En France, les contenus de formation sur l’éducation inclusive (EI par la suite) dispensés auprès des futurs enseignants et personnels de l’encadrement éducatif dans les maquettes de formation du master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF par la suite) étaient jusqu’alors « peau de chagrin », notamment pour les enseignants du second degré. Cette thématique de culture commune n’était que peu, voire pas, dépliée en formation initiale au profit des enseignements disciplinaires. L’EI était l’exclusivité des enseignants spécialisés, et c’est dans les certifications spécialisées qu’elle était déployée (Benoit et Gombert, 2021). Mais la politique inclusive conduite en France depuis 2005 (Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées), appelant à scolariser en classe ordinaire tous les élèves, y compris ceux présentant des besoins particuliers, a modifié la composition des classes. L’hétérogénéité a augmenté et l’École a « changé de visage ». L’enseignement et l’éducation à une diversité de publics sont devenus l’affaire de tous les personnels éducatifs et pas seulement réservés aux seuls enseignants spécialisés. De fait, la problématique des ingénieries de formation et des contenus à enseigner pour professionnaliser ces personnels s’est imposée et la question de l’accessibilité des situations scolaires (Ebersold, 2021) et des pratiques éducatives à développer dans le cadre d’une École inclusive a été au cœur de nombreuses discussions et recherches en éducation, en didactique, en psychologie et en sociologie (Ebersold, 2020 ; Pelgrims et Perez, 2016, 2020 ; Perez et Assude, 2013).
Être scolarisé « avec les autres » à l’école n’a pas toujours signifié « apprendre avec les autres ». En France, il a fallu attendre la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République de 2013 (Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013)pour que le concept d’École inclusive et plus seulement celui d’inclusion scolaire émergent. Depuis, cette visée a étéréaffirmée dans la Loi pour une École de la confiance (Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019) ainsi que dans la Circulaire de rentrée 2019 (circulaire n° 2019-088 du 5 juin -2019).
Premièrement, la notion d’École inclusive, qui est directement liée à celle d’accessibilité, pousse plus loin le paradigme de l’inclusion (Ebersold, 2017 ; Thomazet, 2008). En effet, l’École inclusive invite à considérer que la difficulté(qu’elle soit ou non liée à un handicap) est principalement reliée à l’environnement scolaire et aux barrières que l’institution scolaire peut dresser à la participation et à la réussite des élèves. Ce point de vue, c’est-à-dire l’analyse des environnements scolaires (physiques, pédagogiques, didactiques, etc.) permettant d’éliminer en amont (ou in situ) les obstacles pour tous les élèves, est à privilégier, plutôt que celui de rechercher, de prime abord, des adaptations individuelles pour certains élèves. De ce fait, le collectif de travail n’est plus ignoré, et la diversité apparaît comme une richesse à prendre en considération pour scolariser (Toullec-Théry, 2020).
Deuxièmement, le concept d’École inclusive renvoie aussi au fait que, quelles que soient ses difficultés, l’élève est bien en classe pour apprendre des savoirs, et pas seulement pour s’y sentir bien. Il y a donc nécessité à considérer les enjeux de savoirs comme un des piliers de l’École inclusive (Gombert et Millon-Faure, 2020 ; Millon-Fauré et Gombert, 2021 ; Pelgrims et Perez, 2016 ; Perez et Assude, 2013 ; Toullec-Théry et Marlot, 2012). En analysant finement la dimension didactique dans des tâches scolaires dites « adaptées » et conçues par les enseignants pour les élèves à Besoins éducatifs particuliers (dorénavant BEP), certains auteurs pointent des modifications et/ou un appauvrissement des enjeux de savoirs fixés à la base par l’enseignant (Suau et Assude, 2016). Selon Toullec-Théry et Marlot (2012, 2013), ces variants peuvent rendre ou non les situations d’enseignement-apprentissage « émancipatrices ». Ce constat renvoie à la notion de cécité didactique dont parle Roiné (2012) pour décrire « l’impossibilité pour les enseignants de considérer les paramètres (didactiques et situationnels) sur lesquels ils pourraient effectivement agir pour aider leurs élèves » (p. 144). Ainsi, pour rendre accessibles les savoirs scolaires à tous les élèves, l’enseignant doit agir sur les aspects didactiques (réflexion incluant les objets de savoir ou objectifs d’apprentissage) et pédagogiques (incluant aussi les modifications structurelles des situations d’enseignement) (Bucheton et Soulé, 2009). Ce travail est rendu possible par le processus d’accessibilisation qui renvoie à la légitimation sociale (Ebersold, 2021), permettant aux enseignants de donner du sens, de s’engager, et de mettre en œuvre concrètement les pratiques nécessaires pour faciliter les apprentissages (Feuilladieu et al., 2021), notamment par l’analyse combinée des besoins pédagogiques et didactiques (Pelgrims et Bauquis, 2016).
Enfin, la dimension collaborative et partenariale du métier de l’enseignant est unanimement mise en avant : elle est un élément central de l’école inclusive (Benoit, 2013 ; Gasparaux et al., 2022 ; Rousseau, 2015 ; Toullec-Théry et Assude, 2012). Dans cette école inclusive, l’enseignant est amené à développer des gestes professionnels propres à instituer des partenariats entre les différents acteurs autour de leurs élèves (Accompagnant des Élèves en situation de Handicap, psychologue de l’Éducation nationale, enseignants spécialisés, professionnels du médico-social et du paramédical). Le travail collectif est bien un outil de l’école inclusive ne pouvant s’effectuer que dans l’inter-métier, espace dont l’investissement n’est pas un « allant de soi » pour l’ensemble des acteurs de l’éducation (Thomazet et Merini, 2014).
L’Éducation nationale s’est mise en ordre de marche depuis 2005 pour favoriser la scolarisation en classe ordinaire des élèves en situation de vulnérabilité, et le périmètre des catégorisations institutionnellement construites des élèves à BEP s’est étendu. Considérant par exemple seulement les élèves présentant des handicaps en classe « ordinaire », leur nombre est passé de 133 838 en 2004 à 337 795 en 2018 (MEN-DEPP, 2020). Pour accompagner cette politique, différentes actions institutionnelles signifiantes peuvent être évoquées (pour un panorama complet des dispositifs, voir : brochure Onisep [2020] et Figure 1 ci-dessous).
On peut relever en premier lieu l’adaptation du référentiel de compétences des enseignants publié en 2013 (MEN, 2013). Ce référentiel prend en compte les évolutions conceptuelles et épistémologiques décrites dans le paragraphe 1 ci-dessus. Il stipule que chaque enseignant doit être en capacité, à la fin de sa formation, de « construire, mettre en œuvre et animer des situations d’enseignement et d’apprentissage prenant en compte la diversité des élèves » (compétence P5 du référentiel), d’« accompagner les parcours de formation et d’orientation de tous » (compétence CC5 du référentiel) et enfin, de « développer des collaborations et partenariats avec l’ensemble des personnels concourant à la scolarisation des élèves, notamment ceux présentant des besoins particuliers » (compétences CC10 à CC13 du référentiel).
On peut également identifier l’évolution de dispositifs de terrain déjà existants. Par exemple, les Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) ont évolué de « classes spécifiques », plus ou moins fermées à l’ordinaire, vers un dispositif de soutien pour des élèves à BEP. Ces derniers sont scolarisés dans une classe de référence et fréquentent l’Ulis pour des apports plus spécifiques si besoin.
Par ailleurs, des dispositifs pédagogiques et/ou structurels ont été créés ou expérimentés. Par exemple, des Dispositifs d’auto-régulation (DAR) pour les élèves présentant un trouble du spectre de l’autisme ont été expérimentés dès 2017, puis implémentés au niveau national en 20211. De même, en 2019, des Équipes mobiles d’appui à la scolarisation (EMAS) ont été créées, opérationnalisant un soutien du personnel médico-social aux enseignants. On peut également citer la création du Livret de parcours inclusif (LPI), outil pour améliorer la collaboration entre professionnels et le suivi scolaire des élèves à BEP. Ce livret a été expérimenté localement dans certaines académies en 2020, puis généralisé nationalement2.
Enfin, une transformation de taille a consisté à réformer en 2017, puis en 2020, la formation des enseignants spécialisés avec la création du Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (Cappei). Avec ce titre, en plus d’être spécialistes de l’identification des besoins des élèves à BEP et de la conception de dispositifs/situations d’enseignement et d’apprentissage adaptés, les nouveaux enseignants spécialisés sont formés à devenir des personnes ressources pour leurs pairs non spécialistes (enseignants des classes ordinaires), pour les équipes éducatives ou pour les familles (Ministère de l’Education nationale, circulaires de 2017 - 2020). Dans cette nouvelle dimension de leur métier, l’accent est clairement mis sur leur rôle d’accompagnement de la dynamique inclusive dans l’ensemble du système.
Pour autant, même si le chemin vers la scolarisation inclusive est en marche, les associations de parents d’élèves en situation de vulnérabilité (comme ceux présentant des handicaps) alertent, et quelques enquêtes témoignent qu’il existe encore des manques notamment sur la question des pratiques d’enseignement déployées dans le cadre scolaire ordinaire pour enseigner à tous, en même temps et dans un même lieu (Corbion, 2020). Les enseignants se sentent toujours en grande difficulté face à la prise en compte effective de l’hétérogénéité de leur classe. Ils évoquent le paradoxe entre la visée inclusive nationale de l’école, et la nature des moyens effectivement alloués pour atteindre cette ambition, et surtout leur manque de formation initiale et continuée sur ce domaine (Cabaribère, 2019).
Ce constat, en demi-teinte, a conduit les instances ministérielles très récemment à légiférer sur la formation initiale de tous les enseignants et fonctionnaires-stagiaires. Un arrêté, l’Arrêté 25-11-2020 — JO du 18-12-20203, a été publié en 2020, imposant aux INSPÉ d’injecter, dans le cadre des trois mentions du master MEEF et pour tous les enseignants et personnels éducatifs en formation, un volume horaire explicitement dédié pour la scolarisation inclusive et l’enseignement à la diversité des publics (Voir « La formation initiale des enseignants à l’éducation inclusive : l’arrêté ambitieux ? »ci-dessous).
La figure 1 ci-dessous propose une synthèse des évolutions du cadre législatif et formatif des personnels éducatifs.
L’arrêté publié en 20205 et intitulé « cahier des charges des contenus de la formation initiale spécifique pour les étudiants ou fonctionnaires stagiaires se destinant aux métiers du professorat et de l’éducation concernant la scolarisation des élèves BEP », pose les principes généraux tant sur le volume que sur les contenus « EI » à injecter dans les plans de formation de la maquette du master MEEF. Cinq éléments sont mis ici en exergue :
Les étudiants du master MEEF doivent bénéficier de 25 heures de formation, étiquetées explicitement, et consacrées à l’EI et à la scolarisation des élèves à BEP dans les trois mentions du master MEEF (mention 1 : professorat des écoles ; mention 2 : professorat des collèges et lycée général, professionnels ou technologiques et documentaliste ; mention 3 : encadrement éducatif — conseiller principal d’éducation), et ce dans tous les parcours disciplinaires (ex. : mathématiques, français, technologie…) ;
Ces contenus doivent se ventiler et s’articuler aux autres contenus qui relèveraient de l’EI au sein des différentes unités d’enseignement (notamment disciplinaires) ;
Les entrées formatives soutenues par l’analyse de situations professionnelles, éducatives et/ou professorales sont à privilégier ;
L’Arrêté stipule que des Unités d’enseignement d’approfondissement peuvent être proposées en supplément des contenus obligatoires pour tous les étudiants ;
Enfin, ce cahier des charges spécifie des grandes thématiques (lignes de contenus) à dispenser directement en lien avec le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation (MEN, 2013) et les attendus de sortie de formation du cadrage national de la formation des enseignants (MEN, 2019) (voir Annexe)
Pour résumer, ce texte témoigne de l’évolution conceptuelle relative à l’école inclusive. C’est une vision « élargie » de l’EI qui est mise en avant. Il s’agira, pour tous les futurs enseignants ou personnels éducatifs, de posséder, en fin de formation, des connaissances « sur » l’éducation inclusive (fondements, paradigmes, enjeux, dispositifs, etc.), mais aussi des connaissances « pour » :
Enseigner et/ou éduquer dans une vision universaliste de mise en accessibilité des situations scolaires (ex. : analyse didactique et pédagogique, analyse des besoins situés, conception de scénarios d’enseignement, pédagogie explicite et différenciée, adaptation, etc.) ;
Coopérer et mettre en place des partenariats entre les personnels concourants à la scolarisation inclusive.
L’objet de ce chapitre est d’analyser l’impact de cet arrêté sur la formation à l’EI dispensée dans les INSPÉ dans le cadre du master MEEF et dans les trois mentions de ce master (mention 1, 2 et 3). Précisément, il s’agit de repérer les éventuelles modifications introduites dans les maquettes de formation entre 2016 et 2022 sur deux dimensions distinctes :
Les volumes horaires consacrés à l’EI ;
Les contenus de formation, par une analyse des grandes thématiques abordées dans ces contenus, réalisée par l’étude des « vocables » des unités d’enseignement, modules de formation ou grandes thématiques, et par des analyses de contenus de certaines questions ouvertes.
En parallèle, l’étude s’intéresse aussi aux transformations internes aux INSPÉ que l’on peut supposer depuis la parution de cet arrêté EI, notamment sur le développement professionnel des formateurs eux-mêmes, et sur les dispositifs de formation de formateurs visant à acculturer le personnel sur l’école inclusive.
Compte-tenu de l’injonction ministérielle concernant le volume horaire minimal de 25 heures sur l’EI, les contenus à déplier relevant de la notion actuelle d’école inclusive, la nature de ces derniers (savoirs « sur » et savoirs « pour) et l’ingénierie pédagogique à privilégier, nous pensons repérer les évolutions suivantes :
augmentation des temps de formation instituée sur l’EI entre 2016 et 2022 ;
migration des apports conceptuels uniquement centrés sur les élèves en situation de handicap et les dispositifs institutionnels les concernant, vers les élèves catégorisés institutionnellement comme élèves à BEP ;
déploiement de dispositifs formatifs permettant d’expérimenter des pratiques inclusives situées en contexte d’enseignement, et/ou éducatives ;
élargissement des apports notionnels de l’adaptation vers l’accessibilité des situations scolaires (pédagogie universelle, différenciée, explicite, adaptée) par des analyses didactiques des situations d’enseignement-apprentissage ;
apparition de formations relevant de la professionnalisation à la coopération et au partenariat.
L’étude s’appuie sur trois enquêtes en ligne conduites dans le cadre du Réseau national des INSPÉ par le bureau du Groupe de travail national EI (GT-EI du R-INSPÉ) en janvier 2016, avril 2020 et mars 2022. Ces trois années représentent des charnières pour l’enseignement de l’EI.
En effet, en 2016, une forte réflexion animait le GT-EI autour de l’infléchissement nécessaire des contenus de formation à l’EI dans les masters, consécutif à l’évolution des notions et du projet de réforme de la formation des enseignants spécialisés (Cappei introduisant notamment la dimension de « Personne-Ressource » dans leur métier. De même, l’année 2020 correspond au travail réflexif préfigurant la publication du cahier des charges EI6 ainsi que la refonte des maquettes du MEEF . Enfin, l’année 2022 a marqué la mise en œuvre effective dudit arrêté EI et la première année de fonctionnement des nouvelles maquettes de MEEF.
À noter que les résultats de ces enquêtes annuelles, conduites par ailleurs depuis 20127 par ce même bureau, sont présentés aux « Rencontres annuelles des responsables de formation et formateurs à l’EI des INSPÉ ». Les enquêtes s’effectuent toujours en amont de ces rencontres et servent à réguler et faire évoluer au fil de l’eau les dispositifs de formation à l’EI.
Les enquêtes s’adressent toujours aux responsables EI des 32 INSPÉ, les questions sont ouvertes ou fermées, et portent sur :
– Les volumes horaires spécifiques à l’éducation inclusive ;
– Les intitulés figurant dans les maquettes ou dans les Unités d’enseignement ;
– Les modalités pédagogiques (cours magistral, travaux dirigés, travaux pratiques, analyse de pratiques…) ;
– Les statuts ou le domaine d’expertise des formateurs dispensant ces contenus EI (ex : formateurs spécialistes de l’EI versus généralistes, formateurs inter-INSPÉ ou intervenants extérieurs, formateurs disciplinaires (didactique) ou transversaux (psychologie, sociologie, sciences de l’éducation…) ;
– les dispositifs de développement professionnel existants ou envisagés (nature, intitulé, volume horaire, public visé…).
La figure 2 montre l’évolution des participations des INSPÉ répondant à l’enquête, de 2012 à 2022. Concernant, les années étudiées dans le présent chapitre, sur les 32 INSPÉ, 63 % ont répondu au questionnaire en 2016 (20/32), 31 % en 2020 (10/32) et 59 % en 2022 (19/32). Le taux de recouvrement global des répondants sur les trois temps est de 40 % (8/20) mais de 65 % entre 2016 et 2022 (13/20), ce qui permet une certaine fiabilité de comparaison.
En 2016, si l’EI est déjà présente dans la mention 1 (professorat des Écoles) du MEEF (75 % en moyenne) en 1re (M1) et 2e année (M2), elle n’est abordée en mention 2 (professorat du 2 degré) que dans 50 % (en moyenne) des INSPÉ.
En 2020, et pour la mention 1, la quasi-totalité des INSPÉ aborde l’EI en mention 1 et 70 % (en moyenne) en mention 2 et mention 3, en 1re ou en 2e année du master, contre moins de 45 % en 2016.
Enfin, en 2022, 80 % des INSPÉ abordent l’EI en mention 1, 100 % le font dorénavant en mention 2 et près de 90 % en mention 3. La baisse observée en mention 1 est à relativiser, car elle est imputée directement aux modifications anticipées de statut. En effet, les analyses de contenus portant sur les questions ouvertes montrent que dans cette mention, si l’éducation inclusive est abordée dans les Unités d’enseignement (Ue) de culture commune, elle a également infiltré les disciplines. De ce point de vue là, elle échappe en quelque sorte à la comptabilisation dans la présente enquête.
En 2016, en mention 1, le volume horaire moyen dédié à l’EI atteint déjà les 25 heures et est réparti de manière quasi équilibrée entre les deux années. À l’inverse, ce volume atteint à peine 12 heures en moyenne pour la mention 2.
En 2020, les volumes horaires pour la mention 1 sont en baisse par rapport à 2016 (17 heures en moyenne vs 25 heures). En revanche, les heures consacrées à l’EI sont en hausse pour la mention 2 (14 heures vs 12 heures). Pour la mention 3, le nombre d’heures dédiées à l’EI est de 18 heures avec une répartition de 7,5 heures en M1 et 10 heures en M2.
EI dans les Ues obligatoires du Meef | |
Janvier 2016 | Avril 2022 |
Dispositif-Paradigmes (40 %) | Dispositif-Paradigmes-EBEP (21 %) |
EBEP (25 %) | |
Gestion de la diversité | Gestion de la diversité |
Sous l'angle de « l'adaptation » (30 %) | Pratiques inclusives – accessibilité sous l'angle de la « différenciation » (30 %) et « adaptation » (20 %) + la collaboration/partenariat |
Troubles dys. (30 %) | Troubles dys. (25 % environ) |
Développement enfants (M1) et Ado (M2) (15 % environ) | |
EI Ues optionnelles du Meef | |
Handicaps, Trouble Dys, TFC, DI, TSA, TDAH |
En 2016, les intitulés de formation indiquent qu’une grande partie des contenus est centrée sur les « enjeux, dispositifs, paradigmes ». La gestion de la diversité est abordée, quant à elle, sous l’angle des adaptations individuelles, notamment celles dédiées aux élèves présentant des troubles des apprentissages de la lecture. Ces aspects ne sont du reste proposés qu’aux enseignants et spécifiquement à ceux de la mention 1 et, la plupart du temps, sous forme très théorique, en cours magistraux.
En 2022, l’apport sur « l’enjeu, les dispositifs et les paradigmes » représente une part moins importante qu’en 2016. Une évolution notable des contenus s’opère sur les thématiques relevant de la gestion de la diversité, qui sont focalisées à parts égales entre les notions de pédagogie différenciée et explicite, et celle d’adaptation aux besoins particuliers de différents types d’élèves, notamment des élèves allophones. De ce point de vue là, les réflexions semblent bien s’opérer sur la question des problématiques « classe entière », en répondant à une question vive du terrain : comment prendre en compte un élève à BEP tout en continuant à gérer les besoins des autres élèves du groupe classe ? Par ailleurs, ces notions sont davantage enseignées sous l’angle des pratiques et en regard de situations. Enfin, les troubles « Dys » continuent à être présents dans la formation des enseignants et enseignés de manière explicite, et ce, pour tous les enseignants (1er et 2e Degré) et les personnels éducatifs. À ce propos, les contenus sur d’autres types d’élèves catégorisés institutionnellement comme élèves à BEP (trouble des fonctions cognitives, trouble du développement intellectuel, trouble du spectre de l’autisme, handicap sensoriel, etc.) sont proposés en option et dans certains INSPÉ. Ces modules visent l’approfondissement des notions sous l’angle adaptatif des situations scolaires (ex. : analyse plus fine des besoins des élèves et conceptions de réponses adaptées).
Enfin, l’abord des concepts autour des pratiques partenariales et de coopération (enseignant-AESH10 ; enseignants-parents ; inter-métier ; travail en équipe) indique que la nécessité de former à ce champ a été entendue.
Un résultat inattendu a émergé. Si l’élargissement du périmètre de l’EI est repéré (élèves handicapés vers élèves à BEP, gestion individuelle de l’hétérogénéité vers gestion collective…), il s’opère en englobant les apports de la psychologie tels que le développement de l’enfant et de l’adolescent, les processus d’apprentissage et les fonctions cognitives (mémoire, attention). Ce constat est alarmant, car les contenus de psychologie doivent avoir leur existence propre, même en lien avec l’EI. D’ailleurs, l’arrêté stipule bien ce point dans le cahier des charges (voir Annexe 1 : « CC3 — Connaître les élèves et les processus d’apprentissage »).
Enfin, l’analyse de contenus montre également que quelques INSPÉ ont fait le choix de modules non spécifiques et abordent l’EI en rentrant par la didactique disciplinaire (notamment en français, langue vivante, mathématique et histoire-géographie, etc.), et que tous les INSPÉ déclarent utiliser l’analyse de pratiques à partir des situations réelles pour travailler la dimension pratique et les « savoirs pour ».
Les résultats montrent que sept INSPÉ proposent ou ont envisagé des modules de développement professionnel à destination de leurs formateurs, qu’ils soient universitaires ou académiques, alors qu’aucun ne développait ce genre de dispositifs en 2016. Ces formations sont à l’initiative des INSPÉ ou ont été pensées dans le cadre de co-organisation entre instances académiques (Rectorat) et INSPÉ. Les volumes horaires varient entre 6 et 24 heures de formation dans l’année.
L’objectif de l’étude visait à repérer l’impact de l’arrêté EI sur les modifications des maquettes du master MEEF entre 2016 et 2022 (en termes de volume horaire, contenus dispensés et modalités de formation), et sur des transformations internes aux INSPÉ visant le développement professionnel des formateurs par des dispositifs de formation.
D’une manière générale, les résultats suggèrent que la disparité inter-INSPÉ et inter-mention s’est réduite entre 2016 et 2022, tant sur l’implémentation de l’EI que sur les volumes horaires consacrés. Cette évolution est encore plus importante pour la formation des enseignants du secondd degré (mention 2) et personnels éducatifs (mention 3). Au bout du compte, il y a disparition totale de la formation à l’EI de manière « optionnelle », modalité que l’on observait auparavant largement entre 2012 et 2016 (Benoit et Gombert, 2021). L’optionnalité est dorénavant réservée pour des approfondissements de notions abordées par ailleurs pour tous les étudiants, ce qui sous-entend un point de vue spiralaire, et non plus empilé, des contenus à dispenser.
De même, les contenus de formation ont évolué et le cahier des charges, notamment par la catégorisation des grandes thématiques en regard des compétences métiers des enseignants et personnel éducatif, n’y est certainement pas étranger. À ce titre, la vision restreinte au seul handicap et à ses dispositifs n’est plus. Les savoirs sur l’EI sont associés aux savoirs praxéologiques « pour » enseigner, et l’idée des pratiques inclusives se désenclave de la seule notion d’adaptation des situations éducatives, d’enseignement et d’apprentissage. Les aspects de collectif classe et de geste de différenciation et d’explicitation au profit de tous comme un levier à la scolarisation inclusive transparaît (Feuilladieu et al., 2021 ; Gombert et al., 2017). La notion d’accessibilité des situations scolaires, qu’elle soit éducative, pédagogique ou didactique, fait également écho au concept de pédagogie universelle (Bergeron et al., 2011). Bien que critiquée par son ancrage épistémologique (psychologie cognitive avec un ancrage behavioriste) (Murphy, 2021) et par son entrée s’appuyant sur les théories infirmées des styles d’apprentissage (Boysen, 2021), il n’en reste pas moins que la pédagogie universelle renvoie bien aux pratiques d’enseignement pour tous et au déploiement nécessaire de gestes professionnels prenant appui sur la pédagogie différenciée et explicite (Stockard et al., 2018). L’EI est devenue comme un incontournable à enseigner en formation initiale des enseignants et personnels éducatifs, et son statut « transversal » est expérimenté. Tout se passe comme si un rapprochement des mondes et des cultures professionnelles s’opérait.
En résumé, l’EI semble avoir été intégrée dans la formation initiale pour tous les étudiants, conformément aux prérogatives de l’arrêté 2020, et les volumes horaires s’approchent des volumes requis. Pour autant, tout n’est pas à mettre en lien avec ledit arrêté. En amont, la politique inclusive et la modification du référentiel de compétences avaient déjà amorcé des modifications, en contraignant aussi les formateurs INSPÉ à s’ajuster et accompagner les stagiaires et étudiants à la prise en compte des élèves à BEP (dont ceux présentant des handicaps) pour des cours sur l’inclusion et sur les contextes d’exercice du métier.
Un point particulier de vigilance qu’il conviendrait de faire évoluer résulte de l’englobement du champ de la psychologie dans les 25 heures dédiées à l’EI. Connaître le développement de l’enfant ou l’adolescent, les processus cognitifs et psycho-sociaux d’apprentissage participe évidemment à l’analyse des besoins des élèves en situation. Mais ces formations doivent avoir un espace conséquent d’heures dédiées (conformément au cadrage de la formation des enseignants [MEN, 2019]) pour se déployer efficacement.
L’arrêté EI a également eu un impact sur les organisations internes des INSPÉ concernant le développement professionnel de leurs formateurs. En effet, les volumes horaires sur l’EI augmentant, le manque de formateurs susceptibles d’intervenir est devenu criant, et les équipes « spécialistes » de l’EI dans les INSPÉ ne suffisent plus à couvrir ces nouveaux besoins en formation. Ce problème de formateur EI est encore plus prégnant si on le rapporte au fait que les INSPÉ sont répartis sur plusieurs sites ou antennes. Au-delà de l’aspect purement quantitatif, la vision élargie, intégrée et transversale de l’EI rend nécessaire l’acculturation de toute la communauté des formateurs pour insuffler ces contenus à l’intérieur même des disciplines. Le développement de dispositifs de formation de formateurs a été rendu indispensable, et les INSPÉ se sont mis en ordre de marche vers l’innovation, et ce, en un temps record ! L’idée que les enseignements sur l’EI ne sont plus seulement l’affaire de spécialistes semble acquise.
Pour autant, si des dispositifs de développement professionnel émergent, des obstacles et des difficultés dans leur mise en œuvre sont également rapportés et des pistes d’amélioration suggérées. Compte tenu de la charge de travail des formateurs INSPÉ, le nombre d’heures proposées est limité et s’organise souvent sur des temps de volontariat. Aussi, pour l’instant, peu de formateurs ont-ils pu en bénéficier, excepté dans un seul INSPÉ où la totalité des formateurs intervenant en mention 1 ont assisté à des apports dédiés (conférence et ateliers visant à envisager des ingénieries de formation possibles et viables). Il conviendrait alors de penser les dispositifs de formation de formateurs dans une perspective continuée et sur plusieurs années, sur des heures instituées et négociées avec les directions des INSPÉ (ex. : journée banalisée). Par ailleurs, pour que l’infiltration dans les disciplines s’opère avec plus de souplesse et de justesse, des co-interventions auprès des étudiants, entre spécialistes et disciplinaires, sont largement souhaitées, tout comme des co-accompagnements de « terrain » lors des visites de stage. Ces modalités seraient de bons leviers de développement professionnels, selon une grande majorité des formateurs des INSPÉ.
Ce point devrait permettre de mieux armer les futurs enseignants et personnels éducatifs à prendre en compte la diversité des publics, pour ainsi mieux répondre aux exigences du terrain.
Au final, l’engagement des pays dans une politique inclusive implique bien, comme le signale Ebersold (2021), des modifications d’ordre épistémologique, législatif, structurel (dispositifs…), praxéologique et formatif (initial et continu), et de ce point de vue là, les INSPÉ sont en ordre de marche. Pour autant, en accord avec cet auteur, nous pensons que l’impératif d’accessibilité ne se décrète pas ; il se construit au cœur des organisations et des professionnalités, des stratégies de légitimation des pratiques et de leur mise en œuvre concrète (Ebersold, 2017), et de ce point de vue, des efforts sont encore à poursuivre du côté des INSPÉ, mais aussi des politiques, si l’on veut parvenir effectivement aux ambitions de l’école inclusive.
Compétences-métier associées à des thématiques de formation (Compétences-métier déjà catégorisées en « unité de sens ») CC : compétence commune P : compétence professionnelle pour les enseignants | |
CC1. Faire partager les valeurs de la République | École inclusive : histoire et enjeux – Notions propres à l’école inclusive : (besoins / accessibilisation / accessibilité / difficultés ou troubles / norme ou pathologies) – Cadre international de l’école inclusive : (ex : Unesco – horizon 2030), comparaisons internationales, principe d’éducabilité… |
CC2. Inscrire son action dans le cadre des principes fondamentaux du système éducatif et dans le cadre réglementaire de l’école | Dispositifs, outils et modalités de scolarisation – Dispositifs inclusifs et adaptés (ex : UUs/Segpa/UPE2A/…) – Outils : le livret de parcours inclusif, les plans, projets, programmes (ex : PPRE, PAP, PPS, PAI…) – Établissements et services médico-sociaux ou sanitaires, professionnels libéraux |
CC3. Connaître les élèves et les processus d’apprentissage | Diversité des élèves En complément des enseignements de culture commune relatifs aux processus fondamentaux de l’apprentissage, appréhender les répercussions sur les apprentissages des différents troubles et difficultés |
CC5. Accompagner les élèves dans leur parcours de formation | Parcours de formation et d’orientation des élèves à besoins éducatifs particuliers |
CC7. Maîtriser la langue française à des fins de communication | Explicitation des enjeux et pratiques de l’école Inclusive – Adapter sa communication orale et écrite dans un principe d’accessibilité universelle |
CC10. Coopérer au sein d’une équipe | Partenariat et collaboration – Faire vivre la co-éducation en tenant compte de l’expertise des familles |
CC11. Contribuer à faction de la communauté éducative | Coopérer et collaborer au sein d’une équipe pluri-professionnelle (Notion d’espace « d’inter-métier ») |
CC12. Coopérer avec les parents d’élèves | |
CC13. Coopérer avec les partenaires de l’école | Coopérer et collaborer avec l’ensemble des partenaires |
P1 : Maîtriser les savoirs disciplinaires et leur didactique | Pratiques d’enseignement de l’école inclusive : principe d’accessibilité didactique et pédagogique, de pédagogie universelle pour concevoir et mettre en œuvre des situations d’enseignement – Analyser les taches scolaires et les contenus d’enseignement – Identifier les besoins des élèves et leur apporter les réponses didactiques et pédagogiques |
P3 : Construire, mettre en œuvre et animer des situations d’enseignement et d’apprentissage prenant en compte la diversité des élèves | |
P5 : Évaluer les progrès et les acquisitions des élèves | Observation et évaluation des élèves Mettre en œuvre des modalités d’évaluation accessibles et adaptées qui valorisent les compétences des élèves |
Résumé : Depuis plusieurs années, les élèves dits à Besoins éducatifs particuliers sont scolarisés en nombre à l’école de la République. La prise en compte de la diversité des élèves dans une visée inclusive prend une place croissante dans la professionnalité et dans les textes régissant la formation des enseignants et personnels éducatifs. La rentrée 2021 marque un nouveau tournant avec la publication d’un Arrêté spécifique 2020 définissant un volume minimal d’heures de formation et des contenus alloués à l’Éducation inclusive et devant être injectés dans tous les parcours de formation du master « Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation » (MEEF). La présente étude vise à analyser l’impact de cet arrêté sur les modifications des maquettes du master MEEF entre 2016 et 2022 (en termes de volume horaire, contenus dispensés et modalités de formation) et sur des transformations internes aux Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ) visant le développement professionnel des formateurs par des dispositifs de formation de formateurs.
Abstract: For several years now, students with special educational needs have been enrolled in large numbers in French schools. Taking account of the diversity of pupils with a view to inclusion is playing an increasingly important role in the profession and in the texts governing the training of teachers and educational staff. The start of the 2021 academic year marks a new turning point with the publication of a specific 2020 decree defining a minimum volume of training hours and content allocated to inclusive Education, which must be included in all the training courses for the ’Teaching, Education and Training’ (MEEF) master’s degree. The aim of this study is to analyse the impact of this decree on the changes to the MEEF master’s programmes between 2016 and 2022 (in terms of hours, content and training methods) and on changes within the Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPÉ) aimed at the professional development of trainers through trainer training schemes.