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Couverture de Éducation et formation aux pratiques inclusives (2024) Show/hide cover

Faire formation par l’analyse collective des praxéologies et des problèmes professionnels rencontrés par les accompagnants des élèves en situation de handicap référents

Introduction

En France, ce sont plus de 400 000 élèves avec une reconnaissance de handicap qui sont scolarisés, dont 83 % en milieu ordinaire1. Dans le cadre de la Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une École de la Confiance, il a été institué un service public de l’École inclusive avec des services départementaux « École inclusive » et l’organisation de Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) pour les accompagner dans leur scolarité. La mise en place des PIAL est présentée dans ces textes comme répondant à trois grands objectifs : un accompagnement humain défini au plus près des besoins de chaque élève en situation de handicap, afin de développer son autonomie et pour lui permettre d’acquérir les connaissances et les compétences du socle commun ; une plus grande flexibilité dans l’organisation de l’accompagnement humain pour les établissements scolaires et les écoles ; et enfin, une professionnalisation des accompagnants et une amélioration de leurs conditions de travail. L’adoption de cette politique éducative s’est ainsi traduite par l’introduction d’une nouvelle catégorie de personnes ressources, celle des Accompagnants des Élèves en situation de handicap-Référents (AESH-Réf.), prévue par l’arrêté du 29 juillet 20202.

Selon cet arrêté, les AESH-Réf. disposent d’une lettre de mission, qui précise leur temps de travail dévolu à l’exercice de la fonction et rappelle que leur mission est

  1. d’apporter un appui méthodologique, à leur demande ou à la demande du pilote du PIAL ou de l’IEN ASH3, aux accompagnants d’élèves en situation de handicap ;

  2. d’apporter un soutien spécifique aux accompagnants d’élèves en situation de handicap nouvellement recrutés, en vue de faciliter leur prise de fonction et leur appartenance à la communauté éducative ;

  3. de contribuer aux travaux conduits à l’échelon départemental, académique ou national, en vue de mutualiser les bonnes pratiques et outils en matière d’accompagnement d’élèves en situation de handicap ; et

  4. de participer aux actions de formation suivies par les accompagnants d’élèves en situation de handicap4.

Pour se voir confier cette fonction de référent5, l’AESH doit justifier d’une expérience professionnelle d’au moins trois années, auprès d’un public d’élèves en situation de handicap diversifié et avoir suivi des actions de formation dans le champ de l’éducation inclusive. Il s’agit donc d’AESH6 repérés pour leur expertise d’accompagnement et leurs connaissances des troubles en lien avec la reconnaissance de handicap des élèves ; la question de leur inscription dans la communauté éducative, tout comme de leurs pratiques collaboratives, n’apparait nullement comme une condition de recrutement. Cette recherche propose donc de s’intéresser à cette nouvelle fonction, dans le premier et second degré, car elle car elle suscite de nombreuses interrogations, aussi bien pour l’ensemble des acteurs de la communauté éducative que pour les AESH-Réf. nouvellement recrutés7. Comment l’AESH-Réf. peut-il apporter un appui au pilote des PIAL, comment peut-il apporter un soutien spécifique aux accompagnants d’élèves en situation de handicap en vue de faciliter leur prise de fonctions au sein de la communauté, alors que la plupart des travaux académiques (Toullec-Thery et Nédélec-Trohel, 2010 ; Belmont et al, 2011, Nédelec-Trohel et al, 2012 ; Toullec-Théry, 2013 ; Maraquin, 2017) montrent préalablement la difficile intégration des AESH dans la communauté éducative ? Autant de questions qui interrogent quant aux défis auxquels doivent faire face les AESH-Réf., en tant que nouvelle fonction ressource.

Une recherche collective, associant des AESH-Réf.8, le service Éducation inclusive de la direction des services départementaux de l’Éducation nationale de Meurthe-et-Moselle, en charge de la responsabilité de ces nouveaux personnels, et les étudiants du Master MEEF 2, mention « Pratiques et ingénierie de la formation PIF », parcours « Éducation et Pratiques inclusives » de l’INSPE de Lorraine9, a donné lieu au projet « Construction de la Professionnalité des AESH Référents dans une école inclusive (2019-2022) », tant la fonction et le système de tâches paraissent peu définis. L’objectif de ce projet est double : il s’agit d’identifier les problèmes professionnels émergents et de repérer les praxéologies professionnelles de ces nouveaux acteurs, ce qui devrait faciliter une reconnaissance de cette nouvelle fonction ressource au sein de la communauté éducative, mais aussi participer d’une accessibilisation des environnements (Ebersold, 2021).

Ainsi, dans ce chapitre d’ouvrage, afin de mettre au travail les questions que pose l’éducation inclusive à la formation, nous proposons de questionner une ingénierie de formation et de recherche par les institutions et d’analyser un des effets liés au changement de fonction d’AESH vers celle d’AESH-Réf.

Un cadrage théorique et méthodologique pour caractériser un dispositif de recherche en formation

Un dispositif de recherche avec un pluri-positionnement comme condition d’un développement praxéologique

Un premier élément, qu’il nous faut préalablement aborder, est celui de la difficulté pour le chercheur et les participants au projet, du repérage des problèmes professionnels et des praxéologies des AESH-Réf. En effet, cette fonction d’AESH-Réf. se met en œuvre, et c’est là toute la difficulté, puisqu’il s’agit d’abord pour l’AESH-Réf., et pour le chercheur de poser une observation, une analyse sur un geste qui est en cours de construction, sur ce que Jorro peut appeler des identités en transition, des intentions encore peu explicites et qui introduisent ainsi « la nécessité de lire les processus intermédiaires, les embryons d’action, les esquisses de savoirs professionnels. » (2011, p. 11). Ainsi, le défi pour le chercheur est la construction d’un dispositif de recherche qui s’intègre dans une formation pour une fonction ressource qui peut être dite émergente (Jorro, 2011 ; Jorro et De Ketele, 2011).

Nous nous inscrivons dans la continuité du dispositif de recherche phénoméno-praxéologique10 que nous avons mis en place pour interroger le travail conjoint chercheur/enseignant et ses effets sur les pratiques dans leur dimension inclusive (Suau, 2016 ; Suau et Assude, 2016 ; Perez et al., 2017) et qui ouvrent des espaces d’intéressement réciproques entre chercheurs et praticiens. Ce premier dispositif est très intéressant en ce sens qu’il a été conçu comme un croisement d’institutions où les sujets occupent des topos différents et qui a permis un développement professionnel des enseignants (Suau, 2016 ; Assude et al., 2018), mais aussi des chercheurs (Perez, 2018). La notion d’institution convoquée s’entend comme un dispositif social total (Chevallard, 1999) qui associe un certain nombre de moyens à des buts, même si ces buts ne sont pas forcément explicités a priori. Nos précédents travaux montrent que le rapport personnel d’un sujet à un objet émerge d’une pluralité de rapports institutionnels ; et que d’autre part, les influences exercées par les divers rapports institutionnels auxquels la personne a été assujettie sont susceptibles de générer une capacité à élaborer de nouveaux rapports personnels.

La notion de développementpraxéologique (Suau, 2016, 2019) s’appuie sur le concept de praxéologies (Chevallard, 1999) où toute activité humaine consiste à accomplir une tâche t d’un certain type T, au moyen d’une technique τ, justifiée par une technologie θ qui permet en même temps de la penser, de la produire, et qui est justifiable par une théorie Θ11. [T /τ] étant la pratique — ou encore le savoir-faire ; [θ/Θ] le logos — et qui permet ainsi au chercheur de repérer « la manière dont une personne s’y prend dans le travail qu’elle réalise » et de « réfléchir sur l’état et le fonctionnement de (son) équipement praxéologique… » (Ladage, 2013, p. 7). Il y a ainsi développement praxéologique, dès qu’il y a « évolution d’un rapport personnel d’un sujet x à un objet O » (Suau, 2016, 2019, 2020).

Mais dans cette configuration, il s’agit ici de prendre en charge le développement des AESH-R, non pas à partir d’une institution d’action en situation (en référence à notre premier dispositif), mais bien à partir d’une institution de formation, à l’INSPÉ.

La question qui se pose est alors de définir la notion de formation. Nous nous appuyons sur les travaux de Chevallard (2006)12 et de Chevallard et Cirade (2006, 2009), et nous reprenons la notion de « problème de la profession » comme centrale dans notre dispositif ; toute difficulté en exercice peut apparaitre comme une difficulté personnelle, qui appelle une réponse propre, personnelle, or pour les auteurs, il n’en est rien ; cela traduisant plutôt « un déni d’existence d’une profession » et nécessite dès lors d’identifier les différents problèmes pour y apporter des solutions (en formation). Dans ces conditions, le travail de la formation, à partir des questions professionnelles suppose :

  1. d’observer les réponses existantes dans la culture ou les pratiques professionnelles ;

  2. d’analyser ces réponses ;

  3. d’évaluer ces mêmes réponses et de développer une réponse propre et enfin

  4. de diffuser et de défendre la réponse ainsi produite.

Ainsi, nous proposons dans la première phase de notre dispositif, dans l’institution de formation (I1) un pluri-positionnement des AESH-Réf. dans quatre Micro-Institutions (MI)13 : une MI d’observation (MI1) des questions existantes dans la culture des AESH-Réf. et des réponses associées ; une MI d’analyse (MI2) des réponses préalablement énoncées entre groupes de pairs AESH-Réf.; une MI d’évaluation et de développement d’une réponse propre (MI3) d’une communauté AESH-Réf. et enfin, une MI de diffusion (MI4) et de défense des réponses produites par la communauté AESH-Réf., aux problèmes professionnels préalablement repérés.

Les différentes étapes du dispositif de recherche en formation14 :

Tableau 1. Première phase du dispositif de recherche dans l’Institution de formation (I1).

Nature des micro-institutionsMI d’observation (MI1) des questions, des problèmes existants dans la culture des AESH-R et des réponses associéesMI d’analyse (MI2) par les AESH-R des réponses préalablement donnéesMI d’évaluation et de développement d’une réponse propre (MI3) par le groupe complet des AESH-R des propositions faitesMI de diffusion (MI4) et de défense de la réponse produite par rapport aux problèmes de la fonction
Topos/ Position des sujetsAESH-R/Formé Producteur de questions et observateur des réponses Étudiant EPI/Enquêteur Chercheur/ObservateurAESH-R/Formé Analyseur Étudiant EPI/Régulateur Chercheur/ObservateurAESH-R/Formé Producteur Étudiant EPI/Observateur Chercheur/observateurAESH-R/Formé Diffuseur Étudiant EPI/Diffuseur Chercheur/observateur

Des techniques d’observation et d’accompagnement

Afin de répondre à nos objectifs de recherche et d’accompagnement de cette nouvelle fonction, une première technique a consisté à réaliser des entretiens individuels semi-dirigés le 15 janvier 2020 (MI1), juste après le début de la prise de fonction des AESH-Réf. à la rentrée scolaire de septembre 2019. L’objectif pour le chercheur était non seulement de cerner comment ces nouveaux acteurs de la communauté éducative caractérisaient leurs problèmes professionnels et pouvaient y apporter des réponses premières, mais aussi de proposer un premier travail sur les valeurs, celles de l’accompagné15. Les entretiens ont été administrés par dix étudiants qui ont fait l’objet d’une formation spécifique. Ils ont ensuite été transcrits intégralement, et une première analyse a permis la mise au jour de trois grands pôles praxéologiques : un pôle 1 lié à la contribution des AESH-Réf. en tant que membres de la communauté éducative à un service public ; un pôle 2 lié à l’exercice de la fonction d’AESH en tant que praticien expert de l’accompagnement des élèves en situation de handicap ; et un pôle 3 lié à l’accompagnement des AESH.

Afin de favoriser l’implication et la participation des AESH-Réf., une seconde technique a ensuite consisté à proposer l’élaboration d’un référentiel de compétences, dont la visée était formative (Coulet et Gosselin, 2002 ; Coulet, 2011), à partir des groupes de discussion (Touré 2010)16, afin de faciliter un partage de réponses collectives en termes de savoir et de savoir-faire nécessaires à la fonction d’AESH-Réf. La nature du groupe de discussion tient en effet, pour le chercheur d’« une sécurité nécessaire pour l’apprentissage et le développement professionnel » (Gremion et al. 2020, p. 16) en proposant des espaces de discussion, dans lesquels « un processus éducatif [peut avoir] (a) lieu du moment que les participants non seulement verbalisent leurs propres actions ou expériences (Barbier, 1996 ; Lewin, 1951) qui se reconfigurent au travers du processus dialogique, mais encore se les réapproprient » (Ibid., p.17). Il s’agit ainsi pour les AESH-Réf. d’avoir des échanges entre pairs, pour, à la fois, se refigurer et refigurer aux autres leurs pratiques et leurs jugements. Chaque groupe est constitué de quatre ou cinq AESH-Réf. et de deux étudiants17. Trois séances ont eu lieu dans l’année 2020-2021 en MI2 : le 20 janvier 2020, le 17 février 2020 et le 31 mars 2020.

Dans la séance en MI3, le 12 mai 2020, l’ensemble des AESH-Réf. ont été réunis, afin non seulement qu’ils évaluent les différentes propositions faites dans chaque groupe de discussion, mais aussi qu’ils les articulent en un référentiel pour proposer une réponse à leur questionglobale, à savoir quels sont les différents types de tâches inhérentes à la nouvelle fonction de l’AESH-Réf.

Enfin, la dernière technique dans cette phase du dispositif (I1), a consisté pour les AESH-Réf. à diffuser les différents types de tâches ayant fait l’objet d’un consensus en MI4 le 19 mai 2021, et à défendre les réponses ainsi produites auprès d’une dizaine d’acteurs des PIAL du département18 (séance MI4, le 26 mai 2021).

Compte tenu de notre problématique relativement au changement de fonction d’AESH vers celui d’AESH-Réf., nous analysons dans MI1 et plus spécifiquement dans le collectif de MI2, un des effets du dispositif présenté.

Construction d’une nouvelle fonction en formation, faiblement délimitée

Observation d’une reformulation collective de deux types de tâches

Nous commençons par nous attarder sur les réponses construites par rapport au premier pôle praxéologique, soit sur « la contribution des AESH-Réf. en tant que membres de la communauté éducative ». Les types de tâches, énoncés dans MI1 du dispositif, sont présentés en groupes de discussion (MI2) :

  • t1/Avoir le sens du service public : devoir de loyauté, impartialité et laïcité ;

  • t2/Faire preuve de discrétion ;

  • t3/Contribuer à l’acceptation de tous, l’égalité et la lutte contre les discriminations ;

  • t4/Identifier les capacités des élèves ;

  • t5/Adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun ;

  • t6/Repérer les situations difficiles et alerter ;

  • t7/Mettre en œuvre les règles d’hygiène et de sécurité ;

  • t8/Prise de fonction AESH référent ;

  • t9/S’informer et mobiliser les connaissances.

L’échange s’engage sur les trois premiers types de tâche (t1, t2, et t3) qui ne semblent pas poser de problèmes, tout comme sur le cinquième (t5) qui ne soulève aucune question pour les AESH-Réf. du groupe. Mais quand le groupe de discussion aborde le type de tâche 4 « Identifier les capacités des élèves », l’échange dans le groupe s’engage pour savoir si ce type de tâche relève du rôle de l’AESH ou de l’AESH-Réf. Une des AESH-Réf. (E2.1) précise au groupe qu’elle se demande pour chaque compétence si cela relève bien de leur nouvelle fonction :

E2.1 : Alors, justement j’étais en train de me demander, parce qu’en fait on est en train de faire une proposition de référentiel sur la profession d’AESH référent et à chaque compétence, je suis obligée de me redemander si c’est plus la compétence d’un AESH ou la spécificité de l’AESH référent. Des fois c’est un peu flou pour moi (…) identifier la capacité des élèves, là euh, en tant qu’AESH référent ce serait à travers l’AESH ?

Cette remarque, la première dans le groupe, amène une autre AESH-Réf. (E5.1) à pondérer les propos de sa collègue en affirmant que cela peut relever des 2 fonctions : « je pense que, de mon point de vue ça devrait concerner les AESH et les AESH référents dans tous les cas parce qu’on est en poste aussi ». Mais très vite, elle change d’avis en affirmant que finalement « oui, ça pose question effectivement ».

Ce qui permet à l’AESH-Réf. E2.1 d’exprimer le fait qu’elles sont bien concernées, mais que pour elle, cela ne doit pas se retrouver dans le référentiel, car il ne s’agit pas de leur nouvelle fonction. Elle va même jusqu’à reformuler le type de tâche par rapport à un accompagnement avec l’AESH :

E2.1 : Mais pas qu’on ne soit pas concernées, j’ai pas dit ça, mais ici on parle exclusivement de l’AESH référent, identifier les capacités des élèves ce serait peut-être plus le comment, comment aider les collègues AESH, à identifier les capacités (je ne sais pas, mais ça me questionne).

Une autre collègue (E3.1) intervient pour énoncer que, pour elle, ce type de tâche relève plus de l’AESH (E3.1), mais l’échange en reste là et passe sur le type de tâche suivant « Adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun », qui semble faire consensus. Sauf que E5.1 ne semble pas convaincue par le type de tâche 4, et traduit au groupe sa difficulté à l’accepter, d’autant plus qu’elle se demande si cela ne relève pas du rôle des enseignants :

E5.1 : Par rapport aux identifications des capacités des élèves, moi ça me pose une énorme question dans le sens où même si, en tant qu’AESH nous pouvons voir les difficultés des élèves que l’on accompagne, est-ce que c’est vraiment à nous de les identifier ces capacités là ? C’est la grande question que je me pose.

Ce qui amène l’AESH-Réf. E2.1, à repréciser que pour elle, c’est du rôle des AESH « pareil là on reste dans le rôle des AESH et pas des AESH référents ». Ce qui fait dire à l’ensemble des pairs que « oui. C’est ça » (E1.1, E5.1, E4.1, E3.1). La discussion semble close, sauf que pour E5.1, c’est même bien plus, puisque c’est à l’enseignant d’identifier les capacités des élèves et non pas à l’AESH.

Ce qui génère dans le groupe un léger recul, avec différentes interventions qui amènent à préciser que s’il y a une « bonne communication avec l’AESH », l’AESH peut participer de cette identification (E2.1), d’autant plus qu’elle passe sa journée avec les élèves et « donc qu’elle les connait super bien » (E3.1). Il est rappelé par deux d’entre elles, que leur priorité « est bien d’observer leur mode de fonctionnement, pour pouvoir s’adapter à eux », « chacun apportant sa contribution en équipe de suivi de scolarisation ». (E3.1). Ces énonciations font consensus, ce qui permet à l’AESH-Réf. E3.1 de relancer ses pairs en leur demandant si finalement, ce type de tâche « rentre ou ne rentre pas dans le référentiel ».

Pour l’AESH-Réf. E5.1, la réponse est catégorique « Pour l’AESH-Réf., c’est non ». Et chacun des membres du groupe vient conforter cette position, d’abord parce que « l’AESH-Réf. ne connait pas les élèves des AESH » (E1.1 et E4.1), ensuite parce que « c’est une autre fonction, une fonction ressource » et « que quand l’on va voir d’autres AESH, avec leurs propres difficultés, on ne peut pas être nous-même en tant qu’AESH » (E3.1). La question est donc posée par une collègue, qui est peu intervenue jusque-là dans le débat (A1.1), qui demande au groupe : « donc vous dites que cette compétence-là, n’a rien à faire là, ou qu’il faut la reformuler ? ». Un dialogue s’ensuit :

E3.1 : Parce ce que quand on va voir des AESH en classe, on est dans l’observation de ce que fait l’AESH par rapport à son élève. Donc on observe, on est en observation, mais après si on parle vraiment d’élèves, c’est un rôle d’AESH, et pas de référent forcément.

E5.1 : je suis d’accord avec toi aussi !

E4.1 : Oui, moi aussi.

E1.1 : Oui moi aussi

L’AESH-Réf. E4.1 propose alors de reformuler le type de tâche en « ça serait du coup peut-être aider à l’identifier », immédiatement repris par l’AESH-Réf. E5.1 qui propose « aider à identifier les difficultés et les besoins de chaque élève. Vous en pensez quoi ? ». L’ensemble du groupe approuve en hochant la tête, et supprime le type de tâche « identifier les capacités des élèves » positionné dans le premier pôle praxéologique (contribution en tant que membre de la communauté éducative à un service public) et le modifie par la proposition « Aider l’AESH à identifier les difficultés et les besoins de l’élève » en le positionnant dans le troisième pôle praxéologique lié à l’accompagnement des AESH.

Ce premier long échange dans le groupe de discussion permet alors à l’AESH-Réf. E2.1 de revenir aussi sur le type de tâche 5 validé préalablement en groupe. L’AESH-Réf. le remet en question et dit« adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun, c’est pareil, on parle là des élèves et non de l’aide que l’on apporte aux AESH, donc c’est pareil, je serai tentée de modifier cette phrase ». L’AESH-Réf. E3.1 reprend aussitôt l’idée en déclarant qu’elles « sont bien là dans de l’observation (…) et que dans les écoles, les premiers temps, je suis juste en observation, je reste en retrait, je m’imprègne de ce qui se passe pour savoir ce qu’on peut adapter et après je reviens vers l’AESH et là on travaille ensemble ». L’AESH-R E4.1 propose alors de reprendre le type de tâche avec les notions d’observation et d’adaptation, mais l’AESH-R E5.1 considère que cela relève plus du rôle de l’AESH « Mais du coup c’est plutôt l’AESH aussi, ce n’est pas le rôle de l’AESH référent ! ». Le groupe en convient et rajoute « le but, c’est bien de l’accompagner » (E3.1 ; E2.1) et choisit de modifier le type de tâche 5 — adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun en proposant « Observer l’AESH pour l’accompagner et l’aider à adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun ».

Nécessaire tension dans la transition AESH/AESH-R

Dans le champ de l’éducation inclusive, nous assistons, comme énoncé préalablement, à un développement des fonctions, notamment des fonctions ressources, comme celles des AESH-Réf. Cette mutation, cette mobilité institutionnelle19 (Fortun-Carillat et Montandon, 2022) oblige les acteurs à s’adapter à ces nouvelles transitions (Perez-Roux, 2014 ; Perez-Roux et Balleux, 2014). C’est justement un enjeu majeur, une source de tension pour les AESH-Réf., qui avaient préalablement une fonction d’AESH. Dans la section précédente, l’analyse de leurs discours de pratiques permet dans un premier temps de saisir une évolution des praxéologies des AESH-Réf. en énonçant des types de tâche inédits : « Aider l’AESH à identifier les difficultés et les besoins de l’élève » « Observer l’AESH pour l’accompagner à adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun ». Ces types de tâche sont une production relevant de ce que Chevallard (2006) identifie non seulement comme « une analyse des réponses produites », mais aussi qui permet par « rebond », le développement d’une réponse propre. Les discours que nous pouvons qualifier d’engagés20 viennent en effet progressivement transformer leurs conceptions des types de tâche présentés, traduisant ainsi une fonction dont les contours se précisent, avec un ensemble d’éléments contextualisés, où les situations présentées à la première personne (utilisation du « je »), servent non seulement à montrer une activité, mais constituent aussi un support à la co-analyse dans le groupe de discussion.

Néanmoins, ces échanges mettent également en exergue une tension, celle de pouvoir se positionner par rapport à leur ancienne fonction d’AESH. Lors des premiers entretiens dans MI1, nous avions déjà pu constater que les AESH-Réf. parlaient plutôt de leur fonction d’AESH, alors même que la question posée était : « Vous êtes AESH référent, que pouvez-vous me dire de votre fonction ? ». Les réponses de l’ensemble des AESH-Réf. alors recueillies traduisaient une déstabilisation avec, par exemple, l’AESH-Réf. E1.4 qui répondait « Je travaille en collège […] principalement. Avec trois enfants… euh… de cinquième », tout comme l’AESH-Réf. E0.1, pour qui cette fonction n’était pas définissable. La co-analyse des neuf types de tâche du premier pôle par les AESH-Réf. montre les difficiles aller-retour sur leurs identités en transition, sur la nature des rôles à jouer, qui relève tantôt de la sphère de l’AESH, tantôt de celle de l’AESH-Réf. Ceux-ci ne font pas en effet immédiatement consensus dans le groupe de discussion, mais finissent par une appropriation collective et individuelle. Une ingénierie de formation par les institutions nous semble ainsi pouvoir participer d’une aide à la transition pour cette nouvelle fonction ressource.

Discussion — conclusion

Les questions que pose l’éducation inclusive à la formation sont complexes tant elles impliquent la transformation des représentations et des institutions dans lesquelles elles se jouent. Une ingénierie de formation et de recherche par les institutions nous a paru être une approche intéressante pour produire à la fois un changement dans les usages, mais aussi apporter des connaissances relativement à la problématique de transition professionnelle d’AESH vers celle d’AESH-Réf.

Ainsi, la discussion nous invite à revenir sur la conception de la formation par les institutions, qui nous apparait très différente d’une ingénierie traditionnelle. D’abord par le pluri-positionnement des acteurs dans le dispositif, et plus spécifiquement dans l’institution de formation, comme un préalable à tout développement praxéologique. Pour rappel, cet accompagnement s’est réalisé à partir de quatre micro-institutions, une MI d’observation des questions existantes dans la culture des AESH-Réf. et des réponses associées ; une MI d’analyse des réponses préalablement énoncées entre groupes de pairs AESH-Réf. ; une MI d’évaluation et de développement d’une réponse propre d’une communauté AESH-Réf. et enfin, une MI de diffusion et de défense des réponses produites par la communauté aux problèmes professionnels préalablement repérés. Ensuite,toute la difficulté, dans cette approche a consisté àrechercher « avec » les AESH-Réf., des réponses à « des questions » au centre de leur fonction, alors même que ces acteurs ne les connaissaient pas vraiment. Ce qui nous a ainsi obligé, en tant que chercheur, à considérer, non seulement que nous n’avions aucune réponse à transmettre, mais également qu’« une formation professionnelle universitaire » se doit d’assumer un postulat d’ignorance ou de quasi-ignorance grâce auquel il devient possible d’identifier peu à peu les principaux problèmes de la profession, sur lesquels butent non seulement les professionnels en formation, mais aussi, presque toujours, la profession elle-même (Chevallard et Cirade, 2009). Dès lors, toute la difficulté a consisté à rechercher « avec », mais sans jamais ne se substituer ni aux déclarations des AESH-Réf. ni aux questions au cœur de leur fonction. Or cette « quasi-ignorance » est tout autant intenable pour un responsable de formation et de surcroit universitaire. La construction des micro-institutions dans lesquelles les acteurs occupent des places différentes est ainsi à comprendre comme la production d’un milieu, qui, par ses rétroactions, permet de faire dire à leurs acteurs qu’ils ont appris des savoirs nouveaux, et pour le chercheur et formateur, de favoriser sa position de « chercheur-apprenant » (Perez, 2018).

Ce sont aussi les différentes techniques utilisées qui ont favorisé des interrogations chez les AESH-Réf. dont la fonction est faiblement délimitée, et qui débouchent sur d’autres possibles, comme la formulation collective de deux types de tâches inédites. Les types de tâche 4 « Identifier les capacités des élèves », et 5 « Adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun », ont ainsi migré en une formulation incarnant davantage la transition identitaire de l’AESH en AESH-Réf., « Aider l’AESH à identifier les difficultés et les besoins de l’élève » ou encore « Observer l’AESH pour l’accompagner et l’aider à adapter son action à la diversité des élèves dans la bienveillance et le respect de chacun ». Ces types de tâche non seulement sont ainsi une production relevant d’une analyse des réponses produites, mais traduisent aussi par « rebond » le développement d’une réponse propre. Le travail de(s) l’accompagné(s) est engagé et « enclenche un travail d’élucidation de la question » (Vial, 2007, p. 11) qui lui permet de « faire des avancées, pour faire son chemin dans la question. » (ibid.) Et c’est bien là aussi toute l’importance de la position du « chercheur apprenant » qui est accompagnateur et qui participe « d’un déplacement à un changement pour aller vers un ralliement »21 ; il accompagne ainsi un passage, une transition vers une culture inclusive. Cette recherche nous semble ainsi ouvrir des perspectives intéressantes dans l’accompagnement des transitions professionnelles et participe d’une nécessaire « ré-interrogation des formats de recherche pour les acteurs concernés par l’éducation inclusive » (Pelletier, 2022, p. 75).

Enfin, nous souhaiterions, pour terminer, interroger les rapports liés aux places instituées. L’analyse réalisée à partir de la défense des réponses produites dans le cadre de la micro-institution de diffusion a pu montrer que certains acteurs s’opposent à ce travail d’élucidation explicitement, lorsque, par exemple, lors d’une journée d’étude, un conseiller pédagogique refuse une si grande variété de types de tâche pour les AESH-Réf., ou encore un enseignant spécialisé se montre surpris par la notion même de personne ressource. Nous pouvons en effet comprendre que certains ne trouvent pas intéressant de voir se déployer cette fonction, qui amène dans le système scolaire français de nouvelles pratiques à mettre en œuvre à tous les niveaux, aussi bien au sein des PIAL qu’à l’interne mêmes des classes, et qui rend visible, par là même, un public peu visible jusqu’alors, ou nécessairement exclu à l’interne même de l’école et de la classe. Inversement, bien sûr, le projet de travailler à qualifier la fonction et à faire formation n’en est pas moins légitime, même nécessaire, pour une cité qui se veut inclusive. Mais les rapports d’autorité sont autant de rapports de pouvoir, qui renvoient aussi à des luttes de territoire (Suau, 2022). Ainsi, si œuvrer pour une formation par les institutions nous semble aller dans le bon sens pour faire culture commune et participer de la construction de la fonction d’AESH-Réf., le chemin parcouru ouvre à de nouveaux chantiers nécessaires afin de ne pas générer trop de réticences de la communauté éducative dominante.

  • 1 DEPP, 2019, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche et l’insertion.
  • 2 Arrêté du 29 juillet 2020 relatif aux missions et aux conditions de désignation des accompagnants des élèves en situation de handicap référents prévus à l’article L. 917-1 du code de l’éducation
  • 3 Inspecteurs de l’Éducation nationale chargés de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés
  • 4Ibid., Article 1.
  • 5Ibid., Article 3 « Les accompagnants d’élèves en situation de handicap qui ont candidaté sont ensuite sélectionnés à l’issue d’une procédure organisée, sous l’autorité du directeur académique des services de l’éducation nationale, par l’IEN ASH ».
  • 6 Dans son alinéa 9, l’article L917-1 du Code de l’éducation dispose que : « Dans chaque département, le directeur académique des services de l’éducation nationale désigne, parmi les accompagnants des élèves en situation de handicap répondant à des critères d’expérience fixés par arrêté, un ou plusieurs référents chargés defournir à d’autres accompagnants des élèves en situation de handicap un appui dans leurs missions auprès des élèves en situation de handicap. ».
  • 7 Les AESH-Réf. assument leur fonction depuis septembre 2019.
  • 8 Les participants à la recherche sont 19 AESH-Réf. sur 23 AESH-Réf., dans le département, au 18 mars 2020. Il y a 2 hommes et 17 femmes sur 19 profils et la moyenne d’âge est de 43,5 ans. Concernant leur parcours scolaire, 2 ont un BEP et 4 ont un baccalauréat (dont 3 sont aussi titulaires d’un CAP petite enfance), 9 ont un niveau BAC + 2 (BTS, Deug), et 4 ont un niveau BAC+3.
  • 9 Ce sont 18 étudiants, qui ont reçu une formation de 12 heures sur les entretiens non directifs et 2 chercheurs, qui sont en responsabilité du parcours « Éducation et pratiques inclusives ».
  • 10 « Il s’agit d’un dispositif. Cette expression est construite à partir du terme “phénoméno-technique”, utilisé par Bachelard (1934) pour désigner des techniques qui permettent de produire ou d’identifier des phénomènes. De même, un dispositif phénoméno-praxéologique veut dire que le dispositif a été pensé pour produire des praxéologies professionnelles permettant d’identifier des phénomènes » (Assude et al., 2018 ; Perez, 2018 ; Suau, 2016).
  • 11 Ainsi, toute activité humaine met en œuvre un quadruplet que Chevallard note [T/τ/θ/Θ].
  • 12 « Former des professeurs, construire la profession de professeur » (Chevallard, 2006), dans le cadre des Journées scientifiques sur la formation des enseignants du secondaire de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (section des sciences de l’éducation) de l’Université de Genève.
  • 13 Il s’agit bien évidemment de techniques du chercheur, même si nous ne le spécifions pas comme dans la section suivante. Nous faisons ce choix pour simplifier la présentation des différents éléments du dispositif de recherche.
  • 14 Il n’y a pas nécessité compte tenu de l’objet analysé de présenter la phase 2 (in situ — en contexte PIAL) du dispositif de recherche avec l’institution d’action (I2), l’institution d’analyse et de production des praxéologies (I3) en groupe de recherche et l’institution de transposition en formation (I4).
  • 15 « C’est pourquoi, pour nous, l’accompagnement fait partie intégrante des pratiques évaluatives, en ce sens qu’il ne peut pas y avoir d’accompagnement sans un travail sur les valeurs… et les valeurs dont on parle ce sont celles de l’accompagné » Michel Vial, 2007, L’accompagnement professionnel, une pratique spécifique |en ligne], conférence à Ariane Sud entreprendre, p. 3. Disponible à l’adresse suivante : http://www.michelvial.com/boite_06_10/2007-L_accompagnement_professionnel_une_pratique_specifique.pdf.
  • 16 « D’autres appellations sont repérables dans la littérature, notamment francophone, pour désigner un focus group : entretien de groupe (Boutin, 2007 ; Giami, 1985), entretien collectif (Duchesne et Haegel, 2005). Ces traductions françaises de l’expression anglaise mettent l’accent sur le fait que les focus groups constituent des entretiens au même titre que les entrevues individuelles de type classique » (Touré, 2010, p.7).
  • 17 Étudiants EPI (Parcours éducation et pratiques inclusives) dont un professionnel de l’éducation nationale et l’autre non.
  • 18 Essentiellement des enseignants référents, coordonnateurs de PIAL et conseillers pédagogiques AESH, aujourd’hui EI (Éducation inclusive).
  • 19 La mobilité institutionnelle est à entendre comme toutes actions menées par les acteurs au sein d’un établissement ou une organisation (scolaire ou non) pouvant engendrer des effets transformateurs sur le fonctionnement structurel de celui-ci, compte tenu des principes inclusifs. Loin d’être une notion courante, le concept de mobilité institutionnelle apparaît comme un véritable oxymore, car il relie deux entités contradictoires : la stabilité de ce qui est institué (les normes, les règles, les prescriptions) et la mouvance inhérente au changement comme principe dynamique de renouvellement des normes de fonctionnement et d’organisation d’une institution.
  • 20 À entendre comme des discours participatifs et en réflexion sur leur praxis.
  • 21 Définition selon Vial (2007) de l’accompagnement « Accompagner, c’est toujours trois choses : participer à un déplacement (un déliement), à un changement et à un ralliement. Ce sont les trois moments essentiels de tout parcours initiatique. » (p. 10).