vétérinaires et qui, grâce à leurs rencontres avec des médecins pour les animaux, vont le devenir à l’âge adulte.

Au total, 35 récits (sept pour les trois à quatre ans, dix pour les cinq à six ans, 11 pour les sept à huit ans et sept pour les neuf ans et plus) sont présentés dans le cadre de cliniques pour animaux de compagnie. Les filles sont autant représentées (18) que les garçons (17) au total et pour chaque tranche d’âge. La présentation de ces vétérinaires est semblable pour les femmes et les hommes : dix d’entre elles et huit d’entre eux sont caractérisés comme passionnés, toutes et tous portent une blouse et un stéthoscope, cinq filles et six garçons travaillent dans leurs propres cliniques et deux filles et deux garçons sont salariés (pour les autres, aucune précision n’est donnée sur leurs statuts professionnels), les filles portent autant de boucles d’oreilles (six) que les garçons des cravates (cinq). Nous relevons que, dans quatre histoires, il est écrit la vétérinaire et, dans une autre, une excellente docteure vétérinaire. Toutefois, dans deux récits, il est mentionné le docteur pour deux femmes. Ainsi, dans ces 35 histoires, on retrouve une présentation plutôt égalitaire des femmes et des hommes vétérinaires soignant les animaux de compagnie bien que nous ne puissions pas généraliser ces constats et prétendre à une évolution massive des descriptifs des vétérinaires femmes et hommes dans les médias, à partir d’un seul site Internet.

Bien sûr, il est difficile de mesurer l’incidence des jouets, des jeux vidéo et de la lecture des livres sur l’orientation des jeunes vers le métier de vétérinaire (Beullens et Van den Bulck, 2010). En revanche, ces jouets, jeux vidéo et livres font peu partie du monde des garçons, malgré une évolution que nous avons décrite précédemment. Le manque de modèle masculin tend probablement à ce que les garçons se projettent peu dans la profession vétérinaire. En revanche, la récurrence des messages à travers toutes les activités ludiques destinées aux fillettes et adolescentes a, sans doute, une influence sur leur choix d’orientation vers ce métier et notamment vers l’activité de soin auprès des animaux familiers.

À la suite de cette « socialisation » précoce des filles envers les animaux, nous posons l’hypothèse que la représentation de cette profession, autrefois « masculine », est en passe de devenir « féminine », ce qui expliquerait, du moins en partie, pourquoi les filles sont davantage attirées par cette profession que les garçons. En effet, nos recherches (Fontanini, 2015a ; 2015b) sur les représentations des métiers menées auprès d’élèves de primaire en cycle trois, de troisième et de terminale scientifique mettent en avant que la profession de vétérinaire n’est pas considérée comme « masculine » par ces élèves, mais plutôt comme convenant davantage aux femmes (notamment par les garçons) ou mixte. Les filles estiment plus souvent que c’est une profession pour les deux genres.

Ainsi, la profession vétérinaire n’est actuellement plus considérée par les enfants et les adolescents et adolescentes comme un métier masculin alors qu’il y a seulement 50 ans, les femmes vétérinaires faisaient figure d’exception. L’évolution de la représentation de cette profession en un demi-siècle permet, du moins en partie, d’expliquer, selon la théorie de Michel Huteau (1982), pourquoi les filles se dirigent autant vers ces études et pourquoi les garçons s’en détournent.

Résistances des vétérinaires à l’arrivée des femmes dans la profession

L’arrivée massive et rapide des femmes dans les écoles vétérinaires françaises, puis dans la profession, a soulevé de nombreuses résistances de la part des membres de la profession qui les ont rendues responsables « des dysfonctionnements dans la profession ou tout au moins de la détérioration de son image » (Cacouault-Bitaud, 2001, p. 101), comme cela a été le cas pour d’autres professions historiquement exercées par des hommes (Fontanini, 2015c).

Pour mettre en évidence les difficultés rencontrées par les étudiantes et les femmes vétérinaires pour être acceptées dans la profession, notamment dans l’exercice auprès des animaux de production, nous nous appuyons sur l’analyse de 91 articles (comportant chacun entre une et cinq pages) de la presse professionnelle vétérinaire, publiés entre 1979 et 2023 et traitant spécifiquement de la féminisation des études et de la profession (voir tableau 1). Ces articles ont été rédigés par des vétérinaires, en activité ou en retraite.

Décennie de parution

Nombre d’articles dans revues professionnelles

1979‑1990

5

1990‑2000

7

2000‑2010

16

2010‑2020

49

2021‑2023

14#

Nous avons mis en évidence, dans le troisième chapitre, que la présentation des qualités nécessaires aux vétérinaires selon Éric Marquet (1967) et selon le Bureau universitaire de statistiques et de recommandations scolaire et professionnelle en 1967 (Berthelot, 1998) montre que les vétérinaires n’étaient pas ouverts à la pratique professionnelle des femmes, notamment auprès des animaux de rente qui représentaient encore la grande majorité des animaux soignés. Qui plus est, les femmes vétérinaires étaient aussi souvent convaincues qu’elles n’avaient pas les capacités physiques pour pratiquer des vêlages et des césariennes. Ces résistances à l’exercice auprès des animaux de production ont perduré longtemps, comme le met en évidence notre analyse de la presse professionnelle ou d’autres médias.

L’interview d’une femme vétérinaire21 en milieu rural, mariée à un confrère, dans une émission du magazine télévisé Aujourd’hui Madame en 1974, montre que, dans leur clinique, c’est elle qui s’occupe de la gestion du cabinet et du secrétariat et qui soigne les « petits animaux » tels que chats, chiens, chèvres, brebis et veaux que les éleveurs lui amènent à la clinique. Quand son mari part pour un vêlage, elle l’accompagne en tant qu’« assistante du vétérinaire » car, selon elle, « quand l’animal fait une tonne, c’est plus la place de l’homme que ma place ».

En 1979, un vétérinaire expliquait dans une revue professionnelle que les femmes vétérinaires mariées à des vétérinaires étaient vouées à assurer un travail de secrétaire documentaliste (Ferrando, 1979). Un autre écrivait, en 1983, dans son livre destiné au grand public : « Malgré le désir des femmes d’égaler les hommes, il est des professions qui soumettent à des conditions de travail si rudes qu’elles risquent de conduire à l’échec toute personne insuffisamment aguerrie. Seules des femmes douées d’un esprit particulièrement sportif sont aptes à ce métier » (Borrel, 1983, p. 84). Les éleveurs et les éleveuses n’étaient pas non plus ouverts à l’arrivée des femmes vétérinaires : « En 1988, […], lorsqu’une cultivatrice appelle d’urgence le praticien […] pour une césarienne difficile et annonce à son mari la venue de la vétérinaire, il s’exclame : Et que veux-tu que je fasse d’une bonne femme ? » (Hubscher, 1999, p. 349). La conviction partagée de la faiblesse physique des femmes par les éleveurs et les vétérinaires a amené ces derniers à ne pas vouloir embaucher de nouvelles diplômées. Lorsque certains osaient le faire, ils gardaient les vêlages et les poulinages et les femmes s’occupaient de la prophylaxie des troupeaux, un travail plus accepté par les clients et les clientes. Par ailleurs, certaines femmes vétérinaires non acceptées par les éleveurs ont été licenciées pour une autre raison (Hubscher, 1999). Les professeurs des écoles vétérinaires n’étaient pas mieux disposés que leurs confrères sur le terrain puisqu’une femme vétérinaire rapportait en 1979 que « quelques profs parlent bien d’une ancienne élève qui a réussi à être véto rurale. Mais elle est caricaturée, une femme musclée, solide, équilibrée physiquement et moralement comme un homme » (cité par Hubscher, 1999, p. 350).

La croyance selon laquelle les femmes seraient fragiles physiquement et les hommes forts et courageux a été soutenue, dès la fin du 17e siècle, par les scientifiques pour légitimer un ordre social en inscrivant les rôles des femmes et des hommes dans la nature. Le mythe de la fragilité féminine est toujours d’actualité (Gallioz, 2006). Selon Colette Dowling (2011), les femmes ne sont pas naturellement moins fortes que les hommes, et ces derniers ne sont pas naturellement plus forts que les femmes. En effet, la force ou la faiblesse physique ne relève pas de la biologie, mais d’un construit social inscrit dans la socialisation genrée. C’est pourquoi les femmes fortes physiquement sont considérées comme des exceptions et peuvent être raillées, car elles ne correspondent pas aux attentes de la société. Pourtant, les femmes ont montré leur force physique à maintes reprises dans l’histoire, comme dans les mines au 19e siècle (dans Germinal d’Émile Zola publié en 1885) ou « lorsque l’économie le requérait, en temps de guerre, par exemple, quand les hommes étaient absents ou pour coloniser » (Dowling, 2001, p. 22). En outre, certains métiers exercés actuellement et particulièrement par des femmes comme infirmière, sage-femme ou aide-soignante nécessitent de la force et de l’endurance qui sont complètement ignorées.

La « nature » fragile des femmes n’a pas seulement été évoquée concernant leur force physique pour les empêcher d’accéder à différentes professions. En 1889, un inspecteur de l’enseignement primaire justifiait le fait que les institutrices étaient minoritaires dans le corps d’inspection parce que leur nature délicate et fragile les empêchait de satisfaire aux « exigences de la visite des écoles et de l’administration » (cité par Cacouault-Bitaud, 2001, p. 97). En 1955, le substitut général de la cour d’appel de Paris alléguait que les femmes étaient « inaptes à exercer nos fonctions d’autorité » et de ce fait entacheraient « l’image du corps judiciaire empreinte de sérieux et de gravité » (cité par Cacouault-Bitaud, 2001, p. 106).

Dans ce contexte d’antiféminisme, la présidente de l’Association des femmes vétérinaires demandait en 1984 à ses confrères, dans une revue professionnelle, que les femmes soient reconnues comme « des vétérinaires à part entière », notamment dans l’exercice rural : « Il faudrait que les mentalités changent un peu et que les vétérinaires installés acceptent d’employer des femmes même en rurale. […]. Il faudrait que s’instaure un climat de confiance et que les praticiens prennent les femmes au sérieux, que ce soit en clientèle canine ou rurale » (May, 1984, p. 4).

Il semble qu’elle n’a pas été bien comprise car, six mois plus tard, une revue22 s’interroge : « Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? Il y a de plus en plus de filles dans les écoles vétérinaires : près de 40 % aujourd’hui ».

En 1988, dans un article, un vétérinaire encourageait ses confrères à embaucher des femmes car, selon lui, elles avaient les mêmes capacités que les hommes pour exercer auprès des animaux de rente : « Je peux affirmer que ma consœur réalise sa part de travail de la même manière que moi et qu’il n’y a pas besoin d’être musclé comme Rambo ou Rocky pour sortir de son lit à deux heures du matin par moins dix degrés pour aller faire une césarienne ! ». Toutefois, à la fin de son article, il mettait en avant que « les bêtes sont plus calmes au contact des femmes » (Dudouet, 1988, p. 2). Ainsi, d’un côté, il balayait le stéréotype de la faiblesse physique des femmes mais, d’un autre côté, il en avançait un autre sur leur manipulation en douceur des animaux. Beaucoup de femmes vétérinaires estimaient aussi avoir plus de douceur et une capacité d’écoute plus importante à l’égard des animaux. L’une d’elles, issue de la promotion 1983, déclarait : « Les clients apprécient beaucoup car les femmes sont moins brutales, plus calmes et plus à l’écoute » (Bueno, 2011, p. 48). Ainsi, les compétences et incompétences des femmes étaient finalement toujours essentialisées tant par les hommes que par les femmes qui n’avaient pas pris conscience du caractère infondé de la prétendue nature féminine.

Les années 1990 sont marquées par des articles portant essentiellement sur les caractéristiques des admis et des admises aux concours (types de baccalauréat obtenu, lycées fréquentés en classe préparatoire, taux de réussite) et sur la plus grande réussite des candidates, les amenant à devenir majoritaires (60 %) dans les écoles. Une des explications avancées sur cette réussite des filles concerne leur acceptation plus facile des efforts intellectuels pour la préparation aux concours (Samaille, 2007). Or, comme on l’a vu précédemment, la part des filles de plus en plus élevée dans les écoles vétérinaires n’est pas liée à leur meilleure réussite aux concours. Elle est la conséquence de la hausse du nombre de filles en classes préparatoires et candidates au concours et de la diminution du nombre de garçons en préparation et candidats au concours, comme en première année de médecine (Hardy-Dubernet, 2005).

La désaffection progressive des garçons aux concours vétérinaire n’a presque jamais été évoquée ni questionnée dans la presse spécialisée alors qu’elle a démarré en 1991. Au contraire, un article, écrit dans la revue de l’Ordre des vétérinaires en 1997, s’apitoyait sur le sort des étudiants : « Pauvres garçons ! Ils ne se doutaient sans doute de rien. Souvent plus brillantes et studieuses, les filles raflent les premières places au concours d’entrée, puis aux examens à l’école : pendant 3 années de suite, le major de 4e année à Lyon a été une jeune fille et le premier garçon du classement par ordre de mérite n’arrivait que 4e ou 5e de la liste » (Bianchetti et Jancon, 1997).

Dans la décennie suivante, entre 2000 et 2010, la presse professionnelle a beaucoup décrit les points négatifs de la féminisation en la rendant responsable des différents maux de la profession. Différents articles montraient que le travail à temps partiel prisé par les femmes vétérinaires pour concilier leur vie professionnelle et familiale entraînait un manque de continuité des soins aux animaux et donc de disponibilité pour les clients et les clientes, une moindre prise en charge des gardes de nuit, un risque de pénuries de vétérinaires, d’une mise en danger des retraites par leurs moindres cotisations… La forte part des jeunes professionnelles était considérée comme responsable de la désaffection des vétérinaires auprès des animaux de rente, car elles étaient davantage attirées par le travail auprès des animaux familiers en ville, permettant une conciliation de la vie familiale et professionnelle plus aisée et ne nécessitant pas une force physique aussi importante qu’auprès des animaux de rente.

Néanmoins, deux femmes vétérinaires ont écrit un article en 2002 pour contester les propos discriminants sur les femmes vétérinaires relayés par la presse professionnelle : « De là à faire la chasse aux sorcières et à accuser les femmes de tous les maux, il y a un pas à ne pas franchir. […] Il est regrettable que la presse professionnelle soit le relais de propos discriminatifs et donne une image fausse de l’évolution de la profession et des souhaits des consœurs » (Reboulot et Garcia-Cazajus, 2002, p. 8). Une journaliste s’employait à démonter des inexactitudes : « Le phénomène de “pénurie” observé en rurale n’est certainement pas lié à l’arrivée des femmes, puisqu’il s’observe chez les quarante-quatre ans, soit dans une génération où les hommes étaient encore majoritaires au sein de l’effectif vétérinaire » (Reboulot et Garcia-Cazajus, 2002, p. 9).

Une autre vétérinaire expliquait en 2007 :

On dira que les hommes vétérinaires sont dans le registre des illusions perdues, les femmes le sont moins car habituées à une moindre reconnaissance. Les hommes souffrent davantage d’une image perçue qui, pour eux, ne correspond plus à la réalité. Ils restent accrochés à certains archétypes, considérant souvent que pour les femmes, travailler est un « hobby » : les femmes leur font une concurrence déloyale. [Samaille, 2007, p. 31]

Malgré quelques articles « contestataires », ceux de la décennie suivante (2010‑2020) contenaient encore des propos discriminants envers les femmes qui concernaient principalement l’impact des différents choix de spécialités entre ces dernières et les hommes, amenant à une désertion des milieux ruraux, et le « problème » pour les femmes de concilier leur vie professionnelle et familiale. Une vétérinaire exerçant en médecine canine et en profession libérale écrivait en 2012 : « À mon époque, il y avait 30 % de femmes et nous faisions l’objet de réflexions… Aussi, j’ai travaillé comme un homme vétérinaire. Maintenant, il y a trop de femmes. Cela sera néfaste à la profession si, en voulant le beurre et l’argent du beurre, elles n’assument pas leurs diplômes au moins à 35 heures (ce qui est peu) ! » (Paulet, 2012, p. 9).

Un vétérinaire au même profil professionnel considérait que :

La féminisation de la profession vétérinaire, nonobstant toute misogynie, est une aberration, un processus destructeur et délétère. Parcellisation du travail, fuite des responsabilités et des exigences du métier, ceci de par les choix de la gent féminine : refus de tout travail physique (mort de la rurale), désir d’aménager son temps de travail, de s’épanouir, de bénéficier de loisirs, refus des responsabilités, volonté de se noyer dans une association avec une ambiance ludique décontractée aux vacances programmées. En bref, choix du salariat, recherche effrénée de la protection sociale et perte du goût du risque. [Paulet, 2012, p. 9]

Un autre exerçant en médecine libérale équine déclarait que :

La féminisation de la profession est une vraie catastrophe. On ne trouve plus d’associés. On ne rencontre plus que des salariés démotivés qui comptent leurs heures. Ce sont encore toujours les mêmes qui vont bosser pour payer ceux qui préfèrent rester chez eux pour épanouissement personnel ou pour mise bas… 70 % de femmes dans les promotions de vétérinaires qui vont pondre. On voit bien où sont les 30 % d’imbéciles ! [Paulet, 2012, p. 9]

Une vétérinaire proposait d’autres orientations professionnelles pour les femmes : « À l’avenir, j’espère que cette féminisation permettra à la profession de prendre davantage le nécessaire virage de l’activité de conseil. En rurale, une vétérinaire pourrait ainsi pratiquer la médecine durant quatre ans. Puis elle passerait en suivi d’élevage, qui est une activité pleinement compatible avec une vie familiale » (Faessel, 2011, p. 15).

Par ailleurs, un nouveau « thème » est apparu dans la presse spécialisée dans les années 2010, celui du mode d’exercice spécifique des femmes vétérinaires, qui justifiait leur choix d’exercer auprès des animaux de compagnie grâce à leurs qualités « naturelles » telles que leur douceur, leur attention, leur empathie, leur écoute, leur méticulosité, leur plus grande sensibilité à la douleur des animaux, les amenant à utiliser davantage d’anesthésiques, leur plus grande attention au bien-être animal dans les élevages. Ainsi, ces qualités « féminines » longtemps perçues comme les disqualifiant dans la profession vétérinaire étaient désormais converties en atouts. Ces comportements, appris par les filles au cours de leur éducation et de leur socialisation genrées, n’étaient plus considérés comme des handicaps, mais des avantages qui ne sont en général pas valorisés financièrement puisqu’ils correspondent à des qualités naturelles et non pas à des compétences professionnelles. La mise en avant de ces « atouts » pour les femmes vétérinaires vise, encore une fois, à essentialiser leurs qualités professionnelles et leur confirmer qu’elles sont « faites » pour la médecine auprès des animaux familiers et inaptes aux soins des animaux de rente.

Dans cette décennie, la presse professionnelle a relayé aussi l’idée de mettre des quotas de filles et de garçons aux concours dans les écoles vétérinaires. Il est écrit dans un article de 1999 : « On a même proposé de limiter l’entrée des filles dans les écoles pour lutter contre les déséquilibres dans la profession et pour éviter la dévalorisation du diplôme » (Romanetti, 1999, p. 8). En 2011, le directeur de l’école vétérinaire d’Alfort affirmait que la féminisation de la profession poserait un problème d’organisation de la filière et donc qu’il était ouvert aux quotas (Auduc, 2016). À la suite de cette déclaration, des vétérinaires ont exprimé leur accord. Par exemple, un praticien mixte écrivait en 2014 :

Personnellement, je ne serais pas opposé à la mise en place de quotas, comme le préconise un directeur d’école. L’idée ne me choque pas. Qu’il y ait des femmes, d’accord. Cependant, je pense qu’il est préférable de maintenir un équilibre des effectifs vis-à-vis des clients. Les hommes et les femmes ont des approches un peu différentes. Il est souhaitable d’éviter les excès dans un sens comme dans l’autre. Au regard des statistiques, les femmes ont tendance à privilégier le salariat et les postes à temps partiel pour des raisons familiales. Si le salaire horaire homme-femme est identique, en revanche, en fin d’année, les revenus sont moindres pour les ressources des caisses de retraite. Cela a un indéniable impact économique sur la redistribution. [Béraud, 2014, p. 12]

Une consœur s’interrogeait : « Quel serait le “bon” ratio hommes-femmes dans les écoles vétérinaires ? À mes yeux, ce serait revenir à une proportion 40 %/60 % pour garantir un équilibre. Je suis résolument favorable à la mixité : une profession vétérinaire uniquement féminine prendrait des travers féminins ! » (Béraud, 2014, p. 13). D’autres ont considéré que ces quotas représenteraient de la discrimination envers les femmes. Une vétérinaire déclarait en 2011 : « Je suis farouchement opposée à toute idée de quota d’hommes. Selon moi, cela représente une forme de discrimination. Nous sommes en 2011, comme dans beaucoup de professions, il y a de nombreuses femmes, et c’est tant mieux ! » (Faessel, 2011, p. 16).

Dix ans plus tard, en 2021, un nouveau directeur de l’école vétérinaire d’Alfort évoquait dans une interview23 la désaffectation des garçons envers la profession et la prédominance des candidatures féminines en rappelant qu’elle n’était absolument pas spécifique à la France. Toutefois, malgré un discours rassurant (« C’est un sujet à étudier mais sans passion et sans urgence, et surtout sans pointer du doigt les femmes vétérinaires »), il affirmait : « En France, nous privilégions un principe d’égalité républicaine et la discrimination positive sur le genre n’est aujourd’hui pas envisageable sans évolution législative ».

La question des quotas de femmes et hommes a également été posée par des membres du conseil du Royal College of Veterinary Surgeons24 lors d’une réunion le 10 juin 2021 au nom de la diversité qui « doit être considérée sous toutes ses formes »25 et qui comprend l’idée d’attirer plus de garçons dans les écoles vétérinaires. Nous n’avons trouvé aucun écrit qui s’interrogerait sur le remplissage d’un quota de garçons, car il ne suffit pas de laisser des places à ces derniers pour qu’ils se tournent à nouveau vers la profession… En effet, nous avons vu précédemment que le déclin des candidats pour les écoles vétérinaires est multifactoriel.

Des étudiants et des étudiantes vétérinaires en France ont également pointé du doigt la supériorité en nombre des femmes vétérinaires amenant à une représentation féminine de la profession actuelle qui ferait fuir les garçons. L’une d’elles affirmait dans un article, paru en 2021 : « Les études vétérinaires sont souvent présentées comme des études “pour les filles” simplement car elles incluent beaucoup de biologie. […] La variété des espèces traitées et la pluridisciplinarité de la pratique vétérinaire devraient motiver davantage les garçons sans qu’ils s’arrêtent aux premiers à priori inculqués par la société »26. Un étudiant renchérissait en soutenant que la surreprésentation des filles dans les écoles vétérinaires renvoyait à l’image d’un « métier de fille ».

Les propos de ces responsables d’écoles vétérinaires et de ces étudiants et étudiantes rejoignent ceux de Pierre Bourdieu (1979) qui considérait « que la capacité d’une profession à résister au déclassement se mesure à son pouvoir d’endiguer le flot des candidatures féminines » (cité par Cacouault-Bitaud, 2001, p. 94). Ces déclarations montrent que ces personnes estiment encore que la féminisation de la profession la discrédite et qu’il est nécessaire d’en limiter l’accès aux femmes pour éviter une baisse encore plus importante de son prestige. La considération selon laquelle les femmes vétérinaires dévalorisent la profession signifie qu’elles ne sont pas reconnues comme ayant la même qualification et comme aussi capables que leurs confrères d’exercer cette profession (Cacouault-Bitaud, 2001). Elle renvoie à « la permanence des représentations du féminin défini par opposition au masculin et situé plus bas sur une échelle de valeurs » (p. 95).

Il apparaît que ces considérations ne sont pas présentes dans toutes les écoles vétérinaires. Aux États-Unis, une enquête menée, en 2021 (Gonzales et al., 2023), auprès de 2 199 vétérinaires ayant obtenu leur diplôme à l’American College of Veterinary Surgeons, a montré que la majorité des répondants et des répondantes était favorable à la promotion de la diversité, équité et inclusion (DEI) dans l’école. Toutefois, aucune proposition27 n’a été mentionnée sur l’instauration de quotas selon le genre ou d’autres caractéristiques (orientation sexuelle, statut socio-économique, contexte culturel, nationalité, âge, croyances religieuses, convictions politiques…). En revanche, il a été demandé que le comité de l’école réfléchisse sur les inégalités entre les femmes et les hommes, le sexisme, la misogynie et les inégalités salariales.

La faible participation des femmes dans les instances professionnelles (syndicats et conseils régionaux ou nationaux de l’Ordre) a été peu abordée dans la presse professionnelle. Nous n’avons relevé que deux articles sur 91 sur ce sujet. En 2007, quelques lignes étaient écrites pour relever la disparité entre les femmes et les hommes : « Une chose est sûre, les femmes vétérinaires consacrent moins souvent ce temps (libre) à des activités publiques ou professionnelles transversales (syndicats, conseils de l’Ordre) qui restent l’apanage des hommes »28. En 2017, ce sujet est traité dans un dossier où est encore relevé un taux faible de femmes29, expliqué par leur moindre disponibilité à cause de l’éducation des enfants, mais qui devrait être amélioré dans les années futures grâce à une grande ouverture faite aux femmes dans ces instances et à l’encouragement de ces dernières à se présenter, comme le montre cet extrait d’entretien : « Lors de ma première candidature à l’élection au conseil régional de l’Ordre d’Aquitaine, raconte Corinne Bisbarre, l’un des arguments du président de l’époque pour m’encourager à me présenter était qu’il n’y avait alors aucune femme dans l’instance, tandis qu’elles étaient de plus en plus représentatives dans la profession » (Trouillet, 2017, p. 33).

À la suite des élections de 2022 des membres du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, la présence des femmes30 n’est pas plus importante. Il en est de même au sein du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL)31. Qui plus est, sur les huit syndicats membres de la Fédération des syndicats vétérinaires de France32, seulement deux femmes sont présidentes33. Cette fédération est présidée par un homme. Enfin, au sein du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, on compte 27 % de femmes au conseil d’administration et 26 % de femmes au sein des délégués ; les adhérents sont pourtant 42 % à être des femmes (Jacques, 2023).

Cette revue de la presse professionnelle sur 44 ans met en évidence un discours persistant des vétérinaires peu favorable à la féminisation de la profession. La prégnance du stéréotype sur la force physique nécessaire pour soigner les animaux de rente et la conviction que la conciliation de la vie professionnelle et personnelle est inhérente aux femmes sont encore présentes et partagées par certaines femmes vétérinaires. Les résistances auxquelles les femmes ont dû se heurter pour conquérir leur place dans cette profession historiquement masculine et les discriminations dont elles furent victimes au cours de leur vie professionnelle ne semblent pas avoir développé chez la majorité d’entre elles un sentiment d’injustice et de frustration qui aurait pu déboucher sur une action militante. La création de l’Association des femmes docteurs-vétérinaires en 1983 n’a pas convaincu les praticiennes puisqu’elle a disparu en 1987. Comme l’affirme Christel Berthelot : « Des promotions plus anciennes aux plus récentes, elles refusent de considérer la réalité sociale des catégories de sexe et l’existence de problèmes spécifiques rencontrés par certaines consœurs dans l’exercice de leur activité, elles se disent vétérinaires et non femmes vétérinaires : “Inutile de mettre l’accent sur les différences si l’on veut l’égalité” » (1998, p. 103). Néanmoins, certains et certaines vétérinaires ont, au fil des décennies, contesté les propos antiféministes colportés par une majorité.

Ce refus de réflexion collective, voire d’action de la part des femmes vétérinaires, se retrouve dans d’autres professions comme celle de journaliste. L’association des femmes journalistes a vu le jour en 1999, mais n’a pas perduré, car la perception de l’association comme féministe par les femmes les a rebutées du fait de la difficulté à poser des questions de genre dans un espace professionnel (Neveu, 2000).

La décennie actuelle est celle de la construction d’une pleine reconnaissance de la place des femmes dans cette profession. Le changement est en route avec la création, en 2020, du Collectif vétérinaire féministe, qui regroupe plusieurs centaines de vétérinaires souhaitant « lutter contre le sexisme et promouvoir l’égalité entre les genres dans la profession vétérinaire ». Dotés d’un compte Facebook34 et Instagram35, les membres de ce collectif militent pour une « profession en avance » et notamment pour que « les femmes se sentent légitimes en rurale comme ailleurs, qu’elles osent demander une augmentation, qu’elles n’aient pas honte de faire des enfants et qu’elles ne laissent plus rien passer en cas d’agression sexuelle ».

Ce collectif publie, sur ses deux comptes, des podcasts sur différents thèmes féministes et relaie des articles de la presse professionnelle, comme sur le stress plus important des femmes vétérinaires36 que celui de leurs confrères et les écarts de salaires37, ainsi que la demande de féminisation du titre de docteur, par un collectif de 50 femmes vétérinaires, auprès de l’Ordre national des vétérinaires :

Dans les congrès vétérinaires, le terme « conférencier » n’est jamais féminisé (on s’en sort bien avec « congressiste » qui est épicène) et, dans la presse vétérinaire, on lit encore trop souvent des termes masculins : « praticien », « chef de rubrique », « directeur », etc. servant à qualifier des femmes. De même, l’emploi impropre des termes « chez l’homme » pour désigner l’espèce humaine contribue à « invisibiliser » 51  % de la population humaine38.

L’Ordre national des vétérinaires a, dans un premier temps, répondu négativement39 en s’appuyant sur la circulaire40 du 21 novembre 2017 où il est indiqué que les administrations relevant de l’État ne doivent pas utiliser l’écriture inclusive. Or, la demande ne concernait pas l’usage de cette dernière, mais la féminisation de la fonction qui est justement prévue dans cette circulaire. À la suite de cette réponse, le Collectif vétérinaire féministe a lancé une pétition auprès des vétérinaires et son action a porté ses fruits puisqu’en 202341, la terminologie de docteure apparaît sur les caducées.

Depuis trois ans, les étudiants et les étudiantes des quatre écoles vétérinaires ont créé des associations féministes : Alfort.e.s pour Alfort, VetSafe pour Lyon, Parlons-en à Toulouse et Socio’niris pour Nantes. Le club féministe d’Alfort a été fondé en mars 2021 avec pour objectif de diffuser « des articles d’informations sur les problématiques et actualités liées au féminisme, des débats, des enquêtes pour estimer la place du sexisme chez les vétos »42. L’association VetSafe43 à l’école de Lyon s’est donnée pour « ambition de créer une safeplace pour les étudiants de l’école, d’organiser des groupes de parole et conférences sur des thèmes variés et choisis par les étudiants (mal-être étudiant, LGBTQIA+, harcèlement sexuel…) et mettre en place une brigade anti-harcèlement sexuel en boum ».

Cependant, une étudiante déplore que le sujet des inégalités de genre reste tabou à l’école de Toulouse : « L’administration n’a pas voulu que le terme “féministe” figure dans l’intitulé de notre association, que nous avons donc appelée “Parlons-en”. Les écoles sont fières d’intégrer beaucoup de femmes, et au sein des promotions on n’est pas spécialement confrontées au sexisme, mais on le sera en sortant, et il faudrait avoir un débat sur la façon dont cela impacte notre pratique »44.

Par ailleurs, une revue professionnelle a mis en place une rubrique « Féminisation et égalité professionnelle » et publie régulièrement des articles sur ce thème45. Par exemple, elle a traité de différentes questions comme le mansplaining46, la relation entre féminisation et appauvrissement de la profession47, ou la conciliation de l’allaitement maternel et du travail en structure vétérinaire48. Un article49 est paru dans une autre revue qui pose la question : « Pourquoi les femmes vétérinaires peinent-elles à se faire accepter dans le monde rural ? ». Un dossier50 de six pages a proposé différentes analyses sur les raisons de la désertion des garçons des études et de la profession vétérinaire. Certaines étudiantes vétérinaires s’interrogent également, ces dernières années, sur ces thèmes dans leurs thèses vétérinaires.

Le Collectif vétérinaire féministe, les associations féministes des quatre écoles, des étudiantes et certains articles dans la presse professionnelle permettent de mettre en évidence le sexisme persistant dans les écoles et dans la profession et de poser les questions autrement sur la pratique de la médecine vétérinaire pour aboutir à une réflexion collective plus égalitaire entre les femmes et les hommes.

Aujourd’hui, les femmes vétérinaires doivent encore déconstruire les discours les accusant d’être responsables de la transformation du modèle économique et professionnel historique de la profession. En effet, selon Muriel Surdez (2007) et Leslie Irvine et Jenny Vermilya (2010), les femmes vétérinaires continuent à se définir en fonction de l’image traditionnelle du vétérinaire, un homme soignant les animaux de rente et exerçant en libéral indépendant, ce qui les amène à devoir prouver leurs capacités à travailler auprès de ces derniers. Caroline Clarke et David Knights (2019) montrent également que la culture masculine de la profession oblige les femmes à justifier leur présence et leur travail.

L’histoire de l’ouverture des études et des professions supérieures aux femmes, tout au long des 20e et 21e siècles, montre qu’elle a toujours suscité des résistances de la part des hommes, quelle que soit l’époque où des femmes ont poussé les portes des formations pour y entrer comme en médecine, dans la formation pour le barreau, l’accès à la magistrature… L’histoire de la féminisation de la profession vétérinaire se situe dans le cadre de « l’histoire des résistances à l’égalité entre les sexes, examinées sous l’angle des espaces professionnels et décisionnels que les hommes se réservent ou, plus exactement des longs refus à y admettre des femmes » (Schweitzer, 2010, p. 9).

Pour comprendre ces résistances à la féminisation, il est nécessaire de prendre en compte les trois mutations qu’a connues la profession sur la même période : l’arrivée en nombre des femmes, le basculement de la médecine principalement destinée aux animaux de rente à celle des animaux de compagnie, et l’augmentation du salariat (Marchand et Minni, 2019).

Comme pour d’autres professions (Cacouault-Bitaud, 2001), une majorité d’hommes vétérinaires a considéré « le processus de féminisation dans ce contexte comme une cause des changements, voire comme un facteur central d’une dynamique de dévalorisation sociale et économique – la présence de femmes étant en tant que telle lue comme un signe de déclin et de déconsidération » (Surdez, 2010, p. 474) :

Les vétérinaires ont été confrontés à une recomposition de l’importance, du prestige et de la rentabilité économique des différentes spécialités internes à la profession, c’est-à-dire à une reconfiguration des hiérarchies entre spécialités. Cette reconfiguration est particulièrement intéressante à étudier sous l’angle de la légitimité et de l’attribution genrée des spécialités professionnelles. En effet, c’est la spécialité des animaux d’élevage, masculine par excellence car pratiquée majoritairement par les hommes, fondatrice de l’identité professionnelle et reposant sur la possession de qualités connotées comme masculines […] qui voit sa primauté contestée. [Surdez, 2010, p. 474]

Dans ce contexte, les femmes vétérinaires ont donc investi un secteur en expansion estimé comme requérant plutôt des qualités dites féminines telles que la douceur et la compassion (Hubscher, 1999) comme ce fut le cas pour celles qui souhaitaient devenir architectes à partir des années 1980 : les nouvelles spécialités leur étaient plus accessibles, car elles correspondaient à des tâches considérées comme « féminines » telles que le travail d’études, de gestion, de conseil… et à des qualités propres aux femmes comme l’aménagement et la décoration intérieure (Chadoin, 2000). Il en est de même pour les femmes médecins qui ont occupé de nouvelles activités comme médecins scolaires, du travail et de la protection maternelle et infantile (Hardy-Dubernet, 2005). Par conséquent, les femmes vétérinaires, architectes et médecins ont trouvé leurs places dans des secteurs d’activité qui correspondaient aux qualités attendues chez les femmes et qui ne les plaçaient pas en concurrence directe avec les hommes.