À achever ce livre, c’est aux collégiens-commanditaires que nous pensons d’abord et à la question qu’ils se sont posée, qu’ils nous ont posée, qui nous a portées et animées ces dernières années professionnelles : « comment se forment les groupes d’amis au collège, en milieu rural ? ».
Que répondre aux commanditaires ? Tentant de synthétiser encore les analyses effectuées des données récoltées, nous listons ci-dessous les éléments saillants de ces analyses afin d’apporter des réponses à ces collégiens co-chercheurs. Nous soulignons ainsi les quelques points suivants :
Le territoire joue un rôle important : les territoires sur lesquels vivent les collégiens, les spécificités du milieu rural en général et des milieux ruraux en particulier, sont décisifs dans la constitution des amitiés, notamment du fait de leurs situation et étendue géographiques, des activités proposées et possibles, du rôle des parents et des adultes pouvant offrir, ou non, l’éventualité d’exploration de ces territoires et activités, et donc de découvertes et rencontres ;
L’établissement scolaire constitue, dans la vie des préadolescents et adolescents rencontrés, un lieu de socialisation structurant les relations amicales, susceptible de les influencer, les consolider ou les fragiliser ;
La solitude est un sujet aussi sensible et important que complexe. Les adolescents sont conscients des multiples raisons qui peuvent sous-tendre cette solitude, qu’elles soient propres à la personne seule ou liées à son entourage. Ils sont également conscients des difficultés d’être témoin de la solitude d’autrui ou d’aller vers ces personnes seules, des réactions parfois contradictoires que cette solitude des autres peut générer en eux ;
Les amitiés se construisent et reposent en partie sur des éléments concrets, tels que, notamment, les (longs) moments passés ensemble, les activités communes, les goûts partagés, les styles vestimentaires ;
Les amitiés se construisent et reposent également en partie sur des éléments transversaux, tels que des vies similaires, des appréhensions et des valeurs communes, éléments constitutifs d’un socle sur lequel reposerait une certaine façon de penser, d’agir et de vivre.
Nous espérons que ces éléments, et cet ouvrage soient reçus, par les collégiens-commanditaires1 et par tout lecteur, comme porteurs de réponses à la question que ces collégiens se posaient, aux questions que tout lecteur est susceptible de se poser sur l’objet de cet ouvrage ou la démarche de recherche présentée. Nous aurons mis du temps pour apporter des réponses complètes, recevables et scientifiques, mais nous y serons parvenues !
Concernant l’approche participative, que retient-on ? À nos yeux, ce projet de recherche participative confirme la valeur de la participation citoyenne à la recherche :
Cette expérience de recherche a équipé les participants d’outils intellectuels, pour regarder le monde et agir collectivement ;
Sur le plan scientifique, la méthodologie de recherche co-construite a, entre autres, abouti à la conception et l’utilisation d’un outil original, l’arbre d’amitiés, dont l’idée originelle est celle des commanditaires eux-mêmes. L’analyse des données récoltées au moyen de cet outil a mis en lumière des différences, entre territoires ruraux, dans la façon dont les amitiés se configurent, se construisent (voir. Supra, « Chapitre 6 — Dessiner ses amitiés : description et première analyse des arbres d’amitiés », point « Ébauche d’analyse des liens représentés dans les arbres d’amitiés »). Cet ensemble octroie, pour nous, une valeur et un sens tout à fait particulier à la participation des collégiens co-chercheurs pour la recherche produite ;
La recherche participative a directement mené à la mise en œuvre d’actions au sein de l’établissement, telle la systématisation de la prise en compte des relations amicales dans la constitution des classes dans le collège ayant accueilli la démarche de recherche participative. Ceci témoigne, selon nous, d’une utilité concrète et, tout compte fait éventuellement rapide, d’une recherche menée et de la possibilité que cette dernière puisse éclairer, aiguiller voire conseiller, sur le terrain, les acteurs dans leur exercice professionnel, leur vie quotidienne.
De ces éléments conclusifs quant à nos analyses des données récoltées et à la démarche de recherche participative, se dessinent au moins trois perspectives.
La première concerne la démarche de recherche participative elle-même, qu’il nous semble important de continuer à soutenir, promouvoir et développer tant elle permet de révéler, sur des objets qui les concernent, toute la pertinence et la finesse des discours, remarques et réflexions des collégiens co-chercheurs. Si nous savons aujourd’hui qu’il est possible de mener une telle démarche auprès d’adolescents, il conviendrait de l’expérimenter auprès d’individus plus jeunes, par exemple des enfants scolarisés en école primaire. Une telle perspective nous semble en effet prometteuse, à l’instar des travaux de Toby Fattore et ses collaborateurs (2007, 2009, 2016), menés notamment auprès d’enfants sur la question de leur propre bien-être. Par exemple, T. Fattore et al. (2009), au moyen d’une méthodologie de recherche en trois étapes exigeant la participation active des enfants, montrent que, dans les entretiens (individuels ou de groupe, au choix des enfants) menés, deux éléments fondamentaux sous-tendent les propos des enfants sur leur bien-être : la vie émotionnelle et les relations d’importance. De plus, le comportement des enfants avec les autres et le fait de penser se comporter correctement, c’est-à-dire de la bonne manière, jouent un rôle important dans le bien-être des enfants. Or, cette pratique de la responsabilité sociale (social responsability) n’est pas au centre de l’attention des chercheurs dans leurs travaux portant sur ce bien-être. Fattore et al. (2009) considèrent ainsi que le regard que les enfants portent sur leur monde fait autorité, ces derniers le voyant différemment en raison de l’emplacement — à une place particulière dans l’ordre social — à partir duquel ils posent ce regard. Reconnaître cette différence et valoriser la compréhension que les enfants, au regard de leur statut, ont de ce qu’ils vivent est central dans les travaux de recherche menés par Fattore et al. (2009). Cela l’est également dans ceux menés par Gaëlle.
Que de futurs travaux de recherche dans une démarche participative soient menés auprès d’adolescents ou d’enfants, il conviendrait que de tels travaux portent dans deux directions particulières, constituant nos deuxièmes et troisièmes perspectives. D’une part, ces travaux seraient menés sur ce que les relations entre pairs et les amitiés font à la vie et l’expérience scolaires. D’autre part, ces travaux porteraient sur ce que les relations entre pairs et les amitiés font à l’expérience d’apprentissage des élèves, touchant ainsi, à la fois, à la composante affective, relationnelle et sociale, et à celle intellectuelle et cognitive de l’expérience scolaire. Les liens d’influence et réciproques entre ces deux composantes seraient ainsi étudiés. Dans ces deux perspectives, il s’agirait d’étudier tout particulièrement le versant positif de ces relations et amitiés, à l’instar notamment des travaux de Jill Victoria Hamm et Lei Zhang (2010), Thomas Kindermann (1993, 2007, 2016), Richard M. Ryan (2012), Marie-Hélène Véronneau et ses collaborateurs (2007, 2008), Ming-Te Wang et Jacquelynne S. Eccles (2012) ou Kathryn R. Wentzel (2005).
C’est à présent sur deux remarques ultimes que nous souhaitons achever notre propos.
Autant qu’elle a confirmé la valeur de la participation, la démarche de recherche participative racontée dans cet ouvrage a également confirmé les difficultés de mise en œuvre d’une telle démarche, les conditions bien particulières qui doivent être réunies dans le cadre institutionnel actuel. Cela demande du temps. Cela demande des financements (pour la médiation comme pour la recherche). Cela demande de prendre du recul, de sortir des sentiers battus, de faire face parfois à l’incompréhension de collègues. Cependant, nous avons su, nous semble-t-il, surmonter ces difficultés, portées notamment par l’enthousiasme et la sincérité des collégiens-commanditaires, des enseignants ayant pris part au projet ou de la principale du collège ayant initié et accueilli la démarche.
Le chemin compte autant que la démarche, comme le disent les commanditaires… Nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette remarque est spécifique à la recherche participative. Dans la recherche scientifique « classique », massivement, nous partageons les résultats et les outils méthodologiques utilisés pour produire la connaissance. Mais nous ne partageons pas les conditions dans lesquelles la recherche a été faite, or importent-elles peut-être aussi… Les relations avec les collègues, les contributions des uns et des autres, les relations avec les partenaires, les personnes enquêtées, les errances et les erreurs, les difficultés de financement, les difficultés de publication, etc. : autant de péripéties que les chercheurs connaissent bien, et que les étudiants découvrent bien souvent sur le tas. Autant d’éléments qui, à leur manière, orientent et influencent les connaissances produites aujourd’hui, que ce soit en termes de qualité de la recherche produite, que des objets sur lesquels porte cette connaissance et de la façon dont elle est partagée.