Show cover
Couverture de Les Terrains du cyberharcèlement et de la haine en ligne (Edul, 2025) Show/hide cover

Chapitre 1

Le harcèlement numérique en Turquie

Corps féminin, cybersexisme et maintien du patriarcat

Internet s’est imposé dans notre quotidien comme un espace incontournable de sociabilité. Cependant, l’utilisation massive de cet outil communicationnel a également fait entrer dans nos vies de nouveaux risques d’atteintes à l’image et à la vie privée. Vol d’identité et d’informations personnelles, création de faux profils, publication d’images intimes volées, partage de photographies retouchées à outrance en vue de travestir la vérité… autant de dangers auxquels s’exposent les individus aujourd’hui dans le monde numérique. Si toute personne peut être victime de ces attaques, et ce, indépendamment de son âge et de sa classe sociale, on constate que des disparités entre les genres existent : depuis les années 1990, des travaux font état de l’émergence de violences numériques liées au genre (Dupré et Carayol, 2020) ; en 1996, Naomi McCormick et John Leonard observaient déjà par exemple que le Web était régi par une atmosphère masculine qui affectait la participation des femmes au monde numérique. Une vingtaine d’années plus tard, l’ONG Plan International (2022) montrait qu’une cybermisogynie avait envahi le cyberespace : d’après les résultats de l’enquête, 58 % des femmes et filles interrogées avaient déjà été harcelées en ligne, ce qui a poussé 19 % d’entre elles à réduire leur fréquentation des réseaux sociaux et 12 % à modifier la façon dont elles s’expriment. Cette situation a de même donné lieu à la publication d’un ouvrage intitulé How to Be a Woman Online: Surviving Abuse and Harassment, and How to Fight Back par Nina Jankowicz (2022) dans lequel, pour souligner le climat d’hostilité qui y règne et qui affecte plus particulièrement la population féminine, l’autrice compare le monde numérique au Far West.

La Turquie n’échappe pas à ces nouvelles formes de violence : en effet, la littérature scientifique regorge d’analyses des modalités du cyberharcèlement, et notamment des attaques entre adolescents se déroulant dans le milieu scolaire (Beyazit et al., 2017 ; Akgül, 2021 entre autres). Les agressions numériques visant les adultes, quant à elles, ont moins fait l’objet de recherches concrètes. Pourtant, les données du programme Stay On révèlent que les femmes adultes sont 27 fois plus exposées aux cyberviolences que les hommes. Parmi celles ayant subi du cyberharcèlement, une sur deux déclare craindre également pour sa sécurité physique. Toujours d’après Stay On, 28 % des femmes qui auraient vécu ce type de violences numériques choisiraient, à la suite de l’agression, d’être moins présentes en ligne, tandis que 75 % changeraient complètement leurs habitudes sur les réseaux sociaux1.

Les faits divers relayés par les médias vont dans le même sens : au vu des cas recensés, ces attaques qui touchent plus particulièrement les femmes sont en majorité perpétrées par des hommes (Dilmaç et Irtiş, 2022) et ont pour but de souiller la réputation de la victime, en partageant des images intimes qui mettent en scène son corps. Les agressions peuvent ainsi être perpétrées par des connaissances (des amis, des partenaires ou même des membres de la famille) ou par des inconnus, rencontrés sur Internet ou croisés dans l’espace public. Certains médias vont d’ailleurs jusqu’à qualifier ces violences de « maladies digitales »2.

Or, si les violences numériques sont observables dans de nombreux pays, il semblerait qu’en Turquie celles-ci aient une résonance particulière due notamment à la place singulière que le corps des femmes occupe dans ce contexte social. En effet, s’il est la cible d’attaques, c’est parce que celui-ci est un « lieu » de moralité au travers duquel l’honneur se joue : ce dernier correspond à l’ensemble des principes forgeant la réputation d’une personne. Or, en Turquie, la réputation étant réticulaire, l’honneur se veut aussi collectif. En somme, en cas de ternissement de l’image sociale d’un individu, c’est tout le groupe auquel il est rattaché (sa famille, sa communauté…) qui pâtira de l’atteinte. Par conséquent, la remise en question de la réputation des femmes par un acte ou une parole visant à faire douter de leur moralité sexuelle (pointant une utilisation supposée « inappropriée » du corps) peut entraîner des effets désastreux, non seulement pour la victime, mais aussi pour les membres de la famille qui lui sont liés. D’où l’impact des atteintes à l’image pouvant, dans certains cas, engendrer des crimes dits « d’honneur » (homicides visant à éliminer l’individu ayant provoqué le déshonneur), afin de permettre au groupe de retrouver sa respectabilité (Dilmaç, 2010).

L’argument qui sera développé ici est que le corps féminin en Turquie est plus souvent la cible d’agressions numériques (et notamment celles relevant d’atteintes à l’image), mais surtout de sexisme numérique (ou cybersexisme3), car la population féminine est considérée comme étant responsable et porteuse des valeurs relevant de l’honneur, principe qui soumet inexorablement les femmes à l’autorité des hommes se réclamant de la même filiation (leur père, leur frère ou leur conjoint). Ces attaques numériques sont à nos yeux la conséquence du système patriarcal qui prédomine dans cette société et qui induit une surveillance accrue du corps féminin. Ce contrôle des corps est également perpétué par les institutions sociales qui non seulement confortent la domination masculine dans leur discours, mais aussi limitent les recours (notamment juridiques) auxquels les victimes de harcèlement sexuel pourraient prétendre pour lutter contre les attaques qu’elles subissent aussi bien en ligne que hors ligne.

C’est à travers une réflexion fondée sur les travaux existants concernant les violences numériques en Turquie que nous tenterons dans ce chapitre de comprendre pour quelles raisons le cyberharcèlement y est décrit comme un « problème de femmes » ou encore le « cauchemar des femmes »4. Dans une première partie, nous nous interrogerons sur la place particulière du corps féminin dans la société turque. Nous verrons que celui-ci a été « construit » socialement par un projet national politique initié dans les années 1920 : ce processus de modernisation qui visait à émanciper formellement les femmes a aussi contribué sur certains points à les cantonner dans des rôles qui les enferment encore aujourd’hui dans leur condition, tout en perpétuant le système patriarcal. Les femmes endossèrent ainsi de nouvelles responsabilités citoyennes les exposant au regard des autres membres de la société, qui allaient se faire les juges de leur réputation et de leurs conduites. Face à cette tyrannie de l’opinion, les individus vont alors se tourner vers Internet, espace considéré comme moins contraignant du point de vue des conventions sociales (Dilmaç, 2021). Néanmoins, nous verrons dans une seconde partie que, malgré l’inexistence de la « co-présence » sur le Web, la population féminine turque semble là aussi être la cible principale des violences numériques, attaques qui les renvoient encore inexorablement à leur corps et aux valeurs qu’elles sont supposées incarner. Ainsi, sur Internet, c’est une fois de plus la corporéité des femmes (et ce qu’elle représente socialement) qui les rend vulnérables et en fait les principales cibles des cyberviolences. Enfin, dans la dernière partie, il s’agira de montrer comment l’inaction des autorités face aux agressions sexistes n’est en fait que le reflet d’un patriarcat structurel qui invisibilise, une fois de plus, non seulement les femmes, mais aussi les problèmes auxquels elles sont confrontées.

Le corps féminin en Turquie : figure de proue, cheval de bataille et représentant de l’honneur

La population féminine turque a longtemps été soumise à des formes de patriarcat plus ou moins rigoureuses faisant de son corps un enjeu politique et social. Si au cours du dernier siècle de l’Empire ottoman, des voix dénonçaient déjà le mariage arrangé et l’insuffisante éducation des filles, c’est la fondation de la République turque moderne par Mustafa Kemal Atatürk en 1923 qui marqua véritablement un tournant historique par la promulgation d’une série de lois en faveur des femmes. Néanmoins, si ce pays est souvent mis en exergue comme étant le seul pays à majorité musulmane ayant adopté une Constitution laïque et un Code civil (adopté en 1926) rompant avec la charia, et bien que les femmes aient obtenu le droit de vote bien avant leurs consœurs européennes en 1934, il n’en reste pas moins qu’elles sont encore victimes de discriminations genrées. Ainsi, dans les années 1980, certains groupes féministes mirent en exergue les problèmes sociaux trop longtemps passés sous silence affectant cette population : il s’agissait pour elles de pointer les problématiques auxquelles étaient confrontées les femmes turques, telles que le harcèlement sexuel, le viol, la violence conjugale, les contrôles de virginité, mais aussi la prédominance du patriarcat et de la domination masculine.

D’après les discours féministes, les femmes se retrouvaient dans une situation paradoxale. Certes, à la suite de la fondation en 1923 de la République, elles avaient obtenu des droits fondamentaux (par exemple la prohibition de la polygamie, l’interdiction du divorce unilatéral, la reconnaissance de l’égalité des sexes en ce qui concerne les droits de succession et la garde des enfants…). Néanmoins, à l’aube de cette modernisation de la législation, elles se virent intégrées au projet national dont le but était d’en faire des « symboles de la nation » (Berktay, 2003) : celles-ci devenaient en somme les « cibles des grands projets sociaux » (Kadıoğlu, 1998). Comme le décrivent Fabio Giomi et Ece Zerman (2018), ces régimes « libérateurs » vont ainsi, sous plusieurs aspects, assigner « rapidement aux femmes de nouvelles tâches avec des marges de manœuvre assez réduites : la procréation et l’éducation, c’est-à-dire la reproduction des citoyens » (p. 163). Devenues des figures de référence, les femmes étaient tenues d’adopter une conduite irréprochable et une exemplarité morale afin de remplir cette mission à portée nationale. Elles incarnaient alors l’honneur, un principe qu’elles avaient la responsabilité de transmettre aux générations futures.

Le corps des femmes turques va ainsi être intégré dans le projet national puisque, comme le souligne Ruth Miller (2007, p. 348), dans l’État-nation moderne de ce pays, la citoyenneté est inextricablement liée au genre, à la sexualité et à la reproduction. Le corps, et notamment celui des femmes, devient alors peu à peu un élément relevant du « domaine microphysique du pouvoir » (Zengin, 2016) permettant d’instaurer une « politique de l’intime » (Korkman, 2016). Ainsi, désormais incluses dans ce projet, les femmes turques durent endosser les rôles de citoyennes, de mères, d’épouses « modèles » qui non seulement les contraignent au niveau du corps et de la sexualité (puisqu’elles se doivent de faire preuve de chasteté, d’honneur, de retenue…), mais qui confèrent aussi indirectement un droit de regard aux autres membres de la société qui peuvent juger si oui ou non elles font preuve d’une « parfaite maîtrise corporelle » (Duret et Roussel, 2005, p. 14).

Nombreuses sont d’ailleurs les autrices (Kandiyoti, 1987 ; Arat, 2000) qui ont analysé de manière critique les discours de la modernisation, montrant notamment comment les processus juridiques, les représentations sociales, mais aussi les relations familiales contribuaient à la perpétuation d’une vision genrée des rôles. La loyauté, les obligations face aux membres de la famille ou de la communauté, mais aussi le principe d’honneur restent d’ailleurs encore aujourd’hui des prérogatives essentielles auxquelles doivent se soumettre les individus en Turquie (Dilmaç, 2021) et qui en font un contexte social particulier.

Les discours et mesures politiques semblent de même appuyer directement ou indirectement ces responsabilités ad hoc : comme nous l’avons déjà mentionné, la sexualité, et notamment celle des femmes, a longtemps été placée au cœur des débats publics, puisque d’après les autorités politiques, le bien-être de la nation ne pouvait être assuré que si ces dernières faisaient preuve de chasteté et de vertu (Kandiyoti, 1988). Ces injonctions morales et contrôles informels ont pris de l’ampleur au fil des années : tout d’abord, on constate une augmentation de la tendance à sexualiser le corps féminin en surveillant sa tenue vestimentaire et ses conduites dans l’espace public ; certains vont jusqu’à noter que la circulation de ces discours politiques fait émerger une violence misogyne à l’encontre des femmes prenant forme autant dans l’espace public urbain que dans les médias (Sarıoğlu, 2021). L’impunité ou la réduction des peines accordées aux auteurs de crimes d’honneur affirmant avoir agi en réponse à la provocation d’un comportement jugé indécent est également un exemple probant de la complaisance institutionnelle face aux normes émanant du patriarcat, indulgence qui accroît une fois de plus la vulnérabilité des femmes en Turquie.

Le 26 septembre 2004, à la suite d’une lutte acharnée de la « Plateforme pour la réforme du Code pénal turc » portée par un groupe de femmes, un projet de loi incluant divers amendements fut adopté. Parmi les réformes, on note notamment la suppression des dispositions permettant une réduction de peine pour les crimes dits d’honneur, commis au nom de traditions coutumières. De même, l’article qui autorisait l’atténuation ou la suspension de peine pour les auteurs de viol en cas de mariage avec leur victime a été abrogé. Le viol conjugal est désormais reconnu comme un crime, le harcèlement en milieu professionnel est puni par la loi, et les discriminations fondées sur la virginité ou le statut marital des femmes, dans les affaires de crimes sexuels, ont été supprimées (Ilkkaracan, 2007). Or, l’accession au pouvoir du « parti de la justice et du développement » (AKP) en 2002 et l’instauration progressive de son idéologie néo-conservatrice semblent avoir introduit une nouvelle biopolitique visant à réguler une nouvelle fois le corps des femmes, et plus particulièrement leur sexualité et leur reproductivité (Dayı et Karakaya, 2021). Même si des avancées juridiques sont à noter quant à l’élimination de la violence à l’encontre des femmes, et notamment en 2004 avec l’adoption du nouveau Code pénal (qui impose des peines plus sévères pour les crimes sexuels, criminalise le viol conjugal, élimine toutes les références aux concepts patriarcaux comme la chasteté, l’honneur, la moralité, la honte ou l’indécence entre autres), on constate que les discours conservateurs des politiques tendent encore à édicter des normes genrées visant à contrôler les corps et la sexualité. Un ancien vice-premier ministre déclara par exemple que la chasteté était primordiale aussi bien pour les hommes que pour les femmes, les premiers devant être liés à leurs épouses et éviter d’être des coureurs de jupons et les secondes devant aimer leurs enfants, être irréprochables dans leurs attitudes, ne pas avoir de comportements suggestifs et éviter de rire en public5. Cette déclaration démontre ainsi le caractère misogyne (Cindoğlu, 2017) du régime et marque une fois de plus la primauté du patriarcat dans la Turquie contemporaine. Bien entendu, ce système existe dans la majorité des sociétés contemporaines, mais on constate, dans le contexte turc, des injonctions très fortes parfois accompagnées de discours explicites sur ce que sont les normes genrées et comment devrait être gouverné le corps féminin. Ainsi, tout porte à croire que les femmes ne sont pas les maîtresses de leur corps et qu’elles doivent figurer leur genre à travers lui (Butler, 2006) selon les règles édictées par la société dans un but de reconnaissance sociale.

Comprendre le cyberharcèlement en Turquie

En prenant pour appui ces informations contextuelles, il n’est donc pas étonnant de constater que de plus en plus d’individus en Turquie se tournent vers Internet pour établir des relations affranchies des contraintes sociales : la « co-présence » y étant inexistante, l’internaute peut délaisser la « disciplinarisation des corps » (Chauvel, 2009) et même échapper à la surveillance. Cette libération dans les échanges interactionnels inhérente à Internet serait d’ailleurs commune à l’ensemble des sociétés : dans le monde numérique, les individus feraient preuve d’une certaine « désinhibition en ligne » (Suler, 2004) caractérisée par la manifestation de leur intimité ou par la tenue de propos qu’ils ne tiendraient pas dans le monde physique. C’est le cas par exemple des adolescents affirmant être plus entreprenants et agressifs sur le Web, et notamment dans leur utilisation de mots suggestifs (Desfachelles et Fortin, 2019, p. 337). Avec le développement des technologies, on assiste également à un nouveau rapport à la sexualité : derrière les écrans, les individus seraient plus enclins à contourner la norme de réserve relationnelle (Clair, 2008) ; ils s’engageraient dans la recherche de plaisirs plus subtils (Casilli, 2010) tels que la « cybersexualité » qui leur permet de nourrir des fantasmes sans prendre part à la rencontre (Breton, 2001) dans la vie réelle. La pratique du sexting, à savoir l’envoi de « contenu sexuellement explicite visuel ou non, […] par SMS, smartphone ou en ligne comme sur les réseaux sociaux » (Ringrose et al., 2012, p. 9), s’est d’ailleurs banalisée. En outre, parler de sexualité à des inconnus sur Facebook, évoquer des sujets intimes comme l’amour ou le sexe entre amis (Davis, 2010) font partie des pratiques que nous observons aujourd’hui.

Or, si l’espace numérique s’impose pour les individus comme un lieu de sociabilité moins contraignant que le monde réel, il n’en reste pas moins qu’il est aussi une arène où se joue la réputation (Ragouet, 2000), image sociale pouvant à tout moment être remise en question par le jugement d’un tiers. C’est d’ailleurs le cas du cyberharcèlement qui peut être défini comme l’humiliation, le chantage, l’insulte, le commérage, les menaces, l’exclusion, le sentiment de honte provoqués par un particulier ou un groupe. Outre l’intimidation, ce type de brimades numériques « initiées dans une interaction dyadique puis relayées par plusieurs internautes, peu[t] [aussi] constituer une manière de sanctionner des comportements qui s’écartent des normes hétérosexuelles traditionnelles » (Dupré et Carayol, 2020).

Plus précisément, on constate que les atteintes à l’image ont été conceptualisées selon les situations dégradantes qu’elles évoquent : par exemple, la mise en partage d’images d’humiliation en groupe est désignée par le terme de happy slapping6 (que l’on peut traduire par « joyeuse baffe »).

Les faits de divulgation du corps ou de certaines parties intimes d’une personne par la publication de photographies ou vidéos volées, peuvent renvoyer à ce que les chercheurs nomment selon les situations la « pornodivulgation » (ou « porno-vengeance »), ou encore le « sexting secondaire » (Robitaille‑Froidure, 2014), le upskirting (lorsqu’il s’agit de la publication de photos volées prises sous la jupe d’une femme) ou encore le creepshot (autrement dit « photo de pervers », où le but est le partage de photos du décolleté d’une femme prises à son insu) [Stassin, 2021, p. 50]. L’infamie peut également être provoquée lorsque des inconnus sont encouragés à envoyer des messages désobligeants à des filles dont on a partagé les photos intimes et coordonnées sur des comptes dédiés : il s’agira alors d’un cas de baiting (signifiant « appâter »).

Enfin, l’humiliation peut également être infligée par le biais de discours de dévalorisation (Breton, 2001) ou d’ordalies numériques (Lachance, 2016), la parole venant ainsi accompagner les images infamantes : on parle alors de bashing7, de slut shaming (fait de critiquer un individu en raison de son maquillage, de sa tenue ou de son comportement sexuel, supposé ou réel)… Le corps peut de même être dénigré sur Internet par la création de « fauxtography » (Froissart, 2002) ou par la circulation d’« images rumorales », à savoir des représentations réelles ou truquées (Froissart, 2011).

Dans le cas de la Turquie, on constate que là aussi plusieurs termes existent pour désigner ces attaques : on parle de « cybertyrannie » (siber zorbalık) ou de cyberharcèlement (siber taciz).

Le premier est le plus employé dans la littérature scientifique pour décrire les agressions perpétrées par les populations juvéniles à l’encontre de leurs pairs. Ce vocable met d’ailleurs en avant le déséquilibre existant entre celui qui tyrannise, le zorba, et sa victime.

Le second terme, quant à lui, bien que défini comme relevant uniquement d’un « dérangement causé » ou du fait de « provoquer chez quelqu’un de la peur »8, prend dans les représentations sociales une connotation sexuelle : ainsi taciz (harcèlement) renverrait à une action répétée à caractère sexuel qui toucherait plus les femmes. Servet Yetim (2015) propose une autre distinction en soulignant que les termes employés peuvent varier selon l’âge des persécuteurs : ainsi, on parlera plus de « cyberharcèlement » (siber taciz) ou de « cybertraque » (siber takip) lorsque les sévices sont commis par un adulte, alors qu’une attaque perpétrée par un enfant ou adolescent sera considérée comme de la « tyrannie » numérique (siber zorbalık). Pour nous, il serait plus approprié de différencier le cyberharcèlement (qui relève d’une action répétée) de la cyberhumiliation (Dilmaç et Kocadal, 2019), acte qui a beau n’être perpétré qu’une seule fois (par exemple, mise en ligne d’une photographie intime volée), mais n’en reste pas moins une grave atteinte à la personne et à son image sociale.

Différents types d’agressions numériques observables en Turquie

D’un point de vue pragmatique et lorsque l’on se penche sur les cas d’attaques numériques relevées par les médias, on observe que toute personne, quels que soient son âge, sa profession ou son sexe, peut être victime d’attaque numérique. Néanmoins, une étude médiatique effectuée en 2022 en Turquie (Dilmaç et Irtiş, 2022) nous a permis de constater que les femmes restaient encore les cibles privilégiées du cyberharcèlement. C’est le cas notamment des brimades subies à la suite d’une rencontre virtuelle qui tournerait mal : la victime doit faire face aux menaces d’une personne malveillante avec qui elle a entretenu une correspondance dans l’espace numérique. Après avoir échangé des photographies intimes (sexting), l’agresseur, en vue d’obtenir d’autres avantages (des faveurs sexuelles, par exemple, ou d’autres images), va utiliser les outils technologiques pour faire chanter la victime ou lui soutirer de l’argent (on parle alors de « sextorsion », contraction de sexe et extorsion). Ces attaques seraient de plus en plus communes et iraient de pair avec la banalisation du partage et de la sollicitation de clichés représentant le corps dans le monde virtuel (Kaya et Cenkseven Önder, 2022). Or, dans certains cas, il est aussi possible que la victime n’ait jamais eu un contact avec son persécuteur avant l’agression.

Parmi les types d’humiliation en ligne observables en Turquie, on retrouve également des cas de grossophobie où l’individu se voit moqué à cause de son poids. Ces critiques seraient plus particulièrement adressées aux femmes (Özer Öksüzoğlu, 2021) dont les photographies seraient plus commentées, les soumettant ainsi à une pression sociétale supplémentaire quant à leur corporéité.

En outre, des cas de slut shaming – traduit par Catherine Blaya (2013) « faire honte aux salopes » – sont à reporter : ces attaques ont non seulement pour but de dénigrer le corps de la personne, mais visent aussi à mettre à mal sa moralité. Ainsi, il s’agirait de « blâmer et faire honte à des filles dont la tenue, le comportement sexuel, le maquillage ou l’allure générale ne correspondraient pas aux critères de “pureté” et de respectabilité dominants dans un groupe de jeunes » (Blaya, 2013, p. 57). L’emploi du terme « salope » créerait d’ailleurs une corrélation entre l’identité de la femme, sa moralité et sa sexualité (Diaz‑Fernandez et Evans, 2019) ; il enferme la personne dans une identité dévalorisante pour justifier l’opprobre public qu’elle subit (Dodge, 2016).

Néanmoins, au vu des faits rapportés par les médias, un des types de cyberviolence qui semblent être le plus répandus en Turquie reste la « porno-vengeance » (ou revenge porn) [Dilmaç et Irtiş, 2022]. Celle-ci prend forme à la suite d’une rupture mal vécue. La victime connaît son persécuteur, qui, dans la plupart des cas, n’est autre que son ex-compagnon. Celui-ci, refusant la séparation, décide de se venger de son ancienne partenaire en partageant sur le Web des contenus dégradants la représentant. On constate que ces images sont, dans la plupart des cas, réelles, puisqu’envoyées durant la relation par la victime elle-même et réutilisées par la suite par le persécuteur en vue de l’humilier. L’intimité qui avait été partagée en toute confiance (Huerre et Rubi, 2013) avec une connaissance va ainsi être exposée sans autorisation aux yeux de tous. Le dévoilement peut d’ailleurs revêtir une dimension symbolique, tout en demeurant profondément déstabilisant : en Turquie, par exemple, certains agresseurs vont jusqu’à retoucher des photos de femmes voilées afin de découvrir leur visage (Kaya et Cenkseven Önder, 2022). Cette action tend non seulement à violer la pudeur de la victime, mais aussi à ne pas respecter ses convictions religieuses. Du point de vue de la corporalité, ces agressions sont significatives : le corps va être sexualisé à l’extrême, et ce qui se voulait être un rapport sexuel consenti relevant de l’intime va basculer, à travers l’acte de diffusion initié par le harceleur, dans de la « pornographie » qui se veut être une activité rémunérée, pratiquée dans un contexte spécifique. D’où les critiques adressées à la formulation « revenge porn », jugée inappropriée par certains : celle-ci suppose que la victime aurait mal agi, justifiant l’acte de vengeance perpétré par son interlocuteur en vue de la punir.

Un autre type de harcèlement numérique, que l’on peut observer en Turquie, reporté dans les médias et qui relève d’un comportement essentiellement masculin assujettissant les femmes au contrôle des hommes, est la cybertraque. Cette surveillance peut être initiée aussi bien par un inconnu que par un partenaire, et s’intensifier après la séparation. La violence va ainsi, à travers les outils technologiques, investir les réseaux, donnant à la victime le sentiment d’être surveillée en permanence. La traque numérique peut prendre diverses formes et s’effectuer à travers des menaces, des insultes, des intimidations, des moqueries incessantes, mais aussi par des actions moins directes, comme consulter la messagerie de sa partenaire sans son autorisation ou l’isoler de son groupe d’amis en usant de la manipulation. La violence masculine ici agit alors comme un moyen de contrôle social des femmes (Debauche et Hamel, 2013).

Lorsque la traque numérique se joue entre partenaires déjà en couple et est initiée par l’homme souhaitant épier les moindres faits et gestes de sa partenaire, les victimes peuvent subir une pression masculine quant à leur manière de s’habiller ou de se tenir (par exemple, l’injonction de ne pas sourire). Cette violence numérique peut de même aller jusqu’à les obliger à divulguer leur mot de passe en vue de surveiller ce qu’elles publient sur les réseaux sociaux (Yıldız et Özarslan, 2022). On parle alors ici de « harcèlement sexiste virtuel », à savoir « un acte volontaire répété de la part de l’agresseur ou des agresseurs, qui se base sur un déséquilibre de pouvoir » (Blaya, 2013, cité par Couchot‑Schiex et al., 2016, p. 18). Un rapport du Centre Hubertine Auclert sur les « cyberviolences conjugales » faites aux femmes (Observatoire régional des violences faites aux femmes, 2018) montre notamment qu’il existe un lien entre violences hors ligne et en ligne, entre sphère privée et espace public. Ce continuum concerne non seulement les effets de ces violences, mais aussi leurs sources. La sophistication des outils technologiques qui rend possible la cybertraque va ainsi être utilisée comme un dispositif panoptique en vue de contrôler les comportements des femmes (Soygut, 2020) et donc de pérenniser, dans l’espace numérique, la domination patriarcale. La surveillance et la violence sexiste issues du « terrorisme masculiniste » (Benraad, 2021, p. 201) se voient ainsi, par les dispositifs technologiques, déployées de l’espace présentiel au cyberespace.

Plusieurs types d’agressions numériques sont ainsi observables en Turquie, et celles que l’on dénombre sont communes à d’autres pays. Il en est de même de l’impact dévastateur que ces attaques ont sur les victimes. Cependant, dans le cas turc, un élément vient rajouter à l’atteinte une résonance particulière : il s’agit du principe de l’honneur.

L’honneur réticulaire et la remise en question du mahrem

En Turquie, être considéré comme « non honorable » par un tiers n’est pas un simple jugement de valeur, mais représente une insulte très grave pouvant déboucher sur des conflits interpersonnels. Perdre l’honneur renvoie ainsi à perdre la face de manière individuelle, mais entraîne aussi la souillure de l’image sociale du groupe (notamment familial) auquel on appartient. Trois termes existent dans la langue turque pour désigner ce principe (Dilmaç, 2020), ce qui témoigne de sa portée sociale : Şeref, « l’honneur-citoyen », qui renvoie à l’ensemble des principes que se donne un individu, quel que soit son sexe, pour mener une vie intègre ; Onur, terme évoquant la dignité humaine dans un sens plus universel ; et Namus, l’honneur-vertu, qui établit une distinction genrée – pour un homme, il renvoie à son honnêteté, tandis qu’il est associé à la chasteté chez la femme. Ainsi, dans différentes sphères (espace privé et public, et vie intime), l’honneur contraint les conduites et le corps. Ce dernier est d’ailleurs le support par lequel les personnes prouvent aux autres qu’elles sont honorables (en faisant preuve de retenue, de moralité, d’une sexualité irréprochable…). Mais c’est aussi par le corps que le déshonneur va être engendré et même que l’indignité peut être punie (on parle alors de « crimes d’honneur »).

Si ce principe dicte aux femmes des comportements de retenue, il incite les hommes à prendre des dispositions en vue de protéger leur vulnérabilité qui leur vient des femmes. C’est pourquoi, au nom de la préservation de l’honneur qui est inextricablement lié à l’autorité des hommes, un regard extérieur (et plus particulièrement masculin) va s’imposer sur les corps féminins afin de les contraindre à agir selon les règles édictées par ce principe. De plus, en cas d’affront, l’individu se doit de répliquer sous peine de perdre la face : un homme qui essuie l’outrage sans y riposter est un individu qui accepte soit que l’on souille son honneur, soit qu’une femme défie son autorité.

À la lumière de ce concept, on peut alors comprendre les enjeux de réputation désastreux que représente l’exposition non consentie du corps des femmes dans les cas d’atteintes à l’image dans le cyberespace. En partageant des supports mettant à nu le corps de l’individu, l’agresseur exhibe le mahrem, à savoir l’intimité féminine corrélée à sa vertu qui se doit normalement d’être cachée du regard des autres au risque de perdre sa pureté, d’être souillée, et donc de se voir déshonorée. En diffusant des images diffamatoires, le persécuteur inclut de force le mahrem (ce qui relève du sacré, du secret et du tabou) dans l’espace public. Ainsi, en exposant l’intimité de sa victime, l’assaillant démontre, par l’image, que celle-ci ne serait plus chaste et met en péril sa réputation, mais aussi celle de sa famille. Par son acte, il vise donc à exclure la personne de tout échange marital futur. De plus, en Turquie, la réputation est réticulaire, c’est-à-dire qu’« elle se diffuse, se gère et se défend au sein de réseaux […] » (Beuscart et al., 2015). Le déshonneur engendré va alors se répercuter sur les membres du groupe, mais aussi sur les hommes auxquels est liée la personne souillée, et mettre leur image sociale en péril. Dans certains cas, cette situation peut déboucher sur un crime « d’honneur » visant à éliminer l’individu ayant provoqué la honte collective. Les propos d’une victime rapportés par les médias sont à ce sujet évocateurs : selon elle, hors ligne, « on peut cacher qu’un homme nous bat » et surmonter la honte solitairement. Or, la violence numérique serait pire que la violence hors ligne, car l’individu serait forcé de vivre l’humiliation avec les autres (Şimşek, 2020). De plus, sur le Web, l’humiliation est diffusée et publicisée, exposant la victime à une violence répétée du fait de la pérennité des traces numériques des contenus compromettants, consultables bien après la date de leur première dissémination (Stassin et Cordier, 2023). En outre, on constate que, dans certains faits divers, les agresseurs menacent d’envoyer les images dégradantes détenues à la famille de leur victime9, dans le but de redoubler la honte.

Dans le cas turc, il n’est pas rare de constater également qu’un amoureux éconduit fasse contribuer les membres de son entourage à l’agression, en leur envoyant les images dégradantes et en leur demandant de les diffuser à leur tour10. Certaines victimes peuvent ainsi être harcelées par les amis de leur ex-conjoint et recevoir des sollicitations sexuelles de leur part. Là aussi, il est possible de lier cette situation à l’honneur, puisqu’en impliquant des personnes tierces, l’assaillant retourne la situation à son avantage en diffusant l’image déshonorante. À ses yeux, il répond à l’affront en jetant le discrédit à son tour, quitte à provoquer la mort symbolique et sociale de sa victime. Cette réaction masculine disproportionnée, suscitée par la rupture de la partenaire, n’est pas sans rappeler celle observée par de nombreux auteurs travaillant sur les féminicides en Turquie. Par exemple, Fatma Yücel Beyaztaş et al. (2015) ont montré que ces meurtres et assassinats étaient fréquemment commis durant la période de séparation (p. 208). Memnun Seven et al. (2015), quant à eux, ont noté que les meurtriers légitimaient leurs actes en affirmant que la victime avait souhaité divorcer. Cette possessivité masculine envers les femmes qui leur sont attachées est de même reflétée dans l’expression turque « soit tu es à moi, soit tu es à la terre » (« ya benimsin ya da toprağın »), qui signifie métaphoriquement que la personne doit accepter d’« appartenir » à son partenaire puisqu’elle en est la « propriété » (Çetin, 2014, p. 56), sinon elle doit mourir.

Les atteintes à l’image en Turquie sont ainsi à comprendre en corrélation avec l’importance sociale de l’honneur. L’honneur, tel qu’il est défini pour certains hommes dans le contexte turc, donne un droit de regard sur la moralité des femmes. Or, la prévalence de ce principe rend également les femmes turques vulnérables, car elle les expose à des agressions (en ligne et hors ligne) qui visent à les anéantir socialement et même à remettre en question la réputation de leur famille. De plus, la complicité des autorités, octroyant une réduction des peines ou même l’impunité à des agresseurs disant avoir commis l’homicide à la suite du déshonneur causé par un comportement « indécent » (divorce, séparation, adultère…), génère une insécurité supplémentaire pour la population féminine.

Dans le cas turc, on cerne ainsi une volonté sous-jacente de maintenir les normes de genre qui prévalent dans le système patriarcal et donc de maintenir les femmes dans un rapport de force déséquilibré toujours à l’avantage des hommes. L’honneur semble ici un élément clé de cette perpétuation, car il est un principe à la fois imposé par ce même système, mais aussi contrôlé et sanctionné par les hommes. En outre, on constate que les institutions, notamment politiques, contribuent aussi à l’enracinement social du patriarcat, mais surtout à l’accroissement de la vulnérabilité des femmes en réformant le peu de dispositifs existants censés les protéger des attaques sexistes.

Maintien du patriarcat structurel par les institutions sociales

Il convient également de souligner qu’en Turquie le traitement de la violence sexiste par le système juridique reflète, dans une certaine mesure, les normes de genre existant dans la société selon lesquelles les femmes ne sont pas perçues comme des « individus » à part entière, mais sont définies essentiellement en relation avec leurs identités collectives : les femmes sont systématiquement appréhendées en tant que mères et épouses (Gözdasoglu Küçükalioglu, 2018). Ainsi, selon cette logique portée par les politiques, les problèmes sociaux vécus par les femmes ne devraient être pris en considération que lorsqu’ils troublent l’unité familiale et qu’ils perturbent le processus d’engendrement des générations futures.

La priorité annoncée par le gouvernement s’est clairement orientée vers les enjeux liés aux femmes, non pas en raison de leur représentation démographique, mais parce qu’elles sont perçues comme les principales responsables de l’éducation des individus et des générations futures, appelées à être saines11.

En vue de légitimer cette vision, les politiques vont également faire appel aux préceptes religieux islamiques. En 2014, le président turc affirmait que les femmes ne pouvaient pas être égales aux hommes, car cette perception allait à l’encontre des lois de la nature et que les féministes, qui luttent pour l’égalité des sexes, ne comprenaient pas le statut spécial et sacré attribué à la figure de la mère dans l’islam12.

Outre le maintien du système patriarcal par les discours des politiques, on constate que cette idéologie va de même être perpétuée au niveau institutionnel et plus particulièrement dans les décisions prises par les autorités. À cet égard, le retrait de la Turquie en 2021 de la Convention d’Istanbul (signée en 2012) est significatif. Celle-ci avait pour objectif de « propose[r] un cadre juridique pour la protection des femmes contre la violence, et [de promouvoir] l’égalité des genres par le biais de la législation, de l’éducation et de la sensibilisation ». La Convention reposait sur quatre principes : la prévention, la protection, les poursuites et les politiques intégrées pouvant fournir une structure globale pour lutter contre les violences liées au genre13. En se retirant de cet accord, les politiques turques ont remis en question les efforts qui avaient été entrepris dans les années 1930 pour promouvoir l’égalité des genres.

Pour les instances dirigeantes, la Convention, dans sa formulation initiale, représentait une menace pour l’unité familiale, car les principes qu’elle défendait ne correspondaient pas aux valeurs du pays. En particulier, sa disposition relative à la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et les identités de genre dans l’application des lois posait problème. Ainsi, à travers ce rejet, les autorités ont montré à quel point, à leurs yeux, le corps des femmes devait essentiellement servir à maintenir intactes les relations familiales soumises à la domination masculine (Akçabay, 2020). Or, ce désengagement politique a pour conséquence de placer les femmes dans une plus grande vulnérabilité puisqu’il les prive d’un moyen de recours en cas d’agressions sexistes et sexuelles. Une experte du Comité s’est d’ailleurs inquiétée que « ce retrait de la Convention d’Istanbul risque d’entraver l’accès des femmes à la justice et de favoriser l’impunité des auteurs de violence envers les femmes en Turquie »14. Les conséquences de cette décision politique sont dramatiques, puisque le nombre de féminicides aurait augmenté depuis le retrait, comme le souligne l’une des plus actives associations de lutte contre les violences faites aux femmes en Turquie, la plateforme turque We Will Stop Femicide. Celle-ci, dans son rapport de 2022, montre que plus de 330 femmes ont été victimes de féminicides commis le plus souvent par des conjoints ou ex-conjoints, des pères, des frères ou encore des fils, et que 254 morts ont été déclarées suspectes (cité par Sorain, 2023).

Du point de vue des cyberviolences, le constat est similaire : les femmes pâtissent toujours de l’impunité des agresseurs, poussant parfois même des célébrités victimes de harcèlement à porter plainte plus de 400 fois (Altumterim, 2022). Lorsque leurs plaintes sont prises en compte, cette fois-ci ce sont les procureurs qui font preuve d’indifférence, comme dans le cas d’Eda Yön15, intimidée sur les réseaux sociaux, qui se vit recommander par le juge de fermer son compte Instagram, alors que l’auteur des sévices restait libre et impuni. Ainsi, les femmes victimes de maltraitance numérique seraient systématiquement blâmées (au détriment des assaillants) pour ce qu’elles auraient subi. Ces attaques seraient la conséquence de leur irresponsabilité, leur imprudence, leur naïveté : on attendrait d’elles qu’elles « prennent leurs précautions » avant de s’exposer sur le Web. On assiste ainsi à des discours moralisateurs de la part des assaillants qui auraient tendance à réprimander la victime pour la violence masculine vécue et à sanctionner les femmes qui ne se conformeraient pas aux normes de comportements hétérosexuels contraignants (retenue, tempérance…) [Mantziari, 2018]. L’inaction des politiques face aux violences sexistes, les décisions judiciaires souvent arbitraires à l’avantage des hommes et l’impunité des agresseurs plongent ainsi les femmes victimes de cyberharcèlement dans l’anxiété et la dépression, mais les obligent aussi à faire preuve d’hypervigilance au quotidien. En outre, on constate que les résultats peu concluants des affaires liées aux cyberviolences sexistes découragent massivement la transmission des plaintes aux autorités judiciaires. Si cette inertie institutionnelle et ces mêmes mécanismes sont observables dans d’autres pays, la particularité de la Turquie est que les lois y privilégient le maintien de l’ordre social et familial, et non pas la protection des femmes en tant qu’individus ; celles-ci se voient donc invisibilisées.

Cette inertie des autorités vis-à-vis des violences sexistes et le non-respect de l’État de « ses obligations internationales, y compris le devoir d’enquêter et de punir » les assaillants, ne sont autres qu’une forme de misogynie (Dimitrijevic et al., 2015). L’impunité dont jouissent les hommes qui commettent ces violences sexistes (telles que les féminicides) est donc la conséquence d’une violence institutionnelle qui sous-estime les signalements des femmes dans l’administration de la justice et l’application des lois (Lagarde, 2006, p. 223‑224). Nous sommes ainsi face à une violence institutionnalisée à plusieurs niveaux qui non seulement empêche les femmes d’être perçues comme des individus à part entière, ayant droit à la sécurité, mais aussi les expose à des dangers (et notamment aux cyberviolences), contre lesquels elles n’ont aucun recours.

Conclusion

Les cyberviolences ont préoccupé les chercheurs turcs tout autant que leurs collègues internationaux. Cependant, au-delà du harcèlement dans le milieu scolaire impliquant les adolescents, on constate que les femmes adultes en Turquie sont 27 fois plus susceptibles d’être victimes de violence en ligne (Sert, 2020) que leurs pairs masculins, donnant ainsi à ces attaques une dimension genrée. De plus, le système patriarcal diffus dans toute la société assignant une place particulière à la population féminine perpétuée par les discours institutionnels semble jouer un rôle prédominant dans le maintien des règles régissant les corps, les comportements, l’acceptable et l’inacceptable.

Ce chapitre a montré l’importance de la prise en considération du contexte culturel national lorsqu’il s’agit de cerner les modalités des cyberviolences. En effet, même si ces attaques prennent forme dans un environnement numérique partagé global, sont perpétrées par le biais d’outils technologiques communs entre les pays et qu’elles ont pour même but d’humilier un individu, la résonance de ces agressions peut changer d’un contexte à l’autre. Pour une meilleure compréhension, il nous semble alors fondamental de revenir sur des concepts tels que celui de la « réputation », de l’« honneur » ou encore de saisir le corps et le genre comme constructions sociales pour mieux cerner les raisons qui poussent certaines personnes à dénigrer un tiers, mais surtout à choisir un type de violence spécifique plutôt qu’un autre. Les dimensions politiques et socioculturelles doivent donc être prises en compte lorsque l’on tente de comprendre le cyberharcèlement afin de mieux en éclairer les enjeux et pour pouvoir proposer des solutions adaptées à chaque société en vue de le combattre.

Références
  • Akçabay F. Ceren, 2020, « Bir garip imza hikayesi: İstanbul Sözleşmesi » [en ligne], Gazete Duvar. Disponible sur : https://www.gazeteduvar.com.tr/konuk-yazar/2020/07/05/bir-garip-imza-hikayesi-istanbul-sozlesmesi [consulté le 19 févr. 2025].
  • Akgül Gülendam, 2021, « Routine Activities Theory in Cyber Victimization and Cyberbullying Experiences of Turkish Adolescents » [en ligne], International Journal of School & Educational Psychology, 11 (2), 2021, p. 135-144. Disponible sur : https://doi.org/10.1080/21683603.2021.1980475.
  • Altumterim Yasemin, 2022, « Genç Oyuncu Ecem Koyunlu Soluğu Mahkemede Aldı: Cinsel İçerikli Mesajları 400 Kez Şikayet Etti! » [en ligne], Onedio. Disponible sur : https://onedio.com/haber/genc-oyuncu-ecem-koyunlu-solugu-mahkemede-aldi-cinsel-icerikli-mesajlari-400-kez-sikayet-etti-1084933 [consulté le 19 févr. 2025].
  • Arat Yeşim, 2000, « Gender and Citizenship in Turkey », dans Joseph Suad (dir.), Gender and Citizenship in Turkey, New York, Syracuse University Press, p. 275‑286.
  • Benraad Myriam, 2021, « Conclusion », dans Benraad Myriam (dir.). Terrorisme : les affres de la vengeance. Aux sources liminaires de la violence, Paris, Le Cavalier Bleu, collection « Mobilisations », p. 199-204.
  • Berktay Fatmagül, 2003, Tarihin cinsiyeti, İstanbul, Metis Yayınları.
  • Beuscart Jean-Samuel, Chauvin Pierre-Marie, Jourdain Anne et Naulin Sidonie, 2015, « La réputation et ses dispositifs. Introduction » [en ligne], Terrains & travaux, 26 (1), p. 5-22. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/tt.026.0005.
  • Beyazit Utku, Şimșek Şükran et Ayhan Aynur B., 2017, « An Examination of the Predictive Factors of Cyberbullying in Adolescents » [en ligne], Social Behavior and Personality, 45, p. 1511-1522. Disponible sur : https://doi.org/10.2224/sbp.6267.
  • Beyaztaș Fatma Yücel, Karagöz Yaşar M., Özer Erdal, et Tütüncüler Akın, 2015, « Evalution of Femicide Cases Committed between the Years 1996–2005 in Antalya » [en ligne], Omega Journal of Death and Dying, 71 (2), p. 198‑210. Disponible sur : https://doi.org/10.1177/0030222815570600.
  • Blaya Catherine, 2013, Les Ados dans le cyberespace. Prises de risque et cyberviolence, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, collection « Pédagogies en développement ».
  • Breton Philippe, 2001, « Internet. La communication contre la parole ? », Études, 394 (6), p. 775‑784.
  • Butler Judith, 2006, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, trad. de l’anglais (États-Unis) par C. Kraus, Paris, La Découverte, collection « Sciences humaines et sociales ».
  • Casilli Antonio, 2010, Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Éditions du Seuil, collection « La Couleur des idées ».
  • Çetin İhsan, 2014, « Gelenek ve Modernite Arasında Türkiye’de Son Dönem Kadın Cinayetleri », Sosyoloji Dergisi, 30, p. 41‑63.
  • Chauvel Séverine, 2009, « Le corps discipliné » [en ligne], Genèses, 75 (2), p. 2-3. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/gen.075.0002.
  • Cindoğlu Dilek, 2017, « Gender and Sexuality in the Authoritarian Discursive Strategies of “New Turkey” » [en ligne], European Journal of Women’s Studies, 24 (1), p. 1‑16. Disponible sur : https://doi.org/10.1177/1350506816679003.
  • Clair Isabelle, 2008, Les Jeunes et l’amour dans les cités, Paris, Armand Colin, collection « Individu et société ».
  • Couchot‑Schiex Sigolène, 2019, « Le sexisme et ses variantes : cybersexisme et homophobie. Une mise à l’épreuve en milieu scolaire », dans Couchot‑Schiex Sigolène (dir.), Du genre en éducation. Pour des clés de compréhension d’une structure du social, Paris, L’Harmattan, collection « Savoir et formation », p. 77‑104.
  • Couchot‑Schiex Sigolène, Moignard Benjamin et Richard Gabrielle (rapps), 2016, Cybersexisme : une étude sociologique dans les établissements scolaires franciliens [en ligne], Observatoire régional des violences faites aux femmes. Disponible sur : https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/medias/egalitheque/documents/etude-cybersexisme-web.pdf [consulté le 19 févr. 2025].
  • Davis Katie, 2010, « Coming of Age Online: The Developmental Underpinnings of Girls’ Blogs » [en ligne], Journal of Adolescent Research, 25 (1), p. 145‑171. Disponible sur : https://doi.org/10.1177/0743558409350503.
  • Dayı Ayşe et Karakaya Eylem, 2021, « Neoliberal Health Restructuring, Rising Conservatism and Reproductive Rights in Turkey: Continuities and Changes in Rights Violations » [en ligne], dans Alkan Hilal, Dayi Ayse, Topçu Sezin et Yarar Betül (dirs), The Politics of the Female Body in Contemporary Turkey: Reproduction, Maternity, Sexuality, London, Bloomsbury Publishing, p. 18‑42. Disponible sur : https://doi.org/10.5040/9780755617432.ch-001.
  • Debauche Alice et Hamel Christelle, 2013, « La violence comme contrôle social des femmes. Entretien avec Jalna Hanmer, sociologue britannique » [en ligne], Nouvelles Questions Féministes, 32 (1), p. 96‑111. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/nqf.321.0096.
  • Desfachelles Marion et Fortin Francis, 2019, « Le sexting secondaire chez les adolescent·e·s. Origine et enjeux d’une source de cyberintimidation » [en ligne], Déviance et Société, 43, p. 329‑357. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/ds.433.0329.
  • Diaz-Fernandez Silvia et Evans Adrienne, 2019, « Lad Culture as a Sticky Atmosphere: Navigating Sexism and Misogyny in the UK’s Student-Centred Nighttime Economy » [en ligne], Gender, Place & Culture, 27 (5), p. 744‑764. Disponible sur : https://doi.org/10.1080/0966369X.2019.1612853.
  • Dilmaç Julie Alev, 2010, « Les crimes d’honneurs en Turquie : une vengeance familiale rationnelle », dans Bourdin Jean-Claude, Chauvaud Frédéric, Gaussot Ludovic et Keller Pascal‑Henri (dirs), Faire justice soi-même. Études sur la vengeance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection « Essais », p. 205‑217.
  • Dilmaç Julie Alev, 2020, L’honneur, c’est dire « non ». Place d’un principe dans la société contemporaine, Vulaines-sur-Seine, Les Éditions du Croquant, collection « Critiques et contestations ».
  • Dilmaç Julie Alev, 2021, « Réguler la cyberviolence : pour un retour des conventions sur Internet » [en ligne], Rhizome, 80‑81, p. 29‑30. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/rhiz.080.0029.
  • Dilmaç Julie Alev et Irtış Verda, 2022, « Les atteintes à l’image en Turquie : étude de cas d’un fléau numérique ravageur », Rivista di Criminologia, Vittimologia e Sicurezza, 16, p. 57‑90.
  • Dilmaç Julie Alev et Kocadal Özker, 2019, « Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ? » [en ligne], Déviance et Société, 43 (3), p. 389‑419. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/ds.433.0389.
  • Dimitrijevic Milica, Filip Andrada et Platzer Michael (dirs), 2015, Femicide: A Global Issue that Demands Action [en ligne], Academic Council on the United Nations System (ACUNS) Vienna Liaison Office, vol. 4. Disponible sur : https://jgu-dev.s3.ap-south-1.amazonaws.com/FemicideVol-IV.pdf [consulté le 19 févr. 2025].
  • Dodge Alexa, 2016, « Digitizing Rape Culture: Online Sexual Violence and the Power of the Digital Photograph », Crime, Media, Culture, 12 (1), p. 65‑82.
  • Dupré Delphine et Carayol Valérie, 2020, « Haïr et railler les femmes en ligne : une revue de la littérature sur les manifestations de cyber misogynie » [en ligne], Genre en séries, 11. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/ges.1072.
  • Duret Pascal et Roussel Peggy, 2005, Le Corps et ses sociologies, Paris, Armand Colin, collection « 128. Sociologie ».
  • Froissart Pascal, 2002, « Les images rumorales. Une nouvelle imagerie populaire sur Internet » [en ligne], MédiaMorphoses, 5, p. 27‑35. Disponible sur : https://doi.org/10.3406/memor.2002.1698.
  • Froissart Pascal, 2011, « Elle court, elle court la rumeur » [en ligne], Sens-Dessous, 9 (2), p. 83‑91. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/sdes.009.0083.
  • Giomi Fabio et Zerman Ece, 2018, « Femmes, genre et corps dans l’Europe du Sud-Est et en Turquie (mi-xixe – mi-xxe siècle) » [en ligne], Clio. Femmes, Genre, Histoire, 48, p. 153‑179. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/clio.15090.
  • Gözdasoglu Küçükalioglu Elif, 2018, « Framing Gender-Based Violence in Turkey » [en ligne], Les Cahiers du CEDREF, 22, p. 128‑157. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/cedref.1138.
  • Huerre Patrice et Rubi Stéphanie, 2013, Adolescentes, les nouvelles rebelles, Paris, Bayard.
  • Ilkkaracan Pınar, 2007, Reforming the Penal Code in Turkey: The Campaign for the Reform of the Turkish Penal Code from a Gender Perspective, Brighton, Institute of Development Studies.
  • Jankowicz Nina, 2022, How to Be A Woman Online: Surviving Abuse and Harassment, and How to Fight Back [en ligne], London, Bloomsbury Academic. Disponible sur : https://doi.org/10.5040/9781350267602.
  • Kadioğlu Ayşe, 1998, « Cinselliğin İnkârı: Büyük Toplumsal Projelerin Nesnesi Olarak Türk Kadınları », dans Hacimirzaoğlu Ayşe B. (dir.), 75 Yılda Kadınlar ve Erkekler, İstanbul, Tarih Vakfı Yayınları, p. 89-100.
  • Kandiyoti Deniz, 1987, « Emancipated but Unliberated? Reflections on the Turkish Case » [en ligne], Feminist Studies, 13 (2), p. 317-338. Disponible sur : https://doi.org/10.2307/3177804.
  • Kandiyoti Deniz, 1988, « Bargaining with Patriarchy » [en ligne], Gender & Society, 2 (3), p. 274‑290. Disponible sur : https://doi.org/10.1177/089124388002003004.
  • Kaya Bilal et Cenkseven Önder Fulya, 2022, « Türkiye’deki öğrencilerin siber zorbalık türlerinin ve baş etme yöntemlerinin Atıf Cite incelenmesi: Bir meta-sentez çalışması » [en ligne], Humanistic Perspective, 4 (3), p. 512‑528. Disponible sur : https://doi.org/10.47793/hp.1143663.
  • Korkman Zeynep K., 2016, « Politics of Intimacy in Turkey: A Distraction from “Real” Politics? », Journal of Middle East Women’s Studies [en ligne], 12 (1), p. 112‑121. Disponible sur : https://doi.org/10.1215/15525864-3422611.
  • Lachance Jocelyn, 2016, « Reconnaissance, ordalie et sacrifice à l’ère du numérique », dans Jeffrey Denis (dir.), Penser l’adolescence, Paris, Presses universitaires de France, p. 177‑189.
  • Lagarde Marcella, 2006, « Del femicidio al feminicidio », Desde el Jardin de Freud, 6, p. 216‑225.
  • Mantziari Despoina, 2018, « Sadistic Scopophilia in Contemporary Rape Culture: I Spit On Your Grave (2010) and the Practice of “Media Rape” » [en ligne], Feminist Media Studies, 18 (3), p. 397‑410. Disponible sur : https://doi.org/10.1080/14680777.2017.1367700.
  • McCormick Naomi et Leonard John, 1996, « Gender and Sexuality in the Cyberspace Frontier », Women & Therapy, 19 (4), p. 109‑119. Disponible sur : https://doi.org/10.1300/J015v19n04_13.
  • Miller Ruth A., 2007, « Rights, Reproduction, Sexuality, and Citizenship in the Ottoman Empire and Turkey » [en ligne], Signs:Journal of Women in Culture and Society, 32, p. 347‑373. Disponible sur : https://doi.org/10.1086/508218.
  • Observatoire régional des violences faites aux femmes, 2018, Cyberviolences conjugales. Recherche-action menée auprès de femmes victimes de violences conjugales et des professionnel-le-s les accompagnant. Disponible en ligne : https://web.archive.org/web/20210713174406/https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/rapport-cyberviolences-conjugales-web.pdf [archivé le 28 sept. 2023, consulté le 19 févr. 2025].
  • Özer Öksüzoğlu Türel, 2021, « Kadınlara Yönelik Siber Zorbalık Durumları ve Önlem Çalışmaları », European Journal of Educational and Social Sciences, 6 (1), p. 67‑75.
  • Plan International, 2022, Abuse and Harassment Driving Girls off Facebook, Instagram and Twitter [article, en ligne]. Disponible sur : https://plan-international.org/news/2020/10/05/abuse-and-harassment-driving-girls-off-facebook-instagram-and-twitter [consulté le 19 févr. 2025].
  • Ragouet Pascal, 2000, « Notoriété professionnelle et organisation scientifique », Cahiers internationaux de sociologie, 109, p. 317‑341.
  • Ringrose Jessica, Gill Rosalind, Livingstone Sonia et Harvey Laura, 2012, A Qualitative Study of Children, Young People and « Sexting »: A Report Prepared for the NSPCC, Londres, NSPCC.
  • Robitaille-Froidure Amélie, 2014, « Sexting : les adolescents victimes (consentantes ?) de la révolution numérique » [en ligne], La Revue des droits de l’homme. Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, 5. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/revdh.786.
  • Sarioğlu Esra, 2021, « Misogynist Body Politics under the AKP Rule in Contemporary Turkey » [en ligne], dans Alka Hilal, Dayi Ayşe, Topçu Sezin et Yarar Betül (dirs), The Politics of the Female Body in Contemporary Turkey: Reproduction, Maternity, Sexuality, London, Bloomsbury Publishing, p. 187‑204. Disponible sur : https://doi.org/10.5040/9780755617432.ch-009.
  • Sert Naime, 2020, « Kadınların çevrimiçi şiddete maruz kalma olasılığı 27 kat fazla » [en ligne], Habertürk. Disponible sur : https://www.haberturk.com/kadinlarin-cevrimici-siddete-maruz-kalma-olasiligi-27-kat-fazla-2884196-teknoloji [consulté le 19 févr. 2025].
  • Seven Memnun, Karabal Bilal, Uludağ Burçak, Keleș Maide Nur, Kafaoğlu Miraç, Top Serpil et Ider Z. Büşra, 2015, « Gazetelere Haber Olan Kadın Cinayetlerinin İncelenmesi », Kadın Sağlığı Hemşireliği Dergisi, 2 (2), p. 71‑83.
  • Şimșek Berza, 2020, « Dijital şiddet mağduru bir kadın anlatıyor: “Adıma 40 sosyal medya hesabı açıldı” » [en ligne], BBC News Türkçe. Disponible sur : https://www.bbc.com/turkce/haberler-dunya-52834286 [consulté le 19 févr. 2025].
  • Sorain Pauline, 2023, « Journée internationale des femmes en Turquie : émancipation, protection, quel bilan ? » [en ligne], Le Petit Journal. Disponible sur : https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/journee-internationale-des-femmes-en-turquie-emancipation-protection-quel-bilan-357362 [consulté le 19 févr. 2025].
  • Soygut Mualla Buket, 2020, « Kadın üzerinde yeni panoptikon*: Siber-stalking » [en ligne], Bianet. Disponible sur : https://bianet.org/bianet/yasam/235941-kadin-uzerinde-yeni-panoptikon-siber-stalking [consulté le 19 févr. 2025].
  • Stassin Bérengère, 2021, « La cyberviolence à l’école : “C’est une réalité, il y a eu un cas dans ma classe”. Étude exploratoire dans la région Grand Est » [en ligne], dans Carayol Valérie et Laborde Aurélie (dirs), Incivilités numériques. Quand les pratiques numériques reconfigurent les formes de civilité au travail, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, p. 47‑67. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/dbu.caray.2021.01.0047.
  • Stassin Bérengère et Cordier Anne, 2023, « Les réseaux sociaux altèrent les liens sociaux des adolescents » [en ligne], dans Cordier Anne et Erhel Séverine (dirs), Les Enfants et les écrans, Paris, Retz, collection « Mythes et réalités », p. 137‑149. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/retz.cordi.2023.01.0137.
  • Suler John, 2004, « The Online Disinhibition Effect » [en ligne], CyberPsychology & Behavior, 7, p. 321‑326. Disponible sur : https://doi.org/10.1089/1094931041291295.
  • Yetim Servet, 2015, « Siber Zorbalık, Türkiye ve ABD Karşılaştırması (ABD V. Drew Dosyası) » [en ligne], TBB Dergisi, 120. Disponible sur : http://tbbdergisi.barobirlik.org.tr/m2015-120-1516.Mayıs2017 [consulté le 19 févr. 2025].
  • Yıldız Filiz et Özarslan Zeynep, 2022, « Kadınların Deneyimlerinden Dijital Flört Şiddetine Bakmak » [en ligne], Etkileşim, 9, p. 72‑101. Disponible sur : https://doi.org/10.32739/etkilesim.2022.5.9.156.
  • Zengin Aslı, 2016, « Violent Intimacies: Tactile State Power, Sex/Gender Transgression, and the Politics of Touch in Contemporary Turkey » [en ligne], Journal of Middle East Women’s Studies, 12 (2), p. 225‑245. Disponible sur : https://doi.org/10.1215/15525864-3507650.