Non seulement en raison des difficultés de certains grands hôtels traditionnels, dans un contexte où la concurrence et les fluctuations de la conjoncture provoquent nombre d’effets, mais en fonction des évolutions de la clientèle et de la recherche de nouveaux cadres, le monde de l’hôtellerie de prestige est l’objet depuis plusieurs décennies des changements multiformes. Il s’agira surtout, dans les pages qui suivent, de dénominations et d’appellations correspondant à des établissements ne relevant pas toujours du luxe traditionnel, même s’il arrive aussi qu’une rénovation permette de moderniser une offre hôtelière prestigieuse1. Précisons que seront abordées certaines catégories d’hôtels2, et non des formes d’hébergement susceptibles d’exercer une concurrence supplémentaire, comme les Air BnB, qui peuvent dans certains cas offrir un caractère luxueux.
Le goût et l’implantation des boutiques-hôtels
Cette dénomination, qui serait d’origine américaine3, est passée dans un usage relativement courant depuis une dizaine d’années. Elle renvoie à la fois à des paramètres artistiques (en termes de décoration) à la taille relativement modeste des établissements concernés et à la discrétion de nombre d’entre eux.
Nous avons précédemment cité trois hôtels londoniens, au caractère précurseur. Le premier, le Blakes, même s’il a été décoré pour une part par Anouska Hempel4, qui a pratiqué le minimalisme dans le très discret hôtel Hempel, à présent disparu, est plutôt chargé. L’Hôtel Halkin, quant à lui, est à la fois luxueux et dépouillé. Tels qu’ils étaient classés par le Guide Michelin, ils relèvent de la catégorie des hôtels très confortables (trois maisons), c’est-à-dire pas véritablement de la notion de grand hôtel, encore que celle-ci ait pu, nous l’avons vu, se rapporter à des établissements relativement modestes. Dans le cas des « boutiques-hôtels », on peut entrevoir un certain snobisme – ou une recherche d’un autre type d’«exclusivité », pour employer brièvement un langage publicitaire – d’autant que les prix de ces établissements sont souvent assez élevés.
Il ne s’agit pas véritablement d’une sorte de nouveau « marché » londonien, d’autant que le poids des grands hôtels demeure considérable dans la capitale britannique, où, du reste, l’expression boutique hôtel ne fait plus guère florès5. En revanche, sur le continent, dans plusieurs pays, cette catégorie est plus présente. C’est en particulier le cas à Paris, où la cotation du Guide Michelin – qui donne dans ses dernières éditions beaucoup moins d’adresses hôtelières, et même aucune dans la version imprimée en 20226 – se situe entre une (exceptionnellement) et trois maisons. On n’évoquera pas en détail la vingtaine d’hôtels concernés en 2020, mais on mentionnera surtout ceux qui sont aux lisières de l’univers des grands hôtels de la capitale7. Il s’agit, dans le 1er arrondissement, du Roch8, de La Clef Louvre et de la Maison Albar ; dans le 6e, de l’Hôtel (décoré par Jacques Garcia) de l’Esprit Saint- Germain ; dans le 8e, du Damantin et de l’Hôtel Fauchon, dans le 11e, du Bastille Boutet et, de manière assez curieuse en raison de son ancienneté, même s’il a été rénové, du Terrass, proche du cimetière Montmartre.
Toujours dans le cadre français, mais aussi dans d’autres pays européens, la notion de « boutique hôtel » apparaît dans des lieux touristiques très divers, dans certaines grandes villes9, stations de sports d’hiver, stations balnéaires ou situées à proximité des côtes (celles d’Italie, du Portugal ou de Corse sont parfois représentées10), voire dans des villes d’étape : ainsi, l’un des restaurants les plus connus de la ville de Tournus, Aux Terrasses, est-il associé à un « boutique-hôtel »11.
Même si une enquête plus complète excèderait les limites de cet ouvrage, il semble bien que ce type de qualification soit passé dans l’usage courant sur l’ensemble des continents, du moins jusqu’à une période récente. On le voit par exemple à travers les notices des Guides Verts, par exemple en Australie12, en Argentine13 ou dans les Émirats arabes unis14. Aux États-Unis, on peut citer l’exemple, en Californie, à Healdburgh, d’une demeure datant de la fin du 19e siècle, luxueusement réaménagée par un designer de San Francisco, Jay Jeffers, et ouverte en tant que boutique-hôtel en 202215.
D’une certaine manière, on peut considérer, entre luxe et design, que des établissements liés à une grande marque ayant marqué l’histoire de la décoration, s’apparentent à des boutiques-hôtels. Citons, tous deux ouverts en 2015, le Baccarat Hotel and Residences de New York et la Villa Lalique de Wingen-sur-Moder, en France, qui date de 1920 et a été transformée, sous les auspices de Silvio Denz, directeur général de la marque16, en établissement de luxe, connu aussi pour sa table doublement étoilée, à la tête de laquelle se trouvait Jean-Georges Klein17, associé au chef autrichien Paul Stradner, désormais seul à diriger les cuisines.
Bien évidemment, les guides ne sont pas, loin s’en faut, les seuls prescripteurs, ni les seuls à attribuer des distinctions. On peut aussi évoquer des sites spécialisés18, y compris une agence créée en 2013, qui tend d’ailleurs à proposer à des clients, au titre de villes principalement mais pas exclusivement européennes (New York y figure) des établissements relevant de la catégorie des grands hôtels19.
Les nouveaux champs du design
D’assez longue date, le design immobilier est souvent assimilé dans les commentaires à l’architecture d’intérieur, même si, par exemple, Jean-Michel Wilmotte œuvre aussi dans le domaine de l’architecture. Cette personnalité influente et très active a été le concepteur de la décoration du Mandarin Oriental de Paris et a joué un rôle important dans la rénovation de l’hôtel Lutetia. En collaboration, à Lyon, il a travaillé à la conception de l’hôtel Villa Maïa, avec Jacques Grange pour la décoration intérieure et le célèbre jardinier et paysagiste Louis Benech20.
Il reste que le rôle de designer est loin de ne concerner que les hôtels les plus prestigieux21 et que la part des héritages est importante. Plusieurs noms ont été cités, parfois pour des périodes plus anciennes ou moins récentes (Gio Ponti, Raymond Loewy, Pierre Paulin, Pierre-Yves Rochon). Dans les pages qui précèdent, ont été notamment mentionnés ceux – fort différents, du reste – de Jacques Garcia22 et Anushka Hempel, entre surcharge apparente et métamorphoses décoratives.
L’un des designers les plus connus au monde est sans doute Philippe Starck, qui fait d’ailleurs figurer sur son site une rubrique consacrée aux nombreux hôtels auxquels il a apporté une contribution majeure23. À Miami, il a marqué de son empreinte le Delano South Beach, ouvert en 1995. À Londres, au tournant du siècle, il a contribué au succès des hôtels Sanderson et Saint-Martin’s Lane. En France, il a oeuvré à la décoration ou à la conception d’hôtels de catégories assez diverses. À Paris, il a réaménagé l’un des palaces bien connus du 8e arrondissement, le Royal Monceau, transformé en hôtel un bâtiment postal du 16e arrondissement devenu l’hôtel Brach24, et aussi conçu l’intérieur du bien plus modeste Mama Shelter de la rue de Bagnolet. Toujours dans la capitale, il est l’auteur de la décoration des chambres de la Villa M, dont la façade est végétalisée25 – et de l’intérieur du spectaculaire Too Hôtel MGallery, ouvert en 2022, au sommet de tours construites par Jean Nouvel26. Appréciant beaucoup le Bassin d’Arcachon, il a – le mot est de lui -, « revisité » deux établissements du Pyla27. Plus récemment, l’une de ses transformations-réalisations est le luxueux Lily of The Valley, à La Croix-Valmer28.
Dans la capitale, où des créations parfois originales sont apparues29, l’un des décorateurs d’intérieur les plus présents est Jean-Philippe Nuel. Ses réalisations les plus luxueuses sont probablement le Cinq Codet, dans le 7e arrondissement et le Molitor, autour d’une célèbre piscine, dans le 16e arrondissement30. D’autres noms sont fréquemment cités, dont ceux de Jacques Grange, qui conserve une importante activité31, du célèbre couturier Christian Lacroix, qui a redécoré plusieurs boutiques-hôtels, de Charles Zana, qui a contribué à la transformation de l’ancienne Samaritaine de Luxe, devenu l’hôtel Kimpton Saint-Honoré32 – ou de plus en plus de femmes, d’ Andrée Putman33 à Sibylle de Margerie34, Bambi Sloan, India Mahdavi35, entre bien d’autres réalisations architecte d’intérieur de l’hôtel Thoumieux36, Marie-Paule Clout, Sarah Lemoine ou Aline Asmar d’Amman37.
De manière plus générale, on peut s’interroger sur l’existence d’une ou de plusieurs catégories d’« hôtels design » qui correspondraient pour une part à une nouvelle forme de luxe hôtelier. Il existe des guides réunissant des hôtels de ce type38 ou (Wallpaper39) mettant l’accent sur ces caractéristiques.
Si l’on utilise une source plus généraliste comme les guides Michelin (en l’occurrence concernant surtout l’Europe, les données sur les autres continents étant bien plus limitées ou moins accessibles), on s’aperçoit, lorsque sont résumés en deux mot les principaux caractères des établissements sélectionnés, que le design, certes minoritaire, occupe une certaine place, surtout dans des capitales, telles Rome ou Berlin40, désormais plus que Londres41, des métropoles42, de grandes villes43 ou certaines stations de sports d’hiver44 ou balnéaires45. Des chaînes d’hôtels peuvent présenter leurs établissements de prestige sous cet angle : ainsi, le guide 2019-2020 « M Gallery Hotel Collection » du groupe Accor est-il intitulé « The Design Issue ».
On peut observer aussi des cas originaux, d’adjonction, en quelque sorte, d’un établissement design à un établissement traditionnel, tel le Grand Hôtel de la Cloche à Dijon, datant de la fin du 19e siècle et agrandi en 1926. L’une de ses ailes est occupé depuis 2015 par l’hôtel design Le Vertigo46.
Rares sont les petites ou moyennes localités où le design est nettement représenté, mais il existe des exceptions, dans certaines villes d’étape, voire à la campagne, avec les « huttes » de la Grenouillère de la Madeleine-sous-Montreuil, dont le chef doublement étoilé, Alexandre Gauthier, a fait appel à l’architecte Patrick Bouchain.
Bien évidemment, les hôtels où le design occupe une place importante, en tant qu’illustration d’une sorte de nouveau luxe, ne sont pas implantés uniquement en Europe. On peut en trouver dans les villes et des pays où il ajoute au raffinement d’une hôtellerie qui conserve des caractères traditionnels47.
De plus, le design est parfois évoqué au sujet de resorts, mais l’originalité n’est pas toujours présente, encore qu’on puisse la trouver, par exemple au Jiva Hill de Crozet, dans l’Ain, près de Genève48. Il convient du reste d’aborder dans un point distinct les nouvelles formes d’hôtellerie auxquelles correspondent ces lieux de détente.
Resorts et lodges
Ces deux termes ne désignent pas nécessairement ou uniquement des hôtels. Il peut s’agir de stations ou de villages de vacances, souvent inscrits dans un environnement balnéaire ou caractérisés par une volonté de préserver la nature, ou d’en exposer des aspects remarquables49. Ce sont le plus souvent, même s’il existe évidemment des précédents avant le début du présent siècle50, de nouvelles formes d’établissements de luxe51, sans un cérémonial jugé pesant, destinés à des clients fortunés de différents continents, qui apprécient la tranquillité, le raffinement et un luxe présenté comme éco-compatible.
Un nombre non négligeable (plusieurs dizaines) d’adresses lointaines de ce type ont été intégrées dans la chaîne des Relais et Châteaux, depuis quelques années. En effet, cette association devenue chaîne, à sa manière, a intégré à ses annuaires de plus en plus volumineux des « lodges », en relation avec une forme d’immersion dans la nature, à proximité d’animaux sauvages – lorsqu’ils subsistent (dans le Sud de l’Afrique52) ou le long de rivages isolés (plusieurs adresses sur le continent américain53 et peut-être plus spécifiquement, en Nouvelle-Zélande54). Le but recherché est le dépaysement, en relation avec des voyages lointains et un luxe en quelque sorte transposé, qui peut valoir dans le cas des resorts55, parfois apparus avant l’extrême fin du siècle. Certaines marques se placent sous le signe d’une expérience totale. Par exemple le groupe Six Senses56, dont l’un des fleurons, le Six Senses Uluwatu, se trouve à Bali, sous la forme d’un « village construit en amphithéâtre face à l’océan Indien » et qui met l’accent sur des « règles écoresponsables », tout en disposant de « quatre restaurants, d’un cinéma en plein air, de plusieurs piscines et d’un large panel d’excursions et d’activités57 ». Le groupe Aman Resort, qui a été créé en 1988 par l’hôtelier indonésien Adrian Zecha, avec un premier établissement, l’Ananpuri de Phuket, dont l’architecte est Ed Tuttle, cultive à sa manière initialement dépouillée un très grand luxe58. Dans ce style, l’ancienne île privée de Marlon Brando, à Tetiaroa, en Polynésie française, devenue en 2014 The Brando, un resort extrêmement coûteux, est très spectaculaire, avec ses trente-cinq villas dotée d’une plage et d’une piscine. Il se veut toujours associé à la culture polynésienne et à l’écologie59.
Même s’ils adoptent des formes architecturales traditionnelles, par exemple au Moyen-Orient60, les resorts, lorsqu’ils sont luxueux et figurent dans des circuits internationaux, supposent en général une plus grande proximité avec des standards occidentaux. Certains hôtels sont au sommet de la hiérarchie, soit dans des palmarès mondiaux, soit dans des guides. Le seul palace français ayant été présenté par le Guide Michelin comme un « resort » est, à Saint-Tropez, l’ancienne Résidence de la Pinède, devenue Cheval Blanc, qui offre la particularité d’être le seul établissement ce type associé à un restaurant à trois étoiles, la très réputée Voile d’Or d’Arnaud Donckele.
À Monaco, un vaste établissement de luxe, le Monte Carlo Bay Hotel and Resort, ouvert en 2005 sur la presqu’île du Larvotto, est connu pour son grand potager, ses jardins, ses piscines et son lagon, ainsi que pour l’un de ses restaurants, Le Blue Bay, dont le chef martiniquais Marcel Ravin a obtenu deux étoiles en 202261. Dans le Var, à Tourrettes, sur un vaste domaine, ancienne propriété de Sean Connery, a été inauguré en 2004, à l’initiative de l’homme d’affaires allemand Dietmar Hopp, le très luxueux Terre Blanche Hôtel Spa Golf Resort, dont le restaurant étoilé, Faventia, est renommé62. S’il a une moindre notoriété, on peut aussi mentionner le domaine Les Lodges Sainte-Victoire, sur la route de la Montagne Sainte-Victoire, au Tholonet, avec son restaurant étoilé le Saint-Estève63. Il existe également un groupe rassemblant des « lodges » à la montagne, Le Lodge and Spa Collection. Les établissements en question ne sont pas des palaces, mais portent le nom de pierres précieuses de grand prix, tels le Taj-I Mah d’Arc 2000, le Daria-I Noor de l’Alpe d’Huez et le Koh-I Nor de Val-Thorens64.
Il arrive aussi que l’Allemagne se distingue par les fastes de ce type d’établissement, par exemple avec le Sonnenalp Resort d’Ofterschwang ou le récent et plus modeste AMERON Neuschwanstein Alpsee Resort & Spa. En Suisse, l’un des établissements les plus étonnants est le Grand Resort de Bad Ragaz65, qui, depuis 2020, dispose de deux tables doublement étoilées (Memories – qui a obtenu sa troisième étoile en 2022, sous la direction de son chef Sven Wassmer) et IGNIV by Andreas Caminada) parmi ses quatre restaurants66.
Parfois plus modestement, en tout cas gastronomiquement, de nombreux resorts ou établissements assimilés67 se trouvent sur des îles ou le long des côtes. Il en existe par exemple en Allemagne, ainsi à Rostock68 et à Sylt69 – et plus encore en Italie, notamment sur le littoral du Sud ou sur des îles, à Ischia, en Sicile et Sardaigne70. Certains sont situés au nord, en montagne, près de lacs, comme le Lac Salin Spa & Mountain Resort de Livigno, les Lefay Resorts and Spa de Gargnano et Pinzolo71, le Mandarin Oriental Lago di Como72, tandis que le JW Marriott Venise Resort & Spa occupe une île entière, à laquelle on accède par une navette privée73.
La visibilité architecturale et esthétique de ces établissements peut sembler inégale, notamment dans le cas des lodges, mais certains resorts prestigieux ont bénéficié du concours d’architectes spécialisés, tel Jean-Michel Gathy74, formé à Liège et basé en Asie du Sud-Est, très actif même s’il est nettement moins médiatisé que certains designers.