Le diagnostic a permis d’appréhender les dynamiques du territoire à l’échelle de la frontière au regard d’indicateurs variés.
À partir de cette analyse approfondie, une nouvelle stratégie d’intégration territoriale est scénarisée pour tendre notamment à réduire drastiquement le bilan carbone de la région et rompre le développement fragmentaire qui perdure aujourd’hui.
La spatialisation de ces intentions sur le territoire franco-luxembourgeois est envisagée au moyen de différents leviers de transformation. Ces derniers s’appuient, sur les principales thématiques soulevées lors du croisement entre l’analyse orientée et la stratégie de projet : « Biodiversité et paysages », « Trame agricole » et « Mobilité et logistiques soutenables ». Ils seront précisés dans les chapitres suivants à travers un ensemble d’exemples démonstrateurs.
La région transfrontalière est caractérisée, aujourd’hui, par des dynamiques conditionnées par les grands pôles attractifs à l’instar de Luxembourg-Ville, d’Esch-sur-Alzette ou de Thionville (figure 30). Réunissant une part importante des équipements et emplois du territoire, ces communes influencent nettement les modes de vie des habitants des villages qui les entourent.
Dans l’espace, l’influence des noyaux attractifs se matérialise à travers des logiques en couronnes où les niveaux de dépendance varient l’intensité et la diversité de l’offre. De cette manière, la première aire regroupant des communes telles que Longwy, Villerupt, Rodange, Differdange ou Dudelange, est sous influence métropolitaine directe, sans pour autant remettre en cause son autonomie. En effet, elle se développe grâce aux pôles métropolitains attractifs du Luxembourg tout en assurant un bassin de vie de proximité du fait de son économie, ses commerces et ses équipements. La seconde couronne, quant à elle, se manifeste sous la forme de petites communes, sous influence totale des villes principales, parsemées sur les plateaux agricoles. Les communes de cette seconde couronne sont toutefois les plus affectées par ce système, compte tenu du fait qu’elles connaissent un étalement urbain de type « ville dortoir » qui s’installe sur les espaces agricoles.
L’attrait économique des polarités luxembourgeoises se manifeste par le biais d’un taux de concentration élevé de la population, et par un développement constant. En revanche, il a pour conséquence un coût de vie élevé et génère le rejet d’une partie de ses actifs vers les périphéries. Ce phénomène alimente et accentue à la fois la dynamique des frontaliers et la périurbanisation.
À partir d’une analyse territoriale, de l’identification des enjeux et des entretiens avec les acteurs, il apparaît nécessaire d’interroger et de faire évoluer la stratégie d’intégration actuelle. Pour ce faire, trois formes d’intégrations transfrontalières sont distinguées : par polarisation, par spécialisation et par osmose (figures 31, 32, 33). Visant un mode de vie durable dans l’épaisseur de la frontière, le choix s’est historiquement porté en partie sur la stratégie par « spécialisation ». Cette approche permet la valorisation des spécificités du territoire, néanmoins, l’ambition du projet proposé ici est de se diriger vers une intégration par « osmose ». La complémentarité territoriale est, en effet, une logique défendue et exprimée par le biais d’un nouveau flux transfrontalier bidirectionnel avec le centre métropolitain. En revanche, même si le but est de réduire le déséquilibre économique entre les deux pays, la stratégie ne nie pas le rôle du modèle luxembourgeois dans ce domaine. L’intention du projet repose sur une décentralisation de l’attractivité afin de composer de nouvelles dynamiques socio-économiques et environnementales. En outre, elle ne tend pas à l’homogénéisation des règles fiscales et des modes de vie, mais préfère s’appuyer sur la réciprocité frontalière pour être profitable à tous.
La mise en œuvre de la stratégie d’intégration du projet (figure 34) s’effectue à travers quatre orientations majeures :
La production et la consommation locale prennent appui sur la coopération transfrontalière, le paysage et la valorisation des ressources via la création d’une trame paysagère. Cette dernière doit être mise en œuvre grâce à l’élaboration d’une politique commune portant sur la production et la gestion des ressources.
Afin de pouvoir profiter d’un bassin de vie de proximité, une équité territoriale, en termes d’investissement et d’attractivité, doit être établie. Cela débute par la constitution d’un maillage de projets d’intérêts transfrontaliers, lui-même inclus dans un système d’alliance intercommunale. L’ambition est de développer de nouvelles perspectives collectives afin de décentraliser l’attractivité et de renforcer les complémentarités entre les communes.
Les opportunités foncières du territoire en mutation doivent être appréhendées globalement, en proposant des alternatives à des initiatives actuellement en cours afin d’affirmer des continuités géographiques et écologiques. C’est pourquoi il est essentiel d’appuyer les dynamiques Nord-Sud manifestées par les vallées, tout en créant des continuités urbaines parallèlement à la frontière.
La congestion des réseaux de mobilité et l’expansion du développement urbain peuvent se résoudre uniquement à travers une nouvelle configuration territoriale. Le report modal vers des transports en commun soutenables doit être repensé et s’accompagner d’une évolution des connexions intercommunales par le biais des alliances transfrontalières. Dans l’ensemble une baisse drastique des mouvements pendulaires vers les pôles majeurs est souhaitée, s’appuyant sur une décentralisation de l’attractivité, l’augmentation du télétravail et la formation de bassin de vie de proximité.
La spatialisation de ces intentions sur le territoire franco-luxembourgeois est envisagée au travers de leviers complémentaires de transformation. Ces derniers s’appuient, en trois points, sur les principales thématiques soulevées lors du croisement entre l’analyse orientée et la stratégie de projet : « Biodiversité et paysages », « Trame agricole » et « Mobilité et logistiques soutenables ».
La valorisation et la consolidation du maillage des trames bleues, vertes et brunes, favorables à une biodiversité diverse et accomplie, sont un des enjeux majeurs de la thématique. De nos jours, les documents et règlements d’urbanisme n’offrent qu’une approche protectrice et ségrégative des espaces naturels en excluant l’activité humaine. La volonté du projet repose ainsi sur une démarche intégrative où coopèrent nature et modes de vie humains. Par conséquent, une armature éco-systémique peut être dessinée au fil des continuités et cycles propres de l’eau, de la végétation et des sols. Elle se matérialise en divers corridors écologiques aussi bien à l’échelle des plateaux que de l’ensemble du territoire transfrontalier.
Les continuités éco-systémiques potentielles identifiées ici constituent une première infrastructure territoriale de support de pratiques spatiales. Ainsi, les projets localisés et développés par la suite s’appuient-ils sur la composition d’un nouveau maillage territorial.
À partir du constat de complémentarité entre la répartition des cultures françaises, en grande partie céréalières, et celles luxembourgeoises, dédiées à l’élevage bovin, une stratégie agricole est projetée (figure 35). La potentielle interdépendance entre les deux états incarne le socle de la démarche agronomique réalisée en collaboration avec les étudiants de l’École Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries alimentaires (Ensaia).
La stratégie d’évolution des principes agricoles (figures 36 et 37) repose sur le scénario Afterres 2050 (Solagro, 2016) qui tend, dans un premier temps, à une modification du régime alimentaire par le biais de la réduction de la surconsommation et du gaspillage. Dans un second temps, l’ambition est de mener la transition des pratiques productives actuelles vers des méthodes davantage respectueuses des écosystèmes. La diversification des types de cultures est, de ce fait, essentielle afin de proposer à la population une alimentation de qualité et de proximité. La répartition des cultures se structure alors sur un modèle d’agriculture durable basé sur les caractéristiques agronomiques de chaque pays et visant, notamment, la généralisation des principes de l’agroécologie. Dans cette dynamique, le versant luxembourgeois maintient ses prairies permanentes tout en réduisant la taille de ses cheptels pour en améliorer les qualités de vie animales. Le versant français est recomposé vers un changement de répartition des productions alimentaires en incluant davantage de fruits, de légumes, de légumineuses et de matériaux biosourcés (exemple du chanvre). Dans un troisième et dernier temps, la stratégie encourage la préservation des surfaces productives afin d’en réglementer la cession au profit de l’urbanisation.
La transition agricole, mise en œuvre selon les principes indiqués précédemment, requiert un accompagnement complet des professionnels et des particuliers à plusieurs échelles (figure 38). Les agriculteurs actuellement en place sont, en effet, attachés et dépendants du système actuel et ont des difficultés à s’en défaire. La stratégie élaborée vise alors une gestion de l’ensemble du cycle de vie des produits consommés par le biais de divers investissements selon six points : l’implication individuelle, l’accompagnement communal, la coopération agricole, la méthanisation, le pôle de recherches et la ressourcerie.
En réponse aux disparités en offre de services, commerces et équipements de proximité qui existent entre les communes du territoire franco-luxembourgeois, l’outil du kit de proximité est proposé (figures 39 et 39 bis). L’intention est, de ce fait, de diminuer la dépendance des villages envers les villes principales, en y développant une complémentarité entre les offres villageoises d’une même entité paysagère.
Le kit de proximité permet d’établir la hiérarchisation équilibrée des espaces de la vie quotidienne (santé, éducation, culture, sport, loisir, travail, espace public, alimentation) dans les communes du territoire selon des logiques d’accessibilité. En effet, la répartition s’effectue au moyen de transports soutenables dans le but de garantir un bassin de vie quotidien qualitatif. La stratégie s’appuie alors sur des distances temporelles diverses en fonction de leur nécessité avec, en particulier, des espaces indispensables, à chaque village, dont la programmation est organisée sous forme de kit d’urgence réunissant les offres essentielles au quotidien.
La mise en œuvre du kit s’opère à partir d’opportunités foncières qui se matérialisent soit par des interventions ponctuelles dans des espaces existants du village, soit à travers la proposition de volumes capables : des espaces hybrides accueillant alternativement des activités individuelles et collectives.
La hiérarchisation des espaces du kit de proximité sur le territoire s’établit au moyen des temps de déplacements entre les villages et les polarités attractives. En effet, les ensembles urbanisés s’ordonnent dans un classement permettant d’appréhender le positionnement des communes (principale, secondaire…) conformément à leur bassin de proximité (figure 40). Cette répartition sert d’indicateur dans la stratégie de complémentarité entre les diverses communes.
À partir du kit de proximité, ainsi que des entités paysagères fortes et des réseaux de mobilité soutenables, divers bassins de vie se révèlent au sein du territoire transfrontalier. Bien que les communes qui les constituent partagent différentes dynamiques de dépendance, elles peuvent être composées au sein d’un système nouveau d’alliances. Celles-ci proposent un ensemble de coopérations territoriales sectorisées afin de garantir, avec la mise en œuvre du kit, des complémentarités intercommunales durables. Chacune des alliances vise alors à valoriser les caractéristiques de chaque commune par le complément ou la consolidation de l’offre de services, d’espaces et d’équipements.
Les circuits de mobilité soutenables qui composent en partie les alliances (figure 41), s’installent en supplément des réseaux existants et les complètent afin de renforcer l’armature territoriale. En outre, la stratégie liée aux déplacements se traduit par une réduction du mouvement en favorisant le télétravail, le report modal et la décentralisation des activités. Cette polarisation à une échelle locale est un réel engagement pour une baisse importante des mobilités pendulaires.
Luxembourg in Transition, 2020-2021, Appel à projets international. Disponible sur : https://luxembourgintransition.lu/.
SOLAGRO, 2016, le scénario Afterres 2050 [en ligne]. Disponible sur : https://afterres2050.solagro.org/decouvrir/scenario/ [consulté le 20 août 2023].