Les tendances démographiques indiquent que la part de la population urbaine mondiale devrait passer de 55 % en 2020 à quelques 70 % en 2050 (Nations Unies). Ceci étant, les villes, responsables de 70 % des émissions de Co2, occupent moins de 2 % du territoire mondial. Ces tendances interrogent sur les modes d’occupation et d’habitation de la terre par les humains et donc sur les objets même devant mobiliser l’attention de l’urbanisme. En effet, l’urbanisme répond à des tendances et doit anticiper des risques éventuels en envisageant des orientations et en produisant des visions qui peuvent devenir opérationnelles. Face aux tendances et aux enjeux environnementaux contemporains, il paraît légitime de requestionner les périmètres de compétences des pratiques urbanistiques.
La tendance mondiale vers l’urbanisation se traduit de manière encore plus accentuée sur le territoire français : les aires urbaines, qui représentaient 7 % du territoire métropolitain en 1936, recouvrent en 2020, 22 % du pays, soit 119 000 km2. Entre 1936 et 2020, la part de la population française vivant en ville est ainsi passée de 53 % à 81 % : 48 millions de citoyens habitent désormais dans des espaces considérés comme urbains1.
Cette tendance vers la concentration et l’extension urbaine s’accompagne d’une occupation du sol dont les formes d’urbanisation peuvent inquiéter. La réponse à cette inquiétude passe aujourd’hui en France par un objectif de limitation des surfaces dites artificialisées et se concrétise par une traduction règlementaire visant un objectif de zéro artificialisation nette2. Cette mesure permet de contrer le risque de trop forte diminution des espaces accueillant la faune et la flore en partie nourricières et participant de la stabilité climatique ainsi qu’aux dynamiques de biodiversité. Sur la base de l’analyse des données relatives à l’artificialisation des sols en France depuis 2009, le Cerema a identifié les principales tendances observables aujourd’hui :
l’artificialisation repart à la hausse depuis 2016, parallèlement à la reprise du secteur de la construction ; l’efficacité de l’artificialisation augmente, mais à ce rythme d’évolution, il faudrait attendre au moins 2070 pour parvenir à un taux de zéro artificialisation nette ; l’habitat représente 68 % de l’artificialisation sur la période 2009-2018, l’activité 25 %. 1,5 % de l’espace est dédié à un usage mixte, et 5,5 % sont à destination inconnue ; l’artificialisation se concentre surtout dans l’aire urbaine des métropoles (principalement en 1re et 2e couronne) et sur le littoral ; plus on s’éloigne des centres-villes, moins l’artificialisation est efficace et plus elle est destinée à l’habitat [Cerema, 2020].
Cette étude confirme une dynamique d’étalement urbain accompagnée et favorisée par un système socio-spatial d’aménagement, de financement, de construction, de desserte, de distribution, d’approvisionnement, cohérent et robuste, mais toutefois générique, consommateur d’espace et d’énergie et présentant des risques environnementaux.
C’est bien là un des paradoxes contemporains : le système de production du bâti est « efficace », mais il oriente vers un monde qui pourrait devenir inhabitable. Comment alors ouvrir de nouvelles perspectives tout en assurant une transition habitable au cours de sa réalisation ? Comment construire une organisation territoriale alternative tout en ne provoquant pas une crise socio-économique insoutenable ? C’est là une des difficultés majeures de la situation actuelle, construite depuis l’après seconde guerre mondiale sur la base d’une cohérence systémique s’appuyant largement sur les énergies fossiles dont la consommation est aujourd’hui dénoncée du fait de son impact sur l’environnement. Il s’agit bien d’une question d’aménagement du territoire nécessairement inscrite dans une vision multi scalaire du local au mondial.
Dans le rapport du Sénat intitulé Objectif de zéro artificialisation nette à l’épreuve des territoires (Blanc, Loisier, Redon-Sarrazy, 2021), différentes définitions institutionnelles récentes de l’artificialisation y sont rappelées. Il y apparaît que la notion d’artificialisation est tour à tour synonyme d’anthropisation, d’urbanisation, d’imperméabilisation, d’aménagement. Ces désignations ne sont pas pour autant synonymiques, ce qui est en partie problématique, mais qui génère aussi des malentendus paradoxalement fédérateurs. Comme le souligne Eric Charmes, l’absence de définition précise de la notion d’artificialisation permet « à chacun de donner aux politiques de réduction de l’artificialisation le contenu qui lui convient. Cela facilite la construction de coalitions d’intérêts et d’alliances d’opinions. Les mouvements écologistes peuvent ainsi s’associer aux défenseurs de l’agriculture intensive, l’artificialisation renvoyant dans un cas à la défense de la biodiversité, dans l’autre à la préservation des terres agricoles proches des villes » (Charmes, 2021, p. 1). Pour autant, ce consensus sur la dénonciation de l’artificialisation invite, selon Eric Charmes, à trouver des réponses diversifiées aux enjeux identifiés à travers des actions plurielles et articulées en faveur de la biodiversité, de l’ingénierie de projet rural, de l’approche paysagère, de la construction de projets partagés et complémentaires entre ville et campagne, de l’ouverture d’un débat à l’échelle nationale sur le devenir des campagnes, des villages et des hameaux. Le débat sur la définition de l’artificialisation reste ouvert en France comme l’analyse très finement Eric Charmes (Charmes, 2023) qui montre bien les biais des différents types d’indicateurs que ces définitions recouvrent et leurs conséquences en termes d’aménagement du territoire et d’impacts environnementaux.
En termes étymologiques, est artificiel ce qui est fait avec art, qui est fabriqué, fait de toutes pièces : par opposition, est artificiel ce qui n’est pas naturel3. La loi Climat et résilience propose une définition de l’artificialisation en termes d’altération des fonctions écologiques d’un sol : « L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». De son côté, la nomenclature de l’article L.101-2-1 du code de l’urbanisme4 précise que les surfaces dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites sont qualifiées de surfaces artificialisées. De même, les surfaces végétalisées herbacées (c’est-à-dire non ligneuses) et qui sont à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures, sont considérées comme artificialisées, y compris lorsqu’elles sont en chantier ou à l’état d’abandon. En revanche, sont qualifiées comme non artificialisées les surfaces qui sont soit naturelles, nues ou couvertes d’eau, soit végétalisées, constituant un habitat naturel ou utilisées à usage de cultures (y compris les surfaces d’agriculture urbaine et les surfaces boisées ou arbustives dans l’espace urbain) (Loi climat, 2021, art. 192).
La question de la définition de ce qui est naturel ou artificiel est fondamentale surtout à l’ère de l’anthropocène : période actuelle des temps géologiques où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète (biosphère) et les transforment à tous les niveaux. La distinction entre naturel et artificiel est, à l’échelle de la planète de plus en plus ténue et complexe et ne peut en tous les cas pas se limiter à l’imperméabilisation des sols ou encore l’aménagement et l’urbanisation.
Philippe Descola (Descola, 2005) avait identifié, d’un point de vue anthropologique, que la distinction entre nature et culture était problématique et correspondait à une construction de la modernité pour l’objectivation du monde. Les limites entre naturel, culturel et artificiel, au-delà de la critique conceptuelle, sont aujourd’hui floutées par la conscience de l’impact humain sur la biosphère, reposant la question de la relation entre les humains et leur milieu de vie, du local à la planète. Penser conjointement le naturel, le culturel et l’artificiel impose alors de considérer simultanément différentes échelles de réflexion et d’action. Dans cette perspective, il semble légitime de se demander si, au-delà du rapport naturel/artificiel, l’habitabilité de la Terre ne pourrait être améliorée et non détruite par l’habitation humaine. Cette perspective complexifie certes les enjeux contemporains et en révèle aussi la dimension systémique et multi-scalaire. Cela nous impose aussi de reconsidérer le champ même de l’activité de conception spatiale en identifiant les leviers sur lesquels agir, et leurs étendues respectives, pour penser les équilibres et les dynamiques territoriales dans une perspective d’habitabilité de la terre, notamment pour les humains, à court et plus long termes. Les périmètres disciplinaires de l’urbanisme, théorie et pratique qui pense et conçoit des environnements habitables par les humains s’ouvrent ainsi à de nouveaux horizons. Il ne s’agit pas aujourd’hui de penser que le où et le quoi, mais bien des milieux habités en tenant compte d’un ensemble de métriques socio-environnementales qui peuvent se traduire aussi dans le dessin géométrique d’une « infrastructure capable » d’accueillir un milieu vivant.
Depuis les années 2000 est théorisée aux États-Unis une pratique paysagère qui propose « un réalignement disciplinaire dans lequel le paysage supplante le rôle traditionnel de l’architecture comme unité de construction du projet urbain » (Waldheim, 2006). Dans son Analyse interprétative du discours du Landscape Urbanism et impact sur le développement des pratiques des paysagistes dans le contexte français, Anaïs Léger-Smith retrace l’histoire de cette théorisation en la confrontant aux pratiques des paysagistes en France. Les enjeux écologiques semblent légitimer la pertinence du projet de paysage [qui] se place donc aujourd’hui comme mode d’opérationnalisation privilégié des principes des sciences écologiques (Léger-Smith, 2013, p. 4) et dont le Landscape urbanism théorise l’approche dans un nécessaire tournant écologique.
Parmi les traits saillants de ce débat sur les professions de la conception de l’espace habité, le rapport au temps et à l’articulation de différentes échelles est révélateur des manières dont ses disciplines de conception se positionnent les unes par rapport aux autres.
En se référant à des travaux de Michel Desvigne, François-Xavier Mousquet, et Gilles Clément, Anaïs Kéger-Smith montre différentes temporalités travaillées par ces concepteurs : Michel Desvigne appréciant le « jeu du temps, les stades successifs, la mise en valeur d’états jeunes, la coexistence de différents stades de développement qui concentrent, miniaturisent en une période courte, des mécanismes aux rythmes historiques » (Desvigne, 2009, p. 12) ; François-Xavier Mousquet interprétant l’écologie comme « cadre d’émergence d’une idée, d’un concept poétique capable d’organiser le projet, plutôt que comme expertise rigoureuse et définitive »; Gilles Clément théorise « le jardin en mouvement [qui] se trouve soumis à l’évolution résultant de l’interaction des êtres vivants dans le temps » (Léger-Smith, 2013, p. 11).
Les étendues spatiales sur lesquelles travaillent les paysagistes, les matériaux vivants qu’ils composent, les temps longs dans lesquels ils les projettent, les incertitudes sur les dynamiques du vivant et la nécessité de rendre tangible à court terme des processus longs et lents, impliquent un travail d’articulation de temporalités plurielles auxquels les paysagistes sont nécessairement sensibles.
Articulant des dimensions sensibles et des logiques environnementales, les approches paysagères et de Landscape urbanism ont également pour trait commun de définir des étendues spatiales pertinentes d’observation et d’action qui partent d’une situation donnée et se prolongent en fonction des phénomènes et des perceptions, indépendamment d’un périmètre préconçu qu’il soit administratif ou politique.
À travers ces deux dimensions fondamentales apparaît la pertinence d’une nécessaire approche paysagère censée être capable de répondre aux enjeux environnementaux par opposition au régime traditionnellement planificateur et linéaire d’un urbanisme d’anticipation qui se limite à prévoir un avenir défini à partir de tendances actuelles. L’approche paysagère relie l’action humaine au vivant, introduisant par la même une pluralité de temporalités composées d’éléments plus ou moins stables, pérennes, adaptables, réversibles, ou encore versatiles, dans une vaste gamme articulant prévision et incertitude.
La question de l’échelle pertinente de réflexion et d’action semble se poser de manière saillante dans le contexte d’interdépendance matérielle des populations humaines de la planète. L’ouvrage La face cachée de nos consommations. Quelles surfaces agricoles et forestières importées ? met en évidence la pression environnementale de l’alimentation due aux effets induits par la production mondialisée : « déforestation des forêts tropicales, mais aussi des mangroves, assèchement des nappes et salinisation, usage massif de pesticides »et identifie les leviers sur lesquels il est possible d’agir : « la sobriété (consommer moins), l’efficience (produire mieux, allonger la vie d’un produit, recycler), la relocalisation (pour limiter les transports), et la substitution (jus de pomme à la place du jus d’orange) »(Solagro, 2022). Si l’impact environnemental actuel de l’alimentation (plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre selon la FAO 2020) ne peut être limité que dans un seul territoire, il apparaît toutefois qu’une approche située et systémique est nécessaire.
L’équation est complexe et ne peut relever que de considérations morales ou idéologiques. Pour autant, les événements récents tels que la crise de la Covid, la guerre en Ukraine, et les alertes du Giec5 depuis plus de trente ans, font apparaître les interdépendances fondamentales entre territoires, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’alimentation, ou encore du dérèglement climatique, bouleversant les équilibres globaux, sous perfusion d’énergies fossiles, qui semblaient pourtant stabilisés depuis l’après seconde guerre mondiale. Au-delà de positions, tout autant radicales, en faveur d’une globalisation ou d’un localisme, les modèles agricoles et les relations entre agronomie et urbanisme méritent d’être réinterprétées dans une perspective de décarbonation de l’économie.
Vers un agri-urbanisme est une hypothèse de travail qui s’inscrit dans une réflexion et des propositions urbanistiques, paysagères et architecturales qui jalonnent l’histoire de ces disciplines de conception. Si cette hypothèse associe deux pratiques, l’agriculture et l’urbanisme, elle invite également à des collaborations entre disciplines notamment, l’agronomie et l’urbanisme dans une forme que certains appellent agro-urbanisme6. La relation entre ville et territoire a pu prendre différentes formes depuis l’Allégorie et effets du bon et du mauvais gouvernement (1338-1339) de Lorenzetti où ville et campagne sont les deux versants d’un monde interdépendant.
Une dualité est récurrente et dénote d’une séparation conceptuelle problématique entre naturel et artificiel, ville et campagne, ou encore entre vivants et humains. Ce schéma est par définition problématique dans la mesure où il sépare ce qui semble devoir être pensé conjointement. C’est là un problème théorique et conceptuel qu’il est nécessaire de dépasser pour affronter les enjeux environnementaux contemporains qui semblent générés par cette séparation même.
La discipline de l’urbanisme est née de l’industrialisation et de l’exode rural qui l’accompagne, focalisant l’attention sur l’environnement urbain et les problèmes nouveaux qui y apparaissent. L’urbanisme doit anticiper des enjeux émergents ou latents, ménager l’avenir et répondre aux problèmes actuels. Face aux tendances vers l’urbanisation et la métropolisation rappelées précédemment, cette discipline reste pertinente pour répondre à de nouveaux besoins tendanciels et pour concevoir les infrastructures capables de rendre le monde habitable. Si urbanisme et industrialisation ont été liés, il est aujourd’hui nécessaire de penser la conception de l’espace habitable en dehors du prisme de l’économie fossile mondialisée actuelle.
Face à la seule tendance vers l’urbanisation et la métropolisation, des initiatives académiques, opérationnelles et militantes mettent en perspective deux alternatives qui peuvent être combinées : la métropolisation et la territorialisation. La tendance vers la métropolisation n’est pas véritablement théorisée, mais elle est hégémonique et semble auto-réalisatrice. Si elle s’appuie sur l’efficacité sociale et économique d’une occupation compacte de l’espace, l’organisation socio-spatiale qui en découle, génère pour autant une dépendance envers un ensemble de ressources (énergie, qualité de l’air, eau, alimentation) que les métropoles ne sont pour autant pas capables de produire ou de régénérer seules et qui proviennent de « l’extérieur » de leurs limites.
La territorialisation est elle théorisée (Magnaghi 2003, 2014, 2017) et aussi pratiquée comme alternative explicite à la métropolisation univoque. Cette alternative s’inscrit dans une généalogie de réflexions et de projets qui depuis le dix-neuvièmee siècle proposent, à travers des auteurs comme Patrick Geddes7, une vision écologique de l’habitat humain qui critique en creux l’évolution industrielle et mécaniciste du rapport des hommes à leur environnement. En reconstituant la généalogie de l’approche biorégionaliste, Thierry Paquot invite « à concevoir de nouvelles configurations écologico-géographiques singulières, dont la population, selon les cas, variera de plus d’un million à 2-300 000 habitants, ce qui laisse imaginer au moins deux à trois cents biorégions, certaines à cheval sur les actuelles frontières avec les pays voisins »(Paquot, 2022). Ces entités écologico-géographiques, seraient à même de concilier habitation humaine et environnement dans un nouveau modèle socio-territorial qu’il annonce comme une possible et nécessaire espérance. Une unité écosystémique, capable d’accueillir, selon ses caractéristiques et ressources, des habitants adhérents au territoire, définirait un périmètre biorégional poreux, comme entité pertinente d’habitation, voir de projet à l’instar des propositions de la Regional Planning Association of America créée en 1923.
Au-delà des positions opposées entre métropolisation et territorialisation, les liens entre humanité et agriculture sont indissolubles et se structurent aujourd’hui entre localisme et mondialisation.
Si l’urbanisme est censé s’occuper des 2 % du territoire mondial urbanisé, l’agriculture couvre elle près de 40 % des terres émergées (Ocde/Fao 2019), alors que les forêts représentent de l’ordre de 31 % de la surface de la planète (FAO, UNEP, 2020). Dans son ouvrage Taking the country’s side. Agriculture and architecture, issu de la Triennale d’architecture de Lisbonne de 2019 intitulée The poetics of reason, Sébastien Marot retrace une histoire des étroites relations entre architecture et agriculture. L’ouvrage se conclut par quatre scénarios prospectifs — “Four competing narratives on the future relationship of city and country”8. Ces scénarios stimulants ont pour trait commun de penser le territoire à partir de la ville, on pourrait dire qu’ils sont urbano-centrés.
Comme le souligne Antoine Lagneau, l’agriculture revêt des fonctions plurielles à la fois « environnementales, économiques, pédagogiques, sociales… Inscrite dans les projets urbains du fait de ses qualités relationnelles entre les habitants eux-mêmes, mais aussi avec le vivant sous toutes ses formes, ou encore entre les territoires, urbains, périurbains, ruraux, etc. » (Lagneau, 2020). L’agriculture urbaine revêt ainsi une dimension symbolique qui fait sens dans la cité sans pour autant pouvoir répondre quantitativement aux enjeux à la fois environnementaux et alimentaires.
À travers l’agriculture urbaine, les relations entre architecture, ville et agriculture sont en partie l’objet d’un rapprochement symbolique, construit à travers des dispositifs qui rendent tangibles les productions nourricières à la manière microcosmique d’un jardin qui raconte un monde possible. Pour autant, cette idéalisation miniature ne peut se substituer aux étendues effectivement nécessaires pour nourrir une humanité de plus en plus nombreuse.
Dans une approche d’un continuum ville/campagne, Gérard Thomas fait l’hypothèse de « la nécessité d’envisager la construction d’un cadre de pensée agriurbaine de l’action qui intègre l’ensemble des interactions entre l’agriculture, la ville et la nature, pour définir des connaissances et des méthodes permettant l’intégration de “l’agriurbanisme “ dans l’action publique » (Thomas, 2020). Dans une réflexion sur des évolutions civilisationnelles et leurs impacts sur la relation entre agriculture et société urbaine, Rémi Janin, pointe les enjeux paysagers de l’agriculture contemporaine.
L’agriculture actuelle présente ainsi une typologie de formes paysagères, et il convient aussi à partir de cette compréhension de définir les bases d’un nouveau projet de paysages agricoles affirmé comme contemporain à l’échelle d’une société urbaine, et non de s’appuyer sur des formes anciennes plus ou moins idéalisées et fantasmées. [Janin, 2013, pp. 3-4].
Il s’agirait alors de penser et de concevoir de manière à la fois pragmatique et sensible des environnements capables de satisfaire des enjeux écologiques, anthropologiques, mais aussi de subsistance, et ce, à travers des formes tangibles à la fois poétiques et praticables.
À partir de la reconnaissance de l’ère de l’anthropocène, une approche complexe des milieux habités semble s’imposer, au-delà des disciplines, pratiques et procédures relatives à des compétences et périmètres administratifs, étant donné les interdépendances systémiques entre les humains et leurs environnements. S’il est clair que nous habitons une petite planète dans laquelle les humains sont interdépendants et ont un impact sur les ressources vitales pour l’humanité, il semble aussi nécessaire de penser des équilibres environnementaux qui ne peuvent se résoudre à des approches insulaires localistes, mais doivent nécessairement procéder d’un nouvel équilibre qui passe très largement par l’organisation territoriale et une sobriété énergétique.
Le présent ouvrage s’inscrit dans le contexte complexe décrit précédemment et explore l’hypothèse et les modalités d’une approche agri-urbanistique en croisant des projets expérimentaux avec des réflexions urbanistiques, agronomiques, paysagères, architecturales. En dépassant les limites disciplinaires, professionnelles et procédurales, il s’agit de repérer de possibles manières de penser et de concevoir des espaces habitables capables de proposer des expériences socio-environnementales praticables et désirables.
Ministère de la transition écologique, 2021, loi Climat et résilience n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, Journal Officiel, 196, 24 août.
Les périmètres et les leviers pour penser l’habitabilité de la Terre sont ici questionner pour formuler l’hypothèse d’un agri-urbanisme. Une approche qui croiserait différentes connaissances pour penser les territoires et leurs transformations. A partir du constat de l’ère de l’anthropocène, une approche complexe des milieux habités semble s’imposer, au-delà des disciplines, pratiques et procédures relatives à des compétences et périmètres administratifs, pour penser les interdépendances systémiques entre les humains et leurs environnements. Cette hypothèse est explorée en questionnant l’inéluctabilité de l’urbanisation comme modèle d’habitation de la Terre, les problèmes que soulèvent les définitions de l’artificialisation et la nécessaire articulation de plusieurs temporalités et échelles.
The perimeters and levers for thinking about the Earth's habitability are questioned here to formulate the hypothesis of agri-urbanism. An approach that brings together different types of knowledge to think about territories and their transformations. In the Anthropocene era, a complex approach to inhabited environments seems to be required, going beyond disciplines, practices and procedures relating to administrative jurisdictions and perimeters, to consider the systemic interdependencies between humans and their environments. This hypothesis is explored by questioning the inevitability of urbanization as a model for inhabiting the Earth, the problems raised by definitions of artificialization, and the necessary articulation of several temporalities and scales.