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La Féminisation du métier de véterinaire (Edul, 2025) Show/hide cover

Chapitre 2

De 1900 à 1970

Le corps enseignant vétérinaire souhaitait poursuivre l’élévation du niveau d’entrée des élèves pour que ces derniers puissent suivre le niveau des cours dans les écoles qui s’était largement accru, dans le dernier tiers du 19e siècle, avec les nouvelles connaissances en physique, chimie, biologie et physiologie. Ainsi, le décret de 1903 imposa des épreuves écrites en physique-chimie, histoire naturelle et français qui étaient passées en août, et trois épreuves orales en septembre. La répartition des élèves admis était faite désormais au niveau national, suivant le classement et les places disponibles (Perrot, 1990). Face à la sélection plus rigoureuse, des classes préparatoires, d’une année, au concours d’entrée aux écoles vétérinaires ont été créées dans des lycées parisiens et provinciaux et institutionnalisées après la première guerre mondiale (Rondeau, 2001).

Par ailleurs, les trois écoles voulaient que les vétérinaires acquissent la même reconnaissance que les médecins. Elles obtinrent la création du doctorat vétérinaire et la protection du titre professionnel par la loi du 31 juillet 1923 :

L’institution du doctorat vétérinaire élève encore le niveau des études en obligeant le candidat à préparer et à soutenir une thèse qui lui permet par son travail personnel de mettre en lumière son esprit critique et sa capacité de création ; elle répare l’infériorité dont les vétérinaires souffraient vis-à-vis de l’étranger et enfin accorde une valeur académique à un diplôme jusqu’alors professionnel. [Hubscher, 1999, p. 79]

En six décennies, la profession vétérinaire a donc conquis deux grades universitaires lui conférant la reconnaissance et la légitimité d’un savoir. Par ailleurs, les écoles nationales vétérinaires obtinrent le statut d’enseignement supérieur par le décret du 5 juin 1924. Et juste avant et après la seconde guerre mondiale, deux lois furent promulguées pour renforcer la reconnaissance du métier de vétérinaire.

Dans les campagnes, face à la concurrence des empiriques, maréchaux-experts et hongreurs qui pratiquaient la médecine vétérinaire sans formation dans les écoles et des colporteurs vendant des remèdes pour toutes les maladies aux paysans, la loi du 17 juin 1938 impose dans l’article premier que « sont seules autorisées à exercer la médecine et la chirurgie des animaux, les personnes de nationalité française munies du diplôme d’État français de vétérinaire ou de du diplôme d’État français de docteur-vétérinaire » (cité dans Buffetaut et Gourlet, 2001, p. 42). Toutefois, cette loi autorisa les maréchaux-ferrants et hongreurs à pratiquer des interventions pour les maladies du pied, des opérations de castration des animaux autres que les équidés et des soins d’urgence, hors maladies contagieuses, jusqu’à la fin de leur vie, à condition qu’ils soient inscrits sur un registre spécial et sans pouvoir avoir de successeurs. Les services départementaux sollicitaient souvent l’avis des vétérinaires pour accorder ou non l’inscription des demandeurs sur le registre spécial (Buffetaut et Gourlet, 2001).

L’ordonnance du 18 février 1942 mit en place un Ordre des vétérinaires dont les membres étaient nommés par le gouvernement. En 1945, un référendum auprès de la profession mit en évidence la volonté des vétérinaires de se doter d’une organisation ordinale. La loi du 23 août 1947 établit donc l’Ordre qui perdure jusqu’à nos jours, instituant l’éligibilité des membres par leurs pairs (Hubscher, 1999).

Les conditions d’hébergement dans les internats apparaissent dissemblables selon les écoles. Grâce à des travaux de rénovation entrepris dans les années 1930 à l’école d’Alfort, chaque élève disposait d’une chambre individuelle et le règlement était calqué sur celui des cités universitaires (Hubscher, 1999). À l’école de Toulouse, dans les années 1950, le dortoir était composé de chambres avec des lits de fer pour quatre à six élèves, de lavabos communs, et dépourvu de chauffage. Les repas n’étaient pas suffisamment copieux selon les élèves qui trouvèrent des moyens pour les améliorer en récupérant des « volailles suspectes à la consultation » et des testicules de chevaux et de moutons pour les donner au cuisinier, et en interceptant du lait des vaches en lactation pour leurs petits-déjeuners et pour fabriquer des yaourts (Association des anciens élèves et amis de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, 2007).

Dans la première moitié du 20e siècle, comme les stages pendant les études vétérinaires n’étaient pas obligatoires, certains élèves profitaient des trois mois de vacances d’été pour mettre en pratique leurs connaissances acquises chez un vétérinaire, sans être rémunérés. À la fin de leurs études, les jeunes professionnels étaient embauchés chez des confrères ayant une grosse clientèle en tant qu’aide et restaient à ce poste pendant deux à trois ans. Grâce à ce premier emploi, les novices acquéraient de l’expérience professionnelle et touchaient un salaire peu souvent déclaré et plus ou moins élevé selon les patrons. Toutefois, ces derniers les logeaient, les nourrissaient et leur fournissaient une voiture pour les visites dans les fermes. Les conditions de vie et de travail étaient différentes selon les patrons : certains considéraient leurs aides comme leurs fils et d’autres étaient exigeants et sans reconnaissance du travail fourni. Après ces deux à trois années d’expérience acquise, les jeunes vétérinaires s’installaient en s’associant avec leurs patrons ou en rachetant leur clientèle s’ils partaient en retraite. Sinon, ils achetaient une clientèle à de vieux vétérinaires, reprenaient celle de leur père ou en en créaient une (Buffetaut et Gourlet, 2001).

La durée des études vétérinaires, au milieu du 20e siècle, comptait toujours quatre années, précédées d’une année de classe préparatoire au concours. Elles se terminaient par la soutenance de la thèse à la faculté de médecine qui permettait d’obtenir le diplôme de docteur vétérinaire. Un seul redoublement était désormais autorisé. L’enseignement était composé de cours théoriques magistraux complétés par des travaux pratiques, comprenant notamment les autopsies, la participation aux cliniques, les dissections et la maréchalerie. À l’école de Toulouse, chaque promotion comptait entre 35 et 40 élèves, dont seulement 30 % provenaient du milieu rural (Association des anciens élèves et amis de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, 2007).

Le sport occupait une grande place dans la vie des étudiants vétérinaires : équitation, rugby, aviron, football. Les soirées organisées par les étudiants vétérinaires étaient fort prisées par les Toulousaines et les Toulousains qui venaient habillés en robes longues et en smoking très chics, mais l’ambiance n’était pas guindée malgré la participation du préfet, du directeur de l’école et des services vétérinaires (Perrot, 1990).

Dès les années 1960, l’assimilation des écoles vétérinaires aux grandes écoles et la baisse de prestige des études de médecine, pharmacie et dentisterie attiraient de plus en plus des candidats, urbains et socialement favorisés, tentés par des études réputées et des carrières prometteuses (Hubscher, 1999).

À cette même période, les conditions d’études et d’internat devenaient de moins en moins coercitives. À Alfort, la présence aux cours n’était désormais contrôlée que pour les exercices d’enseignement et pour les cours magistraux, et les élèves pouvaient recourir aux polycopiés fournis par l’amicale des élèves. Les contraintes disciplinaires de l’internat disparaissaient, et les élèves étaient libres de sortir selon leurs envies. Cette libéralisation entraîna une forte demande d’hébergement en internat, amenant l’école à sélectionner les candidats en fonction de leurs origines géographiques et de leurs résultats scolaires (Hubscher, 1999).

L’école de Toulouse, installée depuis sa création dans le quartier Matabiau, a été délocalisée en 1965 dans la périphérie de la ville, encore très campagnarde, pour devenir une école plus grande et plus fonctionnelle. Cette nouvelle école ressemblait à un campus américain et proposait aux élèves un restaurant et une cité universitaires, ainsi qu’un bâtiment pour l’amicale des élèves (Association des anciens élèves et amis de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, 2007).

Jusque dans les années 1950‑1960, la grande majorité des vétérinaires exerçait la médecine des animaux de rente et des chevaux. Les principales interventions concernaient les castrations, les soins de pieds, les vêlages et les coliques chez les chevaux. En 1951, environ 200 vétérinaires exerçaient la médecine canine (Grandadam, 2010).

L’exercice de la profession des vétérinaires ruraux a été facilité par le développement du téléphone public dans les villages ou à leur domicile et du radiotéléphone qui leur permettait d’être plus facilement joignables par les éleveurs. Les élevages devenaient également plus accessibles grâce aux voitures plus rapides pouvant transporter plus de matériel et à l’amélioration de l’état des routes (Gaudot, 2016).

La pratique changea également avec l’élévation du niveau de compétence des agriculteurs et les transformations des techniques d’élevage. Les vétérinaires avaient aussi de meilleurs moyens thérapeutiques à disposition grâce au développement des antibiotiques, des anesthésiques et de l’hormonothérapie permettant, entre autres, la pratique des césariennes avec succès sur les vaches (Gaudot, 2016).

Jusqu’à la fin des années 1960, les vétérinaires travaillaient presque toujours seuls, secondés bien souvent par leurs épouses. Elles répondaient au téléphone, notaient les rendez-vous, vendaient les médicaments en l’absence de leurs maris, rédigeaient les factures et les envoyaient aux clients, tenaient à jour les comptabilités… Elles triaient aussi les demandes des clients selon les urgences, assistaient leurs époux lors des chirurgies, les accompagnaient pour les césariennes afin de suturer l’animal et parfois remplaçaient leurs maris, en cas d’urgence, pour soigner des chiens accidentés ou pour assurer une partie des consultations de médecine canine. En plus de l’aide apportée, les épouses cultivaient souvent un potager, s’occupaient de la basse-cour familiale et de la maison, élevaient les enfants et géraient l’employée généralement embauchée pour les seconder dans les tâches domestiques (Buffetaut et Gourlet, 2001 ; Mornet, 1965). Comme pour les épouses d’agriculteurs, le travail effectué par ces femmes s’inscrivait dans le cadre du couple et était considéré comme « désintéressé, gratuit, pur échange assimilable aux obligations que se doivent les époux » (Schweitzer, 2002, p. 134). En cas de veuvage, ces épouses se retrouvaient sans ressource. Pour pallier cette situation, l’Association française des femmes de vétérinaires a été créée en 1954 afin de fournir des aides matérielles et morales à ces veuves et à leurs enfants (Mornet, 1965).