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Couverture de Reconstruire l'école. Péripéties de la forme scolaire d'éducation (Go, Prot, 2023) Show/hide cover

Problèmes et enjeux contemporains de la forme scolaire

Quel regard porter sur la société actuelle en matière d’éducation ?

D’abord, selon Prairat, l’hétérotopie scolaire fonctionne désormais sur le modèle économique, par « organisation d’un marché scolaire concurrentiel, libre accès à des offres de formation présentées à grands renforts de publicités, place faite aux techniques de management pour administrer les établissements, éloge sans frein de la performance et de l’évaluation » (Prairat, 2013, p. 29).

C’est certainement là une cause majeure du piétinement de l’école française où les résultats aux divers tests internationaux sont de plus en plus médiocres, pour ne pas dire faibles (Prairat, 2022, p. 99-102).

Une substitution des instances

L’interrogation que l’on peut porter sur la société actuelle est qu’y règnent contrôle continu et communication instantanée : c’est en cela que les institutions y sont entrées en crise. Car utilisant des techniques de marketing, la société de marché tend à devenir une société de contrôle sur « l’individuation psychique et collective, pour l’adapter aux besoins immédiats des marchés en les dépolitisant, en les désocialisant et en les désymbolisant » (Stiegler, 2008a, p. 157).

Quels processus sont impliqués dans les difficultés de l’institution scolaire ? Entre des programmes institutionnels et ce que Stiegler appelait des industries de programmes, y a-t-il eu substitution des instances ?

Dubet considère également l’institution scolaire comme « un dispositif symbolique et pratique chargé d’instituer des sujets » (2010), ce qu’il appelle le « programme institutionnel », qui est le modèle de socialisation de la forme scolaire actuelle, issu de la modernité. On peut le caractériser comme « une structure stable de l’information, mais dont les contenus peuvent varier de manière infinie » (Dubet, 2010). L’analyse de Dubet est qu’il se détermine indépendamment de son contenu culturel et se définit selon quatre critères :

  • sa valeur et ses principes « définis comme « sacrés », homogènes et n’ayant pas besoin d’être justifiés » ;

  • sa vocation à « respecter le maître non en tant qu’individu singulier, mais en tant que représentant de principes supérieurs » ;

  • son école comme « sanctuaire hors du monde » ;

  • sa finalité fondée sur la conviction que « la liberté naît de la soumission à une figure de l’universel » (Dubet, 2010).

Le programme institutionnel accorde alors une légitimité à l’enseignant fondée sur l’autorité de l’institution elle-même. Il devrait offrir en cela la possibilité à l’école de ne pas endosser les difficultés provenant de l’environnement social. Enfin, reposant sur des principes partagés ainsi que sur la vocation de ses recrues, l’institution scolaire peut relever d’une organisation simple, reposant sur un « ordre mécanique bien plus que sur un ordre organique » (Dubet, 2010). Mais la « modernité » est devenue contradictoire avec le programme institutionnel. En concurrence avec lui, elle le désagrège progressivement :

On admettra évidemment que les mutations et les crises engendrées par la globalisation libérale ne sont pas sans effets sur l’école ; ce n’est pas la faute de l’école s’il y a du chômage, ce n’est pas sa faute si la pauvreté s’installe dans une partie de la population et si la culture véhiculée par les médias semble souvent avilissante. [ibid.]

Or, même si le sociologue accorde une part non négligeable de ce qu’il appelle un déclin des institutions aux politiques ultralibérales, il lui semble qu’une partie des difficultés de l’institution ne soit pas externe à elle-même, mais issue de modifications intrinsèques au programme de socialisation :

plus les sociétés modernes sont démocratiques et individualistes, moins elles postulent un univers de sens commun que les programmes institutionnels ont vocation à socialiser [...] et la légitimité de la culture scolaire ne s’impose plus avec la même force dans les sociétés où la culture de masse, quelle que soit la manière dont on la juge, affaiblit le monopole culturel de l’école. [ibid.]

Cette idée d’un changement endogène de l’école ne nous paraît pas convaincante, et elle repose sur une répudiation de principe des critiques du « néolibéralisme », dont Dubet va jusqu’à faire une « solution » (ibid.) – sa solution. Car il est essentiel de noter que le danger des industries de programmes dont parle Stiegler vient du contrôle qu’elles exercent sur les programmes comportementaux de régulation de la vie collective. Elles en dessaisissent donc réellement et concrètement le système éducatif, pour les adapter aux besoins immédiats du marché.

Stiegler appelle individuation collective le devenir social d’une unité collective. Il soutient que l’actuelle société de marché a fait de la culture une industrie, le problème étant que les industries de programmes – désignant ces industries culturelles – sont désormais concurrentes de ce qu’il appelle les institutions de programmes telle l’école : « la prise de contrôle des industries de programmes entre inévitablement en lutte avec les institutions de programmes, dont l’école est la principale dans les démocraties industrielles » (id.).

L’utilisation massive des médias analogiques puis numériques – qu’il nomme des psychotechnologies – qui œuvrent pour assurer le contrôle comportemental des individus, programme leurs désirs et capte leur attention :

ce que la civilisation a accumulé de plus précieux, les industries audiovisuelles le défont systématiquement, quotidiennement, avec les techniques les plus brutales et les plus vulgaires tout en accusant les familles et le système éducatif de cet effondrement. C’est cette incurie qui constitue la cause première de l’extrême affaiblissement des établissements d’enseignement aussi bien que de la structure familiale. [Stiegler, 2008b, p. 135-136]

C’est cette évolution qui menace gravement la fonction jadis assignée au système éducatif : faire adopter des « programmes », des conduites, des savoir-faire et des savoir-vivre selon la terminologie de Stiegler, destinés à former l’attention des élèves à l’école et à leur faire adopter une culture. Désormais, comme le remarquait déjà Deleuze en 1990, l’éducation risque d’être « de moins en moins un milieu clos, se distinguant du milieu professionnel comme autre milieu clos » (Deleuze, 1990, p. 237). Nous observons clairement que l’école est une institution de formation de plus en plus discutée1.

L’enjeu de satisfaction des pulsions

Toute société repose sur une économie libidinale qui transforme la satisfaction des pulsions, par essence asociales, en un acte social. Comme le stipule Stiegler : « Est social ce qui tend à élever les investissements de la libido, au sens où cette élévation renforce les liens sociaux et fournit en cela au corps social les motifs de son unité » (Stiegler, 2008a, p. 43).

Mais le problème, tel que le présente Stiegler, est que l’économie libidinale est en panne. Qu’est-ce à dire ? La civilisation interdit l’expression de l’agressivité entre les hommes, et ces interdits trouvent leur expression dans les valeurs morales qu’elle tente d’imposer. Ainsi, l’édifice de la civilisation repose sur le renoncement aux pulsions instinctives. Nous savons depuis Freud que la pulsion est le lieu de l’articulation entre corps et psyché, concept interface entre soma et psychisme.Dans son article Pulsions et destin des pulsions (1915), il définit le concept de pulsion – pulsio (action de pousser, pellere, pulsum), Trieb traduit parfois en français par « instinct » en tant qu’excitations provenant de l’intérieur de l’organisme. En cela, il est impossible de dissiper la pulsion par une action de fuite. Cette dernière agit comme une poussée régulière, dans le but d’assouvir une satisfaction. La motion pulsionnelle est ce qui conduit la vie psychique à s’organiser, désignant un état de l’excitation vectorisée. La pulsion est ce qui donne la direction du processus psychique et en ce sens la psyché n’est pas directement reconnaissable si ce n’est par l’intermédiaire de ses représentants psychiques (affects, images, langages...). « La polarité plaisir-déplaisir est liée à une échelle de sensations, dont l’importance primordiale pour la détermination de nos actions (volontés) a déjà été soulignée » (Freud, 1968, p. 34).

Au cours du développement et de la vie, Freud indique que les pulsions (notamment les pulsions sexuelles) peuvent connaître quatre destinées : « le renversement dans le contraire, le retournement sur la personne propre, le refoulement et la sublimation » (Freud, 1968, p. 24). Nous y reviendrons. À partir des années 1920, le père de la psychanalyse est amené à reprendre le concept d’inconscient et théorise une seconde topique qui montre l’évolution de sa pensée en intégrant notamment de nouvelles stratifications à l’appareil psychique. Dans Le Moi et le Ça,la conception du sujet dans la théorie psychanalytique est considérablement enrichie. Freud y introduit le Ça (das Es en allemand) indissociable de la nouvelle théorie des pulsions qui vient d’être élaborée. Le Ça est représenté en tant que réservoir de pulsions, instance qui apparaît à partir d’une nouvelle formulation du moi désigné comme Ps-Cs (perception-conscience) et Pcs (préconscient). L’idéal du moi représente chez Freud une sorte « d’être supérieur » héritier du complexe d’Œdipe, il est :

l’expression des plus puissantes motions et des plus importants destins de la libido et du ça. Par son édification, le moi a assuré son emprise sur le complexe d’Œdipe et, en même temps, il s’est lui-même soumis au Ça. Tandis que le moi est essentiellement représentant du monde extérieur, de la réalité, le sur-moi se pose en face de lui comme mandataire du monde intérieur, du Ça. Les conflits entre le moi et l’idéal refléteront en dernière analyse, nous sommes maintenant prêts à l’admettre, l’opposition entre réel et psychique, monde extérieur et monde intérieur. [Freud, 2010, p. 83]

Notre vie sociale nous donne de nombreuses occasions, et cela très tôt, de voir se confronter ces tendances pulsionnelles. Les pulsions peuvent être considérées comme amorales en ce sens qu’elles ne visent que leur propre assouvissement. Ainsi, leur satisfaction peut entrer en contradiction avec certaines règles qui s’imposent dans toute vie sociale. En outre, explique Freud, la pulsion sous-entend l’idée de dépendance et de soumission du sujet par opposition au désir en tant que recherche consciente d’une source de satisfaction et de plaisir à travers un objet socialement valorisable, en ce sens le désir est désaliénant.

Focale sur pulsions et sublimation

Il est donc important de penser à la destinée des pulsions. Pour lutter contre l’hostilité née des besoins non satisfaits, la société propose à ses membres des satisfactions substitutives. Dans un de ses textes intitulé L’avenir d’une illusion, Freud a clairement relié la répression sexuelle à l’éclosion des névroses : il repère notamment le rôle qu’a joué la religion dans cette répression.

Un renoncement progressif à des instincts constitutionnels, dont l’exercice pouvait donner au Moi un plaisir primaire, semble être l’une des bases de l’évolution culturelle des hommes. Une partie de ce refoulement des instincts est accomplie par les religions, en tant qu’elles incitent l’individu à offrir en sacrifice à la divinité ses plaisirs instinctifs. [Freud, 1971, p. 94)]

Freud dénonça les conséquences néfastes de cet « interdit de penser » développé par la religion en matière de sexualité, sur la santé psychique des femmes de son époque notamment. C’est pourquoi tout l’enjeu de ce que l’on appelle la civilisation repose sur ce que Freud appelle la sublimation de l’économie libidinale. En 1905 apparaît dans les textes du père de la psychanalyse une première acception du concept de sublimation :

Les sociologues semblent d’accord pour dire que le processus détournant les forces sexuelles de leur but et les employant à des buts nouveaux, processus auquel on a donné le nom de sublimation, constitue l’un des facteurs les plus importants pour les acquisitions de la civilisation. Nous ajouterons volontiers que le même processus joue un rôle dans le développement individuel et que ses origines remontent à la période de latence sexuelle chez l’enfant. [Freud, 1962, p. 70-71]

La libido, dit Freud, est l’énergie qui constitue ce que l’on nomme plus communément l’eros ou l’amour que l’on porte aux autres, l’amour de soi, mais aussi de l’attachement à un objet ou à une idée. La libido est la socialisation de l’énergie produite par la pulsion sexuelle, mais telles que, comme désir, ces pulsions sont transformées en objets sublimables : objets d’amour ou d’attention à l’autre – objets d’investissements. L’économielibidinale désigne l’énergie produite par une économie des investissements sexuels constituée par leur désexualisation. Cette énergie (la libido) transforme les pulsions en les mettant en réserve (comme investissement). L’économie libidinale est une théorie générale des pulsions sexuelles sublimées, du désir qui transforme l’énergie pulsionnelle et permet, comme sublimation, la construction des relations sociales.

En 1913 dans un article qu’il publia en allemand dans la revue italienne Scientia, Freud s’explique sur l’intérêt de la psychanalyse dans de nombreux domaines. En dernière instance, il s’exprime sur l’intérêt de sa théorie pour la pédagogie et pour l’éducateur. Selon Freud, une sévérité trop importante dans l’éducation, une répression systématique et excessive des instincts ou pulsions peut engendrer de graves troubles psychiques2. Une éducation répressive ne supprime pas les pulsions mais oblige le sujet à les refouler, ainsi que les affects qui leur sont associés. Le rôle de l’éducateur prend alors tout son sens si l’on entend l’éducation en tant que vecteur possible de transformation de la libido permettant d’ordonner un changement de but pulsionnel. Freud écrit :

Elle peut aussi enseigner quelle précieuse contribution à la formation du caractère fournissent ces instincts asociaux et pervers de l’enfant, s’ils ne sont pas soumis au refoulement, mais sont écartés par le processus dénommé sublimation de leurs buts originaires vers des buts plus précieux. Nos meilleures vertus sont nées comme formations réactionnelles et sublimations sur l’humus de nos plus mauvaises dispositions. L’éducation devrait se garder soigneusement de combler ces sources de forces fécondes et se borner à favoriser les processus par lesquels ces énergies sont conduites vers le bon chemin. C’est entre les mains d’une éducation psychanalytiquement éclairée que repose ce que nous pouvons attendre d’une prophylaxie individuelle des névroses. [Freud, 1913]

On comprend avec Freud que la question de la sublimation en tant que détournement des pulsions à l’origine d’acquisitions sociales est cruciale, notamment dans la formation d’un idéal du moi.

La formation d’un idéal du moi

L’idéal du moi (ou das Ichideal en allemand) apparaît dans la seconde topique freudienne. Il est lié au narcissisme et désigne

une instance de la personnalité résultant de la convergence du narcissisme (idéalisation du moi) et des identifications aux parents, à leurs substituts et aux idéaux collectifs. En tant qu’instance différenciée, l’idéal du moi constitue un modèle auquel le sujet cherche à se conformer. [Laplanche et Pontalis, 1967, p. 184]

L’idéal du moi peut se concevoir comme une projection « en avant » que l’homme fait de lui-même. Cet idéal projeté renvoie à une forme de narcissisme issu de l’enfance et perdu, à un temps où il était lui-même son propre idéal. À l’origine des processus d’individuation individuels ou collectifs, Freud énonce deux phases : les processus d’identification primaire et les processus d’identification secondaire. Ainsi, et notamment lors des derniers moments de la phase œdipienne, la psyché de l’enfant se structure par l’intériorisation du modèle parental. Cette étape, qui fait suite au moment privatif du complexe d’Œdipe, va permettre à l’enfant de sortir de sa « position métonymique » et d’accéder à l’étape féconde suivante où « il devient cette autre chose dont je vous ai parlé la dernière fois, celle qui comporte l’identification au père et le titre virtuel à avoir ce que le père a » (Lacan, 2009, p. 227). Les identifications de type secondaires adviennent plus tard et consistent en une série d’attachements à d’autres personnes en tant qu’objet d’affection, d’admiration ou de sublimation. Cette formation du caractère du moi résultent alors de ce que Freud nomme un processus de « sédimentation » (Freud, 2010).

Au niveau collectif, l’idéal de la population peut s’entendre en tant que construction d’identifications secondaires dont les hommes et les femmes politiques seraient entre autres les représentants. Stiegler (2008a) pose le problème de la formation de l’individuation psychique à l’heure où dans des démocraties comme la France par exemple la télévision et le marketing tendent à se substituer à l’objet d’identification primaire formée lors de la prime enfance. La difficulté se situe tant au niveau de l’individu psychique qu’au niveau de l’individu collectif, où l’on constate une impossibilité de former un idéal du moi ou un idéal du peuple, la télécratie détruisant à proprement parler les capacités de sublimation de chacun et de tous.

Or, dès lors que s’affaiblissement les processus d’individuation, et que surviennent la perte d’individuation psychique et la perte d’individuation collective sous les effets induits de la télécratie, le défaut d’individualisation devient producteur d’anxiété sociale, avec tout ce qui l’accompagne de perte de confiance, immobilisme, tétanisations diverses, possibilités de manipulation par la peur, xénophobies et racisme, discours sécuritaire de tous poils, moralisme archaïsants, homophobie, et tant d’autres phobies. [Stiegler, 2008a, p. 105]

Les conséquences de la mutation du lien social sur la subjectivité de chacun s’observent aujourd’hui par une évolution radicale des comportements des individus et de la vie en société. Au début des années 2000, Charles Melman dans son ouvrage L’Homme sans gravité s’en étonne et s’interroge : que se passe-t-il pour que la jouissance l’emporte sur le désir ? À l’aune de cette morale nouvelle, apparaît ce que le psychiatre nomme donc « la nouvelle économie psychique » (NEP). Ainsi la transformation culturelle à laquelle nous assistons entraîne de nombreuses mutations ou « dérégulations ». Jean-Pierre Lebrun parle quant à lui de l’avènement d’un « individu total » en tant qu’individu ne devant rien à la société car de tels individus sont « nés d’eux-mêmes ». Il écrit :

C’est pourquoi d’ailleurs la démocratie ne peut être simplement prescrite comme un modèle à mettre en place partout, car elle suppose un lent et profond travail d’aménagement psychique qui redonne sa place à de l’Un, non au Un religieux, mais à de l’Un qui supporte le tiraillement permanent avec le relatif et le pluriel, et cela ne peut qu’être obtenu en passant par ce que Freud appelait « le travail de la culture » (Kulturarbeit) – et que l’on peut définir comme ce qui permet de faire vivre ensemble les humains en les contraignant individuellement et collectivement de transformer leur violence en ce qui peut servir au lien social, et cela tant que faire se peut. [Lebrun, 2020, p. 237]

Si, comme l’explique Lebrun, c’est bel et bien le social, en tant qu’il nous préexiste, qui donne à chacun la légitimité de pouvoir soutenir sa singularité et de se construire comme sujet, que dire aujourd’hui de l’institution scolaire en tant qu’institution première du vivre-ensemble ayant comme finalité la transmission d’une culture ?

Un modèle d’école en tant qu’institution d’individuation

L’école est un lieu particulier consacré au soin de l’enfance, lieu de l’otium dit Stiegler – lieu du loisir consacré entièrement à l’étude –, nous sommes en droit d’attendre d’elle qu’elle assume un ambitieux programme de transmission de la culture.

Stiegler propose en effet de comprendre l’idée d’école en tant que lieu même où se joue un processus d’individuation. De nos jours, la profession des professeurs n’est pas suffisamment là où on l’attendrait. Serait-elle victime d’un trompe-l’œil du pluralisme démocratique ? Car si l’actuel recrutement des professeurs consiste à rassembler artificiellement (par une désaffectation vocationnelle de plus en plus visible et problématique) des personnes venant de tous horizons et sans visée commune, et si l’actuelle institution de formation n’est pas en mesure de produire chez ces personnes rassemblées une compréhension commune de leur mission, cela signifie que l’école ne répond plus correctement à son projet : lieu de l’instruction publique et foyer de la démocratie où se forme, chez les enfants, un idéal du moi comme individuation psychique et collective (Stiegler, 2008a, p. 167). Stiegler à ce sujet explique que

l’école est un lieu d’intériorisation et d’incorporation de programmes rétentionnels qui constituent, sous forme de textes, d’exercices, de programmes, les prothèses synthétiques a posteriori qui seules peuvent donner accès à la conscience de ce que Kant appelle les jugements synthétiques a priori qui fondent les savoirs universels, c’est-à-dire les lois fondamentales du savoir en quoi consiste l’identification primaire dont l’école est le lieu d’adoption et d’incorporation. [Stiegler, 2008a, p. 175]

Or, l’une des difficultés actuelles est qu’avec le développement des nouvelles technologies (smartphone, YouTube, réseaux sociaux, jeux de toutes sortes, etc.) entrent en concurrence avec le système éducatif  « pour capter l’attention des générations nouvelles » (Stiegler, 2008b, p. 110). Dans ce contexte, la question sérieuse est donc d’essayer de savoir de quoi l’école est-elle responsable. Si l’on suit Stiegler, en favorisant le processus de symbolisation, parce qu’elle offre des instruments spirituels (Stiegler, 2008a, p. 83), « l’école est une école de l’attention » (ibid., p. 175). Mais surtout, il faut comprendre que l’attention permet d’orienter le désir vers une haute culture, et vers le nous de la vie collective. La loi d’adoption de la culture – qui est un fonds pré individuel – a pour mission de produire chez les élèves une individuation par le savoir. Comment penser à nouveaux frais une institution des savoirs où les circuits de la transindividuation articulent à la fois individuation psychique et collective ?

Bien sûr, quiconque entre dans le lieu historique de l’École Freinet peut se dire : « c’est l’école idéale ! » On peut comprendre l’importance de sauvegarder des œuvres historiques comme l’École d’Humanité de Paul Geheeb à Hasliberg-Godern dans le canton de Bern, le Lycée Decroly à Uccle dans la banlieue de Bruxelles, ou cette fameuse École Freinet dans les Alpes-Maritimes françaises. Ces communautés scolaires héritées du grand mouvement de l’Éducation nouvelle constituent un véritable patrimoine pédagogique, matériel et immatériel.

Apporter le soutien de la recherche à des écoles qui s’efforcent de pratiquer ce que l’on appelle aujourd’hui une pédagogie « alternative » est légitime, comme le souligne Philippe Meirieu (2018, p. 106), même s’il s’agit dans ces écoles d’un « espace préservé », d’un « monde à part » où « la pédagogie a pu trouver refuge » (ibid., p. 107), dit-il. Oui mais l’idée d’une « école idéale » peut aussi paraître angélique, voire illusoire. Comme nous l’avons précédemment évoqué la psychanalyse distingue d’une part un « moi idéal » fantasmatique, enraciné dans l’expérience des premières satisfactions narcissique de « sa majesté bébé », donc l’expérience archaïque infantile de toute-puissance, et d’autre part un « idéal du moi » – bien sûr ancré dans le narcissisme – mais tempéré par les conditions qu’impose la réalité, et donc réaliste dans ses projets constructivistes. Lacan a retravaillé cette analyse en soulignant que l’idéal du moi désigne la capacité à s’identifier au domaine du « symbolique », constituant dans le champ du langage une sorte de réservoir de codes culturels et de significations, alors que le ideal-Ich reste captif des idéalisations « imaginaires » narcissiques. Freud appelait la spiritualisation, un processus psychique par lequel un enfant apprend à renoncer aux formes premières et pulsionnelles de sa demande, pour se hisser vers des « idéaux culturels » socialement valorisés. Pour ce qui concerne l’école, nous suggérons de différencier le fantasme d’une « école idéale » dans lequel pourrait s’enfermer une posture hagiographique, et un « idéal d’école » analogique à ce que Stiegler appelle, lui, un idéal de population qu’il nomme « le peuple », c’est-à-dire le nous qui se construit historiquement en tant que bien commun d’Humanité.

La question de la reconstruction de l’école reste entière, mais nous pensons que les expériences d’écoles dites alternatives et plus particulièrement celle de Vence demeurent un modèle pertinent d’analyse et d’étude pour penser à nouveaux frais les enjeux tout à la fois politique, didactique, pédagogique d’une école reconstruite se dressant contre l’assujettissement et l’abêtissement du sujet.

L’enlisement de l’école publique ?

Il y a une vérité à considérer l’éducation comme ayant à être assurée, plus que jamais, par une institution scolaire publique, et c’était déjà tout le mérite de Kant, de nous en avoir convaincu (Kant, 1967). Mais la part d’idéalisme et d’idéologie de la forme scolaire républicaine est d’avoir voulu fonder et fixer la norme en une référence radicale qui constituerait le point de départ de toute action possible, en faisant l’économie de l’historicité de la normativité.

Dans l’école publique, quelles que soient les altérations produites lors des trente dernières années, cette pédagogie classique est toujours dominante actuellement, alors qu’il avait été enfin question, dans la Loi d’Orientation votée en 1989, de changer cette forme classique de l’école : le motif en était sa démocratisation. La démocratie, dont la forme scolaire est restée jusqu’à présent classique, n’est donc pas parvenue à se doter de sa propre forme scolaire.

Vouloir une reconstruction de la forme scolaire et un changement de paradigme dans la conception de la normativité en éducation est un projet philosophique et politique souhaitable dans une société capitaliste (n’ayant rien à voir, comme telle, avec la démocratie) où non seulement l’ordre social-historique est devenu particulièrement instable, mais aussi parce que nous vivons une époque indigente au point de n’en avoir pas conscience. Ce fait s’accompagne de la mystification que constitue la notion d’individualisme démocratique, car ce qui caractérise notre société, et dont le capitalisme a besoin, est le conformisme de la consommation, de la culture de masse, et l’appauvrissement des significations imaginaires sociales, ce que Stiegler (2008a) analysa sous le concept de « processus d’identification régressive ».

À moins de radicaliser l’anthropologie des institutions et de penser que tous les agents sont pris dans des rouages d’une machinerie qui en feraient les individus passifs d’une population léthargique, des changements restent cependant possibles. Il est juste de les imaginer et de tenter de les faire advenir, en refusant le sort d’homme fragmenté que nous réserve une société risquant d’être indéfiniment bloquée à l’ère de la technique autonomisée, ne produisant plus que du nouveau technologique, voire condamnée sous peu à l’apocalypse nucléaire.

Le sens du métier

Comment repenser le métier d’enseignant ? Nous parlons en général de « pratiques enseignantes » parce que ces pratiques sont spécifiques à un métier. Dérivé de l’ancien français « mestier » (11e siècle) – hérité du latin populaire « misterium » et du latin classique « ministerium » –, ce terme évoque d’abord le domaine des besoins pour l’être humain, et de là l’idée de « service » pour autrui, et enfin l’idée de « fonction ».

Un métier est socialement l’exercice par une personne d’une activité dans un domaine professionnel, en vue d’une rémunération, car ce métier désigne le degré de maîtrise acquis par une personne du fait de sa pratique sur une durée suffisante de cette activité. Il fut un temps où chaque humain faisait lui-même tout ce dont il avait besoin. C’est ce qu’explique Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) : à l’état naturel (avant d’organiser une forme de vie sociale), chaque individu, nomade, savait faire tout ce dont il avait besoin pour survivre. Il n’y avait donc pas de spécialité. C’est avec la sédentarisation et la vie collective que la division du travail s’est opérée, et que des métiers sont apparus : l’éleveur, l’agriculteur, le charpentier, etc. La théorisation de cette idée vient de l’Antiquité où l’on concevait la technique, chez les Grecs, comme un ensemble de savoir-faire acquis par expérience. Cette notion correspond également à un mot d’origine latine : l’art. On parle de « l’homme de l’art », celui qui sait faire, le spécialiste de quelque chose, la personne expérimentée en laquelle on peut avoir confiance. Tout métier implique une technique, une manière de faire, un savoir-faire : on peut l’appeler un « savoir pratique ». C’est d’ailleurs le sens du mot grec τέχνη / tekhnè, et aussi celui de ποίησις / poíēsis : le fait d’agir intelligemment pour réaliser quelque chose.

On voit que la notion de métier implique une certaine stabilité, on dit d’ailleurs de quelqu’un d’expérimenté : « il a du métier » ... Cette stabilité dans la manière d’agir étant une garantie d’efficacité et de résultat, on va confier une tâche à quelqu’un dont on sait qu’il l’effectuera correctement, parce que c’est son métier. Cette stabilité offrant des garanties donne lieu à un certain « sens du métier » (on dit de quelqu’un : « il a le sens du métier »), à certains usages propres au métier, et même à une éthique propre à ce métier. Chaque métier peut être vu comme un « corps de métier », une « corporation », un « ordre professionnel » avec ses règles d’usages, ses normes, ses exigences propres. Dès lors, chaque métier fournit également une identité à celui qui le pratique : « je suis maçon », « je suis métallurgiste » ... En résumé :

  1. une expérience technique : « être professionnel » ;

  2. une morale professionnelle ;

  3. une identité professionnelle.

L’une des questions essentielles, concernant la pratique d’un métier, est donc celle de la formation à ce métier : comment apprend-on un métier, dans quelles conditions, pendant combien de temps, quand devient-on capable de l’exercer ? Cela implique de savoir à quel moment on commence à l’apprendre et quel statut l’on a comme apprenti. Un ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry (2002-2004), avait laissé entendre devant l’Assemblée qu’être professeur, ce n’était pas un « métier », et que cela ne s’apprenait pas : il suffirait de maîtriser les savoirs de sa discipline pour pouvoir enseigner. Est-ce le cas ?

Tout professeur est porteur d’une intention d’enseigner, mais le problème est qu’il ne suffit pas de « savoir » quelque chose pour être en mesure d’enseigner. À partir du moment où l’on reconnaît nécessaire de former quelqu’un pour qu’il devienne un professeur, la question se pose d’elle-même : comment fait-on de quelqu’un un professeur ? La conception selon laquelle le métier de professeur ne s’apprendrait pas est donc la conception selon laquelle connaître ce qui est à enseigner suffit pour enseigner. Mais nous soutenons au contraire qu’enseigner, ça s’apprend, et donc que cela doit être enseigné.

C’est un métier dont il faut comprendre le sens. Professer est la profession par excellence, c’est étymologiquement ce que l’on fait publiquement, devant et avec d’autres (en position publique, et pour un intérêt général) : du latin fateor « je déclare » (avec son préfixe pro), profiteor « je déclare publiquement » (donnant l’adverbe professe qui signifie « ouvertement », le nom féminin professio qui dénote une « déclaration publique officielle », et le nom masculin professor signifiant « celui qui cultive »). Le professeur, par définition, devra faire preuve de conscience professionnelle, en manifestant la conscience qu’il a de la dignité de son activité exercée en vue d’un bien commun. En effet, la fonction sociale du professeur dans notre tradition humaniste est de contribuer au partage de la culture et au progrès des Lumières. C’est pour cela notamment qu’il se doit d’essayer d’être exemplaire professionnellement. C’est en ce sens que l’on peut comprendre la sentence d’Élise Freinet : « Qui aime son métier va plus loin que le métier » (Freinet É., 1966, p. 11).

Lorsque nous nous référons à l’institution scolaire, nous ne faisons pas de différence fondamentale entre ce qui pourrait relever d’une pédagogie, et ce qui pourrait relever d’une didactique, dans la mesure où la transmission de savoirs implique forcément en situation un système de références normatives et de pratiques épistémiques pris dans des choix éducatifs. La pédagogie est l’art de diriger et d’orienter les enfants à l’école. C’est un savoir-faire et un métier. Ce métier vise un résultat, mais le pédagogue n’agit pas sur des objets, il agit avec des sujets. Le résultat visé pour chacun des élèves est l’augmentation de sa puissance d’agir dans le monde, dans l’ordre de la connaissance et de la coopération, ce qui suppose d’organiser concrètement les conditions d’un processus d’émancipation. L’émancipation est l’activité qui réduit les formes de dépendance, d’aliénation et d’impuissance.

Aiguiser l’appétit de savoir

Or, l’école « traditionnelle » ne considère l’élève, au mieux, que comme un esprit à remplir d’un catalogue de connaissances – les Humanistes déjà, d’Érasme à Montaigne et Descartes, avaient bien moqué une telle conception et une telle pratique –, qui sont présentées sous la forme d’un texte du savoir, c’est-à-dire d’un ensemble d’objets de savoirs disciplinaires répartis, comme nous le savons, sur une ligne du temps et dans un programme à ingurgiter. Une discipline sévère, dans les premières formes pédagogiques, accompagnait cette contrainte. Or, comme l’écrivait Freud dans un article sur l’intérêt de la psychanalyse en 1913,

La psychanalyse a souvent eu l’occasion d’apprendre à quel point la sévérité inutile et sans discernement de l’éducation participe à la production de la maladie nerveuse, ou au prix de quel préjudice de la capacité d’agir et de la capacité de jouir la normalité exigée est acquise. [...] C’est entre les mains d’une éducation psychanalytiquement éclairée que repose ce que nous pouvons attendre d’une prophylaxie individuelle des névroses.

Le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung, qui participa en 1921 au premier Congrès de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle à Lille, fit également lors du deuxième Congrès en 1923 à Montreux une conférence, entendue par Célestin Freinet, sur la nécessité de libérer l’énergie créatrice des enfants en assumant un contact personnel avec l’enfant, plutôt que de le bourrer de connaissances (Jung, 1923, p. 121). Cette idée devint d’ailleurs le thème central du Congrès de l’Éducation nouvelle en 1925 à Heidelberg, mais Jung y souligna évidemment l’impossibilité d’agir directement sur la part inconsciente de la personnalité des enfants. D’abord, « tout nous apparaît comme soumis à notre volonté. Ce préjugé universel provient du fait que nous avons tendance à identifier le psychisme tout entier avec l’esprit conscient » (Jung, 1923, p. 121). Dans une telle optique, si le succès de l’enseignement ne doit pas dépendre simplement d’une méthode (Jung, 1923, p. 121), il vaut quand même mieux pour un éducateur, disait-il, utiliser « une méthode d’enseignement reconnue », plutôt que de vouloir ou prétendre se lancer lui-même dans l’analyse du subconscient (Jung, 1925, p. 14).

Nous pourrions considérer très simplement avec Freinet : « Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire un cheval qui n’a pas soif. Toute méthode est bonne qui ouvre l’appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail » (Freinet, 1967, p. 25). Nous en viendrons bientôt au problème de l’émancipation comme ouverture à l’appétit de savoir avec cette question que nous pouvons garder en mémoire.

Contre les pratiques de collaboration

Il y a, c’est un fait, des méthodes de transmission de savoir qui sont regrettables. Elles ont en commun de rechercher l’utile ou l’efficace sur fond de concurrence en produisant de l’isolement selon le modèle de la division technique du travail, c’est-à-dire une atomisation des individus dans la classe. L’individualisme qui est ainsi valorisé n’a pas pour cause l’égoïsme naturel, il est une institution. Le paradoxe est que l’on prétend aujourd’hui tempérer cet individualisme institué par une institution de la collaboration.

Un tel terme n’est malheureusement pas anodin. La logique de collaboration peut être vue comme une forme de « coopération destructrice », c’est-à-dire produire des effets destructeurs sur les autres, selon le vocabulaire de Richard Sennet (2014) pour qui les échanges coopératifs empruntent de multiples formes. La coopération est un échange dans lequel les participants, dit-il, bénéficient de la rencontre, mais où il s’agirait surtout d’avoir affaire avec ceux qui sont différents pour relier des gens qui ont des intérêts différents. Or la société moderne à considérablement affaibli la coopération de diverses manières, du fait de l’augmentation des inégalités, de l’appauvrissement des relations sociales et de la fragilisation des liens institutionnels sur fond d’une culture mondiale de la consommation. Une conséquence de l’idéologie du management est que les comportements de coopération se réduisent à un « affichage », Sennett voit cela comme une « solidarité feinte », l’esprit d’équipe restant très fragile et éphémère (ibid., p. 223). Dans notre société disloquée, la personne perd ainsi « le désir de coopérer avec les autres, elle devient un « moi non coopératif » » dit Sennett (ibid., p. 235).

Les méthodes collaboratives sont censées modérer les phénomènes d’individualisme et de concurrence, mais l’économiste Éloi Laurent nous propose (2018) une stimulante réflexion sur les pratiques collaboratives à la mode et sur la logique destructrice de ces pratiques collaboratives. Pour clarifier son propos, l’auteur réfute catégoriquement la définition de la coopération en tant que recherche de l’utile et de l’efficace. Une telle préoccupation caractérise au contraire ce qu’il y a lieu d’appeler la collaboration. Le problème soulevé par l’auteur est que la coopération est aujourd’hui « dévorée par la collaboration » (ibid., p. 21), car en utilisant les instruments de la collaboration et « ses impératifs d’utilité et d’efficacité », l’esprit de coopération s’en trouve détruit (ibid., p. 48). Il convoque l’exemple de l’institution universitaire phagocytée par l’idéologie de l’évaluation, de la concurrence et de la collaboration : « éducation, recherche, monde du travail, politique : tous ces domaines illustrent bien la crise de la coopération que nous vivons sous les apparences d’une société de plus en plus collaborative » (ibid., p. 97). Nous assistons en réalité à l’émergence d’une société de l’isolement notamment par affaiblissement des lieux de sociabilité traditionnels. La connexion sociale, en particulier, tend à être inversement proportionnelle à la connexion numérique (ibid., p. 114-117). Cette crise due à la logique de collaboration est une guerre contre le temps : accélération du présent par la « transition numérique ». En effet l’outil numérique n’est pas ce que nous décidons d’en faire, car « la transition numérique est déjà là, et elle est au contraire ce qu’elle fait de nous » (ibid., p. 146). Comme l’écrit l’auteur, on ne peut déléguer aux machines la fonction du lien social, qui ne peuvent faire société à la place des humains. Elles induisent un désapprentissage collectif dans la mesure où la connaissance apparaît comme déjà là, ce qui entraîne une « accélération appauvrissante du présent » (ibid., p. 153) en colonisant le temps de loisir pourtant « marqueur de civilisation » (ibid., p. 159) comme l’avaient montré Marx ou Paul Lafargue qui rédigea en prison Le droit à la paresse.

L’impératif démocratique de la coopération

Le monde social a donc été gravement détérioré par l’idéologie néolibérale qui désocialise l’économie en multipliant les règles abstraites, et qui définit l’espace social comme un espace de concurrence entre des individus et dans lequel, au mieux, les individus se coordonnent en menant des activités individuelles indépendamment les uns des autres. Le philosophe Franck Fischbach (2015) s’appuie d’abord sur les analyses de Marx pour montrer qu’une efficience du travail de masse est obtenue par la fusion de nombreuses forces en une seule force globale bien supérieure à la somme des travaux individuels dont est constituée cette masse, mais que cela ne produit aucune forme d’augmentation du pouvoir d’agir du travailleur individuel. Ce dont le capital a privé ainsi les travailleurs, c’est de la puissance coopérative de leur travail, et donc de leur puissance sociale en tant que puissance propre au travail humain en tant que tel. Il y a là une dimension proprement anthropologique du travail qui fait l’objet d’une captation et d’une appropriation par le capital, explique Fischbach.

Aujourd’hui pourtant, les travailleurs sont de plus en plus amenés à devoir développer par eux-mêmes les ressources de coopération dans le travail. Fischbach veut démontrer que le social est un espace de coopération entre individus, autrement dit le contraire de la concurrence. Ce que Fischbach entend par le concept du social, c’est le domaine des pratiques assumées par les individus dans la complexité de leurs rapports (ibid., p. 68). Le social n’est donc pas quelque chose de donné, c’est quelque chose à reconstruire et en train de se faire sous la forme de la coopération entre les individus, qui attendent du travail une reconnaissance de sa « valeur sociale », et non un simple revenu. C’est pourquoi le travail comporte tout une dimension coopérative pour mener à bien une œuvre en commun, dans laquelle chaque individu fait l’expérience d’une reconnaissance immanente. Fischbach emprunte à Dewey le terme de public pour soutenir qu’un public émerge lorsqu’il y a une véritable conscience intersubjective (ibid., p. 183) : c’est à partir du travail que les individus font « société ». La coopération n’a donc « pas d’autre terrain possible que la démocratie » (ibid., p. 199) qui est une forme de vie sociale construite dans les collectifs de travail, le travail étant en lui-même porteur d’une exigence démocratique, et cette dimension coopérative est susceptible de posséder en elle-même une portée émancipatrice. C’est depuis son engagement dans le travail que celui qui travaille s’implique en tant que personne3. Cela lui confère le droit de faire de la sphère du travail vivant, dit Fischbach, un espace démocratique de coopération au sein duquel les participants peuvent décider ensemble de la nature, de l’objet, des moyens, de la durée et de la forme du travail.

On peut alors comprendre que la politique ne commence qu’avec la démocratie, comme le dit Jacques Rancière, parce que la démocratie est le pouvoir de ceux qui n’ont pas de titre particulier à exercer le pouvoir ; elle est la reconnaissance du pouvoir de « n’importe qui ». Une telle perspective permet de voir l’émancipation comme moment où chacun se considère égal à tout autre et considère tout autre comme égal à soi. Il s’agit de se connaître comme capables d’autre chose que ce dans quoi on tente de nous enfermer.

L’intelligence de l’égalité

L’égalité ne doit pas être un but à atteindre par réduction de l’inégalité, et il faut partir, dit Rancière (2012), de la présupposition de l’égalité. Si l’égalité des intelligences n’a pas à être une fin en vue, c’est qu’elle doit être prise comme une condition de l’action professorale, au sens d’une activité didactique dans laquelle tout professeur est nécessairement engagé. Cela se joue à chaque instant : il ne faut donc pas attendre de l’école comme institution une hypothétique réduction de l’inégalité, car l’institution ne fait que se reproduire elle-même, d’où la difficulté à donner consistance au thème à la mode d’une école juste.

Il y a d’ailleurs un risque dénoncé par Rancière de renforcer la logique de l’abrutissement en confiant à l’institution éducative la tâche de formater des émancipés pour une société à venir. La réalité de l’émancipation consiste à développer dans le présent des relations égalitaires. Rancière souligne d’ailleurs que l’égalité n’étant pas un but à atteindre, elle est une dynamique d’action – on réalise une forme d’égalité en s’assemblant. La conception et la conduite, par le professeur, d’activités didactiques coopératives, donc de coopérations épistémiques, produit chez les élèves un type d’égalité que l’on peut en ce sens nommer « égalité des intelligences ». Il s’agit, dans une telle perspective, d’augmenter la puissance d’agir collective, car « la pensée neuve de quelques-uns peut devenir une pensée nouvelle d’un grand nombre » (Quilio, 2022, p. 183). Il ne s’agit donc pas de se demander ce que doit faire l’École comme institution, mais ce que nous voulons y faire en construisant de façon très singulière des situations où les élèves sont amenés à s’organiser pour progresser dans les apprentissages. Il y a un temps de l’émancipation qui ne procède pas d’un programme, ni des explications professorales censées pallier les incapacités des élèves. Le temps de l’émancipation est fait d’un art de vivre qui consiste à s’efforcer de vivre un peu autrement dans le monde tel qu’il est.

Dans l’enseignement, un tel principe peut aider à orienter l’apprentissage de la vie intellectuelle et sociale par la pratique de ce que Putnam (2005) appelle la « transcendance réflexive » en se référant à l’idée deweyenne de « critique des critiques » (Expérience et nature, 1925). Il la définit comme « prise de distance activement critique, touchant jusqu’à nos manières habituelles de critiquer les idées, bref la critique de nos manières de critiquer » (Putnam, 2005, p. 144-145). Or, c’est par et dans les activités collectives que s’apprend la capacité critique. Freinet a pensé l’opérationnalisation de tels principes avec l’institution du texte libre par exemple qui permet aux élèves de démystifier les pensées imprimées en apprenant à en faire la critique. Il a également développé une philosophie de l’institution coopérative. Ces différentes remarques me conduisent à proposer une articulation de la notion de pédagogie avec les concepts déjà liés de coopération et d’émancipation.

Le pédagogue fait la chasse aux individus qui s’obstinent à ne pas monter par les voies qu’il estime normales. S’est-il demandé si, par hasard, sa science de l’escalier ne serait pas une fausse science, et s’il n’y aurait pas d’autres voies plus rapides et plus salutaires, procédant par sauts et par enjambées ; s’il n’y aurait pas, selon l’image de Victor Hugo, une pédagogie des aigles qui ne montent pas par l’escalier ? [Freinet, 1967, p. 17]

Si Freinet ne s’explique pas sur cette image empruntée à Victor Hugo, elle peut faire l’objet d’une méditation, en fonction du contexte dans lequel on plonge une telle idée. Une fois dissipée la confusion entre coopérer et collaborer, l’idée d’émancipation par la coopération peut sembler une belle idée, mais qui reste assez abstraite. Il est nécessaire de la plonger dans des situations concrètes pour l’élaborer de façon plus convaincante, et lui donner une suffisante densité. C’est donc pour nous la réalité pédagogique du réseau d’institutions de l’École Freinet qui offre un exemple exemplaire4 d’effectuation concrète de l’idée d’émancipation.

Le problème de la socialisation démocratique

La forme scolaire républicaine, nonobstant son illustre inspirateur qu’était Condorcet, n’a pas permis et ne permet pas que s’effectue le travail d’émancipation.

J’en suis venu, dit Guy Vincent,

à distinguer très nettement de la forme scolaire, telle que je l’avais définie en schématisant l’école « chrétienne » du XVIIe siècle, l’instruction publique telle que Condorcet avait cherché à la définir et à la proposer à la discussion dans les assemblées de la Révolution française. Si au centre de la forme scolaire il y avait la règle impersonnelle imposée à tous, y compris le maître, il appert que, au centre de l’instruction publique, il y a l’usage de la raison, la recherche des raisons. [Vincent, 2008, p. 52]

Guy Vincent en retire cette idée que si l’instruction doit être accessible à tous, elle ne peut avoir n’importe quelle forme, car, comme le pensait Condorcet,

Les préjugés et la tyrannie étant les causes du malheur des hommes, on peut désormais apercevoir une révolution qui ne consiste pas simplement à renverser un gouvernement (Conclusion du cinquième mémoire sur l’instruction publique). Les préjugés étant ce qui est admis sans que nous fassions usage de notre raison, ni sans critique, en particulier ce que les despotes ont intérêt à nous laisser croire ou à nous faire admettre, l’usage systématique de la raison critique permet que tous les peuples deviennent des « peuples libres ». [ibid., p. 53]

Guy Vincent problématise ainsi le rapport entre instruction et socialisation démocratique : seule une instruction publique pourrait mettre fin à toutes les formes de despotisme. En effet, le lien entre démocratie et instruction de tous est intelligible :

La démocratie constitue une mutation historique : elle élabore la notion d’un pouvoir sans garant transcendant et ne prétend pas à la connaissance des fins dernières de la société et de la Loi comme telle. La démocratie est la société historique par excellence : le sens de ce qui y advient demeure toujours en suspens, soumis à discussion. [ibid., p. 56]

C’est pourquoi Guy Vincent soutient une telle opposition :

En tous les cas maintenant j’oppose nettement deux formes : la forme scolaire au sens restreint, au sens de modèle construit à partir de l’exemple des écoles chrétiennes, la forme scolaire au sens restreint telle que j’en ai rappelé la définition encore descriptive tout à l’heure et l’instruction publique, qui du point de vue philosophique, se rattache à un rationalisme et à un rationalisme en quelque sorte historique. « L’instruction publique » est une forme de transmission qui se fonde non plus sur la contrainte mais sur la compréhension et sur la raison. [Vincent, 2012, p. 121]

Cette conception de la « socialisation démocratique » empruntée aux philosophes Cornelius Castoriadis ou Claude Lefort rejoint en partie celle de la « démocratie créatrice » de John Dewey (1939), et les implications de telles conceptions de la démocratie dans les pratiques didactiques sont considérables. Mais pour Guy Vincent, il s’agit alors de se demander « comment une socialisation démocratique, par cette dimension fondamentale qu’est la discussion, peut pénétrer dans nos institutions scolaires en les transformant, en faisant éclater la forme scolaire. »5 (Vincent, 2008, p. 56).

L’impressionnante conclusion de Guy Vincent est que la socialisation démocratique est incompatible avec la « forme scolaire »6 et doit la détruire : « si nous devons préserver et amplifier un mode de socialisation démocratique dans nos sociétés, il faut détruire ce qui reste de forme scolaire dans nos institutions scolaires. » (Vincent, 2012, p. 128).

L’opposition à la forme scolaire de Guy Vincent peut être ainsi résumée :

la forme scolaire, l’instruction publique, [...] sont deux formes de transmission. Si vous faites apprendre des résumés de manuels, des corrigés d’annales, vous êtes dans la forme scolaire. Si vous faites discuter des élèves pour chercher une explication rationnelle, vous êtes dans l’instruction publique. [Vincent, 2012, p. 134-135]

Plutôt qu’à penser une destruction de la forme scolaire – idée qui nous semble particulièrement dangereuse comme nous l’avons souligné au début de cette troisième partie – nous nous appliquons à soutenir la nécessité de sa reconstruction, ce qui suppose un souci de préservation de la forme scolaire d’éducation en tant que telle.

La question de la « reconstruction »

Certains considèrent qu’il n’y a pas lieu, ou qu’il n’est pas possible de reconstruire la forme scolaire. C’est bien ce qu’affirmait Guy Vincent à propos de ce qu’il concevait comme un processus de socialisation démocratique : « Une socialisation démocratique, introduite dans l’école au sens large et descriptif d’institution scolaire, détruit et doit détruire la forme scolaire en tant que forme sociohistorique de transmission rigoureusement définissable. » (Vincent, 2008, p. 49).

C’est aussi ce que pensait Bernard Rey, au motif que la forme textuelle des savoirs est inhérente à nos sociétés. L’argument de Rey est que l’on ne pourrait pas « revenir à une situation antérieure à l’institution de l’école, et donc antérieure à l’usage de l’écriture qui lui est consubstantiel » (Go, Rey, 2014, p. 144). C’est un étrange argument, car l’idée deweyenne de reconstruction, appliquée à l’école, est sans aucun rapport avec un quelconque retour à une situation antérieure à l’usage de l’écriture.

Rey présuppose que si l’on reconstruisait la forme scolaire, on sortirait de la forme scolaire – « une forme scolaire qui serait « reconstruite » sans avoir ce caractère ne serait plus une forme scolaire », dit-il (id.) –, ce qui ne saurait être le sens impliqué dans le concept de reconstruction. Et Rey déplace ensuite totalement la question sur un autre terrain : « la question est plutôt : comment faut-il s’y prendre pour faire accéder tous les élèves à la culture textuelle ? » (id.). Or, si l’idée de reconstruire la forme scolaire d’éducation n’implique aucunement de sortir de cette forme, elle n’implique pas non plus de la réduire à la question des savoirs textuels – le caractère textuel des savoirs ne saurait être le seul trait discriminant de la forme scolaire7 –, et encore moins d’en exclure l’une des préoccupations majeures qui est de faire accéder tous les élèves à de tels savoirs. Comme le souligne d’ailleurs Rey :

Dès lors, on ne peut confondre la forme scolaire ni avec les diverses pédagogies qui peuvent être pratiquées en son sein, ni avec les différentes institutions qui l’organisent concrètement. Car les unes et les autres, dans leur diversité, ne sont que des modalités particulières de la même forme scolaire. [ibid., p. 151]

L’État, au service du capitalisme contemporain, dissimule mal la soumission de l’institution scolaire aux nouvelles normes venues des entreprises et de l’idéologie du new managerialism. Il dissimule mal, sous la rhétorique éculée de « l’égalité des chances », son renoncement actif à assurer la transmission de savoirs. Ce phénomène contemporain de la massification scolaire constitue une évolution du système de reproduction des inégalités. Les réformes décidées par les gouvernements successifs depuis les années 1970 constituent, pour l’école républicaine, une adaptation aux demandes de l’économie capitaliste, et une véritable régression du service public d’éducation qui portait en lui les idéaux des Lumières et de la Révolution8. C’est pourquoi nous pensons que la démocratie ne s’est pas dotée de sa propre forme scolaire. Une « nouvelle » forme scolaire d’éducation commencerait certes par assigner à l’institution scolaire l’essentielle fonction de favoriser l’émancipation de tous. Cela nécessiterait en effet que la forme républicaine héritée des écoles chrétiennes soit entièrement « transformée ». Encore faut-il s’entendre sur les éléments de la transformation. André D. Robert rappelle par exemple la position de Foucault selon laquelle l’école pourrait ménager la possibilité, pour l’élève, d’une rencontre des savoirs telle qu’elle altère sans aliéner (Robert, 2018, p. 295). Toute la question est donc de ne pas essentialiser le concept de forme scolaire, mais de distinguer d’une forme scolaire républicaine (héritée), une forme scolaire démocratique à faire concrètement advenir.

La nécessité de reconstruire

La reconstruction est un concept que nous empruntons à John Dewey dans un ouvrage de 1920, et c’est un concept central dans sa philosophie : il la voit comme un moment nécessaire dans la culture. Dans son Introduction de 1948 à la réédition de Reconstruction il affirmait « le besoin de reconstruction est encore plus urgent aujourd’hui qu’alors » (Dewey, 2003, p. 17). L’enjeu était pour lui de « changer les circonstances existantes » (ibid., p. 127) en élaborant des « programmes de réaction à ce qui se passe » (ibid., p. 128). On ne peut être plus clair.

Comme le disait Dewey dans un texte de 1939 où il exposait sa Théorie de la valuation, toute enquête sur les activités humaines porte sur ce qu’il appelle des matériaux existentiels en opérant « dans le monde et avec des matériaux sur lesquels et à travers lesquels elle produit des résultats » (Dewey, 2011, p. 144). Penser des fins en vue, au sens philosophique, c’est donc penser des fins pour le monde dans lequel nous vivons, en faisant œuvre de science concernant des « choses à faire exister » (ibid., p. 146).

La grande nouveauté dans l’analyse faite par Dewey de ce qui limite les progrès de la démocratie est que nous attachons une valeur à ce qui a été déterminé dans le passé par des coutumes dont « la recommandation s’accompagne d’une coercition » (ibid., p. 156). Par exemple, les conditions historiques de ce à quoi nous sommes attachés sont constituées par « l’intérêt d’un petit groupe ou d’une classe donnée à conserver certains privilèges ou avantages, avec pour effet de limiter à la fois l’éventail des désirs des autres et leur capacité à les réaliser » (ibid., p. 158). Les obstacles à une amélioration des conditions de la vie humaine qui seraient « les plus dignes d’être poursuivies » (ibid., p. 159), ces obstacles « proviennent de traditions, de coutumes et d’institutions qui se maintiennent sans avoir été soumises à une enquête empirique systématique » (ibid., p. 161) – un peu plus loin, il dit que ces obstacles sont le fait « des habitudes et des traditions qui découlent des intérêts d’institutions et de classes » (ibid., p. 164), ou encore de « la coupe de traditions non critiquées, de conventions et de coutumes institutionnalisées » (ibid., p. 165). La méthode scientifique prônée par Dewey en philosophie vise donc bien à modifier les conditions culturelles, elles-mêmes liées à la question historique fondamentale qui est celle de l’égalité radicale entre tous les hommes.

À quelles conditions pouvons-nous parler de reconstruction, et sur quel domaine de la vie sociale une reconstruction devrait-elle porter ? Plusieurs transformations sont nécessaires pour pouvoir parler de reconstruction de la forme scolaire.

La première transformation doit s’enraciner dans une conviction philosophique : l’éducation des enfants n’a pas à être assumée en vue de leur vie d’adulte, et nous devons cesser de penser que les choses à apprendre sont celles qui seraient utiles plus tard. Pour Dewey, c’est « la reconstruction permanente de l’expérience qui est la seule fin » (Dewey, 2003, p. 154), et « l’éducation, c’est tirer du présent tout ce qui sert à la croissance » (ibid.). Cette idée est également centrale dans la pédagogie d’Élise et Célestin Freinet. Donc le « changement » de forme scolaire n’aurait pas pour raison première une inégalité d’accès aux savoirs – ce qui n’est pas directement un problème de forme scolaire –, mais le souci en faveur des enfants de préserver leur part d’enfance alors même qu’ils deviennent des écoliers, des élèves. Cela implique un changement de paradigme éducatif, dont le modèle est à retrouver puisqu’il fut celui de l’Éducation Nouvelle entre 1920 et 1940, celui d’une école par la vie et pour la vie.

La deuxième transformation porte sur la conception de la discipline. Guy Vincent considère en effet la discipline comme un élément caractéristique de la forme scolaire. Dans le processus historique d’élaboration de la forme scolaire, la discipline a été un instrument de moralisation et d’assujettissement des enfants scolarisés. Mais contrairement à ce qu’avance Bernard Rey (Go, Rey, p. 151-152), cet usage « disciplinaire », au sens foucaldien, de la discipline n’est pas simplement un trait particulier et passager de la forme scolaire qui serait lié à des circonstances historiques, alors que la textualité de ce qu’elle transmet la caractériserait seule et en serait le seul invariant. On ne peut penser cette forme de socialisation sans une discipline, qu’elle soit oppressive ou libérale, comme le disait Freinet dans un Colloque à Leipzig en 1928. Si le mot discipline est particulier à la pédagogie autoritaire, « nous devons dépouiller ce mot de tout son contenu coercitif, pour ne lui conserver que son acception étymologique » (ibid., p. 115).

La troisième transformation concerne l’organisation et l’aménagement de l’espace dans une institution considérée comme responsable de l’éducation scolaire. Dewey pensait les relations humaines en termes de transactions, au sens où l’homme est en continuité avec son milieu, et les relations didactiques sont des transactions dans un milieu. Et si le milieu est fait d’un ensemble d’institutions, il faut logiquement commencer par l’institution du paysage dans lequel est placée l’école. Si le paysage est quelque chose qui se laisse voir, il se définit aussi par la façon dont des hommes agissent en lui et inscrivent leur existence dans ce milieu. Ce milieu local et architectural peut être désigné comme la demeure (oikos) de l’être humain, au sens où il abrite la relation des êtres humains avec l’étendue terrestre, et sa manière plus ou moins pertinente de l’affecter. Or, la première manière d’affecter un espace consiste à savoir comment on va s’y comporter physiquement. La préparation matérielle et technique de ce milieu devrait donc être l’un des soucis éducatifs essentiels, comme nous le verrons un peu plus loin.

La quatrième transformation est plus spécifiquement didactique au sens strict de la transmission des savoirs scolaires. L’un des problèmes majeurs que nous rencontrons dans la forme scolaire classique, qui fonctionne toujours aujourd’hui, est qu’elle institue l’élève dans un rapport au savoir souffrant d’une sorte d’apesanteur historique :

la notion de rapport, rapport d’un sujet (de l’institution considérée, dans telle position au sein de l’institution, celle d’enseignant ou celle d’enseigné au sein d’un système didactique par exemple) à un certain objet. Il s’agit là de ce que j’ai appelé le rapport personnel (du sujet à l’objet). Ce n’est pas ici le lieu de dire comment cette notion change radicalement l’analyse du didactique. Je dirai seulement comment elle permet de donner un sens, dans la théorie didactique, aux énoncés du type : II sait cela. [Chevallard, 1991b]

L’Élève est soumis à un programme d’étude ne l’autorisant pas à travailler sur des problèmes. Dans la forme scolaire classique, il s’agit d’aller toujours à « l’essentiel » selon un principe d’économie didactique et d’utilité. L’intention didactique n’y est pas de faire rencontrer à l’Élève des problèmes et de faire travailler sur/avec des problèmes, car « ce n’est pas là, pour le dire plus exactement, le rapport institutionnel scolaire à l’objet problème. Pour celui-ci, en effet, une fois que le problème a été résolu, il n’y a plus de problème. Ou encore : un problème résolu est un problème didactiquement mort » (id.).

Autrement dit, l’Élève ne travaille pas lui-même et par lui-même sur un problème, il n’est qu’exposé au défilement des objets du programme, l’un chassant l’autre. L’Élève n’est plongé dans aucune pratique d’étude (il n’engage pas d’expérience d’étude) et il est littéralement aliéné au temps d’objet, ce qui, paradoxalement, compromet le sens de la transmission qui au cœur même de la forme scolaire – n’ayant pas à s’interroger sur les raisons d’être d’un énoncé de savoir, n’ayant pas à enquêter sur ces raisons. C’est ce que théorise Sensevy (2011) en opposant au temps d’objet – qui donne la priorité aux « objets » de savoir –, le temps d’enquête qui fait travailler le rapport à de tels objets pris dans des problèmes. Pour penser une transformation de la forme scolaire, il faudrait que ce ne soit pas le temps des objets de savoir (i.e. le Programme) qui organise la vie quotidienne des élèves, mais le temps des problèmes auxquels ils décident de s’intéresser et sur lesquels ils décident d’enquêter. La reconstruction de la forme scolaire consisterait à ce que soit plongé l’Élève dans une activité d’enquête, une pratique du travail intellectuel, du rapport de première main aux problèmes dans un environnement d’institutions didactiques.

Cette reconstruction didactique devrait aller de pair avec une reconstruction pédagogique générale, c’est-à-dire dans la façon de considérer le παῖς, l’enfant. Une socialisation de l’enfance qui n’aliène donc pas les enfants devenus élèves à la dictature du défilé des objets de savoir, mais qui se soucie de leur expérience d’enfance, du rapport au monde qu’ils peuvent expérimenter dans leur présent et dans un espace hospitalier. En pratique, et indépendant de la question cruciale de la politique éducative, cela implique pour les professeurs de tenir ensemble l’instance Élève qui doit être autorisée au travail de l’enquête, et les enfants comme sujets de leur propre existence disposant du droit de ne pas être expulsés de leur être au monde d’enfants par une institution totale9. Pour ces raisons, la présentation scolaire de la culture et du monde des formes symboliques ne saurait être réduite à sa dimension textuelle.

L’utopie d’un idéal d’hétérotopie

C’est lors d’une conférence au Cercle d’études architecturales en mars 1967 que Foucault évoqua pour la première fois une notion fort originale, celle d’hétérotopie10. Dix ans plus tard, il évoqua l’hétérotopie des jardins comme une sorte d’hétérotopie heureuse. Il ne s’agissait donc pas pour lui d’étudier des utopies, puisqu’il faut réserver ce nom à ce qui n’a vraiment aucun lieu, dit Foucault, mais des hétéro-topies, des espaces suffisamment autres.

Cependant, une opposition radicale entre utopie et hétérotopie ne permet pas de penser le passage de l’une à l’autre. Si par définition une utopie ne se rencontre en aucun lieu, on peut aussi la concevoir comme un ailleurs de ce qui existe, et en ce sens un autre lieu, fût-il en l’occurrence imaginé. Kant avait pensé l’utopie du point de vue de ce qu’il appelait une idée régulatrice de la raison. La raison qui pense ce qui doit être, ou devrait être, conduit dans son raisonnement logique à formuler une utopie. Elle est donc d’ordre conceptuel, elle est ce que l’on parvient à penser de façon pertinente, elle est en cela un légitime appel. Autrement dit, si l’utopie est ce qui n’est pas, elle est ce qui tend à advenir. C’est une puissance intellectuelle d’orientation, de création et d’émancipation.

De façon analogique, nous envisageons l’utopie que fut l’École Freinet au tout début des années 1930 comme un projet politique d’hétérotopie didactique heureuse. Il s’agit d’un projet dont la nature didactique – une école, un lieu où il est question d’instruire – fut pensée dans l’optique de ce qu’Élise et Célestin Freinet ont appelé une réserve d’enfants, effectivement ouverte sur la colline du Pioulier à Vence en 1934. Le premier niveau de la pensée freinetienne fut incontestablement que l’école de la République volait aux enfants leur enfance, et qu’elle constituait une véritable agression contre la vie :

Là où le milieu ne permet pas les expériences tâtonnées que nécessite l’adaptation de l’enfance aux situations nouvelles, l’éducateur doit se livrer à une gymnastique pédagogique spéciale avec leçons, mimiques, tours de passe-passe. […] Notre « réserve d’enfants » ne sera donc pas une salle ou un parc quelconque. La préparation matérielle et technique de ce milieu sera, on le comprend, un de nos soucis éducatifs essentiels. Ces réserves d’enfants seront aménagées dans un parc, dans un jardin public, un espace libre, le plus près possible des centres urbains intéressés. On commence habituellement la description d’une demeure par les locaux que complètent les dépendances. Nous renversons cette description pour bien marquer la préséance que nous donnons au milieu dont les locaux deviennent une sorte de dépendance accessoire, tout spécialement pour les jours d’intempéries. L’enfant, pas plus que l’animal sauvage, n’est fait pour vivre enfermé. Le milieu qui lui convient le mieux, c’est la nature11. C’est donc la nature que nous mettons à sa disposition. [Freinet, 1994, T2, p. 23]

Ainsi, la nature dans laquelle fut implantée la réserve d’enfants a été instituée. Il ne faut pas se méprendre sur la fonction de cette « nature », et en regarder de plus près l’institution.

Méditation (et médiation) mésologique

La question de l’hospitalité du lieu scolaire appelle une réflexion sur l’habitat école comme hétérotopie expressive d’une utopie. Cela suppose, comme le soutenait Freinet, une analyse radicale de la question de l’architecture scolaire et de son implantation12. Quelle place pour l’enfance dans cet habitat ? Quel aménagement de l’habitat pour et par les enfants ? Si l’on part de l’idée que le sujet est construit aussi dans ses relations avec son milieu, que dire de la construction du sujet – sujet individuel et « sujet collectif » – dans l’école ?

Un milieu, dit le géographe Augustin Berque, est toujours expériencié, en rapport avec l’action humaine. Les milieux ne sont « pas seulement objectifs mais vécus par des sujets » (Berque, 1990, p. 94). C’est à ce titre que la mésologie doit nous intéresser : théorie de l’action et théorie des milieux. Il s’agit pour Berque de produire une compréhension du rapport nature/culture qui dépasse les apories dualistes propres à ce qu’il nomme le POMC (Paradigme occidental de la modernité classique) : « Le milieu suppose le sujet, qui suppose le milieu » (Berque, 2014, p. 17). Cette production mutuelle s’élabore graduellement au cours de l’évolution et de l’histoire : « Le milieu n’est donc pas un donné, mais un construit » (ibid., p. 18). À partir de ces remarques, la mésologie doit s’entendre en tant qu’étude des milieux humains, c’est-à-dire en tant que terre habitée par les humains. Cette occupation de la planète renvoie à ce que Berque nomme écoumène, issue du grec ἡ οἰκουμένη / hē oikouménē. L’écoumène fait référence d’une part aux surfaces de la planète Terre habitée par les êtres humains et, d’autre part, comme « terre habitée par un sujet collectif : nous autres » (ibid., p. 33). Nous sommes notre milieu, et le soin porté à ce milieuest donc vital pour l’espèce et son devenir dans le sens où « pour que l’être humain soit humain il faut que la Terre – notre planète, nos paysages, nos maisons – soit à la fois belle et bonne à vivre » (Berque, 1996, p 113). Cela suppose de questionner « les formes concrètes de l’habitat humain dans ses divers milieux : c’est-à-dire non seulement sur les formes construites, mais sur les genres de vie, les attitudes et les comportements qui, allant avec elles, croissent ensemble » (Berque, 2007, p. 54).

L’École Freinet a été conçue et construite par Élise et Célestin Freinet comme un espace scolaire qui est un véritable lieu autre, qui constitue en soi une hétérotopie paysagère, que nous appelons, selon les concepts berquiens, un milieu paysagé :

Le mot réserve ne doit pas être pris dans l’acception étroite d’enclos préservé pour assurer un élevage idéal ou une culture de rendement. Ce terme doit être pris, au contraire, au sens écologique de milieu naturel favorable à l’espèce ; ainsi en est-il des réserves créées pour préserver, chez les animaux en voie de disparition, la continuité des espèces et de leurs caractères nobles. La réserve d’enfants a, cela va de soi, d’autres exigences : celles de proposer à l’enfance l’acquisition d’une robuste santé physique certes, mais encore et surtout un équilibre psychique ; de concilier donc le droit de vivre et le droit à la connaissance dans une même action éducative au sein de la nature et de la communauté humaine. Une telle conception d’une éducation écologique mise en marche il y a quelque quarante ans est devenue, aujourd’hui, œuvre impérative dans une société « en danger de progrès ». Nous sommes à la croisée des chemins : ou accepter la dégradation accélérée de la nature et des êtres, ou tenter par tous les moyens de retrouver une science de vivre. [Freinet É., 1974, p. 7]

C’est donc bien l’institution du paysage qui fut première dans la conception de l’École Freinet. Mais le paysage n’est plus quelque chose d’extérieur que l’on regarde, c’est un lieu auquel on participe et dont on est partie prenante. C’est pourquoi le modèle d’école nouvelle créé par les Freinet à Vence consiste principalement dans ce fait :

penser au corps avant de torturer l’esprit, agir sur le milieu avant de vouloir façonner les individus ; mettre les enfants dans des conditions physiques et économiques susceptibles d’améliorer et de libérer leur corps ; organiser ensuite leur vie de façon à conserver intact cet enthousiasme créateur dont nous avons fait un des pivots de notre pédagogie.13 [Freinet É., 1974, p. 18]

On vit dans ce lieu qui est un milieu. On vit en relation avec ce milieu, on en fait l’expérience. Nous pouvons considérer l’expérience de l’École Freinet, pour les enfants qui y séjournent, comme une expérience écouménale collective.

Dans le contexte actuel d’extrême dégradation des conditions de vie due, entre autres, à la difficulté à entendre et à engager des mesures proportionnées aux problèmes liés à l’environnement à l’ère de l’anthropocène, il est évident que la question politique de faire évoluer l’espace scolaire se trouve au cœur du débat. Bernard Stiegler a ainsi initié, par exemple, une expérience avec le Rectorat de Créteil pour faire en sorte que les professeurs de collèges et lycées de Seine-Saint-Denis

s’emparent des grandes transformations qui s’opèrent dans le bâtiment et dans l’urbanisme pour pouvoir mettre en place des dispositifs de construction de demain tout à fait nouveaux qui par exemple vont être capables de valoriser l’argile comme matériau de construction, l’argile qui a des qualités extraordinaires sur le plan thermique mais qu’on jette aujourd’hui, ce sont des façons de transformer l’économie structurelles.14

Si l’anthropocène peut se caractériser, comme le dit B. Stiegler, par son entropie, et l’augmentation du désordre sur la planète et dans la société, quelque chose est à faire pour y résister et faire évoluer nos façons de vivre.

Lever l’obstacle du temps scolastique

Une autre raison pour laquelle la forme scolaire d’éducation tend vers la néantisation de son sens initial – celui de la transmission des savoirs – est qu’elle se dilue dans une forme de socialisation n’ayant plus grand-chose à voir avec la skholè ou l’otium. Cette institution de l’écoleconstitue la forme historique la plus haute de l’individuation qui est la forme intellectuelle, où le temps scolaire doit être « calme », voire « lent » parce qu’il est le temps de prendre son temps pour étudier. La connaissance nécessite une longue fréquentation des savoirs, de leur usage répété, et de l’intégration que cet usage et cette fréquentation ont permis. Or, comme le rappelle Sensevy, dans la forme scolaire classique, être en échec c’est ne pas comprendre à temps : « c’est de ne pas comprendre dans le temps imparti. C’est être en retard, en retard durable, jusqu’à être mis hors-jeu dans le jeu scolaire » (Sensevy, 2009, p. 95). C’est pourquoi il faut se poser les questions suivantes : En quoi consiste le travail de l’élève, dans la transmission ? Que fait-il ? Qu’accomplit-il ? Dans la structure didactique engendrée par le temps didactique, quelle est la puissance d’agir de l’élève ? Comment est-elle pensée ? Comment est-elle autorisée ? (ibid., p. 96). Le problème souligné par Sensevy est que « l’activité propre de l’élève et du professeur, leur travail, ne fait pas expérience, du moins expérience épistémique, parce que cette activité ne dure pas » (ibid., p. 97). Il est donc absolument nécessaire pour cette raison également de reconstruire la forme scolaire, « si l’on entend faire en sorte que l’activité didactique se nourrisse des œuvres de l’humanité en travaillant les problèmes à la source de ces œuvres. [...] La reconstruction de la forme scolaire demande donc de repenser la question du temps didactique » (ibid., p. 106).

Cette reconstruction repose donc, comme l’explique Sensevy, sur un travail de reconceptualisation du temps didactique qui met au cœur de l’activité didactique ce qu’il appelle le temps du problème. Car, le temps scolaire, comme temps programmatique, est un temps disciplinaire, voire un temps compulsif. Contre ce temps qui aliène le présent à un « avenir » abstrait, la pédagogie pratiquée à l’École Freinet est sans projet, comme Silesius a pu dire que la rose est sans pourquoi. Une écoute et un accueil des problèmes que (se) posent les enfants sur le monde, qui leur permet de prendre leur temps.

En effet, les moments compulsifs du temps scolastique scolaire ne passent pas : autant dire que dans la compulsion le temps est absent. Il en est ainsi du temps scolaire, c’est un temps qui ne passe pas. Le paradoxe n’est pas mince de cette absence du temps à l’école : en isolant les enfants de l’espace social, l’école les projette dans un hors temps. Ce faisant, l’école réelle est infidèle à son idée qui implique l’ouverture, au nom du droit, d’une place pour chaque enfant et d’un temps consacré à tous les enfants, car cela devrait être l’effectivité même de l’école si elle entendait « rester fidèle à son idée » (Prairat, 2013, p. 37). La forme scolaire classique est marquée par une tare indéniable : ce qu’elle provoque massivement, c’est l’ennui. L’ennui est une sorte d’effondrement du désir. L’ennui s’installe lorsque la situation ne soulève aucune curiosité, et qu’elle dissuade l’enfant d’être attentif, risquant de le pousser jusqu’à un état aversif.

Dans la vie, quelque chose arrive, mais à l’école, plus rien n’a lieu. Ce qui manque cruellement à « l’école réelle » infidèle à son idée, c’est donc le sens de l’événement où le temps s’inscrit et des problèmes auxquels on s’intéresse, l’instant de l’événement qui ne se perd pas indéfiniment dans le sable de l’ennui parce qu’alors on prend le temps et que l’on y prend son aise.

L’institut Freinet

Nous proposons à présent un détour par l’œuvre freinetienne, qui se présente comme la recherche d’une sorte de contrefactue15l au fonctionnement de la forme scolaire classique.

Dès la fondation de l’École Freinet en 1934, Élise et Célestin Freinet voulurent donner à leur école une place essentielle dans le cadre des expérimentations pédagogiques en vue de rénover la forme scolaire d’éducation. Il n’est pas pertinent de penser cette École Freinet, à Vence, comme un îlot coupé du vaste réseau des écoles publiques et des enjeux politiques de l’époque. Freinet a pensé dès le départ son expérimentation à Vence comme un modèle dont devrait s’inspirer une politique nationale qui serait enfin démocratique. En particulier, à cette époque, Freinet fit partie de tous ceux qui, les premiers, dénoncèrent avec la plus grande fermeté les tragiques dérives fascistes en Allemagne et en Italie – de nombreux articles dans les colonnes de L’Éducateur Prolétarien en attestent, ainsi que l’analyse attentive de la correspondance entre Élise et Célestin publiée par Madeleine Freinet (Go et Riondet, 2020)16.

À partir de 1962, Freinet tenta d’instituer un nouveau collectif parallèle à son propre mouvement pédagogique, celui de l’Institut Freinet, pour penser plus complètement tous les aspects de la nécessaire transformation de l’école. Dans les années 1960, les différends se sont multipliés à propos de l’identification des significations des pratiques dans la « pédagogie Freinet » (Go et Riondet, 2020). C’est le problème de la formation à des pratiques professionnelles qui était posé. Élise et Célestin Freinet soulignaient constamment le fait que les normes n’ont de sens qu’en tant qu’elles sont incarnées dans les pratiques effectives, et ils craignaient principalement ce que Freinet appelait la scolarisation de cette pédagogie. Selon Élise Freinet, l’absence d’exigence dans les pratiques que l’on pourrait qualifier de « correctes » conduisait même l’enseignant militant à pratiquer ce qu’elle appela le bluff (É. Freinet, 1966, p. 33-34). Les praticiens de la « pédagogie Freinet » étant inscrits dans une histoire, ils héritent d’un répertoire d’usages, spécifiques à cette pédagogie, qui les engage. Prenons comme exemple l’écriture de ce que Freinet appelait le texte libre. C’est une institution centrale dans la pédagogie instituée à l’École Freinet. Néanmoins, comme le rappelait l’une des enseignantes de cette école, il y a un malentendu sur ce que signifie l’écriture du texte libre17 : ce n’est pas une institution du « spontanéisme » enfantin, contrairement à la façon dont certains ont interprété cette pratique. Il s’agit de comprendre avec cet exemple que les pratiques effectives, dans le cadre d’une pédagogie qui se veut identifiable (comme la « pédagogie Freinet »), doivent être « correctes » pour que cette désignation par le nom de Freinet n’autorise pas n’importe quelle pratique. Freinet s’expliqua sur son projet d’Institut en 1965 dans un article où il présentait cet Institut comme le « Laboratoire international de l’École Moderne », pour

la formation profonde de ceux de nos adhérents qui sont destinés à devenir les cadres solides de notre pédagogie. Il nous fallait pour cela un organisme plus spécialisé, travaillant selon d’autres données, avec les plus actifs parmi nos adhérents. [Cet Institut devait fonctionner] à Vence sous notre direction, avec l’expérience permanente de notre École. [id.]

Il avait acheté un terrain en contrebas de l’École Freinet à Vence pour y bâtir un centre pédagogique qui recevrait les stagiaires venant sur place en vue de transformer leur manière d’enseigner. L’utilisation des « Techniques Freinet » et la pratique d’une pédagogie de libre expression nécessitaient « un changement complet dans la conception même de l’éducation et un nouveau climat »18. Il apporte des précisions sur l’importance des enjeux d’un tel projet : « Cette révolution pédagogique qui est très difficile à réaliser […] suppose : des études théoriques sur la nouvelle conception de l’apprentissage selon la pédagogie Freinet ; un travail pratique dans les classes travaillant selon ces techniques » (id.).

Mais toute la difficulté est de disposer d’une équipe d’enseignants en mesure de montrer cette pédagogie nouvelle et de la transmettre. Au moment où il tentait d’organiser son institut, le seul enseignant en qui Freinet avait pleinement confiance à l’École Freinet était le directeur, Charles Rauscher19, à qui il confia la responsabilité de l’Institut Freinet. Il ne disposait pas d’enseignants capables à Vence, selon lui, de montrer une pratique correcte de sa pédagogie. En outre, Freinet échouait à recueillir des fonds pour financer son projet, et il est tombé malade à ce moment où il s’avérait difficile d’ouvrir son centre de formation à Vence.

Après la disparition de Freinet, Élise Freinet demanda en 1970 qu’un pourcentage des ventes de la Coopérative de l’Enseignement laïc20 soit attribué à l’Institut Freinet, et qu’une rente mensuelle lui soit versée ainsi qu’à sa fille Madeleine. Elle demandait que le versement des droits d’auteur par la CEL soit affecté à la création de l’Institut. Mais la question d’un Institut Freinet à Vence, forcément concurrentiel du Mouvement Freinet national réunissant tous les enseignants praticiens de cette pédagogie, irritait certains militants cherchant désormais à diriger le Mouvement Freinet.

Progressivement, l’École Freinet n’était plus en marge du Mouvement, mais bien en dehors. L’École Freinet s’était dotée d’un Règlement signé par Élise et Madeleine Freinet. Voici quelques éléments essentiels de ce texte :

Les enseignants sont nommés sur proposition d’Élise Freinet sur le plan national. [...] La pédagogie Freinet dans son esprit et dans sa pratique est la raison d’être de l’École Freinet. [...] Les documents et travaux scolaires sont la propriété de l’École Freinet et constituent les archives de l’Institut Freinet, dont l’École est le laboratoire pédagogique. Cet Institut relève d’un Comité Directeur présidé par Élise Freinet.21

Pour Élise, il était inconcevable que son école ne puisse jouir d’un statut d’école expérimentale reconnue comme centre de formation. Elle s’adressa directement au Recteur Paul Pastour pour savoir ce qu’il en était de l’acceptation ou du refus de considérer l’École Freinet comme école expérimentale nationale :

Je vous adresse un résumé des divers arguments qui justifient la continuation du titre d’école expérimentale nationale à l’École Freinet de Vence. Il ne m’apparaît pas qu’il soit nécessaire, dans l’immédiat, de reprendre les fondements d’une pédagogie longuement exposée dans divers ouvrages de Freinet et de moi-même et qui, par ailleurs, a reçu l’accueil des mass media et, dans une certaine mesure, de l’université. Une pédagogie qui porte en elle pratique et théorie est forcément expérimentale. C’est en 1936 que Freinet faisait poser à la chambre des députés la création des écoles expérimentales. Il semble inexplicable aujourd’hui qu’un tel titre ne puisse être appliqué à son école.22

Élise Freinet y évoquait Vence en tant que « centre éducatif originel, lieu de travail et laboratoire de C. Freinet pendant près d’un demi-siècle », « siège de l’Institut Freinet, créé en 1962 et contenant toutes les archives concernant une œuvre monumentale qui ne cesse de connaître une audience nationale et internationale de plus en plus affirmée » et « lieu d’initiation à la pédagogie Freinet avec le concours d’inspecteurs, professeurs et instituteurs, choisis par l’association École Freinet et habilités à promouvoir l’œuvre de Freinet selon ses écrits ».

Une école historique, un patrimoine pédagogique national

Ces tentatives pour obtenir une reconnaissance institutionnelle de la réalité historique de l’École Freinet comme lieu de référence pour la « pédagogie Freinet » se sont donc échelonnées sur plusieurs décennies. Son statut d’école privée appartenant à la famille Freinet ne facilitait pas les choses. Dans les années 1980, des contacts avec le maire de Grasse ont été pris pour envisager la question depuis le Conseil Régional. Certains universitaires de Nice tentaient de trouver des subventions. À cette époque, le ministère de l’Éducation nationale réfléchissait également à l’intégration des écoles privées dans l’enseignement public. Il fallait trouver une solution satisfaisante à différents niveaux (national, régional, départemental) et des moyens de dépannage financier.

Un projet plus précis émergea progressivement durant l’année 1983 : le projet de rattacher directement l’Institut Freinet à l’Université de Nice. Ce projet d’Institut, étalonné de mai 1983 à décembre 1990, fut rythmé par de nombreux rebondissements. L’École Freinet serait devenue école d’application de l’École normale d’instituteurs de Nice, en fonction d’un statut qui ferait l’objet d’une convention avec le recteur de l’académie de Nice, tout en conservant sa pédagogie définie par Célestin et Élise Freinet. Mais les oppositions étaient vives à l’intérieur du Mouvement Freinet, sa direction craignant que l’École Freinet, avec l’appui des universitaires, ne lui fasse concurrence.

Les autorités n’étaient alors pas contre l’idée qu’il y eût un Institut Freinet constituant « le creuset pour le renouveau de la pédagogie dans notre pays avec une liaison concernant les écoles Freinet de l’étranger »23. Institut, Fondation, Centre : beaucoup de scénarios se succédaient, voire se superposaient. Le mari de Madeleine Freinet, Jacques Bens24, avait été reçu au ministère en avril 1989 qui s’était engagé à examiner l’avenir du patrimoine légué par Célestin Freinet. Un communiqué de presse datant du 17 janvier 1990 médiatisait une prise de position forte de la part du ministère en faveur de l’avenir de l’école et du patrimoine pédagogique qu’elle représentait : « Le Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports souligne qu’il est très attentif au devenir de l’école créée par Célestin Freinet dont la pédagogie fait partie du patrimoine éducatif de la France. Ce patrimoine doit être préservé ».

Enfin, le 20 juin 1990, un article du Monde médiatisait une décision ministérielle :

L’école du Pioulier, près de Vence, construite par Célestin Freinet pour y appliquer, depuis 1935, sa célèbre méthode pédagogique, ne mourra pas. Lionel Jospin sera son sauveur. Menacée de fermeture à la suite de difficultés financières, l’école pourrait devenir une école publique expérimentale. Le futur Centre Célestin Freinet comportera, outre l’école, des activités de formation et de recherche, ainsi qu’un centre de documentation et de traitement des archives. Le ministère envisage en outre de rattacher ce centre au futur Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) de Nice.

Le ministre se déclara donc attaché à ce que « la pérennité de l’enseignement dispensé à Vence, selon les méthodes élaborées par Célestin Freinet, soit assurée ». C’est pour cette raison que les classes seraient placées dans une situation tout à fait dérogatoire au droit commun : rattachement à un établissement public d’État pour la gestion financière, responsabilité administrative et pédagogique assumée directement par l’Inspecteur d’Académie qui serait le garant de la continuité dans le fonctionnement pédagogique spécifique des classes. C’est donc bien en étant rachetée par l’État que l’École Freinet a pu survivre, tout en gardant un statut particulier. Pour la première fois de son histoire, l’École Freinet dut se mettre au régime de l’école publique. Le 5 octobre 1992, Charles Rauscher écrivit à Madeleine Freinet qu’il pensait encore quotidiennement à l’École Freinet, et qu’en cette période de souvenir25 il voulait exprimer sa gratitude :

C’est à eux deux que je dois de vivre encore aujourd’hui, à 77 ans. Mes parents m’ont transmis la vie, tes parents l’ont rénovée, régénérée. Je remercie mon destin exceptionnel de m’avoir permis de les rencontrer et de vivre un peu plus de 20 ans avec leur destin. Oui, je leur dois de vivre ces jours comme s’ils étaient présents. Je suis toujours habité par la voix de Papa Freinet dont j’entends les sons, comme j’entends la voix de maman Freinet. [...] Je reste toujours aussi enthousiaste et curieux qu’à 30 ans. J’espère qu’il en est de même pour toi.26

La responsabilité de l’État, par la signature d’un ministre, était désormais engagée pour la conservation de ce patrimoine : non seulement la fonction des bâtiments scolaires, mais aussi le style de pédagogie que l’on devrait continuer à y exercer.

L’expérience pédagogique ne s’est pas arrêtée en 1966 à l’École Freinet, ni en 1983 à la mort d’Élise Freinet : la machine Freinet (Go et Riondet, 2020) continua donc de fonctionner. Depuis le début des années 2000, l’École Freinet – école historique d’Élise et Célestin Freinet ouverte à Vence en 1934 – fait l’objet d’un projet d’adossement à la recherche universitaire. Cette école est mondialement connue pour avoir été, depuis son ouverture, un lieu libre d’expérimentation pédagogique, en marge du mouvement de l’Éducation nouvelle. Mais avec son intégration à l’Éducation nationale au début des années 1990, la question s’est posée de son statut scientifique.

La reconnaissance, par le Ministère, de l’École Freinet comme école publique d’État fut de ce point de vue un peu flottante pour au moins deux raisons :

  1. il y avait une certaine contradiction, ou du moins une certaine tension, entre d’une part la volonté ministérielle de reconnaître cette école comme lieu où la pédagogie d’Élise et Célestin Freinet devait être maintenue et d’autre part le caractère très particulier de cette pédagogie par rapport au cadre institutionnel dominant ;

  2. l’Inspection Académique, autorité de tutelle, devait intervenir le moins possible dans le fonctionnement de cette école, et le passage du privé au public, au bout du compte, a changé peu de choses dans sa réalité quotidienne.

  • 1Illitch (1971) déjà avait imaginé une disparition de l’institution d’instruction au profit d’une éducation permanente par accumulation d’expériences tout au long de la vie de l’individu. Or, objecte Prairat, « on n’enseigne pas seul en pleine nature ou dans son salon, n’en déplaise aux héritiers de Jean-Jacques Rousseau et à ceux d’Ivan Illitch, ces enseignants improbables qui prétendent vendre leur talent sur le libre marché de la connaissance. L’enseignement a besoin d’une institution capable d’exclure du lieu de l’étude les critères qui n’ont aucune légitimité » (Prairat, 2013, p. 11).
  • 2Nous avons évoqué plus haut les pratiques de dressage de la pédagogie noire en Prusse.
  • 3Marx distingue le travail vivant de celui qui travaille du travail mort de la machine.
  • 4Dans notre collectif de pensée, nous considérons qu'un exemple emblématique peut s’apparenter à une référence commune, et qu'un exemple exemplaire est reconnu et légitimé par les membres d’un collectif de pensée. Il sera alors utilisé de manière routinière, sans qu’ils ressentent le besoin d’explicitation ni de justification, pour transmettre une connaissance, une pratique, voire une attitude adéquate, qui fera autorité dans la communauté concernée.
  • 5Nous soulignons.
  • 6On peut déplorer la pauvreté de l’exemple empirique proposé par Guy Vincent dans son article, exemple dont il s’efforce de tirer une perspective sur ce que devrait être le projet d’instruction publique.
  • 7La forme scolaire est forcément scripturale, car c’est en effet l’étude des textes qui est la pratique de la pensée dans la forme scolaire classique.
  • 8Nous incluons les gouvernements dit « de gauche » qui n’ont pas résisté à cette déréliction historique.
  • 9Concept élaboré par Erving Goffman en 1961 chez Random House aux États-Unis : Asylums.
  • 10Le texte issu de cette conférence ne fut publié qu’en 1984 dans le cadre de l’exposition Idée, processus, résultats (Foucault, 2009, p. 37) ; et nous pouvons trouver une version un peu différente de ce texte dans les Dits et écrits sous le titre « Des espaces autres ». Hétérotopie est pourtant un terme déjà utilisé dans Les mots et les choses en 1966 ; mais en décembre 1966, Foucault en fit un autre usage lors d’un fameux entretien à la radio. Le terme lui servit à évoquer des lieux où nous pouvons « être sans y être », comme par exemple le miroir ou encore le cimetière, et des lieux où nous pouvons être autres, c’est le cas ici du village de vacances ou de la tente d’indiens plantée dans le grenier dans laquelle l’enfant peut parfois jouer. Le terme d’hétérotopie réapparut en 1977 lors d’une première étude à l’École d’architecture de Venise sur l’usage possible des hétérotopies dans le cadre d’une histoire des espaces.
  • 11Le milieu est aussi didactique, puisque cet aménagement vise des fins éducatives et des apprentissages. C’est ce qui distinguait la réserve de ce que Freinet appelait les « jardins d’acclimatation » qui font, dit-il, « une part trop excessive au jeu et négligent l’expérience tâtonnée qui est la première étape du travail » (Freinet, 1994, T2, p. 26).
  • 12Freinet participa activement, à partir des années 1930, à des recherches pour repenser profondément l’architecture et le mobilier scolaires (Go et Riondet, 2020).
  • 13Si l’on ne peut agir facilement sur l’environnement social dans lequel l’école fonctionne, on peut au moins réclamer sans délai qu’aucune école ne soit construite sous la forme d’un grand ensemble d’école-caserne, et multiplier les écoles à 5 ou six classes maximum (Freinet, 1964, p. 46-47).
  • 14Entretien du 23 janvier 2020 sur France 24.
  • 15Confronté à une situation particulière, on peut en imaginer d’autres déroulements, d'autres formes. On détermine ainsi d’autres possibles pour une situation réalisée.
  • 16Il est regrettable que Laurence De Cock, dans un petit livre insuffisamment documenté (Une journée fasciste, 2022), ne se démarque pas clairement de l’opinion entretenue par Saint-Fuscien (dans Célestin Freinet, un pédagogue en guerres 1914-1945), opinion selon laquelle Freinet aurait été victime d’une « séduction souterraine » face à Hitler et Pétain.
  • 17Voir à ce sujet le chapitre que consacre Henri Louis Go au texte libre dans son ouvrage de 2007. Voir également la thèse de Frédérique-Marie Prot en 2018.
  • 18Document intitulé « Institut Freinet pour la formation des éducateurs École Moderne » datant du 19 mai 1965. Fonds Freinet. Archives Départementales des Alpes-Maritimes. Nice.
  • 19Après avoir enseigné dans le Haut-Rhin, Charles Rauscher prit ses fonctions à Vence le 16 septembre 1935. Il y fut nommé « officiellement » le 16 septembre 1965 et quitta l’École Freinet en 1967, après la mort de Freinet. Rauscher témoignait d’ailleurs en 1965 de son engagement : « Je suis venu ici il y a plus d’un an, à la fois par reconnaissance pour tout ce que nos enfants et moi-même nous devons à Papa et Maman Freinet mais aussi pour me perfectionner, pratiquer et vivre les Techniques Freinet comme je ne pouvais le faire nulle part ailleurs. C’est ici, dans cette école, que j’ai pris en mars 1947 la décision de changer ma façon de penser, d’agir et de vivre. Je ne le regrette pas. C’est de cette époque lointaine déjà que datent nos conceptions personnelles d’aujourd’hui. Ce sont d’ailleurs celles qui sont pratiquées ici depuis la fondation de l’école. Ma vie privée en est devenue le reflet ».
  • 20Il s'agit d'une coopérative de production du matériel pédagogique nécessaire à la pratique de la pédagogie de Freinet.
  • 21Fonds Henri Louis Go déposé à la Médiathèque Élise et Célestin Freinet de Vence.
  • 22Lettre d’Élise Freinet au Recteur datant du 10 mars 1977. Fonds Freinet. Archives départementales des Alpes-Maritimes, Nice.
  • 23Cf. Note de Guy Bourgeois, directeur adjoint du Cabinet du ministre de l’Éducation nationale (René Monory), à l’attention de Monsieur Louis Baladier datant du 23 avril 1987.
  • 24Écrivain, cofondateur de l’Oulipo.
  • 25Puisque Madeleine Freinet reçut la lettre le jeudi 8 octobre, jour anniversaire de la mort de Freinet.
  • 26Fonds Henri Louis Go déposé à la Médiathèque Élise et Célestin Freinet de Vence.