Le développement des pratiques inclusives dans le second degré en France repose en grande partie sur l’offre de formation continue. Pour des enseignants s’inscrivant pour six à douze heures de formation, elle est essentiellement centrée sur les valeurs et principes de l’inclusion et la caractérisation des troubles induisant des besoins éducatifs particuliers. Aujourd’hui, la mise en œuvre de l’École inclusive suppose également de réfléchir en termes d’accessibilité des savoirs des différentes disciplines. La littérature scientifique sur la formation des enseignants, les pratiques enseignantes et l’accessibilité des savoirs disciplinaires dans l’école inclusive porte essentiellement sur les mathématiques et l’Éducation physique et sportive (EPS).
Dans la même perspective, nous avons conçu un dispositif de formation visant des pratiques disciplinaires inclusives à partir d’une articulation recherche-ingénierie-formation.
Dans ce chapitre, nous présentons et analysons cette ingénierie de formation continue s’adressant à des enseignants du second degré en EPS, arts plastiques, sciences et histoire-géographie-Éducation morale et civique (EMC).
Les enjeux de transformation des pratiques enseignantes impliquent d’interroger les situations d’enseignement pour saisir les obstacles qu’elles peuvent présenter dans l’accès aux apprentissages et aux savoirs pour les élèves. Alors qu’avec la notion d’éducabilité, il s’agit de penser la personne comme susceptible d’éducation, l’accessibilité concerne le responsable éducatif qui doit mettre en place les modalités permettant le développement des potentialités de la personne (Plaisance, 2013) plutôt qu’une lecture en déficit des caractéristiques des élèves. Pour Benoit et Sagot (2008, p. 21),
l’accessibilité pédagogique correspond aux pratiques et aux savoir-faire professionnels que développent les enseignants, avec le support d’aides techniques spécifiques ou généralistes, pour promouvoir des réponses pédagogiques adaptatives, susceptibles de réduire la situation de handicap au sein même de la classe.
Pour Gombert etal. (2017), les pratiques d’adaptation sont alors identifiées comme un moyen visant à ajuster l’enseignement aux besoins particuliers de l’élève. Ces adaptations peuvent être générales (de l’ordre de la différenciation pédagogique, c’est-à-dire des routines destinées plus largement au groupe classe) ou spécifiques (se situant sur un continuum entre compensation et accessibilité, elles visent plus ou moins l’ensemble du groupe classe). Une analyse en termes de savoirs et savoir-faire est à opérer avant et après l’adaptation de la situation d’enseignement. La complexité de ce travail réflexif, à conduire en amont et en continu, se porte à la fois sur les dimensions didactiques et pédagogiques.
L’accessibilité des savoirs en mathématiques est abordée dans plusieurs recherches didactiques. Suau et Assude (2016) mènent l’analyse d’une séance de mathématiques pour identifier les obstacles à l’accessibilité didactique et les régulations inter et intra topogénétiques nécessaires qui y sont associées. Bien qu’ayant pu identifier ce qui pourrait faire obstacle au savoir visé (dénombrement…) pour un élève en situation de handicap, et ayant pensé un support facilitant l’accès aux enjeux didactiques de la séance, elles repèrent que l’enseignante ne permet pas à cet élève d’y parvenir. Celui-ci reste spectateur du travail de son groupe par manque d’une régulation que l’enseignante aurait pu garantir. Les auteurs montrent que ces régulations, mises en œuvre par l’enseignant, relèvent des conditions d’accessibilité didactique susceptibles d’être généralisées au-delà du cas étudié. Butlen (2013) identifie la nécessité d’une analyse fine de la situation d’apprentissage, en amont et en aval de la séance, pour parvenir à saisir les procédures et les connaissances mobilisées par les élèves en situation de handicap au regard de celles pensées comme étant nécessaires par l’enseignant. Il prend l’exemple d’une situation de numération qui vise à travailler la décomposition du nombre. L’enseignante propose un support permettant aux élèves de réaliser la tâche demandée de différentes façons, et ce, pour réduire différents obstacles qu’ils peuvent rencontrer. Ces obstacles ont été identifiés avant la séance via une évaluation diagnostique (connaissance de la comptine numérique, du système de numération orale…) et ont servi d’appui pour identifier un support permettant de travailler les numérations orale et écrite à la fois, permettant à chacun d’atteindre les objectifs visés. Pour Dupré (2019), les élèves bénéficiant d’un dispositif Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) se trouvent au cœur de deux systèmes didactiques au sein de leur classe de référence et dans le regroupement spécialisé. Le chercheur étudie les pratiques d’un binôme composé d’une enseignante coordonnatrice d’un dispositif Ulis et d’un enseignant de mathématiques. Son étude porte sur l’écriture fractionnaire au collège. Comprendre ce qu’est une fraction et savoir lire les fractions est un objet de savoir partagé dans les deux systèmes didactiques. L’article analyse les articulations entre les différents systèmes didactiques en jeu dans le cadre des dispositifs Ulis au collège, en prenant appui sur le dispositif méthodologique Pratiques inclusives en Mathématiques dans le second degré (PIMS), initié dans de précédentes recherches en didactique des mathématiques (Suau et al. 2017).
D’autres recherches abordent l’accessibilité des savoirs disciplinaires en histoire ou en Éducation physique et sportive (EPS). Toullec-Théry et Pineau (2015) proposent une analyse d’une séance d’histoire sur « les débuts de l’Islam » en classe decinquième à laquelle participent deux élèves en situation de handicap bénéficiant du dispositif Ulis de l’établissement. Les auteurs s’interrogent sur la manière dont l’enseignante construit sa séance afin que ces deux élèves construisent de nouveaux savoirs en histoire. Dans la situation d’apprentissage, les élèves doivent répondre à des questions (ex. qu’est-ce que le monothéisme ? Une sourate ?) en prenant appui sur une variété de documents. L’analyse de la séance montre comment la situation didactique construite par l’enseignante produit des effets de leurre qui ne permettent finalement pas la construction de savoir en histoire. En EPS, Garel et Duquesne-Belfais (2011) prennent l’exemple du saut en longueur pratiqué par un élève déficient visuel. Pour savoir repérer l’environnement à partir de ressources perceptives essentiellement visuelles, l’enseignant d’EPS aménage l’environnement en jouant sur des effets de couleur, de contraste, de surface ou de volume, ou des informations auditives selon les capacités visuelles de l’élève. Tant, Watelain et André (2018) montrent que les particularités de l’EPS permettent aux enseignants de mettre en œuvre une « pleine inclusion », c’est‑à-dire l’enseignement des apprentissages moteurs et sociaux propres à la discipline dans une pratique mixte en classe ordinaire, orientée vers des attentes élevées, avec des élèves avec et sans handicap.
La formation des enseignants inclusifs dans une perspective comparatiste internationale a fait l’objet de deux numéros de la revue Spirale — Revue de recherches en éducation, coordonnés par Malet et Bian en 2020. Brun et al. (2020) distinguent dans leur recherche deux types de formation continue, les unes dites volontaires (à l’initiative des enseignants), choisies au sein du Plan académique de formation (PAF), et les autres programmées par l’institution. Les demandes de formation à l’initiative des enseignants pourraient venir répondre à des difficultés rencontrées dans leur pratique. Les résultats de leur recherche montrent que lorsque les enseignants sont volontaires, ils mettent en œuvre des gestes professionnels qui relèvent d’aménagements visant l’accessibilité pédagogique d’élèves présentant des troubles spécifiques du langage et des apprentissages. La durée de la formation est pointée comme une caractéristique importante de l’appropriation et du réinvestissement des savoirs issus de la formation dans la pratique des enseignants au quotidien.
Kohout-Diaz et al. (2020) soulignent que la recherche sur la formation initiale à l’inclusion ne s’est pas penchée sur les liens entre formation et pratiques soutenant l’inclusion. Ils insistent sur la nécessité d’une analyse de pratique tout au long de la carrière des enseignants qui leur permette de décrire et d’analyser de manière détaillée les pratiques inclusives. La formation initiale et continue des enseignants est un levier essentiel pour la mise en œuvre d’une École réellement inclusive. Or, à la différence de celle des enseignants spécialisés, la formation des enseignants généralistes est restée à la fois limitée et parcellaire, jusqu’à la prescription récente d’un module obligatoire de 25 heures dans la formation initiale de tous les enseignants en Institut national supérieur de professorat et d’éducation (INSPÉ). L’offre de formation continue sur les thématiques de l’École inclusive demeure assez réduite pour les enseignants ordinaires et prend le plus souvent la forme de conférences isolées ou de stages de courte durée (3 h). L’appui sur des dispositifs de recherche apparaît alors comme un levier pertinent pour favoriser l’appropriation, par les enseignants, des enjeux de l’École inclusive (Savournin et al., 2020). Ainsi, la mise en place de focus group au sein d’un collège amène les professionnels à se saisir de ces temps de travail en commun pour donner du sens à leur expérience professionnelle, exprimer des tensions suscitées par leur rencontre avec les situations de handicap et avec l’altérité, faire part de leur positionnement subjectif et de leurs inventions. Faire valoir ces découvertes constitue un enjeu de formation, à l’instar de ce que pointe Kheroufi‑Andriot (2020). Pour celui-ci, il est important de s’appuyer sur les dimensions cachées du métier que révèlent les enseignants expérimentés pour alimenter la formation initiale et continue. Ces révélations, de l’ordre de « bricolages héroïques » selon l’expression proposée par Ebersold et al. (2016), sont rendues possibles lorsque sont mis en œuvre des dispositifs d’échanges de pratique en établissements. Les Communautés d’apprentissage professionnel (CAP) apparaissent pertinentes pour le développement professionnel des enseignants (Labelle et al., 2020). À partir d’échanges d’expériences tissant des savoirs professionnels et des pratiques de réflexivité, les enseignants peuvent « trouver les solutions les mieux adaptées aux besoins diversifiés des élèves » (p. 161). Leur étude les amène à considérer le rôle des CAP dans la formation continue des enseignants en lien avec l’inclusion scolaire et la différenciation pédagogique. Khasanzyanova et Niclot (2020) font également valoir les pratiques collaboratives entre acteurs de l’école, non seulement enseignants, mais aussi parents d’élèves, pour lutter contre les difficultés scolaires des élèves et « mieux les inclure dans l’école ». À partir de trois recherches‑actions ayant en commun l’objectif de sensibiliser les enseignants aux différences et de s’adapter aux besoins des élèves (situation de désintérêt ou d’échec scolaire), les auteurs proposent des orientations pour la formation initiale et continue en s’appuyant sur les besoins de formation exprimés par les enseignants stagiaires du premier degré.
Reconnaissant la place trop importante faite aux savoirs théoriques, scientifiques et techniques notamment en mathématiques et en EPS, Garel et Duquesne-Belfais (2011) promeuvent une formation basée sur l’analyse de l’activité des élèves confrontés à des tâches scolaires. Ils mettent en avant trois aspects pour qu’une formation soit professionnalisante : une centration sur l’analyse des situations professionnelles, le dépassement de l’opposition entre théorie et pratique et le choix de dispositifs de formation appropriés à l’analyse des situations professionnelles. Les auteurs se réfèrent à Clot pour qui l’expérience professionnelle des enseignants est « la façon originale de changer leurs façons de faire face au réel » (Clot, 2007, p. 88). Se situant dans le champ de la didactique professionnelle, Garel et Duquesne-Belfais proposent que l’enseignant en formation soit confronté à une situation-problème, choisie par le formateur, pour le contraindre à mobiliser des ressources pour la résoudre « non pas en appliquant des connaissances préalables à une situation pratique, mais en transformant certaines connaissances en organisateurs de l’activité » (p. 30). La formation vise la modélisation des situations professionnelles à partir de l’analyse rétrospective de l’activité médiée par le formateur en position de tiers. Les auteurs invitent à penser la diversité et la différence entre élèves en ne se centrant pas sur les manques des élèves et relèvent que le sens qu’un élève en situation de handicap donne à son activité ou son engagement dans la tâche peuvent susciter l’étonnement des enseignants, voire les dérouter.
Ces analyses de formation et de pratiques d’enseignement témoignent d’un nouage nécessaire entre recherche et formation pour concevoir des ingénieries dans le champ de la formation des enseignants.
Dans le rapport dialectique entre recherche et formation (Brossais et al, 2020), l’ingénierie de formation que nous avons conçue est élaborée en s’appuyant sur les apports de la recherche relative aux pratiques enseignantes dans l’école inclusive.
Les recherches portant sur l’accessibilité des savoirs disciplinaires s’inscrivent le plus souvent dans le champ des didactiques. L’analyse de l’activité des élèves et la transformation du milieu didactique par l’enseignant sont associées pour penser les conditions d’accessibilité didactique. Les études mettent l’accent sur les obstacles d’apprentissage relatifs à la nature des savoirs en jeu dans la discipline (Butlen, 2013 ; Suau et Assude, 2016). Les analyses se focalisent sur les actions du professeur qui analyse les obstacles pour permettre aux élèves de les franchir et de construire les savoirs en jeu (Butlen, 2013 ; Dupré, 2019 ; Garel et Duquesne-Belfais, 2018 ; Suau et Assude, 2016 ; Toullec-Théry et Pineau, 2015). Pour les élèves qui alternent entre différents espaces d’apprentissage comme un dispositif Ulis et une classe de référence, il est essentiel de penser les différents systèmes didactiques pour les coordonner (Dupré, 2019).
Les travaux articulant étude des pratiques inclusives et formation des enseignants font ressortir l’importance d’un travail coopératif entre enseignants pour la mise en œuvre de l’école inclusive (Khasanzyanova et Niclot, 2020 ; Labelle et al. 2020 ; Savournin et al., 2020). Plusieurs auteurs s’accordent sur l’importance de prendre en considération les besoins de formation des enseignants et de concevoir des espaces de formation qui permettent leur expression (Garel et Duquesne-Belfais, 2011 ; Khasanzyanova et Niclot, 2020). Les espaces de formation continue permettent l’analyse des pratiques et/ou du sens de l’expérience professionnelle (Garel et Duquesne-Belfais, 2011 ; Kohout-Diaz et al., 2020 ; Savournin et al. 2020). À ces occasions, peuvent se révéler des pratiques qualifiées d’inventions (Savournin et al., 2020) ou de dimensions cachées du métier comme le dit Kheroufi-Andriot (2020). L’accent est mis sur la temporalité des formations qui doivent permettre que les analyses de pratique s’inscrivent tout au long de la vie professionnelle, ce que ne favorisent pas les formations de courte durée, fragmentées dans le temps (Brun et al., 2020 ; Kohout-Diaz et al., 2020 ; Savournin et al., 2020).
L’ingénierie de formation nourrit à son tour le processus de recherche au cours de son déroulement. Une des co-auteures, enseignante-chercheuse, a observé plusieurs réunions consacrées à la conception de l’ingénierie et les temps de la formation. Elle a recueilli différents matériaux de recherche : documents partagés entre les stagiaires, fiches produites au cours de la formation… Un entretien collectif a été mené avec les deux enseignantes-chercheuses conceptrices. Plusieurs stagiaires volontaires ont participé à un focus group où elles ont été invitées à s’exprimer sur leurs pratiques quotidiennes d’enseignement avec les élèves en situation de handicap et leurs nouvelles pratiques inclusives rendues possibles dans le cadre collaboratif de l’ingénierie de formation.
Notre métier d’enseignante-chercheuse nous amène à penser les liens entre recherche et formation dans l’élaboration de dispositifs de formation aux pratiques inclusives des enseignants. Nos études portent sur les modalités d’appropriation subjective des prescriptions relatives à l’école inclusive par des professionnels de l’Éducation nationale (Brossais et al., 2022 ; Savournin et al., 2019). Nous avons montré que les conditions d’appropriation des politiques éducatives liées à la mise en œuvre de l’école inclusive ne peuvent se réduire à l’énoncé de bonnes pratiques.
Ces travaux s’inscrivent dans ceux développés dans notre laboratoire de recherche portant sur la transformation des acteurs mettant en œuvre les politiques éducatives et de formation au sein de différents dispositifs.
Pour nous, les processus et modalités d’appropriation de prescriptions engagent des positionnements et repositionnements subjectifs de la part des professionnels au regard du paradigme inclusif à l’École. En effet, ces processus de subjectivation rendent compte de l’articulation entre sujet et lien social (Sauret, 2009). Si l’on considère les enjeux de l’école inclusive et la singularité des modalités d’appropriation subjective, il est impératif d’ouvrir des espaces de formation permettant d’analyser et d’accompagner la transformation des pratiques inclusives enseignantes.
Des chercheurs qui étudient les recherches collaboratives (Desgagné, 1997 ; Morissette et al., 2017) ont souligné l’intérêt des co-élaborations entre professionnels, la richesse de la confrontation de savoirs de l’expérience et de savoirs scientifiques. Au travers de nos recherches, il est apparu que le cadre collectif se prêtait à l’énoncé de dilemmes, de tensions, de controverses au sujet de la scolarisation d’élèves en situation de handicap, dans le contexte de l’ouverture d’un dispositif Ulis (Savournin et al., 2019). La situation groupale rend possible l’expression d’une conflictualité intrapsychique et intersubjective. L’expression de ces conflits (Allenbach et al., 2016) est la trace des processus d’appropriation des politiques inclusives par les professionnels. À l’heure où domine dans l’offre de formation continue une part croissante d’auto-formation asynchrone sur supports médiatisés (PAF de l’Académie de Toulouse, 2021-2022), la dimension collaborative entre enseignants, et entre enseignants et chercheurs, constitue pour nous un enjeu de la formation à l’école inclusive. Aussi nous sommes-nous demandé : en quoi un dispositif de collaboration entre chercheurs et enseignants de collège engage-t-il les participants à une appropriation subjective des politiques éducatives sur l’accessibilité des savoirs disciplinaires ?
Dans ce chapitre, nous décrivons et analysons l’ingénierie de formation, depuis sa conception jusqu’à sa mise en œuvre. Dans une prochaine publication, l’analyse des focus groups nous permettra de mettre l’accent sur la dimension subjective de l’appropriation.
Cette ingénierie de formation s’inscrit dans le cadre du cycle académique « école inclusive » proposé dans le PAF de l’académie de Toulouse.
L’objectif de la Délégation académique à la formation continue des personnels de l’Éducation nationale (DAFPEN) était d’articuler cette formation à destination d’enseignants avec des apports récents de la recherche. Notre apport en tant que chercheuses a été d’orienter les contenus de cette formation sur les enjeux d’accessibilité des savoirs disciplinaires.
Les formations centrées sur les disciplines scolaires au service de l’école inclusive étaient jusqu’alors assurées par des enseignants spécialisés, titulaires du Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive et formation professionnelle spécialisée (Cappei), et identifiés comme personnes ressources par les corps d’inspection au sein de chaque équipe pédagogique disciplinaire. Le caractère inédit de la collaboration tient aux modalités de présence des deux enseignantes-chercheuses, de l’inspecteur conseiller technique école inclusive du rectorat et d’une conseillère pédagogique auprès du conseiller technique, à la fois dans la conception et dans la participation à la formation. En revanche, l’organisation du PAF ne permet pas d’associer les enseignants à la conception de l’ingénierie de formation.
Lors d’un entretien réalisé avant le début de la formation, les conceptrices précisent leur intention
de proposer un espace propice à la réflexion pour favoriser la construction de compétences professionnelles sur des enjeux disciplinaires (…), rendre accessibles les savoirs au sein même des disciplines, on a beaucoup de connaissances en termes de pédagogie d’un point de vue général, mais peu sur des enjeux disciplinaires et ce qu’on sait c’est qu’il y a beaucoup d’espaces qui sont manquants notamment pour penser ces choses-là .
Le choix d’une temporalité longue (dix-huit heures sur une durée de six mois) a permis d’envisager une alternance : elle est conçue d’une part entre des temps en présentiel et des temps en classe virtuelle ; d’autre part, entre les temps de formation et les temps d’activités professionnelles en établissement. Précisément, la formation s’est découpée en quatre temps comme précisé dans le tableau ci-dessous :
Conception collaborative de la formation | Mise en œuvre collaborative de l’ingénierie de formation (18 h) |
Juin 2021 | |
Décembre 2022 | |
Mars 2022 | T1 Mars 2022 : journée en présentiel – 6 h |
T2 Mars 2022 : Classe virtuelle 1 – 3 h | |
T3 Mai 2022 : Classe virtuelle 2 – 3 h | |
Juin 2022 | T4 Juin 2022 : journée en présentiel – 6 h |
L’alternance entre les temps de formation et les temps en établissements visait à expérimenter des pratiques professionnelles et à les analyser avec ses pairs.
Le caractère hybride de la formation, issu d’une contrainte institutionnelle pour une formule « moins onéreuse », a permis en outre de faciliter la participation à la formation d’enseignants travaillant dans une académie géographiquement étendue et de solliciter d’autres intervenants, notamment une chercheuse en sciences de l’éducation et de la formation d’une autre région.
Les objectifs de la formation ciblent la connaissance des résultats de recherches récents pour soutenir la mise en œuvre de l’école inclusive ; la mise en accessibilité des savoirs disciplinaires pour les élèves en situation de handicap ; l’expérimentation et le partage avec les pairs.
Initialement envisagée pour des enseignants sensibilisés aux enjeux de l’École inclusive dans trois domaines disciplinaires (EPS, histoire-géographie, sciences), la formation a finalement été ouverte à quinze participantes : trois professeures des écoles en Ulis collège, une professeure de lettres-histoire en lycée professionnel, trois professeures d’histoire‑géographie, quatre professeures d’EPS, deux professeures de physique-chimie, une professeure de sciences de la vie et de la terre et une enseignante d’arts plastiques en lycée et collège.
Les valeurs et principes de l’École inclusive ont été présentés sous forme de diaporamas lors de la première journée. Ces deux interventions ont permis d’articuler les apports institutionnels de la part du conseiller technique du rectorat, et théoriques de la part de l’enseignante-chercheuse. Elles visaient également l’identification des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’École inclusive à partir d’apports de résultats de recherche nationaux et internationaux et de l’expérience des stagiaires. Le travail s’est poursuivi avec des groupes dans trois domaines disciplinaires, animés par la conseillère pédagogique et les deux enseignantes-chercheuses. Ce travail en groupes disciplinaires proposait d’identifier et de répertorier, d’une part les difficultés auxquelles les enseignantes font face lorsqu’elles enseignent à des élèves en situation de handicap, et d’autre part les obstacles que les élèves rencontrent en situation d’apprentissage dans chaque discipline. Il s’agissait également de formuler des propositions de franchissement des obstacles et de les mettre à l’épreuve dans leur classe dans l’intervalle entre les deux temps de formation.
Des documents partagés, ressources théoriques et traces de l’activité des stagiaires, ont été mis à disposition des participants à la formation. Les espaces et documents collaboratifs rassemblent les diaporamas présentés par les intervenants tout au long de la formation et des articles mis à disposition pour approfondir la réflexion commune sont accessibles sur Tribu1, service des espaces collaboratifs de l’Éducation nationale. De plus, les enseignantes partagent sur des plateformes numériques les réalisations qu’elles produisent, telles que la recension d’obstacles rencontrés par les élèves en situation de handicap dans l’accès aux savoirs de leur discipline, et l’identification de pratiques enseignantes pour faciliter l’accès aux savoirs et savoir-faire spécifiques aux disciplines représentées.
Le deuxième temps de formation avait pour objectif de rendre compte d’articles de chercheurs présentant différentes modalités d’adaptations, allant d’un continuum entre compensation et accessibilité (Gombert et al., 2017) et d’accessibilité des savoirs dans une discipline précise (Toullec-Théry et Pineau, 2015). Une reprise du travail des groupes disciplinaires a permis d’échanger sur les pistes précédemment identifiées relatives aux obstacles et à leur dépassement. C’est un temps propice aux échanges, à l’analyse réflexive de pratiques et à l’identification d’aspects spécifiques aux savoirs disciplinaires. Les enseignantes de géographie identifient ainsi des obstacles qu’elles considèrent comme spécifiques à leur discipline et qui engagent des processus de conceptualisation : passer d’une forme à une autre (textes à schémas, traduire une information dans un croquis, etc.). Elles proposent de décliner les sous compétences nécessaires à la lecture d’une carte, par exemple identifier le thème (titre) et la légende (pour comprendre les symboles présents sur la carte). Elles envisagent également des pistes pour permettre à des élèves en situation de handicap de les acquérir : ritualiser la démarche de lecture de carte dès le début de l’année, mobiliser une formalisation par écrit sur une fiche méthode, par exemple.
L’objectif de la séance suivante était de faire le point sur l’investissement de ces pistes dans leur classe respective.
Le troisième temps de la formation avait été initialement prévu pour aborder l’évaluation des élèves en situation de handicap. Une réflexion sur l’accessibilité des savoirs a également engagé des questionnements sur les enjeux de l’évaluation et de son adaptation. Les concepteurs ont alors sollicité une enseignante-chercheuse, spécialiste de l’analyse des pratiques professorales dans une double dimension didactique et comparatiste, qui a été présidente de la conférence de consensus sur la différenciation pédagogique de 2017. Son intervention a permis de distinguer la différenciation pédagogique de l’individualisation, souvent assimilées l’une à l’autre par les enseignants. L’intérêt était de donner à voir aux enseignants des dispositifs d’évaluation différenciée.
Il est important, selon nous, de tenir compte des besoins des stagiaires non seulement au début, mais aussi au cours de la formation. Ainsi, durant la première journée, des demandes ont été formulées par les stagiaires démunies face aux particularités des élèves allophones et des enjeux de scolarisation des enfants migrants. Les concepteurs ont alors modifié le programme de formation et sollicité une formatrice du second degré travaillant au Centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (CASNAV) pour connaître les ressources et leurs modalités de prise en charge.
La dernière journée a été consacrée à l’analyse, au sein de chaque groupe disciplinaire, de la mise en œuvre des pratiques prévues par chaque enseignant dans sa classe ou dispositif pour franchir les obstacles d’apprentissage d’élèves en situation de handicap. L’objectif a été de produire une fiche par groupe disciplinaire en vue de la diffuser au niveau académique. Cette fiche reprend les obstacles inhérents à la discipline pour les élèves en situation de handicap, les aménagements disciplinaires proposés pour la mise en accessibilité et leur évaluation. Elle permet de dégager des spécificités disciplinaires, mais aussi des invariants entre les domaines disciplinaires représentés.
Se repérer dans l’espace et dans le temps confronte les élèves à des difficultés dans les apprentissages qui ont été évoquées dans les trois groupes disciplinaires.
Nous présentons la production du groupe des professeurs d’histoire et géographie et d’une enseignante coordonnatrice d’un dispositif Ulis. Les disciplines histoire, géographie, EMC sont en effet souvent proposées aux élèves bénéficiant des dispositifs Ulis, UPE2A2 et UEE3. Les enseignantes de géographie ont choisi de se centrer sur la lecture de carte qui est présente tout au long de la scolarité des élèves et qu’elles considèrent comme un objet transversal des disciplines histoire et géographie. Leur démarche permet une articulation entre les compétences visées pour les élèves, les obstacles à l’apprentissage qu’elles identifient et les aménagements didactiques possibles pour les surmonter pour cet objet d’enseignement précis (cf. document 14).
Pour aborder cet objet d’enseignement, elles identifient quatre compétences : se repérer dans l’espace, lire une carte, mémoriser des connaissances à partir d’une carte afin de la reproduire, réaliser une carte. Elles ont ensuite listé les obstacles pour chacune des compétences mobilisées, et ont cherché et trouvé des points d’appui et des aménagements. Précisément, pour lire une carte, cinq obstacles sont listés, par exemple identifier les figurés et leurs significations pour la carte étudiée (cf. document 1). Cette explicitation rigoureuse des obstacles liés à une compétence a produit un effet de surprise chez les enseignants des autres disciplines et des chercheurs présents : le contenu d’enseignement « Lire une carte » est apparu d’une grande complexité.
Au cours de la dernière journée de formation, elles ont pris l’initiative de concevoir une ressource didactique sur une plateforme interactive en ligne5 à destination des enseignants de géographie dans laquelle elles proposent une « méthode solide pour lire et comprendre, utiliser et créer ses propres cartes ». La conception de cet outil témoigne de la créativité à l’œuvre des enseignants qui trouve à s’exprimer notamment lorsque des espaces de formation promouvant le dialogue et les pratiques collaboratives sont ouverts.
La scolarisation des élèves en situation de handicap confronte les enseignants à une mise en cause de leurs pratiques professionnelles. Exercer quotidiennement son métier d’enseignant tout en modifiant ses pratiques pour les ajuster au paradigme inclusif engage des tensions entre reproduction et innovation. Penser la formation continue des enseignants du second degré invite à répondre à la question : à quelles conditions les enseignants acceptent-ils de transformer leurs pratiques professionnelles ?
Les enseignants du second degré non formés à l’École inclusive sont souvent convaincus que leur propre action avec des élèves à besoins éducatifs particuliers est limitée, voire illégitime, notamment par rapport aux enseignants spécialisés. Cette situation se double d’une tendance à identifier les élèves aux troubles diagnostiqués et à considérer, de ce fait, que leur prise en charge relève d’autres professionnels (coordonnateur d’Ulis ou personnel du secteur médico-social). Les enseignants, débutants ou expérimentés, expriment fréquemment leur sentiment de disqualification dans leur propre champ professionnel (Savournin, 2016). Valoriser leurs connaissances et savoir-faire est pour nous un enjeu majeur de la formation continue.
Dans l’ingénierie de formation mise en œuvre, les enseignants ont accepté la mise en déséquilibre, le tâtonnement, l’expérimentation de nouvelles pratiques dans le cadre contenant qui leur a été proposé. Les conditions proposées dans cette formation ont permis que « se joue la capacité collective des acteurs scolaires à produire des réponses complexes à la hauteur des enjeux inclusifs » (Allenbach et al., 2021, p. 100), par exemple le groupe des enseignants de géographie a identifié différentes modalités didactiques pour rendre accessible la compétence « se repérer dans l’espace ».
Cette formation leur a permis de reconnaître et de faire reconnaître leur propre compétence à enseigner à des élèves en situation de handicap en valorisant leur expertise disciplinaire. À l’instar du groupe des professeurs de géographie, les groupes des professeurs de sciences et des professeurs d’EPS ont formalisé une fiche formulant des aménagements didactiques au regard des obstacles d’apprentissages qu’ils avaient précédemment identifiés dans leur discipline. Les enseignants ont fait valoir la pertinence de ces aménagements, non seulement pour les élèves en situation de handicap, mais aussi pour l’ensemble des élèves de leurs classes et ce, dans une logique d’accessibilité universelle. Ils ont fait l’expérience de leur propre expertise pour penser l’accès des savoirs dans l’École inclusive.
Penser les conditions de l’accessibilité des savoirs disciplinaires s’inscrit ici dans le triptyque recherche-ingénierie-formation (Brossais et al., 2020). La recherche alimente l’ingénierie de formation qui alimente elle-même un dispositif de recherche. Dans cette logique, circulent et s’articulent les apports de la recherche sur les pratiques enseignantes dans l’école inclusive et les savoirs construits dans et par l’expérience professionnelle des enseignants du second degré, experts de leur discipline.
Résumé : Former des enseignants inclusifs (Malet et Bian, 2020) est un enjeu majeur de la formation initiale, continue et continuée dans les INSPÉ. Ce chapitre présente et analyse une ingénierie de formation répondant aux enjeux actuels de l’Éducation inclusive en milieu scolaire. Ce dispositif de formation inédit est mis en place en 2022 dans l’académie de Toulouse en articulant la recherche et la formation. Il a été conçu par deux des auteures en collaboration avec le conseiller technique « école inclusive » du rectorat. Des résultats de recherche antérieurs (Brossais et al. 2022 ; Gombert et al. 2017 ; Suau et al. 2017 ; Toullec-Théry et Pineau, 2015) ont montré la nécessité de tenir compte des spécificités disciplinaires dans la mise en œuvre de l’accessibilité des savoirs au sein de l’École inclusive. Nos résultats portent sur la description et l’analyse d’une ingénierie collaborative de formation centrée sur l’accessibilité des savoirs disciplinaires.
Abstract: Training inclusive teachers (Malet and Bian, 2020) is a major challenge for initial, in-service and continuing training in INSPÉs. This chapter presents and analyses a training programme designed to meet the current challenges of inclusive education in schools. This innovative training scheme is being set up in 2022 in the Toulouse education authority, combining research and training. It was designed by two of the authors in collaboration with the rectorat's 'inclusive school' technical advisor. Previous research results (Brossais et al. 2022; Gombert et al. 2017; Suau et al. 2017; Toullec-Théry and Pineau, 2015) have shown the need to take disciplinary specificities into account when implementing the accessibility of knowledge within inclusive schools. Our results concern the description and analysis of collaborative training engineering centred on the accessibility of disciplinary knowledge.