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Couverture du livre Tracer sa voix (Savannah Kocevar, 2023) Show/hide cover

Introduction

Lorsqu’en 1987 la journaliste Leopoldina Pallotta della Torre demande à Marguerite Duras « un mode d’emploi pour “lire Duras” » (Duras, 2013, p. 94), l’écrivaine évoque la spécificité de son œuvre en ces termes :

Une lecture non continue, qui aille par sauts, sauts de température, par rapport aux habitudes du lecteur. Contrairement à la linéarité du roman classique, balzacien, il s’agit de livres ouverts, inachevés, qui, en dernière instance, visent à un monde en devenir, qui ne cesse jamais de bouger. [ibid.]

Du point de vue de Duras, la « véritable » écriture est un processus. Elle résulte d’une expérience performative qui s’oppose au « faux de l’écrit »1, c’est-à-dire à « une certaine écriture, immobile, régulière »2, « un essayisme larvé à la Barthes » (ibid.), en d’autres termes, une écriture sans transgression. Au même titre qu’un corps de chair qui chemine, le corps textuel durassien (le corpus) semble se mouvoir et franchir les limites de la structure narrative. Si cette perception « ouverte » et non « linéaire » du récit témoigne d’une conception résolument moderne du monde et de la création, elle fait surtout émerger la dynamique générale d’une œuvre construite sur un réseau de « sauts » et, intrinsèquement, de passages. Du latin passus (le « pas »), le terme polysémique caractérise « [u]ne marche vers ailleurs […], une enjambée, un cheminement, un processus de transformation en train de s’opérer, et non déjà effectué » (de la Soudière, 2000, p. 7) en même temps qu’il désigne « le lieu où s’effectue ce processus […] que ce soit au sens morphologique, spatial, géographique ou bien métaphorique » (ibid., p. 12). Et en effet, entre les lieux de passage, les occasions de passage, les situations de passage, les symboliques structurelles du passage, on circule beaucoup chez Duras. Pensons aux incessantes déambulations des personnages, au brouillage générique qui nous transporte d’un genre à l’autre, à la porosité évidente entre les différents cycles d’écriture, ou encore au franchissement métaphorique des frontières narratives auquel invite l’autotextualité. L’autrice recourt par ailleurs souvent à la métaphore corporelle pour évoquer sa pratique scripturale : « C’est ça l’écriture. C’est le train de l’écrit qui passe par votre corps. Le traverse » (Duras, 1993, p. 61). Dans les derniers textes de l’écrivaine, même l’écriture se fait « courante » ; désormais « plus pressée d’attraper les choses que de les dire » (Duras et Pivot, 1984), elle « cour[t] sur la crête des mots » (ibid.).

Cette étude est consacrée à une lecture ethnocritique du cycle indochinois de Marguerite Duras. Un barrage contre le Pacifique [BCP], L’Eden Cinéma [EC], L’Amant [A] et L’Amant de la Chine du Nord [ACDN] nous apparaissent indissociables des notions de traversée, de circulation et de transgression : au sein du corpus les frontières sont poreuses (du latinporus, « passage »), ouvertes aux incessants cheminements aussi bien géographiques qu’identitaires. Retraçant tous l’enfance coloniale fantasmée, les textes reprennent un fil narratif presque identique, puisé dans les souvenirs d’enfance, et constamment réécrit : une famille de colons blancs, ruinée depuis la mort du père et menée par une mère au bord de la folie, tente tant bien que mal de s’en sortir dans une Indochine coloniale marquée à la fois par la misère des populations locales et des colons les plus pauvres, et la corruption de l’Administration coloniale. Le seul espoir de la famille tient dans l’amour d’un riche Chinois pour la jeune fille : elle vivra avec lui, selon les textes, une initiation sensuelle, parfois sexuelle, rarement amoureuse. Au fil du corpus, les mêmes épisodes y sont réitérés avec des variantes dans les détails. Dans ces récits d’apprentissages, le caractère singulier de la narration participe à l’expérience initiatique. Si le « paradigme du passage » (de la Soudière, 2000) – fructueux pour caractériser l’œuvre durassienne – permet de relever le lien entre corporalité mouvante et textualité mouvante, cet essai propose d’élargir davantage encore le champ d’exploration pour s’intéresser à l’hypothèse des identités mouvantes, relatives à la dimension critique de la traversée initiatique – au sens strictement anthropologique du terme. Guidée par la démarche ethnocritique, nous cherchons ici à comprendre ce lien entre rite3 et création. Selon notre hypothèse, le cycle indochinois peut être appréhendé comme un espace initiatique où s’expérimentent des altérités littéraires, sexuées et genrées nécessaires à la fabrique d’identités à la fois féminines et scripturales. Dans cette perspective, le cheminement des personnages – et notamment du personnage principal féminin – serait, dans le système de signifiance des récits, indissociable de la traversée créatrice de la narratrice, voire de l’autrice, pour qui l’écriture-réalisée résulte d’un véritable « engendrement de soi ».

Une critique durassienne prolifique 

Par un bref état des lieux de la recherche, nous constatons que les problématiques inhérentes aux interactions culturelles, à la transgression des limites et à l’écriture du corps alimentent la critique durassienne depuis maintenant plusieurs décennies. L’ouvrage collectif Marguerite Duras, marges et transgressions nous invitait déjà à réfléchir à la modernité d’une écriture durassienne non bornée, en abordant notamment des problématiques telles que les espaces-temps, les figures de la marginalité ou encore la « transgénéricité » (Barre et Cousseau, 2006, p. 8). Dès l’introduction, Anne Cousseau et Dominique Denès dépeignent « la figure d’un[e] écrivain[e] qui, à partir de foyers certes repérables, a pratiqué le décentrage permanent et a subi ou suscité l’attraction des marges, l’instabilité des seuils, l’abolition des frontières, le recul des limites » (ibid., p. 9). Et en effet, pour Jean Cléder, « [q]u’il s’agisse de la littérature et du cinéma, de la vie politique ou des médias, le régime d’intervention de Marguerite Duras relè[ve] principalement du dérèglement, de la transgression et du déplacement » (2019, p. 129). La problématique de la transgression chez Duras a par ailleurs été analysée par la critique sous l’angle du corps subversif et de l’écriture de la marge, indissociables. Selon Marcelle Marini, « le sujet même de l’écriture se trouve atteint par l’abolition des limites» (Marini, 1977, p. 23). Dans L’Écriture de la prostitution dans l’œuvre de Marguerite Duras. Écrire l’écart (2015), Chloé Chouen-Ollier interroge la récurrence de la figure de la prostituée dans l’œuvre durassienne ; elle illustre combien le motif de la prostitution « fait écart » par sa mise en tension avec l’écriture, contribuant à renforcer « le creuset de l’écrit » (ibid., p. 16) présent dans son œuvre. Steven Bernas relève pour sa part la dimension transgressive de l’association du désir érotique et de l’acte d’écriture chez Duras (2007), lorsqu’Anne Cousseau remarque, à juste titre, une « relation plus viscérale qu’intellectuelle à l’écrit» (1999, p. 8).

Mais si les textes de notre corpus ont individuellement fait l’objet de recherches (certains plus que d’autres, nous pensons par exemple à la richesse critique de L’Amant et l’intérêt moindre porté à L’Eden Cinéma ou à L’Amant de la Chine du Nord), moins de recherches ont porté sur le cycle indochinois en tant qu’unité structurelle prenant sens dans l’étude comparative de son fonctionnement cyclique. L’examen attentif de la poétique de l’enfance effectué par Anne Cousseau(ibid.)et Le Cycle du Barrage d’Eva Ahlstedt (2003) sont les premières études, à notre connaissance, à proposer une lecture de l’ensemble du cycle indochinois. Cependant, si l’essai d’Eva Ahlstedt offre bien un premier défrichage du corpus, l’étude se construit par l’analyse individuelle de chaque texte ; l’objectif de l’autrice est de tracer le profil particulier de chaque version de manière à réfléchir aux différentes techniques narratives et la délimitation de l’action et du cadre dans chaque récit. L’ouvrage d’Anne Cousseau propose une lecture davantage comparatiste et analyse pour sa part le cycle en tant que système à examiner dans son ensemble : c’est dans sa continuité que nous souhaitons nous affilier, en centrant cependant nos analyses sur des problématiques propres à l’ethnocritique.

Une étude de L’Amant, proposée par Alice Delmotte-Alter (2010), a déjà mis en lumière la grammaire critique à l’œuvre dans le roman. Nous souhaitons la prolonger par l’analyse d’autres aspects textuels propres au récit, mais également en tentant de proposer par une densification du corpus une étude comparative complète, aussi bien en matière d’évolution historique que de support générique.

Une ethnocritique du cycle indochinois de Marguerite Duras

Notre recherche s’inscrit en effet dans le renouvellement des études littéraires que propose l’ethnocritique par le réexamen critique d’œuvres connues et cela, de manière à révéler des dimensions culturelles fondamentales et des systèmes symboliques originaux. Initiée à la fin des années 1980 par Jean-Marie Privat4 puis conceptualisée avec Marie Scarpa, cette méthode d’analyse littéraire repose sur le postulat premier que la littérature s’élabore et se renouvelle par une « réappropriation » et une « textualisation de pratiques et de logiques culturelles et symboliques5 » (Scarpa, 2000, p. 265). L’ethnocritique cherche, pour ainsi dire, à reculturer les textes littéraires, ainsi que l’entendait Mikhail Bakhtine :

La science de la littérature se doit, avant tout, de resserrer son lien avec l’histoire de la culture. La littérature fait indissolublement partie de la culture […]. L’action intense qu’exerce la culture (principalement celle des couches profondes, populaires) et qui détermine l’œuvre d’un écrivain est restée inexplorée et, souvent, totalement insoupçonnée. [Bakhtine, 1984, p. 342-343]

En posant pour principe que la littérature n’est jamais monologique, l’ethnocritique6 formule pour principale hypothèse que « les traits de culture présents dans l’œuvre littéraire (ce qu’on pourrait nommer les culturèmes) s’organisent en systèmes discursifs et en cosmologies culturelles, toujours métissés et pluriels » (Scarpa, 2013). En étudiant les « configurations et reconfigurations culturelles qui façonnent les œuvres littéraires » (Drouet, 2011, p. 7), l’ethnocritique tente de mettre à vif les enjeux poétiques et culturels de la littérature (Privat, 1994, p. 16).

Par de nombreux aspects, le texte durassien est particulièrement propice à une étude ethnocritique, l’hybridité identitaire et culturelle étant constante chez Marguerite Duras. L’objet de cette étude est d’interroger le travail de reconfiguration des logiques culturelles à l’œuvre dans le corpus en des termes qui ne sont pas seulement ceux de l’interculturalité, mais aussi ceux de l’intraculturalité, car toute culture avant même d’entrer en interaction avec une autre est déjà plurielle en son sein. En s’appuyant sur une herméneutique culturelle du récit, notre étude propose par ailleurs de pénétrer les systèmes symboliques des textes de manière à mettre en lumière la structure rituelle sous-jacente des récits durassiens. Dans la lignée des travaux de Marie Scarpa sur l’hypothèse d’une homologie fonctionnelle et structurelle entre logiques critiques et logiques narratives, entre la séquentialisation du rite/d’une vie et la grammaire du récit (Scarpa, 2009a), nous posons pour postulat que le récit aurait à voir avec le rite. À notre sens, l’architecture du cycle indochinois (caractérisée par l’idée de traversée) est organisée et structurée par des logiques culturelles de type initiatique : les personnages durassiens et leurs trajectoires sont indissociables de la notion d’initiation – au sens anthropologique du terme –, soit « la construction de l’identité individuelle et sociale par l’apprentissage des différences de sexes, d’états […] et de statuts » (ibid., p. 16). Dans cette perspective, la trajectoire narrative des personnages deviendrait ainsi une forme de mise en marge symbolique, un espace-temps nécessaire avant l’acquisition d’un nouveau statut au sein de la communauté. Dès lors, l’enjeu pour les personnages, souvent marginaux, car vivants dans les limites entre la société coloniale européenne et la société autochtone colonisée, va être de s’initier pour s’intégrer (ou se réintégrer) à la communauté, dans une perspective indissociable de la notion de rite de passage telle que la théorise le folkloriste Arnold Van Gennep7.

Le passage, bien qu’il soit le plus souvent symbolique, s’assortit couramment d’un passage matériel (ibid.) que le rite va mettre en scène, ce qui explique notamment l’intérêt marqué du rite pour les frontières, les bornes et intrinsèquement les seuils (espaces symboliques d’intermède et de transition). Comme l’énonce Thierry Goguel D’Allondans dans son ouvrage Rites de passage, rites d’initiation, lecture d’Arnold Van Gennep : « Le seuil devient le passage obligé avant toute réagrégation possible : “passer le seuil” signifie s’agréger à un monde nouveau» (Goguel D’Allondans, 2014, p. 168) : espace de transition, « le seuil permet le franchissement contrôlé de la limite » (ibid.). Les travaux de l’anthropologue américain Victor Turner conceptualisent cette phase intermédiaire de marge, qu’il nomme pour sa part « liminaire » (parfois « liminale »). La « phase liminale », selon l’expression de Victor Turner, est donc une phase de seuil, de marge où le sujet serait caractérisé par ses oppositions et ses contradictions. En reconfigurant en termes de poétique littéraire certaines de ces notions et propositions anthropologiques, Marie Scarpa propose la notion de « personnage liminaire» (2009b, p. 28), essentielle dans la compréhension de nos travaux. Si le rite permet de mesurer « le type de “socialisation” du personnage » (ibid.), alors son organisation formelle aussi peut servir à « penser la narrativité » (ibid.). Dans cette perspective, la construction et la déconstruction de l’identité, qui signalent l’appartenance des individus à une cosmologie, à une communauté, forment « le point central du procès narratif » (Ménard, 2017). En effet, si l’objectif du personnage moderne est souvent de se poser « hors de toute identité institutionnelle (et donc collective)8 » (Scarpa, 2009b, p. 29), alors le récit littéraire raconterait bien quelque chose de la mise en marge. Le processus initiatique se matérialiserait par conséquent dans les épreuves (les rites de passage) que certains personnages traversent. Cependant, il apparaît que certains personnages n’arrivent pas à quitter ce temps d’entre-deux et restent arrêtés sur les seuils (le limen). « Inachevés » du point de vue anthropologique de la socialisation des sexes et des âges, ils se caractérisent par leurs contradictions. Souvent forgés à partir d’oppositions, les personnages liminaires sont de véritables figures d’entre-deux.

Les personnages de notre corpus sont en effet victimes d’un véritable déficit de socialisation et de ritualisation, inscrits dans une hybridité culturelle entre une culture de l’écrit, « blanche » et chrétienne, et une culture d’adoption à dominante orale, acquise en Indochine. La réflexion sur la thématique du métissage et de l’hybridité culturellele nécessite dès lors une prise en compte des problématiques de frontières, de limites, de seuils, et plus généralement de liminarité (qu’il s’agisse de celle de l’individu ou de celle des collectivités), et cela dans un cadre qui serait celui de l’homologie rite/récit. En effet, l’hybridité présente dans le corpus indochinois n’est pas uniquement ethnique : les personnages sont en outre à des étapes charnières de leur existence (l’adolescence et la vieillesse), flirtant constamment avec les différentes grandes limites d’ordre anthropologique : homme/femme, enfance/adulte, vie/mort, humanité/animalité, oralité/littératie. Les quatre textes étudiés apparaissent indissociables des notions de passage, de circulation et de transgression : dans l’écriture durassienne, les frontières sont poreuses, ouvertes aux incessants cheminements aussi bien géographiques qu’identitaires. Comme l’énonce avec justesse Anna Ledwina (2014) : « L’œuvre de Marguerite Duras réalise une traversée des frontières, elle franchit les limites, la transgression demeure son principe et sa dynamique créatrice ». Nous posons par conséquent pour postulat que l’exploration transgressive des frontières et des limites ainsi que la découverte de l’altérité (c’est dans le détour par l’autre que l’on se construit) permettent un enchaînement des épisodes initiatiques. Les nombreux franchissements – symboliques ou non – de seuils spatiaux présents au fil des récits ne font que mettre en relief le désir de s’extraire de son milieu, pour mieux se détacher de son ancienne identité afin d’en acquérir une nouvelle et changer de statut au sein du groupe social. Le corpus peut se lire comme un processus initiatique à part entière ; dans cette perspective, l’initiation concernerait également la narratrice-autrice, la démarche d’écriture pouvant être perçue comme une agrégation menant au statut d’écrivaine, par le biais notamment de l’autotextualité prégnante dans les derniers textes de Duras. À travers l’analyse du corpus, c’est la naissance d’un personnage-écrivaine qui transparaît, la « jeune fille » étant le double littéraire de Duras. L’écriture, et plus généralement la littératie9, de plus en plus maîtrisée par les personnages, aboutit à l’auto-rite de l’écrivaine dans la perspective d’une agrégation littéraire, où le retour à la communauté, ce changement de statut social évoqué précédemment, s’effectue par les livres. De ce fait, la surprésence du seuil n’est pas uniquement à appréhender par le biais de la problématique spatiale : le seuil (indissociable des notions de passages, frontières et transactions) peut et doit se lire d’un point de vue tout autant géographique et spatial qu’identitaire et textuel.

Notre étude a pour objectif d’examiner les modalités poétiques, ethnologiques et symboliques d’une traversée créatrice indissociable d’une tension entre des logiques culturelles relevant à la fois des oralités (qui incluent, nous le verrons, la corporalité) et de la littératie. En effet, les tensions, interactions et hybridations entre sang et encre, corps et corpus, maîtrise des fonctions reproductrices et maîtrise des savoirs rythment les textes. Le corpus s’avère ainsi façonné par des phénomènes critiques d’échanges et de transactions symboliques : circulation des corps, circulation des femmes, circulation du sang, circulation des mots et, finalement, circulation des livres. La discussion des frontières est par conséquent un axe central du cycle indochinois : celle des états et des statuts bien sûr (entre les colons et les colonisés, entre les riches et les pauvres, entre les ethnies, entre les jeunes et les vieux, entre les morts et les vivants et finalement, entre enfant ensauvagée et écrivaine endomestiquée) ; celle des espaces-temps et notamment les espaces coloniaux qui se veulent clos et fermés, mais qui ne cessent pourtant d’être transgressés ; celle des genres enfin, par les phénomènes de porosité et d’hybridation (entre roman, théâtre et cinéma). La liminarité propre au cycle indochinois, soit la surreprésentation des phénomènes d’entre-deux au sein du récit, nous invite donc à repenser l’ensemble des dynamiques de délimitation et de transgression présentes dans le corpus.

  • 1« Je vous ai dit aussi que je n’arrivais pas du tout à le lire, que Roland Barthes pour moi c’était le faux de l’écrit et que c’était de cette fausseté qu’il était mort » (Duras, 1992, p. 21).
  • 2Marguerite Duras associe notamment « le faux de l’écrit » au texte barthien : « J’ai essayé de lire Fragments d’un discours amoureux, mais je n’y suis pas parvenue. C’est très intelligent très évidemment. Bloc-notes amoureux, oui, c’est ça, amoureux, s’en tirant de la sorte en n’aimant pas, mais rien, il me semble, rien, charmant homme, charmant vraiment, de toute façon. Et écrivain, de toute façon. Voilà. Écrivain d’une certaine écriture, immobile, régulière ». (Duras, 1987, p. 90).
  • 3Nous nous référons ici, comme dans l’ensemble de cet essai, à la dimension anthropologique de la notion de « rite ». Dans l’article « Le rite et ses raisons » (Fabre, 1987b), l’ethnologue souligne que le terme a conservé son ancien usage canonique et qu’il désigne « un ensemble de gestes, de paroles et d’objets ordonnancés par une autorité qui en détient la signification puisqu’elle en a formulé le code ».
  • 4Le terme « ethnocritique » apparaît en 1988 dans un article de Jean-Marie Privat consacré à Madame Bovary. C’est la publication de l’essai de ce dernier, Bovary Charivari : essai d’ethno-critique (Privat, 1994) qui lance véritablement la démarche. Nous renvoyons au site www.ethnocritique.com pour une bibliographie exhaustive.
  • 5L’ethnocritique partage avec la sociocritique cette idée « que le texte est une pratique sociale, en même temps qu’il est surdéterminé littérairement » (Scarpa, 2000, p. 266).
  • 6Dans l’article « Les voie(e)x de l’ethnocritique », Guillaume Drout propose le terme de « démarche » pour appuyer la spécificité théorique de l’ethnocritique, cette dernière « cherch[ant] constamment à dépasser ses propres avancées réflexives et à investir de nouveaux domaines d’études » (Drouet, 2009, p. 12).
  • 7Pour Arnold Van Gennep (2011), la séquentialisation du rite de passage s’effectue en trois parties : la phase de séparation d’avec le groupe social (phase pré-liminaire) qui se caractérise par des rites de rupture d’avec un état antérieur ; la phase de marge (phase liminaire) par laquelle le sujet proprement liminaire change d’état et fait l’expérience de l’altérité. Durant cette phase l’individu se trouve entre deux statuts ; la phase d’agrégation (phase post-liminaire) qui souligne un passage réussi et un changement de statut est confirmé par la communauté. Notre lecture « initiatique » du roman ne s’appuie donc pas, comme dans d’autres lectures littéraires, sur les travaux de Mircea Eliade.
  • 8L’autrice reprend l’analyse de Vincent Descombes (1987).
  • 9Nous reviendrons plus en détail sur la définition du terme « littératie » ; en préambule, précisons que celle-ci se caractérise selon Jean-Marie Privat comme « un mode sémio-anthropologique de communication ». La littératie se manifeste selon quatre modalités, « sans hiérarchie interne a priori »: la littératie à l’état objectivé (« les dispositifs pratiques : bureau, clavier, crayon, papier, cahier, etc. »), institué (« les configurations éducatives, étatiques, artistiques, professionnelles, confessionnelles diverses »), incorporé (« la littératie est non moins une technique du corps tant pour l’écriture que pour la lecture ») et axiologisé (« la littératie en tant que l’écrit fait culture est l’objet d’une extrême valorisation et/ou de résistances »). Nous renvoyons à l’article de Jean-Marie Privat (2019a).