Chapitre 4
À partir des années 1970, la profession vétérinaire connut de nombreuses mutations avec l’engouement de plus en plus prononcé de la société française pour les animaux de compagnie et les transformations des pratiques d’élevage des animaux de rente. Elle se diversifia également avec l’apparition des premières spécialisations comme l’ophtalmologie et la dermatologie pour les animaux de compagnie grâce à de nouveaux équipements et techniques. De nombreux champs d’activités s’ouvrirent tels que la recherche et l’enseignement, l’industrie pharmaceutique, les parcs zoologiques…
Les vétérinaires bénéficiaient d’une forte reconnaissance sociale, grâce notamment à des revenus confortables auprès d’une clientèle libérale. Ronald Hubscher (1999) rapporte que les vétérinaires détenaient, à la fin des années 1970, le record de popularité devant l’ensemble des autres professions médicales et que, parmi les parents qui conseillaient à leurs enfants d’exercer une profession libérale, la médecine vétérinaire était placée au deuxième rang après la médecine humaine. Le prestige désormais acquis de la profession attirait de nombreux candidats et candidates, issus de plus en plus de milieux sociaux favorisés et urbains.
L’apparition du monde vétérinaire sur le petit écran, à partir des années 1970, a suscité aussi de nombreuses vocations pour la profession (Hubscher, 1999). La série télévisée Daktari, importée des États-Unis en 1969, a fait découvrir aux téléspectateurs et téléspectatrices un nouveau visage de la pratique vétérinaire en montrant le Dr Marsh Tracy et son équipe, composée entre autres de sa fille passionnée par le métier, comme des protecteurs acharnés de la faune dans la brousse africaine. Au fil des décennies, les téléspectateurs et téléspectatrices ont découvert différentes facettes de la profession. Au milieu des années 1970, un journaliste soucieux du sort des animaux de compagnie a créé, en France, la première émission animalière, 30 millions d’amis, qui montrait une image valorisante de la profession vétérinaire. À la fin des années 1980 est diffusée à la télévision une série intitulée Marc et Sophie qui incarne un couple dont la femme est médecin et l’homme un vétérinaire pratiquant presque exclusivement la médecine des animaux de compagnie (Thebaud, 2014). Dans les années suivantes, les vétérinaires sont présentés dans leur quotidien de travail à travers des séries documentaires telles qu’Une saison au zoo, Vétérinaires, leur vie en direct, Véto de choc. La série Véto junior fait découvrir le quotidien des étudiants, des étudiantes, des professeurs et des professeures de l’école vétérinaire de Lyon pendant leurs études et leurs moments de loisir. Plus exceptionnel, début 2020 est sorti au cinéma le film Les Vétos qui décrit de manière réaliste, sans complaisance ni misérabilisme, le quotidien des vétérinaires en zones rurales, permettant ainsi au public de les découvrir. Tous ces films, documentaires et séries ont probablement influencé des jeunes dans leurs choix d’orientation vers la profession vétérinaire en leur donnant l’idée de travailler auprès des animaux ou par l’intermédiaire d’une identification à un personnage de fiction (Bigeon et al., 2010). Par ailleurs, depuis les années 2000, les albums et les livres de jeunesse sur la profession vétérinaire sont nombreux, notamment sous forme de séries pour les enfants de neuf à 12 ans et plus jeunes, amenant ces derniers et ces dernières à découvrir la profession dès l’âge de deux ans. Des jeux gratuits en ligne pour incarner un ou une vétérinaire et des jeux vidéo, comme Mission vétérinaire, sont également proposés aux enfants (Fontanini, 2008). Tous ces médias et jeux permettent aux enfants, aux jeunes et aux adultes de connaître la profession vétérinaire, même s’ils ne sont pas toujours représentatifs de cette dernière.
Revenant sur les diverses mutations de la profession vétérinaire à partir des années 1970, ce chapitre évoque certains facteurs ayant contribué à la valorisation ainsi qu’au processus de féminisation de ce métier.
Les pratiques d’élevage ont été modifiées en France à partir des années 1970, à la suite de la loi sur l’élevage adoptée en 1966. Les objectifs de cette loi visaient :
L’amélioration génétique du cheptel et sa diffusion par l’insémination artificielle ainsi que les moyens pour la mesurer : l’identification, le contrôle de performance et le traitement de cette information de l’échelon départemental à l’échelon national. Ce cadre commun sans référence explicite à la diversité régionale va mettre en compétition toutes les races et favoriser les critères de production les plus faciles à mesurer et, par conséquent, contribuer très largement à la spécialisation vers le lait ou la viande. [Pflimin et al., 2009, p. 432]
En parallèle, les exploitations se modernisaient avec la construction de stabulations à logettes et de salles de traite qui permettent la mécanisation de la distribution du fourrage et des concentrés (Pflimin et al., 2009). Les quotas laitiers imposés et mis en place en France puis dans l’Union européenne dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), à partir de 1984, ont contribué également à la concentration des exploitations.
En conséquence, le nombre d’éleveurs, d’éleveuses et d’exploitations a baissé et le nombre d’animaux de rente également. En revanche, le nombre de ces derniers a crû au sein des exploitations, de plus en plus de moyenne et grande tailles (Agreste, 2022).
Entre 1983 et 2021, le nombre total de bovins en France métropolitaine est passé de 23,5 millions à 17,3 millions. Le nombre de vaches laitières a été divisé par deux en presque 40 ans : de 7,2 millions à 3,3 millions. Cependant, le nombre de vaches allaitantes a augmenté de 2,9 à 3,9 millions. Le nombre d’exploitations détenant des bovins a décru : de 612 milliers à 147 milliers. Les exploitations des vaches laitières ont plus diminué (de 427 à 71 milliers) que celles des vaches allaitantes (de 224 à 120 milliers). Le nombre moyen de têtes par exploitation est passé de 38 à 118. L’augmentation est un peu plus marquée pour les vaches laitières (de 17 à 47) que pour les vaches allaitantes (de 13 à 32). La moitié des détenteurs et détentrices de vaches en possède moins de 40, et 13 % plus de 100 vaches en 2021 (Agreste, 2022).
On retrouve la même tendance pour les ovins. Le nombre d’exploitations comprenant des ovins a presque été divisé par trois en 20 ans : de 95,7 milliers en 2000 à 34,6 milliers en 2021. Le nombre d’ovins a diminué de 9 416 à 6 995 milliers entre 2000 et 2021 (Agreste, 2022).
Pour les caprins, sur la même période, le nombre d’exploitations a également baissé de 27,3 à 12,4 milliers, mais le nombre de caprins a légèrement augmenté : de 1 202 à 1 388 milliers (Agreste, 2022).
Le cheptel porcin est resté assez stable en dix ans : 13,9 millions en 2011 et 12,9 millions en 2021. Les porcins sont principalement élevés dans des exploitations à forte concentration de têtes puisque 64,5 % en accueillent 2 000 ou plus et 20,8 % entre 1 000 et 1 999 (Agreste, 2022).
Le nombre d’équidés dans les exploitations agricoles a reculé de 32 % entre 2000 et 2021. Le nombre des chevaux de selle, de sport et loisirs et de course qui représentent 83 % des effectifs a diminué de 27 % (Agreste, 2022).
En parallèle, le niveau de formation et de compétences, notamment zootechniques, des éleveurs a augmenté tout au long de ces cinq décennies. Dès lors, leurs demandes en matière de santé des troupeaux ont évolué. Par ailleurs, les éleveurs et éleveuses doivent répondre à de nombreux défis tels que la rentabilité économique de leurs exploitations, la prise en compte des exigences réglementaires, le bien-être animal… Certains éleveurs et éleveuses limitent les soins vétérinaires en renonçant à des actions préventives, en réalisant des soins simples, en pratiquant l’automédication et en n’appelant les vétérinaires qu’en seconde intention, voire en urgence (Verger, 2019).
La transformation des pratiques d’élevage et la pression économique subie par les éleveurs et éleveuses, depuis 50 ans, ont modifié la pratique professionnelle vétérinaire auprès des animaux de rente qui devient de plus en plus une médecine de population qu’individuelle. La diminution du nombre d’élevages et de demandes de soins auprès des vétérinaires a entraîné une baisse de ces derniers et dernières, ce qui les amène à faire des déplacements de plus en plus longs pour rendre visite aux éleveurs et éleveuses. La dispersion de la clientèle rend également la médecine rurale contraignante en gardes, car il est difficile d’organiser un réseau (Verger, 2019).
Au fil des décennies, la baisse d’exercice auprès des animaux de production a conduit les cabinets ruraux à développer l’activité auprès des animaux de compagnie pour diversifier leurs revenus et pour répondre à une demande croissante des habitants et des habitantes à la campagne. Depuis plus de 20 ans, l’activité mixte est désormais plus consacrée aux animaux de compagnie qu’aux animaux de rente (Andrillon, 2001).
Dans les années 1980, la moitié de l’activité globale des vétérinaires était vouée aux animaux de production (Borrel, 1983). En 2022, les vétérinaires déclarant cette activité ne représentent plus que 16,4 % des vétérinaires inscrits et inscrites au tableau de l’Ordre1 (7,2 % pour cette activité exclusive et 9,3 % pour cette activité dominante) [Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023]. La part des vétérinaires exerçant auprès des animaux de rente a donc considérablement diminué en 40 ans, notamment depuis 2008 (Bouziani, 2018). Cette décroissance est liée à la diminution du cheptel bovin, au manque d’attractivité de certains territoires ruraux et au chiffre d’affaires qui dépend plus de la vente de médicaments que de l’activité de soins des animaux de rente (Moquay, 2016 ; Bouziani, 2018).
La baisse du nombre de vétérinaires exerçant auprès des animaux de rente a pour conséquence une inadéquation entre l’offre et la demande en soins, dans certaines régions rurales, et une potentielle rupture du maillage sanitaire qui pourrait mettre en danger la santé publique. En effet, les vétérinaires auprès des animaux de rente ont trois missions principales de santé publique : l’aide aux éleveurs et éleveuses pour accroître la productivité de leurs élevages, la surveillance sanitaire des élevages et la garantie de la qualité sanitaire des exploitations agricoles (Verger, 2019). Face à ces déserts vétérinaires, des solutions sont recherchées depuis quelques années par le ministère de l’Agriculture, l’Ordre national des vétérinaires, les syndicats professionnels et les organisations professionnelles agricoles. Un des derniers rapports remis au ministère de l’Agriculture par Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, en février 2023, propose d’améliorer des dispositifs existants comme « l’investissement dans l’accueil d’étudiants en stages au sein des entreprises vétérinaires, notamment d’étudiants en stages tutorés » et « la mise en œuvre de solutions de logements à destination des stagiaires de longue durée et aussi des jeunes vétérinaires nouveaux arrivants dans une région » (Guérin, 2023, p. 6), des solutions de mutualisation « entre entreprises voisines, notamment en ce qui concerne la continuité des soins (et ainsi alléger les contraintes humaines et organisationnelles associées au rythme des gardes) » et, pour « parvenir à maintenir un service de prophylaxie géré soit par les organisations professionnelles vétérinaires voire directement par la DDPP » (Guérin, 2023, p. 7), des propositions d’aides directes notamment pour les éleveurs et les éleveuses éloignés des cliniques vétérinaires et des études pilotes pour le développement de la télémédecine.
Le moindre attrait de certains territoires ruraux n’est pas propre aux vétérinaires. Il concerne aussi les médecins et, dans une moindre mesure, les infirmiers et infirmières, les sages-femmes et les pharmaciens et pharmaciennes (Maurey et Longeot, 2020). Plusieurs explications sont mises en avant, comme une insuffisance de services publics de proximité tels que les hôpitaux, les personnels de santé, les établissements d’accueil de la petite enfance, les collèges et lycées ou les transports collectifs (Helfter, 2011), mais aussi l’éloignement des commerces et des centres culturels et de loisirs, amenant à de nombreux déplacements en voiture personnelle. À cela s’ajoute la potentielle difficulté pour le conjoint ou la conjointe de trouver un emploi en milieu rural. Qui plus est, les jeunes générations recherchent souvent un temps de travail leur permettant un équilibre entre leurs vies personnelle et professionnelle. Or, la médecine vétérinaire en milieu rural est contraignante en garde et chronophage en déplacements professionnels (Verger, 2019). Cette tendance à la désertification vétérinaire dans les territoires ruraux s’observe également dans la plupart des pays d’Europe (Verger, 2019).
Contrairement aux vétérinaires exerçant auprès des animaux de rente, le nombre de vétérinaires équidés a augmenté au cours des dix dernières années. En 2012, 7,4 % des vétérinaires déclaraient une compétence en médecine équine (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2013) et, en 2022, c’est le cas de 16,3 %, dont 35 % exercent la médecine et la chirurgie des équidés de manière exclusive ou prédominante, et 64,5 % de manière occasionnelle (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023).
La clientèle des vétérinaires pour équidés est répartie en deux groupes. Le premier concerne les professionnels et professionnelles de la filière équine de différents secteurs (l’élevage professionnel, les centres équestres, le tourisme équestre, le commerce de chevaux, la course et la compétition équestre) qui considèrent les frais de santé des chevaux comme des investissements financiers à rentabiliser, même si, pour des centres équestres ou de tourisme, une composante affective peut aussi influencer une décision d’investissement dans des soins. Le second groupe est composé des propriétaires amateurs et amatrices d’équitation qui sont des cavaliers et cavalières de loisir, de promenade, de randonnée, de compétition ou en club et des personnes possédant des chevaux de compagnie en pâture ou dans des élevages. Pour ces personnes, la composante affective est toujours importante pour prendre une décision de soin, même si la dimension financière peut imposer des restrictions. Par conséquent, les vétérinaires pour équidés doivent s’adapter en fonction des demandes et des besoins de leur clientèle et de sa relation avec l’animal (Henry, 2014).
Entre 1967 et 1988, le nombre de foyers possédant un animal familier2 (chien et chat) a augmenté de 40 %. Cette hausse concerne plus les chiens (66 %) que les chats (15 %) [Leblanc, 2022]. Elle est liée, selon Nicolas Herpin et al. (1991), à l’accroissement des maisons individuelles qui permettent plus facilement d’accueillir des animaux de compagnie, notamment des chiens.
Les populations de chiens et de chats familiers ont continué à progresser entre 1988 et 2000, mais sur cette période, c’est plus le cas des chats, qui sont passés de 4 millions à plus de 9 millions, que celui des chiens, dont le nombre a augmenté de 7 millions à 9 millions (Leblanc, 2022). Dans la décennie suivante, le nombre des chats a augmenté de 12 % alors que le nombre de chiens a diminué de 16 %. Entre 2010 et 2022, la croissance du nombre de chats s’est élevée de 35 % (14,9 millions en 2022) et la population de chiens est restée stable (7,6 millions en 2022) [Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers, 2022].
Selon une étude menée par la Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers (Facco) en 2022, la majorité des propriétaires3 de chiens (61,5 %) et de chats (70,7 %) vivent en milieu urbain. Cette prépondérance de la vie urbaine pour ces deux animaux de compagnie expliquerait, selon Christophe Marques (2018), la diminution du nombre de chiens qui ont besoin d’un espace de vie suffisant, d’un accès aux espaces verts et de sorties quotidiennes. À l’inverse, le caractère plus indépendant des chats nécessite moins d’obligations et d’entretien. En outre, le coût moyen annuel de la possession d’un chat est plus faible que celui d’un chien.
Selon un sondage publié par Statista4 en 2021, 52 % des Français et des Françaises possèdent un animal de compagnie, dont 25 % ont un ou plusieurs chiens, 33 % un ou plusieurs chats et 8 % un nouvel animal de compagnie (NAC)5. Cet engouement pour les chats et les chiens n’est pas propre à la France et se retrouve dans l’Union européenne, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni. Les NAC sont de plus en plus prisés en France, notamment en milieu urbain, car ils sont de petite taille et ont peu besoin d’entretien (Cendrier, 2016).
Quelques décennies auparavant, les animaux de compagnie remplissaient un rôle utile pour leurs propriétaires comme le gardiennage du domicile et des troupeaux pour les chiens et la chasse aux souris pour les chats. Désormais, les propriétaires mettent en avant l’amour des chiens et des chats et leur participation au bien-être de l’individu et de la vie de famille. Auprès des enfants, l’animal joue un rôle de compagnon et d’apprentissage de valeurs comme le respect des autres et la responsabilisation (Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers, 2022).
Plusieurs travaux sociologiques (Doré et al., 2019) ont été menés sur la place des animaux domestiques auprès de leurs propriétaires. Beaucoup de recherches montrent qu’ils sont appréhendés comme « sujets » s’intégrant dans la sphère privée des propriétaires qui les assimilent souvent aux enfants. Ce processus d’assimilation aux enfants est lié à une considération d’amour réciproque entre les propriétaires et leurs animaux de compagnie, comme entre les parents et les enfants. Concrètement, les propriétaires se conduisent avec leurs animaux de compagnie comme avec un enfant, en célébrant leurs anniversaires, en restant avec eux lorsqu’ils sont malades, en leur achetant des jouets et même des habits… Le traitement de leur mort ressemble également à celui des humains ; ils sont pleurés et enterrés ou incinérés individuellement ou collectivement.
Plusieurs études ont également montré que les animaux domestiques remplacent une personne absente dans la sphère intime comme un conjoint ou une conjointe, un parent ou une parente… (Doré et al., 2019). Toutefois, Dominique Guillo (2009, p. 272) avance que les animaux de compagnie ne sont pas forcément choisis pour combler un manque de relations humaines, mais plutôt pour les développer, car ils « peuvent jouer un rôle de catalyseur social qui permet la démultiplication des échanges interhumains ». Ce sociologue considère également que « le développement considérable de l’animal de compagnie doit être regardé comme une modification du rapport social que l’homme entretient depuis toujours, sous des modalités diverses, avec certains animaux, plutôt que comme l’apparition ou l’invention d’un tel rapport avec les bêtes » (Guillo, 2009, p. 271).
La place importante des chiens et des chats pour la majorité des propriétaires les amène à être attentifs et attentives à leur santé et à ne pas hésiter à les faire suivre et soigner par les vétérinaires. Cependant, selon une enquête réalisée par Ipsos6 en 2020 auprès de propriétaires de chiens et chats, il apparaît que les chiens bénéficient plus de vaccinations, de traitements antiparasitaires et de soins médicaux quand ils sont malades que les chats.
L’augmentation du nombre de chiens et de chats depuis les années 1970 et la demande croissante, au fil des décennies, de médicalisation par leurs propriétaires ont engendré un besoin croissant de vétérinaires pour les animaux de compagnie. En parallèle, les jeunes vétérinaires, femmes et hommes, ont été attirés par la clientèle de ces propriétaires, souvent cadres moyens et supérieurs, aux revenus relativement élevés (Hubscher, 1999). Les vétérinaires exerçant la médecine canine représentaient 5,3 % de l’ensemble des vétérinaires actifs en 1945 et 26,8 % en 1975 (Leboulanger, 2008).
En 1980, l’annuaire Roy7 comptait 978 vétérinaires exerçant exclusivement en médecine canine et 501 à dominante canine. En 17 ans, les effectifs ont explosé pour les deux types d’exercice : 4 761 vétérinaires en exercice exclusif canin (soit une multiplication par 4,87) et 1 845 vétérinaires pour l’exercice à dominante canine (soit une multiplication par 3,68) [Hubscher, 1999]. Entre 1997 et 2017, l’augmentation du nombre de vétérinaires déclarant une compétence pour les animaux de compagnie s’est poursuivie, mais dans une moindre mesure puisqu’elle a été multipliée par deux8 (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2017). L’Atlas démographique vétérinaire de 2023 montre que les effectifs9 continuent de croître.
En 42 ans, le nombre de vétérinaires en exercice exclusif canin a été multiplié par onze et celui pour l’exercice à dominante canine par sept. En 1975, un quart des vétérinaires (26,8 %) exerçait la médecine canine ; 46 ans plus tard, ce sont quasiment les trois quarts (70,8 %) [Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023].
La relation avec les propriétaires des chiens et des chats constitue une source de stress pour les vétérinaires. Certains clients et certaines clientes présentent des exigences élevées et, en cas d’insatisfaction, font part à leur vétérinaire de reproches qui peuvent l’atteindre émotionnellement. D’autres contestent systématiquement les tarifs et la prise en charge de leur animal, font preuve de méfiance à l’égard de leur vétérinaire et compromettent ainsi une prise en charge optimale de leur animal. Les clients et les clientes arrivant en retard à leur rendez-vous ou en fin de journée constituent également une source de stress pour les vétérinaires qui rapportent aussi des cas de clients et de clientes leur manquant de respect, voire recourant à des incivilités ou des agressions verbales ou physiques dans les cas les plus extrêmes (Bertrand, 2014). Par ailleurs, certains et certaines vétérinaires souffrent d’une image dégradée associée à leur profession. Les vétérinaires sont parfois décrits comme « nantis » et préoccupés majoritairement par l’aspect pécuniaire de leur métier (Hansez et al., 2008).
Au fur et à mesure de la demande croissante de soins pour les animaux de compagnie par les propriétaires, les cliniques ont été équipées de divers moyens techniques pour améliorer leurs diagnostics tels que des analyses de laboratoire, des échographes, des électrocardiogrammes… amenant les vétérinaires à développer des compétences pour leur utilisation (Hubscher, 1999).
Dès les années 1970 sont apparues des spécialisations. La première est l’ophtalmologie qui a été enseignée tout d’abord en marge des écoles vétérinaires de Toulouse et d’Alfort puis plus largement, à partir de 1981, année de création d’un certificat d’études supérieures (CES). D’autres spécialisations voient le jour dans les années suivantes : l’orthopédie, la dermatologie, puis la cardiologie, l’étude comportementale…
En 2023, 31 spécialités sont reconnues par le Conseil national de la spécialisation vétérinaire (CNSV) : 14 concernent les animaux de compagnie, cinq les équidés, deux les animaux de production, une l’anatomopathologie, une la médecine des animaux de laboratoire, une les porcs et sept sont en rapport avec toutes les espèces. Les vétérinaires spécialistes sont majoritairement (77,8 %) titulaires d’un diplôme européen de vétérinaire spécialiste, délivré par un collège européen de spécialité vétérinaire, après avoir suivi un internat d’un an et un résidanat de trois ans dans une structure reconnue ; les autres ont obtenu un diplôme d’études spécialisées vétérinaires (DESV) qui est un diplôme français délivré par le ministère de l’Agriculture, à la suite d’un programme de résidanat (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023).
Au total, 334 spécialistes exercent en France (48,5 % de femmes et 51,5 % d’hommes) dans les établissements de soins vétérinaires (63,2 %) et dans les écoles nationales vétérinaires (36,8 %). La moitié d’entre eux et elles (52 %) est salariée du secteur public et privé, tandis que l’autre moitié exerce en libéral. La majorité des spécialistes exercent auprès des animaux de compagnie (59,8 %), principalement en chirurgie, en médecine interne, en ophtalmologie et en imagerie. Les autres spécialités comptent beaucoup moins de spécialistes : 13,5 % pour les équidés, 11,1 % pour toutes espèces, 6,3 % pour les animaux de production et 9,3 % pour les autres (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023).
La profession vétérinaire est exercée aussi dans divers domaines, parfois éloignés de la pratique traditionnelle de soins. Certaines activités sont anciennes et d’autres plus récentes. L’ensemble regroupe, toutefois, peu de vétérinaires. Nous en présentons quelques-unes, le choix ayant été fait en fonction des données existantes qui sont fort peu nombreuses.
L’origine historique des vétérinaires inspecteurs et inspectrices date de 1791 et 1884 où deux lois sont promulguées sur la salubrité publique. Des vétérinaires étaient chargés d’aider les maires « dans leur responsabilité de lutte contre les fléaux de l’élevage, comme la peste bovine ou la fièvre aphteuse. S’y ajoute la préoccupation des maladies transmissibles à l’homme telles que la rage, la tuberculose, la morve des chevaux » (Seynave, 2001, p. 118).
Depuis 2017, les inspecteurs et inspectrices de santé publique vétérinaire (ISPV) constituent un corps supérieur interministériel de l’État à caractère technique, relevant du ministre de l’Agriculture :
Les ISPV participent, sous l’autorité des ministres compétents, à la conception, à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques, notamment dans les domaines relatifs à la santé animale et à la protection des animaux, à la sécurité sanitaire des aliments, à la qualité et à la santé des végétaux, à la santé publique, à l’alimentation et à l’agriculture, à la gestion et à la protection de l’environnement, à la préservation de la biodiversité, au développement durable des territoires, à la prévention des risques et à la gestion des crises dans les domaines précités ainsi qu’à la recherche, l’enseignement, la formation et le développement dans ces mêmes domaines. [Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2022, p. 76]
Les ISPV représentent 4,3 % des inscrits et inscrites à l’Ordre national des vétérinaires. Ce corps est majoritairement féminin (60 %) et vieillissant puisque l’âge moyen de ces vétérinaires est actuellement de 50,5 ans (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023).
Dès 1764, le ministre de la Guerre a souhaité que des cavaliers se forment à l’école d’Alfort pour soigner les chevaux de son régiment. Au cours du 19e siècle, le statut des vétérinaires militaires a évolué et ils sont passés du rang de sous-officier à celui d’officier général. Après 1945, les chevaux perdent l’essentiel de leur rôle dans les armées, ce qui amène le corps des vétérinaires militaires à se transformer (Doucet, 2001).
Depuis 2008, les vétérinaires des armées sont des officiers et officières constituant l’un des cinq corps de praticiens et praticiennes du Service de santé des armées. Leurs activités concernent « les domaines suivants : la santé publique, les soins aux animaux militaires, le contrôle de la bientraitance des animaux militaires, l’épidémiologie animale et le contrôle de la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques dans les établissements relevant du ministère des Armées » (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023, p. 79). En 2022, 75 vétérinaires travaillent pour l’armée, ce qui représente 0,35 % des vétérinaires inscrits et inscrites à l’Ordre national des vétérinaires. L’âge moyen de ces vétérinaires est de 45 ans. Les femmes représentent 43,6 % des effectifs, mais aucune ne détient le grade de cheffe de service et seulement 13 sur 51 celui de vétérinaire en chef (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023).
Les premiers enseignants dans les écoles vétérinaires ne détenaient pas le diplôme vétérinaire puisque ce dernier venait d’être créé (Hubscher, 1999). Actuellement, 474 vétérinaires enseignent dans les quatre écoles dont la moitié (52,95 %) est enseignant-chercheur ou enseignante-chercheuse et l’autre regroupe divers statuts tels qu’assistants hospitaliers et assistantes hospitalières, praticiens hospitaliers et praticiennes hospitalières… Si 55 % sont des femmes, l’Atlas ne donne pas leur répartition selon les différents statuts. L’ensemble des enseignants et enseignantes représentent 2,4 % des vétérinaires et leur âge moyen est de 42,3 ans (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2021).
Les vétérinaires des laboratoires publics d’analyses travaillent au sein de laboratoires départementaux d’analyses, créés majoritairement après la seconde guerre mondiale10. Toutefois, le premier a vu le jour en 1897 dans le Calvados pour lutter contre la typhoïde et la diphtérie qui sévissaient dans ce département. En 1950, chaque département finançait un laboratoire qui était sous la responsabilité du préfet. Ils ont été transférés aux conseils départementaux en 1980.
Actuellement, les vétérinaires11 dirigent majoritairement ces laboratoires en ayant suivi une formation complémentaire après leurs doctorats. Ils assurent les missions de veille sanitaire en santé animale, hygiène de l’alimentation, eaux et environnement, et des productions de la mer. En 2022, 81 vétérinaires exercent au sein de 69 sites de laboratoires d’analyses publiques vétérinaires, à parité entre femmes (51,8 %) et hommes (48,2 %). Cette activité est également vieillissante, car l’âge moyen de ces vétérinaires est de 52 ans et les vétérinaires de plus de 50 ans représentent 65,5 % de la population (Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, 2023).
L’activité des vétérinaires dans les parcs zoologiques en France est ancienne puisqu’elle existe depuis l’ouverture au public de la ménagerie du Jardin des plantes à Paris en 1793. Cette activité est devenue plus courante au fur et à mesure des créations de zoos, de parcs animaliers et aquariums : en 1934, on en comptait deux avec le nouveau parc zoologique de Paris, quatre en 1967 et 35012 en 2023 (Leclerc-Cassan et Ollivet, 2001).
Les vétérinaires jouent un rôle de conservation et de gestion des espèces menacées ou fragilisées en assurant de multiples missions telles que « la clinique, la recherche, la gestion des petites populations ex situ, la participation aux programmes internationaux de conservation, de collaboration au niveau pédagogique et muséologique, la protection de la santé publique et animale » (Leclerc-Cassan et Ollivet, 2001, p. 99).
Bien d’autres activités13 sont pratiquées par les vétérinaires, comme sapeur-pompier, la recherche dans les industries pharmaceutique et agroalimentaire, le conseil dans les élevages en filière organisée, l’aide humanitaire…