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Couverture de Quitter la politique (Édul, 2024) Show/hide cover

Introduction

À propos de Marcel Dassault :« Il sera candidat à l’Assemblée nationale jusqu’à sa mort. Après il se présentera au Sénat »Lionel Stoléru, citation rapportée dans Le petit livre des méchancetés les plus drôles, Le Cherche-Midi, 2005, p 92.

Gilles Le Béguec, à qui cet ouvrage entend rendre hommage, avait constaté que si les historiens s’étaient intéressés aux entrées en politique, en étudiant notamment les organisations de jeunesse et les entrées au Parlement, ils s’étaient moins penchés sur les sorties en politiques. De fait, s’agissant des fins de parcours, il n’existe pas encore d’analyse globale du phénomène, mais des approches isolées via surtout des biographies où les ultimes chapitres se penchent sur le dernier mandat et la dernière campagne, sur la fin d’une carrière plus ou moins heureuse, plus ou moins contrainte, plus ou moins maîtrisée. Notons toutefois que si les spécialistes d’histoire politique contemporaine se sont peu emparés de cette thématique, il en va différemment des autres périodes où le sujet semble davantage pris en compte. Citons à cet égard le travail de Jacques Le Brun. Dans son ouvrage Le pouvoir d’abdiquer. Essai sur la déchéance volontaire, l’historien moderniste étudie différents cas (Dioclétien, Charles Quint, Jacques II Stuart ou Philippe V d’Espagne) et entend « penser l’impensé de l’abdication »1. Selon lui, l’abdication relève de l’exception et permet ainsi de confirmer, de manière inversée, la règle qui veut que seule la mort du souverain mette fin à son pouvoir2.

Le constat est relativement similaire en science politique. En effet, sociologues et politistes ont essentiellement abordé l’étude des carrières des acteurs politiques sous l’angle de l’intégration au monde politique. Ces travaux insistent globalement sur le fait que les professionnels de la politique se distinguent par leur tendance à monopoliser la représentation, ils se consacrent à temps complet à leurs responsabilités dont ils tirent aussi leurs moyens matériels de subsistances. Cette permanence au sein du champ politique3 et son corollaire, la « carrière à vie », tendent à exclure de l’horizon des possibles l’objet des sorties. Si la question du désengagement militant s’est invitée au cours des années 2000 comme un objet de recherche de la sociologie des mouvements sociaux4, celle du retrait de la vie politique n’a pas encore été véritablement explorée par la science politique française, du fait, peut-être, d’une absence apparente du phénomène à l’agenda (du moins jusqu’à la campagne de 2017). Les mentions des sorties de la vie politique sont rares, et lorsqu’elles sont évoquées, elles renvoient essentiellement aux contraintes naturelles (décès, maladie, vieillesse)5. La difficulté et le temps long que nécessite l’intégration au monde politique, justifieraient l’impossibilité d’en sortir et annihileraient alors toute analyse du phénomène. Plusieurs travaux plus ou moins récents ont néanmoins commencé à défricher l’objet des retraits, qu’ils s’intéressent plus spécifiquement à la défaite en politique6 ou plus généralement aux processus et causes de sortie et aux devenirs des anciens élus7.

L’intérêt de cet ouvrage, qui rassemble les actes d’une journée d’étude tenue à l’Université de Reims le 29 avril 2022, est donc d’abord de combler une lacune historiographique en interrogeant de manière synthétique les sorties en politique, en analysant leurs raisons, modalités, enjeux et perceptions. Si le regard porté est ici majoritairement historien, des sociologues et politistes ont été également sollicités afin de croiser les approches.

Les sorties en politique peuvent être interrogées de différentes façons. L’âge de sortie de la politique mérite déjà d’être questionné. Les médias ironisent souvent sur l’âge avancé des sénateurs, et il est vrai qu’avec une moyenne d’âge de 60 ans et 2 mois8, le Palais du Luxembourg, en raison sans doute des modalités particulières d’élection de ses membres, constitue un cénacle d’anciens dont l’entrée à la chambre haute représente souvent le dernier temps d’un cursus honorum bien rempli. L’Assemblée paraît en réaction bien plus jeune puisque l’âge moyen de ses membres pour l’actuelle législature est de seulement 49 ans (contre 42,2 ans pour l’ensemble de la population française)9. Elle compte toutefois de nombreux vieux députés, dont toujours un doyen (actuellement le député RN José Gonzalez, âgé de 80 ans) à qui le règlement réserve certains privilèges comme celui d’ouvrir la session parlementaire par un discours inaugural10. Plusieurs députés étaient célèbres pour leur âge avancé, tels Edouard-Frédéric Dupont qui entama à 85 ans son dernier mandat en 1988 ou le chanoine Kir qui débuta le sien à 86 ans en 1962. Des « benjamins » toutefois en comparaison de Marcel Dassault qui fut élu pour la dernière fois au Palais Bourbon à 94 ans en 1986. Rappelons, pour l’anecdote, que le logiciel de recherche de la base de données des députés, sur le site de l’Assemblée nationale, se nomme « sycomore », allusion au bois du cercueil où l’on plaçait les momies dans l’Égypte ancienne… Ou encore, que le balcon réservé aux anciens parlementaires situé tout en haut de l’hémicycle du Palais Bourbon est communément baptisé le « cimetière »11.

Une analyse quantitative permettrait, à partir de corpus d’élus traités statistiquement, de déterminer l’âge moyen du dernier mandat par type d’élection et pour différentes périodes. Il serait alors possible de savoir par exemple si les carrières politiques actuelles sont en moyenne plus courtes que celles sous la Troisième République, la Quatrième République et les débuts de la Cinquième République. Quels sont les effets de l’avènement des technocrates, de la professionnalisation du politique, de l’interdiction du cumul des mandats, sur la longueur des carrières politiques et leur fin ? Notons au demeurant que les temporalités biologiques et politiques ne se recoupent pas forcément. On peut prendre sa retraite politique très jeune après un parcours militant, parlementaire, gouvernemental éclair et inversement entrer en politique à un âge tardif après avoir privilégié jusque-là ses engagements familiaux et professionnels. L’âge moyen de sortie est-il le même selon les courants politiques ? Il est probable que les cultures politiques déterminent en partie la longévité des carrières et la fin de celles-ci. Une hypothèse de travail consisterait à penser que les formations puissantes, conservatrices, et/ou anciennement établies, favorisent les carrières longues et acceptent sinon valorisent le maintien d’un personnel âgé, enraciné et expérimenté. Inversement, on pourrait supposer que les petites organisations contestataires et notamment révolutionnaires qui sollicitent beaucoup leurs militants au risque d’épuiser ou de décevoir prématurément ces derniers, que les courants qui (comme les écologistes) valorisent le renouvellement des cadres dans une logique d’hyper démocratie interne, voient leur personnel sortir du jeu très tôt. Mais il s’agit peut-être de clichés à déconstruire. Dans tous les cas, il existe en dehors du monde politique lui-même d’autres déterminants (en termes de parcours de vie et de ressources biographiques) à identifier pour rendre compte des sorties politiques. Les milieux socio-professionnels, les origines géographiques, le genre, le niveau d’étude conditionnent aussi en partie les fins de carrière.

Remarquons que la sortie politique s’avère parfois difficile à situer chronologiquement de manière précise. La retraite peut être annoncée explicitement et s’avérer définitive, elle est alors mesurable. On sort du jeu après une défaite électorale, comme Lionel Jospin au soir du premier tour de la présidentielle de 2002. Mais souvent la fin de carrière s’étale dans le temps, en paliers successifs de désengagement, avec parfois le retour à des mandats locaux moins exigeants, en matière de temps et de déplacements. Le cursus honorum s’inverse alors comme pour mieux « boucler la boucle ». Le désengagement s’opère aussi à l’occasion par l’entrée dans certaines « institutions de repli » (Sénat, Conseil constitutionnel, Conseil économique, social et environnemental…) souvent présentées, à tort ou à raison, comme des établissements de retraite politique. Au demeurant, sort-on jamais vraiment du politique ? La France est riche de ces « vieux sages » qui sont supposés retirés des affaires, mais qui, sollicités par les médias pour une réaction ou approchés par des élus pour une expertise, donnent volontiers leur avis, livrent leurs souvenirs, dispensent leurs confidences, voire publient leurs mémoires. Citons dans les rangs de la droite libérale les cas d’Antoine Pinay ou Valéry Giscard d’Estaing. Sans oublier ceux qui annoncent leur départ pour ensuite mieux revenir (« les fausses sorties ») ou ceux qui sont perçus comme finis, mais qui réapparaissent dans d’autres partis, sur d’autres territoires, à d’autres fonctions à l’image d’un Olivier Stirn… Toute réflexion sur les sorties politiques suppose d’interroger ces tempo et modalités de « décrochage ».

Un autre axe de questionnement porte sur les causes de la sortie du politique et sur la gestion de cette dernière, une gestion évidemment différente selon que la fin de parcours est voulue (pour réinvestir sa vie privée ou le champ professionnel) ou subie (après une maladie, une déroute électorale, une mise en minorité dans le parti, des déboires judiciaires, affaires et scandales). Une carrière encore a priori prometteuse peut s’arrêter brutalement (alors âgé de 40 ans, le secrétaire d’État Thomas Thévenoud démissionne de ses fonctions le 4 septembre 2014 après être resté en poste neuf jours seulement, en raison de ses démêlés avec le fisc, battant le record de brièveté au gouvernement détenu jusque-là par Léon Schwartzenberg). Une autre problématique tient aux modalités de transmission du pouvoir, du fief électoral, pour celui qui quitte le champ politique12. Certains savent anticiper leur sortie, annonçant à l’avance cette dernière, adoubant un dauphin (de Pierre à Dominique Baudis à Toulouse en 1983…), présentant leur bilan, un héritage plus ou moins respecté par leurs successeurs. D’autres ratent leur sortie. C’est le « mandat de trop » marqué par l’usure (Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux), la « campagne de trop » qui gâche le reste de la carrière (Gérard Colomb battu à 73 ans à Lyon en 2020). Il faut savoir se retirer à temps et le faire ainsi dans de bonnes conditions, afin de ne pas terminer sa carrière sur un échec qui pourrait nuire à l’image que les acteurs politiques veulent laisser d’eux-mêmes (plus ou moins humblement) dans l’histoire. Se pose enfin la question de la reconversion professionnelle de ces élus qui, pour certains, ont su, via des contacts et réseaux tissés dans la société civile, préparer en amont leur « deuxième vie » et exploiter parfois des compétences acquises dans le monde politique, ce « capital politique » cher aux politistes13. Cette reconversion de l’homme ou de la femme politique, qui pendant longtemps, était restée informelle et empirique, relevant surtout de l’initiative personnelle, s’est institutionnalisée depuis une vingtaine d’années via des programmes de validations d’acquis et de formation professionnelle qui engagent autant l’État que les organisations partisanes.

À l’évidence, le thème des sorties politiques et fins de carrière constitue un thème stimulant, neuf, qui interroge la professionnalisation de la politique et la temporalité de l’engagement militant. Cet ouvrage propose dans une première partie des approches synthétiques autour de périodes et de courants politiques, puis décline dans une seconde partie des études de cas individuelles, avant une conclusion à deux voix entre un historien, Renaud Meltz et une politiste, Louise Dalibert. Une analyse sur les États-Unis permet un utile regard comparatif. Nous terminerons cette rapide introduction par des remerciements adressés à ceux qui ont permis la tenue de la journée d’étude puis l’édition de ses actes : les trois laboratoires (Cerhic, Cresat et Crulh) et la Société française d’histoire politique (SFHPo).

  1. 1LeBrun Jacques, Le pouvoir d’abdiquer. Essai sur la déchéance volontaire, Paris, Gallimard, collection « L’esprit de la cité », 2009, p. 15.
  2. 2Ibid., p. 262.
  3. 3Boelaert Julien, Michon Sébastien, Ollion Etienne, « Des vies en politiques », dans Métier : député. Enquête sur la professionnalisation de la politique en France, Paris, Raisons d’agir, 2017, pp. 81-102 ; Boelaert Julien, Michon Sébastien, Ollion Étienne, « Le temps long de la politique » [en ligne], Pouvoirs, vol. 161, no. 2, 2017, pp. 61-72. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/pouv.161.0061.
  4. 4Fillieule Olivier (dir.), Le Désengagement militant, Paris, Belin, 2005 ; Leclercq Catherine, Histoires d’« ex ». Une approche sociobiographique du désengagement des militants du Parti communiste français, thèse de science politique, Sciences Po, 2008 ; Lefebvre Rémi, Fillieule Olivier, Leclercq Catherine (dir.), Le malheur militant, DeBoeck Supérieur, 2022.
  5. 5Gaxie Daniel, La démocratie représentative, « Clefs politiques », Paris, Montchrétien, 1993, p. 86-87.
  6. 6Bon Frédéric, Burnier Michel-Antoine, Que le meilleur perde. Éloge de la défaite en politique, Paris, Balland, 1985 ; Abeles Marc, L’Échec en politique, Belval, Circé, 2005. ; Milloud Cécile, L’échec en politique : contribution à l’étude des représentations et des stratégies de légitimation des candidats français, Thèse de doctorat en science politique, Grenoble : Université Pierre Mendès-France, 2000 ; Louault Frédéric, Les défaites électorales. Le cas du Parti des travailleurs dans le Rio Grande do Sul (Brésil) 1982-2008, Thèse de doctorat en science politique, Institut d’Études Politiques de Paris, 2011 ; Louault Frédéric, Pellen Cédric (dir.), La défaite électorale. Productions, appropriations, bifurcations, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Res Publica », 2019.
  7. 7Dalibert Louise, Quitter le métier politique. Le retrait de la vie politique de Jean-Philippe Magnen, Paris, L’Harmattan, 2016 ; Dalibert Louise, « Les “vies d’après“ des députés français. Des reconversions professionnelles lucratives limitées » [en ligne], Revue française de science politique, vol. 71, no. 1, 2021, pp. 97-117. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/rfsp.711.0097 ; Gueranger David, « Les fins de mandat des élus municipaux indemnisés (2008-2014) », Questions de Politiques Sociales, Les cahiers de la Caisse des dépôts, juin 2021 ; Dalibert Louise, « Les retraits volontaires du métier politique, signe d’une normalisation du métier politique ? » [en ligne], dans Demaziere Didier, Lefebvre Rémi (dir.), Des élus déclassés ?, Paris, La Vie des idées, 2024. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/rfsp.711.0097.
  8. 8 Statistiques officielles du Sénat en date du 28 sept. 2020. Disponible sur : www.publicsenat.fr/article/parlementaire/sexe-age-profession-a-quoi-ressemble-le-nouveau-senat-184770 [consulté le 13 mars 2023]. L’institution s’est sensiblement rajeunie puisque la moyenne d’âge en 2017 était de 63 ans et 7 mois.
  9. 9 Pour plus de précisions, voir le site officiel de l’Assemblée. Disponible sur : www.assemblee-nationale.fr/dyn/vos-deputes [consulté le 13 mars 2023].
  10. 10 Celui du député RN des Bouches-du-Rhône fit d’ailleurs scandale puisque l’élu, le 28 juin 2022, revint à cette occasion sur l’Algérie française de son enfance (Le Monde, 29 juin 2022).
  11. 11 Abeles Marc, op. cit., p. 10.
  12. 12Dubasque François et Kocher-Marboeuf Eric (dirs), Les Dynamiques de l’ancrage politique (1750-2009), Rennes, Presses universitaires de Rennes.
  13. 13Matonti Frédérique et Poupeau Franck, « Le capital militant, essai de définition » [en ligne], dans Actes de recherche en sciences sociales, 2004/5, n° 155. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/arss.155.0004.