Après avoir examiné des types diversement alternatifs d’établissements hôteliers, relevant de formes en principe plus sobres de la mode et du luxe, on peut aborder, à propos des années récentes, ce qui passe pour la spécificité des palaces, c’est-à-dire, dans l’ordre des représentations, les hôtels les plus opulents et les plus coûteux. Si l’usage étend parfois le champ de l’appellation – comme cela a pu être le cas depuis plus d’un siècle – la volonté apparaît parfois, du moins en France, de décerner un label officiel, qui cadre plus ou moins avec un « univers » de toute façon très international et parfois controversé, avant même la crise qui sera abordée dans le dernier chapitre. Car si les palaces sont présentés comme le sommet du luxe, une certaine ambivalence, voire une critique directe, s’attachent à des symboles, à la fois visibles et destinés à pallier des difficultés diverses.
Les normes et la recherche de la distinction : le cas français
Si le terme palace en tant que tel n’était pas, à compter de la fin du 19e siècle, précisément normé, ses traits caractéristiques se sont inscrits dans un temps long, alors même que des rénovations périodiques étaient indispensables. Dans la plupart des pays, les classements des guides, les articles de presse, le renom, le passage de célébrités réelles ou supposées ont continué et continuent encore à entretenir l’attention des médias et une certaine effervescence, même si ce sont aussi des lieux qui se veulent discrets et protecteurs.
Face aux mutations du tourisme, même de luxe, les palaces doivent maintenir et innover, tout en répondant à la plupart des sollicitations de leur clientèle. Dans le cas français, depuis une dizaine d’années1, le mot « palace » a été officiellement placé au sommet de la pyramide des étoiles de tourisme, qui allait jusqu’à « cinq étoiles ». La distinction est attribuée à l’initiative d’Atout France, une agence française de développement touristique et sur proposition d’une commission qui se réunit périodiquement.
Une forme de compétition s’est donc instaurée, dans le cas français. Figurent actuellement sur la liste 31 palaces français2, ainsi répartis – l’un, le Cheval Blanc, se trouve dans l’île de Saint-Barthélémy3.
Douze4 se situent dans Paris, qu’un titre de presse qualifiait – en 2018, au moment de la réouverture du Lutetia, d’ « eldorado des palaces »5 : il s’agit d’une part du Crillon6, du Four Seasons George V, du Plaza Athénée, du Bristol, du Meurice, du Royal Monceau Raffles et du Lutetia ( depuis 2019), soit d’hôtels ayant conservé leur dénomination d’origine, parfois associée à celle d’un groupe, et d’autre part de palaces plus récents ou pourvus d’une nouvelle dénomination, le Peninsula7, le Park Hyatt Paris Vendôme, le Shangri-La8, le Mandarin Oriental et La Réserve Paris Hôtel & Spa.
Les autres secteurs, par ordre d’importance numérique, sont la « Côte d’Azur » (9), les Alpes (6) et le Sud-Ouest (3).
La première, en fait, est quelque peu élargie, puisqu’elle comprend la Bastide de Gordes, dans le Vaucluse, et, depuis 2019 un établissement situé dans les Bouches-du-Rhône, la Villa La Coste du Puy Sainte-Réparade9. La même année, deux autres hôtels du Sud-Est ont accédé à la dénomination de palaces, Le Cheval Blanc de Saint-Tropez10 et le Château de Saint-Martin & Spa de Vence. Les cinq autres palaces de ce large secteur sont situés à Saint-Tropez (Le Byblos, La Messardière), Ramatuelle (La Réserve Ramatuelle Hôtel Spa & Villas) et sur la Côte d’Azur historique, où l’on en compte deux, Le Grand Hôtel du Cap Ferrat Four Seasons et le Cap Eden Roc. On peut noter qu’aucun hôtel de Nice11 ou de Cannes ne figure à l’heure actuelle dans cette liste12.
En ce qui concerne les Alpes, la situation est plus simple. À l’exception du Royal d’Evian – un des plus connus de France – ils se trouvent tous à Courchevel, qui a bénéficié, de ce point de vue, d’un essor spectaculaire : Le Cheval Blanc, Le K213, les Airelles, Le Barrière les Neiges et L’Apogée sont les établissements distingués.
Quant au Sud-Ouest, il figure dans cette liste grâce au Palais de Biarritz, et à deux établissements moins urbains, les Sources de Caudalie14, à Martillac, près de Bordeaux et les Prés d’Eugénie (depuis 2017), seul palace français aux champs éloigné d’une grande ville, qui, du reste, représente aussi une exception pour d’autres raisons, car l’atmosphère de cet établissement, tout au moins à l’origine, n’était pas celle d’un palace au sens usuel15.
Quels critères peut-on associer à cette liste ? Un article synthétique en date d’avril 2018 donne un certain nombre d’entre eux : une situation géographique « exceptionnelle », des « services d’excellence » disponibles en permanence, des « chambres standard » d’au moins 30 m2, des « restaurants gastronomiques de renommée internationale » et une « architecture remarquable »16.
Plusieurs de ces points peuvent être commentés, dans la mesure où la subjectivité est susceptible d’entrer en ligne de compte. L’architecture remarquable, dans une station de sports d’hiver, n’est pas considérée comme telle par tous. Certains établissements datant de la Belle Époque se ressemblent quelque peu, tout en témoignant de leur adéquation à la forme « palace ». Quant aux restaurants gastronomiques, ils ne sont pas toujours de réputation internationale. Il existe certes plusieurs trois étoiles (George V17, Bristol pour Épicure d’Eric Frechon, Cheval Blanc de Saint-Tropez et de Courchevel, Les Prés d’Eugénie) et des deux étoiles (Les Réserves de Paris - triplement étoilée en 2024 - et de Ramatuelle, Le Meurice, le Mandarin Oriental avec Thierry Marx jusqu’à une date récente, L’Oiseau Blanc18 du Peninsula, La Grand’Vigne des Sources de Caudalie, Le K219), mais dans certains cas une seule étoile ( Le Plaza-Athénée20,Le Pur’21 au Park Hyatt, L’Écrin au Crillon, Les Fresques au Royal d’Évian, Le Palais, Le Cap au Grand Hôtel du Cap Ferrat, Louroc au Grand Hôtel du Cap d’Antibes, La Villa La Coste), voire ou pas ou plus (le Ritz22,le Byblos, le Château de la Messardière, les Airelles, l’Apogée, les Neiges, le Lutetia). Il est vrai qu’avant même la crise sanitaire, la haute gastronomie suscitait une certaine lassitude dans plusieurs palaces, de la part de la direction, de chefs ou de certains clients23.
Enfin, pour ce qui est de la correspondance avec la classification du Guide Michelin, avant 2023 – il n’y a désormais plus de « maisons » - elle était partielle, puisqu’un nombre non négligeable de quatre maisons figure dans cette liste, alors que les cinq maisons sont un peu plus nombreux que les palaces bénéficiant de cette forme de reconnaissance officielle.
Au-delà des frontières : la moindre présence d’un mot
En dehors de la France, il semble que le mot « Palace » n’est pas mis en valeur selon les mêmes modalités, pour des raisons concordantes. En effet, la notion d’un label suprême décerné par une instance administrative en relation avec la politique touristique semble assez française, de même que le goût pas toujours avoué pour les classements et les hiérarchies touristiques (entre autres aspects), même si des « étoiles de tourisme » ou leur équivalent sont couramment attribuées ailleurs.
Néanmoins, le mot peut relever d’un héritage de temps plus ou moins anciens dans de nombreux pays. Il reste que, du moins en Europe, sauf en Suisse24, l’appellation incluse dans le nom de grands hôtels semble devenue plus rare. Elle correspond à des adresses classiques, parfois fortement rénovées25. Les hôtels récents, du reste, ne sont presque jamais appelés « palaces »26, le mot pouvant – c’est une hypothèse – apparaître comme daté, voire désuet, dans de nombreux pays, pour une part de la clientèle, même si d’aucuns continuent à éprouver une satisfaction certaine en fréquentant les établissements les plus prestigieux.
La sémantique est du reste intéressante, dans une perspective comparée. Si, en France, le Guide Michelin, reprenait, dans son identification des hôtels en question, le mot « palace », dans la plupart des cas27, les guides européens de la firme de Clermont-Ferrand où figurait encore une sélection d’hôtels ne retiennent pas ou guère28 cette dénomination, même s’il existe des équivalents - « grand luxe », dans diverses langues, à commencer par l’anglais29, qui est depuis l’origine associé aux « cinq maisons », le sommet de la hiérarchie restant le même pour le guide Michelin.On rencontre aussi des ambiguïtés, lorsqu’un hôtel est un « Palazzo »30 (au sens bien antérieur à « Palace », sans qu’il y ait nécessairement incompatibilité), un « Palacio » en espagnol ou un « Stadtpaleis », en flamand- néerlandais.
Il faut aussi tenir compte de la valorisation par des agences de voyages ou sites de tourisme d’une appellation qui n’est pas toujours galvaudée. Le mot « palace » peut toujours désigner des hôtels renommés pour leur luxe. De ce point de vue, certaines destinations déjà bien connues sont présentées comme propices à la fréquentation de palaces. Prenons l’exemple de Marrakech, dont l’une des adresses les plus prestigieuses demeure La Mamounia. S’y sont ajoutés, bien plus récemment, des établissements tels le Royal Mansour (2010), le Four Seasons (2011) ou l’Oberoi, inauguré en deux temps du fait de la crise sanitaire, en 2019 et 202031. En Égypte, le plus que centenaire Old Cataract d’Assouan, fermé de 2008 à 2011 et rénové par Sibylle de Margerie, fait toujours figure de palace, cultivant une mémoire liée à la littérature et au cinéma, ainsi qu’à sa prestigieuse clientèle32. En outre, au Moyen-Orient, il arrive que le mot palace soit associé à des constructions spectaculaires datant aussi des débuts du présent siècle, tel que l’Emirates Palace d’Abu Dhabi, qui date de 2005 et fait l’objet dans un roman récent d’une description en partie inspirée par un guide touristique du pays. Voici un aperçu de ce qu’écrit ironiquement un auteur néerlandais :
L’opulent Emirates Palace, un hôtel si luxueux qu’il était devenu une curiosité, détenait plusieurs records. C’était l’hôtel le plus cher au monde, jusqu’à ce que ce titre lui soit malheureusement ravi en 2011 par le Marina Bay Sands Hotel à Singapour. Le dôme de l’atrium avait détrôné Saint-Pierre de Rome de sa première place au classement des plus grands dômes.33
Il reste qu’au-delà des mots employés, il y a des indicateurs, notamment de prix et de taille, sur lesquels il faut revenir.
Mesures et démesures
Matériellement parlant, les palaces contemporains continuent à se définir par le soin apporté, non seulement à leur entretien et au décorum qui les caractérise, par leur personnel nombreux, ainsi que par leurs régulières rénovations34, à grands frais. Ces coûts, parmi d’autres, sont à l’origine des prix élevés qu’ils pratiquent tous, même s’il existe aussi d’autres hôtels coûteux qui ne sont pas des palaces, dont certains boutiques-hôtels, voire maisons d’hôtes de caractère exceptionnel.
Une liste détaillée serait quelque peu fastidieuse35. Relevons surtout qu’en Europe, la majorité des palaces des pays du sud36 , et, de manière générale, de l’Europe centrale et orientale37, ont des prix en général moins élevés, et que ceux des chambres38, dans les capitales, sont compris entre un peu moins de mille et un peu plus de deux mille par nuit. Globalement, en France, en 2018, le prix moyen d’une nuit dans une chambre de palace s’élevait à 1226 euros39. Il existe bien évidemment des variations saisonnières, qui rendent lors des périodes moins fréquentées les grands hôtels moins inaccessibles, mais sont accentuées dans certaines villes où peuvent flamber les prix. C’est le cas pour ceux des chambres des palaces cannois lors du Festival de Cannes40 ou lors de grandes manifestations sportives.
Par ailleurs, là où, comme en Grande-Bretagne, la monnaie nationale est en vigueur, l’éventail peut paraître au début des années 2020 un peu moins large, en général entre 500 et 1200 livres – moins encore dans certains grands hôtels d’Europe de l’Est. Le plus souvent, le prix des suites, qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros par nuit pour les plus somptueuses, n’est pas fourni par les guides41, de toute façon moins consultés que les agences de voyages et les sites de réservation. Il existe du reste quelques cas particuliers de palaces disposant de plus de suites que de chambres, ce qui fait parfois apparaître des montants fort élevés42.
La taille des palaces est traditionnellement imposante, comme on le voyait déjà à la Belle Époque. Certains grands établissements qui remontent à cette période ou à l’entre-deux-guerres demeurent à cet égard peu changés, avec plus d’une centaine de chambres, le plus souvent, il est vrai, entre cent et deux cents, auxquelles s’ajoutent quelques dizaines de suites. Le cas du Ritz, depuis sa récente rénovation, est particulier, avec le même nombre de chambres et de suites : 71. Le classement français des palaces réserve une place non négligeable à des établissements de plus petite taille. En dehors de Paris, La Réserve de Ramatuelle est le moins pourvu globalement de chambres et de suites, certains autres établissements du sud relevant du même modèle, qui n’est pas sans faire songer au format de certains boutiques hôtels ou resorts, avec « les services d’un palace »43. De telles caractéristiques témoignent d’ailleurs, notamment sur des lieux de vacances ou de détente, d’une volonté de moderniser la notion de grand hôtel, même au plus haut niveau.
En dehors de l’Europe, les traits distinctifs sont parfois plus tranchés. Le gigantisme – ou en tout cas la taille imposante de la plupart des établissements de grand luxe - est du reste un des éléments de la rentabilité. On le voit à Hong Kong ou Macao44 en Extrême-Orient, ou encore à Las Vegas aux États-Unis. Le palace exprime non seulement l’opulence, mais la démesure, non sans usage du kitsch et liens avec l’univers du jeu, par exemple à Macao et Las Vegas, avec des références à des villes européennes, telles Paris ou Venise. Et c’est bien dans la célèbre ville américaine que se trouvent certains des plus grands hôtels, au sens quantitatif45, avec plusieurs milliers de chambres, même si, sous cet angle, la concurrence d’établissements gigantesques en Chine et au Moyen-Orient se fait sentir46.
Les plus vastes hôtels sont-ils des palaces ? Sans doute pas ceux qui relèvent d’un gigantisme exacerbé, mais d’autres, probablement. Du moins se présentent-ils comme tels.
L’acquisition d’une telle image est parfois compatible avec la recherche de l’excellence gastronomique, certains chefs européens célèbres ayant installé dans de grands hôtels un ou des restaurants à leur nom47 : c’était le cas de Joël Robuchon – dont plusieurs restaurants continuent à porter le nom dans des palaces extrême-orientaux, et ce l’est toujours d’Alain Ducasse. Plus ponctuellement, un autre grand chef, Guy Savoy, a ouvert un restaurant à Las Vegas, au Caesars Palace. Hélène Darroze a implanté à l’hôtel Connaught de Londres, où la tradition gastronomique était d’ailleurs auparavant présente, une table désormais triplement étoilée48. Quant à Anne-Sophie Pic, dont la maison familiale de Valence a aussi trois étoiles, elle est aussi la seule femme ayant installé dans plusieurs grands hôtels – souvent des palaces au sens usuel - des restaurants ayant obtenu le plus souvent une ou deux étoiles, à l’enseigne de la Dame de Pic49. Si une certaine sobriété peut s’observer à travers certaines préparations culinaires, il s’agit le plus souvent de maisons opulentes, mais pas nécessairement ostentatoires.
Qui dit démesure et décors peut se référer aussi aux coulisses et à l’envers de ces décors soigneusement entretenus que de nombreux reportages, à la presse et à la télévision, montrent fréquemment, sous un jour généralement flatteur50. Certes, il y a des situations particulières, comme celle du Negresco avant et surtout après le décès de sa propriétaire, Jeanne Augier51, l’hôtel, malgré la perte d’une de ses deux étoiles52, conservant d’ailleurs des distinctions. Il y a aussi les changements d’enseignes et de groupes, un sujet qui ne concerne pas seulement les palaces et sera évoqué dans le chapitre suivant.
Il faut aussi tenir compte de la situation du personnel, en dehors des dirigeants et des cadres des grands établissements. Ce sujet, sur lequel des grèves dans des hôtels de chaînes plus modestes attirent parfois l’attention, est moins traité à l’échelle des très grands hôtels. Dans l’ensemble, au degré d’exigence sont associées des rémunérations un peu plus élevées – et des gratifications parfois importantes de riches clients. Toujours est-il que les contrastes entre le coût des chambres et les exigences de la clientèle, d’une part, et la rétribution sans commune mesure du personnel, notamment d’entretien, de l’autre, continuent à faire partie des caractéristiques des grands hôtels53.