Le système éducatif français s’engage à réaliser l’inclusion des élèves en situation de handicap (Loi n° 2005-102) et l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction (Loi n° 2019-791). Selon la note conceptuelle du rapport mondial de suivi sur l’éducation (Unesco, 2020), ces engagements relèvent d’un processus commun à de nombreux systèmes éducatifs. Ce processus est marqué par une évolution du concept d’éducation inclusive vers une acception collective et un consensus international visant à « supprimer les obstacles à l’éducation pour tous les enfants » (ibid., p. 4). Il est pourtant rare que le système évolue pour s’adapter à l’enfant et « la plupart des pays adoptent plutôt une certaine forme d’intégration où l’enfant doit s’adapter au système dans lequel il est placé » (ibid., p. 4). La mise en œuvre du principe de l’inclusion suppose qu’un processus de changement se mette en place au sein des établissements scolaires, processus qui demande à être accompagné (Bergeron et Prudhomme, 2018) et doit recueillir l’adhésion des enseignants (Fortier et al., 2018).
Dans ce contexte, nous avons été amenés à répondre à la demande d’accompagnement d’une équipe de collège pour « mieux accueillir les élèves à besoins particuliers tout en permettant la réussite de tous les élèves » (extrait de la demande formulée par l’équipe pédagogique). Suite à cette demande, un projet d’intervention-recherche a été élaboré, en accord avec l’équipe de l’établissement.
Ce projet a été validé et financé par le groupement d’intérêt scientifique « Éducation et Formation » de l’université de Strasbourg. L’intervention a donné lieu à l’implantation d’une Cap inclusive dans le collège de réseau d’éducation prioritaire renforcé à l’origine de la demande.
Ce projet, pour être mené à bien, mobilise conjointement deux cadres théoriques, celui des communautés d’apprentissages professionnelles (Cap) et celui de la clinique de l’activité. Les Cap sont définies comme « un mode de fonctionnement des écoles qui favorise la contribution de chaque personne et qui encourage le personnel à entreprendre collectivement des activités et des réflexions en vue d’améliorer continuellement les résultats scolaires des élèves » (Leclerc et al., 2007, p. 158 ; Eaker et al., 2004). Le cadre théorique de la clinique de l’activité est décrit par Clot (2006, p. 166) comme un « moyen de rendre à nouveau la vie défendable en milieu de travail lorsqu’une demande s’y manifeste ».
Le « rapport scientifique sur l’évaluation des effets du développement professionnel des acteurs de l’éducation » (Lessard, 2021, p. 28) préconise la mise en place de Cap pour favoriser le développement professionnel des équipes enseignantes.
Selon Dionne et al. (2010, p. 36),
la communauté d’apprentissage se définit comme un dispositif qui, dans sa dimension cognitive, vise le développement de la pratique pédagogique, l’acquisition d’un savoir individuel et collectif et la quête de sens. Dans sa dimension affective, la communauté d’apprentissage encourage l’enseignant(e) au partage de savoirs et au soutien entre collègues. Enfin, dans sa dimension idéologique, la communauté d’apprentissage sert à l’émancipation des enseignants, par l’utilisation des recherches, en reconnaissant leur rôle dans la production de ces recherches, et elle vise ultimement à créer une cohésion et une vision commune dans l’école.
La compatibilité spécifique des Cap avec la visée inclusive a été montrée par Leclerc et Labelle (2012) à partir d’expériences de Cap implantées dans des écoles de l’Ontario. Cette étude établit également leur rôle de soutien au développement professionnel inclusif.
La clinique de l’activité offre un cadre théorique complémentaire et compatible en ce qu’elle favorise le développement professionnel des enseignants par le sens (rapport entre le but de l’action et les motifs d’agir qui sous-tendent l’activité) et l’efficience (rapport entre le but de l’action et les opérations mises en œuvre pour le satisfaire) (Clot, 1999). « Une clinique de l’activité se porte à la rencontre de ces conflits de destins dans l’activité collective et individuelle, afin de conserver la possibilité de transformer la tâche et l’organisation pour développer le pouvoir d’agir des professionnels sur l’architecture d’ensemble de leur métier » (Clot, 2006, p. 168). En d’autres termes, l’enjeu de la clinique de l’activité réside dans l’accompagnement de la transformation de l’activité des professionnels pour comprendre cette activité et son processus de développement. Ainsi, pour Clot, on « ne peut pas étudier “en chambre” le développement […] S’occuper sur le terrain du développement sans “arrière-pensée” de recherche est donc précieux pour […] chercher les limites de l’action pour les faire reculer » (2008, p. 69). Le recours à la clinique de l’activité est reconnu en formation professionnelle (et notamment en formation continue) pour être un puissant levier de transformation des pratiques professionnelles par l’analyse des situations de travail par les professionnels eux-mêmes dans un cadre de recherche-intervention en milieu scolaire (Félix et Saujat, 2015).
Cette confrontation théorique nous permet d’établir que les deux modèles sont reconnus comme favorisant le développement professionnel des équipes, dans une perspective capacitante et émancipatrice, par la mise au travail des professionnels par et pour eux-mêmes à partir de buts qu’ils ont eux-mêmes déterminés. Le cadre théorique de la Cap (Leclerc et Labelle, 2012) est favorable au projet inclusif et apporte un cadre solidaire et sécurisant, ainsi qu’un soutien affectif propre à répondre aux besoins d’une équipe confrontée au défi professionnel de la prise en compte de la diversité. La clinique de l’activité (Clot, 1999) apporte un outillage théorique et technique, à la fois pour l’intervention et pour la recherche, dans une perspective transformative. Nous faisons l’hypothèse que l’articulation de ces deux modèles ne les altère pas, mais que cette combinaison permet d’aller au-delà de chacun.
Le dispositif de Cap mis en place dans l’intervention est inspiré des Cap inclusives implantées dans des écoles de l’Ontario étudiées par Leclerc et Labelle (2012). Il en reprend les principaux aspects, comme la détermination des valeurs partagées et des priorités communes des participants, ainsi que l’alternance de rencontres collectives et de mises en œuvre en classe permettant le recueil d’observations et les analyses réflexives (tableau 1).
Le processus d’imbrication de la Cap et de la clinique de l’activité peut être éclairé en décrivant les étapes d’une réunion de travail de la communauté. En début de réunion, les membres de la Cap exposent les traces de leur activité sous forme de vidéos, notes d’observations ou témoignages. Ce temps, mené sous la forme d’autoconfrontation collective (Poirel et al., 2022), dévoile l’activité visible ainsi que le réel de l’activité (Clot, 1997) permettant l’accès aux valeurs, buts et questionnements des professionnels. Dans un second temps, l’autoconfrontation collective permet l’identification de problématiques et la conception de réponses à expérimenter pendant la période suivante. Selon notre étude, le partage des conceptions, des ressentis et des choix favorise la construction d’un espace commun du métier et le franchissement des frontières disciplinaires, si délicat dans le second degré du fait de la structuration des programmes en disciplines relativement indépendantes les unes des autres. Enfin, la communauté organise le travail de ses membres pour la période suivant la rencontre. La mise en œuvre des nouvelles pratiques et le recueil de données correspondantes sont opérés dans une perspective de compréhension de l’activité favorisant ainsi une analyse plus en profondeur lors de la prochaine réunion.
Ainsi, le choix d’une intervention-recherche a été retenu pour répondre à la demande de l’établissement d’accompagnement dans la mise en place d’une approche inclusive de la scolarité en collège.
Le collège accueille de nombreux élèves présentant des difficultés sociales et scolaires affirmées ainsi que des élèves en situation de handicap, car l’établissement comporte deux Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). L’équipe des professionnels du collège est fortement engagée dans la réussite des élèves, mais se trouve démunie face à la diversité et à l’importance des besoins spécifiques de chacun des élèves. Certains enseignants de l’équipe sont dans une situation d’épuisement professionnel et de découragement, situation qui peut être mise en relation avec leur engagement en faveur de l’inclusion confrontée à la difficulté de la réaliser (Curchod-Ruedi et al., 2013).
L’engagement de la cheffe d’établissement du collège et d’une des deux enseignantes de l’Ulis à faciliter et encourager le travail de l’équipe sont des éléments de contexte favorables à la réussite du projet.
L’intervention au sein de l’établissement a donné lieu à huit réunions (Tableau 1). Les sept réunions de travail ont été filmées et enregistrées afin de constituer le corpus des données de la recherche.
R0 | Présentation du projet de Cap inclusive à tous les professionnels de l’établissement potentiellement intéressés. Entretien avec la principale pour étudier l’organisation collective qui va permettre la disponibilité des professionnels et la prise en compte de leur implication dans la Cap. |
R1 | Construction du cadre de la Cap avec les participants volontaires. Initiation à la clinique de l’activité |
R2 à R6 | Réunions de travail de la Cap Présentation par les membres de la Cap de traces de leur activité Analyse des situations professionnelles par la communauté, permettant l’identification de problématiques et la conception de réponses à expérimenter pendant la période suivante. Organisation du travail sur la période entre deux réunions : les professionnels se répartissent en sous-groupes pour travailler sur des pistes qu’ils ont choisies. Entre chaque réunion collective, les enseignants mettent en œuvre les nouvelles pratiques, recueillent des traces de leur activité et les envoient aux chercheurs. |
R7 | Bilan Synthèse des bilans individuels présentée par les chercheurs Échanges collectifs autour du bilan de la Cap Construction de fiches techniques pour formaliser les nouvelles pratiques |
Suite à la présentation du projet au collège, onze professionnels de l’établissement, de statuts divers, ont choisi de s’investir dans la Cap :
deux enseignantes d’Ulis, dispositif visant à permettre l’inclusion d’élèves avec handicap cognitif dans les classes ordinaires du collège ;
deux accompagnatrices d’élèves en situation de handicap (AESH), qui apportent une aide humaine aux élèves des deux Ulis ;
sept enseignantes de disciplines variées : technologie, sciences de la vie et de la terre (2), langues (3), éducation physique et sportive.
Deux enseignants chercheurs, dont l’un est spécialiste de l’éducation inclusive et l’autre de la clinique de l’activité, accompagnent le collectif et animent les réunions. Leur démarche s’inspire de l’intervention-recherche et de la clinique de l’activité (Clot, 2006) sans s’y conformer strictement. Ils ont adopté le principe d’une participation active au sein de la Cap, s’autorisant à questionner les professionnels et à introduire la controverse ; ils ont initié les acteurs de la Cap aux outils et démarches issues de l’analyse de l’activité afin que les entretiens soient menés par eux et entre eux plutôt que par les chercheurs.
La première réunion (R1) a permis la construction des fondations de la Cap : constitution du groupe, cadre du travail collectif, identification des valeurs et défis inclusifs, et propose une initiation à la clinique de l’activité. Un cadre de travail a été posé, garantissant la solidarité entre les membres, le non jugement, une mise en question des situations et non des personnes, la confidentialité et la stabilité du groupe. Chaque participant, dont les chercheurs, s’est engagé à respecter ce cadre.
Au cours de cette première réunion, le collectif de la Cap a identifié des valeurs et des défis inclusifs qui ont guidé le travail de la communauté. Ces défis ont été construits à partir des énoncés individuels des participants. Les défis ont ensuite été synthétisés et validés collectivement (Tableau 2). Si les formulations de ces défis peuvent apparaitre relativement génériques, elles sont néanmoins le fruit d’une remontée progressive en abstraction à partir de l’évocation de situations vécues par les différents enseignants. Aussi ces défis s’apparentent-ils à un construit collectif recouvrant une signification partagée entre les membres du collectif. Le cadre de travail et les défis collectifs posent symboliquement les bases de la communauté d’apprentissage.
Différenciation | Climat de travail | Exercice du métier |
Adapter l’aide à la personne de l’élève Permettre à chaque élève d’apprendre selon ses possibilités | Permettre aux élèves et aux professionnels de se sentir bien Développer l’entraide et la confiance Faire vivre la différence comme un atout, l’utiliser comme un point d’appui | Adapter sans que cela devienne une charge de travail trop lourde Trouver, donner le temps d’observer, de réfléchir et de se remettre en cause |
Cette première réunion a été suivie de cinq réunions de travail et d’une réunion bilan (Tableau 1) qui a permis de faire collectivement le point sur les ressentis des participants et de commencer à construire des fiches techniques pour conserver et diffuser les nouvelles pratiques.
Le développement professionnel produit par la Cap a été étudié par Burgel (2021) grâce à une méthodologie innovante appuyée sur le double cadre de l’analyse de l’activité et des Cap. Nous reprenons cette démarche méthodologique ici. Ainsi, le corpus des données a été constitué des verbatims issus des enregistrements audiovisuels des réunions collectives de la Cap (Tableau 1, R0 à R7).
Dans une première étape méthodologique, ce corpus, après avoir été retranscrit, a été soumis à deux types de codages. Un premier codage a consisté en l’identification des opérations, des buts et des motifs d’agir (Leontiev, 1984) des participants à la Cap. Le découpage s’opère à partir des « buts » définis comme une « représentation cognitive du résultat à atteindre » (Clot, 1999) auxquels sont ensuite associés les « opérations », permettant à l’individu d’accomplir ses buts, et les « motifs d’agir » que poursuit l’individu dans son activité (Léontiev, 1984). Dans un deuxième temps, le découpage des transcriptions ainsi réalisé a été associé aux sept défis définis par la CAP lors de sa première réunion (Tableau 2).
Au cours d’une seconde étape méthodologique, les données ainsi constituées et codées ont été confrontées au cadre de définition et d’analyse des Cap, à savoir :
Indicateurs de développement professionnel liés aux Cap (Lessard, 2021, p 28) : l’attention portée à l’apprentissage des élèves, la mise en place de nouvelles pratiques en classe et le développement d’une capacité réflexive.
Dimensions qui caractérisent les Cap (Dionne et al., 2010, p 36) : aspects cognitifs (construction d’un savoir collectif), idéologiques (construction par les professionnels eux-mêmes) et affectifs (soutien et sécurité).
Confrontation du processus de développement professionnel, tel qu’il a été analysé grâce à l’outillage méthodologique de l’analyse de l’activité, avec le cadre théorique des Cap.
L’analyse des propos d’une enseignante, recueillis à deux moments de la réunion de travail R6, permet d’éclairer l’opérationnalité du dispositif. En début de réunion, l’enseignante exprime son découragement face à une classe difficile, et ce qu’elle imagine comme la réponse des collègues en salle des professeurs si elle en parlait avec eux :
Du coup, j’ai dû arrêter lors de la première séance. Après j’étais énervée moi-même parce que ça ne marchait pas. Le temps qu’ils se mettent au travail, ça avait sonné. […] A midi, mes 4ème 1, j’ai envie de les abandonner. Je me plains. On me dit « oui c’est vrai ils sont terribles ». Tout le monde va dire à quel point ils sont terribles.
En fin de réunion, l’enseignante fait le point sur l’apport de la Cap :
Comme il y a but précis, comme ici le but c’est vraiment de trouver des solutions pour que finalement on arrive à renverser la situation en disant : « OK ». Et je le vois, maintenant je sors plus en tant que professionnelle avec un vrai challenge professionnel : comment je m’arrange pour que les 4ème1 fassent un minimum de travail ?
L’attitude de l’enseignante en début de réunion rappelle les risques psychosociaux vécus par les professionnels dont les valeurs inclusives sont mises à mal par les réalités du métier décrites par Curchod-Ruedi et al. (2013). Dans les extraits ci-dessus, le soutien social et professionnel de la communauté (Cranston, 2011 ; Curchod-Ruedi et al., 2013) permet à l’enseignante de retrouver progressivement confiance en sa capacité de trouver des solutions et de réinvestir son métier.
Les extraits des bilans remplis par les participants lors de la dernière réunion montrent une adhésion au dispositif favorisée par la bienveillance, la confiance, la confidentialité et le partage de solutions. La capacité de prendre le risque d’essayer est souvent évoquée, liée au « dépassement de la peur », à la « possibilité de tester et d’améliorer différentes pratiques », de « s’exprimer face au regard des collègues » et de « travailler dans la transparence avec les élèves ». Cette dernière formulation est associée par l’enseignante participante à l’idée d’une confiance réciproque entre enseignants et élèves, permettant à l’enseignant de s’appuyer sur les retours des élèves pour juger de la pertinence de ses stratégies d’enseignement.
Cette analyse permet d’énoncer des hypothèses explicatives de l’effet du dispositif sur le développement professionnel inclusif. La Cap offre un espace pour engager le travail et resserrer les liens entre les participants, et un support pour provoquer et soutenir la transformation des gestes professionnels et des représentations. L’adossement à la démarche clinique, favorisant le questionnement des pratiques, permet d’éviter d’être dans la reproduction (pas de bonnes pratiques ou de mimétisme, un caractère singulier des situations) et outille les enseignants pour augmenter les bénéfices du travail en commun réalisé lors des réunions. Dans notre étude, il semblerait que le double adossement théorique soit propice à l’engagement d’un cercle vertueux : l’inscription dans le cadre de référence de la Cap permet l’émergence des valeurs inclusives en tant que but (les défis), ceci d’autant plus que le recours à des démarches inspirées de la clinique de l’activité favorise le questionnement autour de leur mobilisation en situation de travail.
En conclusion de cette partie, nous avançons que la Cap est un cadre de travail parlant du point de vue de l’objet du travail collectif tandis que celui de la clinique de l’activité est pertinent du point de vue de la forme du travail collectif et de la recherche. La combinaison des deux favoriserait la modification des conceptions et la construction de pratiques inclusives propices à une prise en compte effective de la diversité des besoins.
Les innovations concernent en premier lieu la conception du dispositif. L’appui sur l’analyse de l’activité inscrit la Cap dans une perspective ascendante et émancipatrice qui l’affranchit du prescrit. C’est une originalité par rapport aux Cap préconisées en France par le rapport Lessard (2021, p. 28). Ce rapport établit un lien explicite entre la genèse, l’animation et l’efficacité des Cap d’une part, et le leadership des directions d’établissement d’autre part. En cela, il rejoint l’ouvrage québécois à l’usage des directions d’établissements, qui souligne le rôle des directions et l’importance de leur formation pour la réussite du pilotage des Cap (Bouchamma et al., 2019, p. 16). Par ailleurs, les expérimentations de Cap dont nous nous sommes inspirés se sont déroulées en Ontario et dans l’enseignement primaire, tandis que celle qui est visée par cette étude se déroule en France dans l’enseignement secondaire et réunit des professionnels de plusieurs disciplines, des enseignantes spécialisées et des AESH.
L’analyse des données récoltées durant l’expérimentation permet d’identifier les innovations dans les conceptions inclusives des professionnels et dans la construction de nouveaux savoirs.
L’équipe évolue d’une notion individuelle de l’inclusion des élèves d’Ulis vers une notion collective de l’inclusion axée sur la réussite de tous.
La modification du projet inclusif de l’équipe se concrétise par l’extension des adaptations à l’ensemble du groupe, franchissant ainsi les frontières des troubles et du handicap et par une meilleure planification des séances, plus axée sur l’entrée dans la tâche et le maintien au travail des élèves. La diversité est prise en compte dès la préparation des séances.
La diversité des élèves devient un aspect du métier d’enseignant et non plus un obstacle à son accomplissement. L’attitude envers les élèves devient plus détendue. Les élèves peuvent prendre une place dans le processus de conception des séances. Ainsi, une enseignante informe et suscite un retour des élèves sur ses modalités pédagogiques.
L’équipe prend conscience du développement progressif de sa capacité réflexive et ressent un sentiment de compétence qui renforce l’envie de tester, d’essayer et d’analyser dans un cercle vertueux.
Les frontières disciplinaires qui faisaient obstacle au travail collectif s’estompent pour construire un espace de travail partagé et la construction de nouvelles pratiques. Au sein de la communauté professionnelle, les barrières disciplinaires s’estompent et la diversité devient une ressource. La conception inclusive de la différence se réalise ainsi au sein de l’équipe.
L’analyse des verbatims des réunions permet d’identifier une limite importante dans la modification des conceptions des professionnels. Le rôle de l’environnement dans le processus de production du handicap (Fougeyrollas et al., 1998) n’est pas identifié. Le handicap et la difficulté demeurent des caractéristiques des élèves, dans une conception ontologique. Sur ce point l’équipe ne conçoit pas « la réussite et les difficultés comme résultant de l’interaction entre les caractéristiques des élèves et le contexte dans lequel ces dernières se manifestent » (Bergeron et Prud’homme, 2018, p. 73), conception qui conditionne pourtant le changement vers l’inclusion.
D’autres limites sont exprimées par les professionnels dans les bilans.
Le temps dédié, résultant de l’organisation impulsée par la principale, et l’accompagnement extérieur par les chercheurs sont cités comme des conditions de la réussite du projet. Ces éléments facilitants devraient « être institutionnels et se prolonger », ce qui n’a pas été possible dans le cadre de ce projet.
Les réticences du début sont évoquées : le « démarrage un peu lent de la communauté », la « timidité et la peur d’être filmée », « du jugement », « de tenter des choses », le « temps pour débloquer la parole et pour comprendre ».
Le périmètre de la Cap est questionné. Dans la présente étude, l’activité étudiée a été celle des professionnels au contact des élèves en classe, soit l’activité d’enseigner pour les professeurs et celle d’accompagner pour les AESH. De ce fait, cela n’a pas permis l’engagement des professionnels de la vie scolaire dont l’activité participe également de l’effectivité d’une école inclusive.
Enfin, l’équipe regrette l’absence d’apports extérieurs, pour nourrir la construction de nouvelles pratiques. En effet, il n’a pas été sollicité de contribution de participants autres que les membres initiaux de la Cap. En revanche, nous pouvons tout de même identifier trois types d’apports au service de nouvelles pratiques professionnelles : les perspectives dessinées par l’analyse des situations de travail au cours des réunions collectives, les suggestions formulées par la chercheure spécialiste de l’inclusion, et les propositions de lectures complémentaires.
Plusieurs de ces limites suggèrent d’approfondir la réflexion sur la conception du dispositif.
L’introduction de savoirs extérieurs crée une tension au sein du dispositif et des cadres théoriques. Dans le modèle de Cap inclusive que nous avons adapté, « les enseignants sont amenés à s’approprier des connaissances théoriques et à les incorporer à un contexte pratique » pour répondre à « leurs préoccupations réelles face à la réussite des élèves » (Leclerc et Labelle, 2012 p. 5). Une telle évolution de notre dispositif, cohérente avec le modèle des Cap inclusives et les bilans de l’intervention, pourrait produire un développement professionnel inclusif accru. Pour rappel, sur l’année de fonctionnement de la Cap, les nouvelles pratiques conçues à partir de l’analyse de l’activité existante des professionnels ont essentiellement visé l’engagement des élèves. Des modalités inclusives reconnues comme l’enseignement explicite, l’approche universelle et les pratiques d’entraide n’ont pas été introduites dans les gestes professionnels.
A contrario, lors de l’analyse des données, l’analyse par les professionnels des ressources de leur propre activité a été évaluée comme un moteur d’adhésion et d’émancipation. L’introduction de nouveaux savoirs ne risquerait-elle pas dans ce cas de nuire à cette adhésion et à la prise de conscience par l’équipe de son pouvoir d’agir ? Cette tension des cadres théoriques de la Cap et de la clinique de l’activité pourrait ainsi engendrer un risque de reproduction, soit par une limitation du changement vers l’inclusion, soit par un moindre engagement des participants.
Les choix opérationnels de mise en œuvre du dispositif de Cap pourraient permettre de dépasser cette tension en s’inscrivant dans une progression, l’introduction de savoirs extérieurs pouvant être amenée lorsque la Cap aurait atteint une certaine maturité. Cette hypothèse demanderait à être vérifiée en étudiant des Cap évoluant sur une durée plus longue.
Le pilotage de la Cap a fait l’objet de nombreux échanges de régulation entre les chercheurs pour favoriser l’autodétermination et le sentiment de compétence de l’équipe. Les principaux axes de positionnement retenus ont été d’éviter le surplomb et de proposer un cadre de travail favorisant la construction des réponses par et avec le collectif. Les bilans montrent néanmoins qu’après un an de fonctionnement, la communauté manifeste une certaine dépendance à l’accompagnement extérieur des chercheurs.
Dans leurs travaux, Huffmann et Hipp (2003) et Leclerc (2012) identifient trois phases dans le fonctionnement des Cap :
une phase d’initiation, relevant de la prise de décision de travailler en Cap et de ses modalités organisationnelles ;
une phase d’implantation correspondant à l’appropriation par la communauté d’une modalité de travail en équipe apprenante ;
une phase d’intégration au cours de laquelle la communauté s’engage dans la recherche et le partage continuel d’apprentissage.
Considérant les résultats obtenus en termes de développement professionnel inclusif de l’équipe, il semble que la Cap support à notre étude ait bien suivi les phases d’initiation et d’implantation tout en posant les bases d’une autonomisation ultérieure. En d’autres termes, nous avons observé un processus que nous pourrions qualifier de partiellement abouti. Ceci est certainement inhérent au fait que notre intervention se soit limitée à une seule année scolaire. La poursuite de la Cap devrait viser la réalisation de cette autonomisation pour permettre à l’équipe de devenir efficace par elle-même en se dégageant de l’accompagnement des chercheurs. Néanmoins, cette perspective, loin de constituer un allant de soi, invite les scientifiques à s’interroger sur les circonstances propices à une telle autonomisation à l’instar des travaux sur les établissements apprenants menés par Jacq et Ria (2018). Ces derniers ont mis en exergue d’une part la complexité de ce processus et d’autre part son étalement sur un empan temporel long, nécessitant l’entretien d’une dynamique favorable qu’il n’est pas toujours aisé d’alimenter de l’intérieur. Aussi la question de l’accompagnement par la recherche se pose avec d’autant plus d’acuité. Nos analyses montrent donc que la communauté manifeste une certaine dépendance à l’accompagnement extérieur des chercheurs, considéré comme « indispensable » au « fonctionnement réel d’une telle communauté ». Le besoin exprimé d’avoir « encore plus de pistes pratiques » semble indiquer que la communauté ne se sent pas encore capable d’effectuer des recherches par elle-même. Ces éléments nous amènent à conclure que la Cap n’a pas atteint la phase finale d’intégration.
Le dispositif de communauté d’apprentissage professionnelle inclusive appuyé sur l’analyse de l’activité a montré son intérêt pour le développement professionnel des équipes et l’accompagnement du changement vers l’inclusion (Burgel, 2021) par la construction d’un espace capacitaire (Ria, 2022) et d’émancipation individuelle et collective de ses membres.
L’équipe montre ici une augmentation de sa réflexivité, de son sentiment de compétence et de ses dispositions à agir (Ria, 2014) en faveur de la réussite de tous les élèves.
L’analyse de ce dispositif innovant de formation permet de saisir l’articulation théorique et pratique des cadres respectifs des Cap et de l’activité, articulation qui détermine l’opérationnalité de sa mise en œuvre. L’étude des tensions entre innovation et reproduction amène à une projection du dispositif sur une durée plus longue, cette poursuite permettant l’introduction de savoirs extérieurs et la recherche d’une autonomisation de l’équipe à l’égard de l’accompagnement des chercheurs. Ces nouvelles perspectives pourront être mises en œuvre et évaluées lors d’un déploiement ultérieur du dispositif.
Résumé : L’étude vise à décrire et caractériser un dispositif de formation innovant aux pratiques inclusives. Son originalité tient à trois caractéristiques : a) le renforcement du dispositif de communauté d’apprentissage professionnelle (Cap) par son adossement à l’analyse de l’activité ; b) sa conception et sa mise en œuvre en réponse à la demande d’une équipe de professionnels exerçant dans un établissement scolaire du second degré et soucieux d’améliorer leurs pratiques inclusives ; c) l’accompagnement des professionnels par la recherche visant à faire de ces derniers des analystes de leur propre activité. Nous montrons comment le dispositif permet aux membres de la Cap de gagner en autonomie et de s’approprier progressivement de nouvelles manières de penser et d’agir l’inclusion, faisant de ce dispositif un véritable tiers-lieu de formation. L’étude ouvre des perspectives de déploiement de tels dispositifs pour soutenir le changement vers l’inclusion.
Abstract: The aim of this study is to describe and characterise an innovative training system for inclusive practices. Its originality stems from three features: a) the reinforcement of the professional learning community (Cap) system by its link to activity analysis; b) its design and implementation in response to a request from a team of professionals working in a secondary school and keen to improve their inclusive practices; c) the support given to professionals by research aimed at making them analysts of their own activity. We show how the system enables Cap members to gain autonomy and gradually adopt new ways of thinking and acting about inclusion, making the system a genuine third-party training centre. The study opens up prospects for the deployment of such schemes to support change towards inclusion.