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Les sorties en politique des militants gauchistes, une voie française

Lorsqu’on examine l’aventure politique qu’a signifié pour une fraction notable de la génération des baby-boomers « le gauchisme » des années 1968, il est indispensable de distinguer deux phénomènes qui, pour entretenir des liens entre eux, n’en sont pas moins distincts : le gauchisme culturel et le gauchisme politique. Le premier qualifie le vaste ensemble protéiforme des aspirations libertaires de la génération 68. Le second, nettement plus restreint sur le plan quantitatif, désigne les organisations d’extrême gauche qui ont dénoncé le Parti communiste français comme ayant renoncé à la révolution, et qui souhaitaient, elles, maintenir le combat révolutionnaire anticapitaliste.

Notre propos est donc de scruter le devenir de ces militants engagés dans les groupes révolutionnaires au lendemain du printemps rouge et noir de 68. Il s’agit d’une vaste cohorte de jeunes qui, très majoritairement, ne s’engageaient pas pour témoigner, ni pour interpréter le monde, mais bien pour le transformer ; l’horizon de leur engagement était la révolution. Qu’ont-ils fait lorsque le mirage révolutionnaire s’est dissipé ? Ou, plus exactement, lorsque la croyance d’une révolution à court terme a disparu, autour du mitan des années 1970, tel est le cœur de notre réflexion.

Deux éléments justifient fortement l’étude de ce groupe spécifique des militants gauchistes : le caractère nettement collectif de ce phénomène, mais aussi l’enjeu socio-politique de cette aventure biographique.

En effet, sur le premier point, quand on parle d’un groupe d’ex, que ce soit les ex-députés centristes ou les ex-membres du Conseil constitutionnel, le groupe a été généralement constitué a posteriori, par le chercheur pour les besoins de son analyse. Avec les gauchistes, les choses sont différentes, parce qu’ils se sont parfois pensés en tant qu’« ex-collectif » pour tirer un bilan, un exemple parmi d’autres étant celui des nouveaux philosophes avec André Glucksman. Mais le phénomène est général, car, comme l’écrit Isabelle Sommier : « s’ils se sont désengagés d’une histoire militante particulière (story, celle de la Gauche prolétarienne, de Lotta Continua, de l’extrême gauche dans son ensemble…), les “ex” restent aujourd’hui encore fortement engagés dans la fabrique de l’histoire (history) ou le récit de ces années »1. Ajoutons que, très souvent, d’anciens militants se sont pensés en tant qu’« ex-collectif » pour imaginer une action nouvelle. J’ai par exemple à l’esprit les anciens militants d’un groupe trotsko-maoïste réuni autour d’Alain Lipietz, le groupe qui édite Partis Pris (1978-1982), qui se perçoit comme « ex-collectif » et qui en tire la conclusion d’adhérer aux Verts, ce qui conduira Lipietz à être un éphémère candidat écologiste à la Présidentielle.

Toutefois, le plus important reste le second aspect, l’enjeu socio-politique de cet événement biographique. En effet, il est certes passionnant de scruter à la loupe les controverses des multiples publications d’extrême gauche sur la pensée d’Anton Pannekoek, sur la nature de l’URSS, sur l’existence ou non d’un capitalisme d’État, sur la possibilité ou non d’une révolution politique en Union soviétique, etc. Mais reconnaissons que ce n’est pas cela qui intéresse le plus grand nombre des observateurs dans l’aventure gauchiste française. La question qui a taraudé la plupart des analystes est bien : pourquoi la France n’a-t-elle pas connu la douloureuse expérience des années de plomb italienne et ses centaines de morts ? Pourquoi la France a-t-elle été épargnée par un puissant terrorisme d’extrême gauche ? Voilà la question essentielle qui est au cœur de mon propos et pour une raison simple : la réponse à cette question est directement liée aux modalités des sorties en politique des militants gauchistes.

Du Grand Soir au terrorisme

Que deviennent nos militants une fois majoritairement dégrisés ? Naturellement, leur devenir est divers. Mais il est possible de proposer une typologie. Plusieurs sont possibles. Prenant en compte notre réflexion commune, je proposerai une typologie en trois catégories.

La première catégorie est, de loin, la plus nombreuse. C’est aussi la plus silencieuse et celle qui, apparemment, pose le moins de problèmes aux chercheurs. C’est la catégorie de ceux qui, renonçant au Grand Soir, abandonnent la politique active.

La deuxième catégorie regroupe les militants qui ont compris que l’échéance du Grand soir est repoussée à très loin, mais qui, malgré tout, continuent de croire à l’utilité du militantisme. Mais un militantisme qui s’inscrit désormais dans le long ou le moyen terme. Malgré la multiplicité des nouvelles expériences militantes, cette catégorie a comme point commun le fait de renoncer à l’urgence révolutionnaire ; l’histoire ne leur mord plus la nuque, selon l’expression imagée de Daniel Bensaïd, le dirigeant de la Ligue communiste2.

Enfin, il y a la troisième catégorie, la plus petite en nombre, mais la plus importante dramatiquement parlant : ceux qui ne souhaitent pas renoncer à l’urgence révolutionnaire, mais qui veulent changer d’outil. Ils passent de l’extrême gauche à l’ultra gauche. Autrement dit, ils passent d’une conception de la violence comme débouché ultime de la lutte de classes à l’utilisation de la violence armée comme pratique immédiate de la lutte politique. Ils passent du gauchisme au terrorisme.

Or, nous enregistrons sur ce plan un important paradoxe. La galaxie gauchiste française est très puissante dans les années 1970, mais le mouvement terroriste, bien que s’inscrivant dans la poursuite de ce combat, est très faible. Concrètement, la galaxie gauchiste compte des dizaines de milliers de militants ; le mouvement terroriste peine à atteindre la centaine de véritables « combattants »3. Or, l’exemple italien montre que ce paradoxe n’est pas inéluctable : le mouvement gauchiste italien doit certes frôler la centaine de milliers de militants, mais les organisations armées italiennes doivent également frôler les dix mille combattants et sympathisants actifs, ce qui est considérable4.

Cette comparaison légitime donc la question : pourquoi franchir le pas en Italie et pas en France ?

Pour répondre à cette question, une impasse à mon sens serait l’approche idéologique : discuter pied à pied les arguments en faveur des attentats individuels et leurs objections. Tout cela n’aurait pas grand sens, en particulier parce que les analyses idéologiques n’ont qu’une prise limitée, par exemple sur les membres d’Action directe dont le niveau de connaissance et de réflexion est pour le moins frustre5.

Il me semble plus fécond d’avoir une démarche sociale et comparatiste. Le constat initial est le suivant : la raison de la force du terrorisme italien provient du basculement vers la lutte armée immédiate d’organisations gauchistes bien implantées. Par conséquent, pour notre propos, l’essentiel n’est pas d’examiner l’activité d’Action directe lorsque ses militants animent des squats dans le 18e arrondissement parisien. L’essentiel est de comprendre pourquoi les deux importantes organisations susceptibles de basculer ne l’ont pas fait, ces deux organisations étant d’une part la Ligue communiste et d’autre part la Gauche prolétarienne.

Dans le cas de la Ligue comme dans celui de la Gauche prolétarienne, deux schémas politiques ont été engagés dont l’issue était, à terme proche, l’affrontement armé avec l’appareil d’État, un affrontement armé en principe réalisé par la masse du peuple, mais, en réalité, amorcé par son organisation d’avant-garde, ce qui reste la définition même des attentats terroristes. Mais la présentation et la discussion de cette analyse n’appartiennent pas au cadre de notre réflexion présente. De même que n’y appartiennent pas tous les éléments qui, à l’intérieur de la pratique militante d’une part, et en raison du comportement des adversaires politiques que sont l’État et les groupes d’extrême droite d’autre part, ont borné l’expérience et limité les possibles dérives militaristes6. Ici je me concentrerai sur un seul point : les sorties de l’expérience et ses modalités.

Pour dire les choses rapidement, l’image de l’impasse italienne s’oppose à celle de la parenthèse française. Ou, plus exactement, de la double impasse italienne et de la double parenthèse française, à la fois politique et sociale.

L’impasse italienne et l’alternative française

En Italie, au milieu des années 1970, l’impasse politique est évidente. La gauche italienne apparaît incapable de pouvoir même espérer parvenir au pouvoir. Le Parti communiste italien atteint son apogée électoral en 1976 (34 % des exprimés), mais, pendant toute la décennie, y compris en 1976, la chape de plomb de la démocratie chrétienne profondément anticommuniste, comme l’éloignement du Parti socialiste italien de son ancien allié communiste, tout semble interdire l’espoir d’un changement par les urnes. Pire même, le seul changement politique susceptible d’intervenir en Italie est la victoire de l’extrême droite néo-fasciste puisque beaucoup d’éléments assez crédibles appuient la thèse d’une stratégie de la tension, l’idée que les attentats terroristes d’extrême droite ne seraient pas réellement aveugles, mais auraient pour but de provoquer un coup d’État de la fraction extrémiste de l’appareil d’État alliée aux néo-fascistes. Bref, l’impasse politique semble totale.

À l’inverse, en France, l’alternative de l’union de la gauche se déploie majestueusement dans ces mêmes années 1970 avec son feuilleté très efficace et ses trois piliers.

En premier lieu, la forteresse communiste avec ses multiples composantes : le Parti communiste français (PCF) lui-même, mais aussi ses municipalités, sans oublier la Confédération générale du travail (CGT), le Syndicat national des enseignements du second degré (SNES) et le Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup), et sa myriade d’organisations de masse. Cette forteresse est fragile, mais pas grand monde ne le perçoit dans ces années-là. Cette forteresse accueille alors de très nombreux jeunes du large mouvement de 1968, et ce jusqu’à l’apogée de 1978, même si le PCF attire peu de véritables militants gauchistes, les controverses passées ayant été trop violentes et les affrontements physiques trop nombreux. À ma connaissance, aucun responsable (non seulement dirigeant, mais responsable) d’extrême gauche n’est entré au PCF dans cette décennie. Il a évidemment dû y en avoir, mais la dose devait être suffisamment homéopathique pour échapper à nos radars.

Ce qui n’est pas le cas du deuxième ensemble conquérant de la gauche française, celui qui finalement va enlever la mise, à savoir le Parti socialiste (PS). Le pari de François Mitterrand est de donner le baiser de la mort au PCF, s’allier avec lui pour mieux le tuer. Mais cette mort s’opère grâce à deux arguments implicites, voire subliminaux :

  1. le PS est aussi à gauche que le PCF, voire peut-être plus à gauche,

  2. mais il est libre. Libre vis-à-vis de l’étranger, et le nouvel antiaméricanisme socialiste ne souligne que mieux le philosoviétisme congénital des communistes. Et libre également est la philosophie de son projet, à la différence de celui du PCF, toujours suspecté d’apprenti dictateur.

Or pour réussir ce pari stratégique, le PS va réaliser un véritable deal gagnant- gagnant avec une grande partie de ces militants, responsables et dirigeants gauchistes en déshérence7. Rien n’est trop à gauche pour le PS de l’époque. Car tout s’opère dans l’ordre de la rhétorique et de deux slogans polysémiques : « Changer la vie » d’une part, « l’autogestion » d’autre part. Ces slogans sont tellement vagues que tous les gauchistes peuvent s’y reconnaître. Ils peuvent donc s’y reconnaître sans avoir le sentiment de la trahison. Et ce sont des cohortes entières de militants, pour l’essentiel trotskystes, qui entrent au Parti socialiste, lui donnent une nouvelle vigueur militante, lui procurent une armature idéologique, ou au moins un discours politique qui faisait bien défaut, et qui nourrissent toutes les écuries des dirigeants socialistes. En retour, ils obtiennent des postes, généralement de deuxième plan, mais il y a quand même beaucoup de maires, de parlementaires et de membres des cabinets ministériels qui ont fait leurs classes dans les organisations trotskystes. Pas à Lutte ouvrière, mais chez les lambertistes de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) ou à la Ligue communiste. Il s’agit d’un recyclage à la fois professionnel et politique parfaitement accompli, les figures emblématiques de ce recyclage étant Lionel Jospin, Pierre Moscovici, Jean-Christophe Cambadélis, Henri Weber, Julien Dray, Harlem Desir, David Assouline et bien sûr Jean-Luc Mélenchon.

Et puis, il y a le troisième pilier du front de gauche, celui des organisations civiles. Avec deux branches majeures, mais qui sont loin d’être les seules : la branche écologiste et la branche féministe. C’est précisément un « ex-collectif » d’anciens gauchistes qui est à l’origine de la création en 1970 du Mouvement de libération des femmes et de la première publication décoiffante qu’était Le Torchon brule. Ce sont principalement d’anciennes maoïstes, mais pas que, qui vont opérer une double rupture : la rupture anticapitaliste qui les a fait devenir gauchistes, et la rupture libertaire qui les fait rompre avec le gauchisme politique. De cette double révolution naît le premier essor de cette deuxième vague féministe. Mais surtout cette vague débouche sur une puissante lutte sociale qu’est le mouvement pour la libéralisation de l’avortement8. Le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contracteption est la machine à recycler les gauchistes en déshérence, une machine qui démontre qu’il est vraiment possible de changer la vie, hic et nunc pour parler comme Karl Marx.

Les choses sont approchantes avec les autres mouvements sociaux qui transforment la France de ces années-là, qu’il s’agisse du mouvement régionaliste, du mouvement homosexuel ou du mouvement écologiste. Faute de temps, je ne développe pas ces trois aspects.

Or l’important est que cela fonctionne, infiniment mieux qu’en Italie. Le gouvernement français est un des premiers à créer un ministère de l’environnement ; Giscard confie à Simone Veil le soin de faire voter la liberté de l’avortement ; les premières écoles pratiquant les langues régionales s’ouvrent ; la presse homosexuelle s’impose dans le paysage. Bref, tous ces militants gauchistes peuvent se reconvertir sans trahir, y compris lorsqu’ils réinvestissent le champ balisé de la lutte politique chez les Verts où ils peuvent mettre à profit leurs connaissances des luttes d’appareil.

Voilà le premier élément de la sortie du gauchisme politique qui explique en partie le non emprunt de la voie terroriste. Reste le second élément, le devenir social.

Changer la vie ou changer sa vie ?

La France de la reconversion politique du gauchisme est désormais une France économiquement malade. Le gauchisme est le produit de la société de croissance, mais celle-ci s’interrompt en 1974. Avant, tout était facile ; désormais tout se complexifie. En particulier, le chemin du travail cesse d’être une évidence pour devenir un parcours d’obstacles. Et pourtant, malgré ces grandes difficultés, les entretiens réalisés avec d’anciens militants démontrent la facilité de la fermeture de la parenthèse en France. À titre indicatif, j’ai mené une modeste étude sur le noyau du Service d’ordre d’une organisation maoïste, le PCRml9. Un, qui est établi et a donc un trou dans son CV, pour pouvoir entrer à l’Essec, s’invente une embauche dans un journal théoriquement apolitique, La Tribune de Paris, que son organisation avait créé. Le deuxième, fiché et interrogé à de multiples reprises pour des actions violentes, devient sans embûches un cadre de la fonction publique territoriale, le troisième embrasse la carrière de journaliste musical, le quatrième passe l’agrégation d’histoire et le cinquième devient inspecteur de police. Intuitivement, j’ai le sentiment que ce schéma est largement représentatif. Autrement dit, nulle part, nous n’observons de volonté de vengeance de la part de l’État ou d’une fraction de l’appareil d’État. À la différence de l’Italie, et à quelques exceptions près sur lesquelles je reviendrai, la réinsertion professionnelle des militants fut aisée. Elle le fut pour deux raisons.

La première est que pratiquement tous disposaient d’un capital culturel permettant cette réinsertion. En Italie, le gauchisme est naturellement un phénomène universitaire, mais également un phénomène ouvrier. Sur le plan de la composition sociale, Lotta continua n’a pas grand-chose à voir avec la Gauche prolétarienne. Par conséquent, les militants italiens ont très peu de possibilités de reconversion. Entrer en usine pour faire la révolution d’une part, et entrer en usine pour faire un travail abrutissant toute sa vie d’autre part, ce n’est pas la même chose. Plonger dans la clandestinité pour les membres du service d’ordre de Lotta continua qui créent Prima Linea, c’était aussi refuser l’impasse du retour à l’usine, défaits et sans perspectives, tout en préservant l’adrénaline de la sublimation du quotidien10.

Rien de tel en France. Et une grande partie de nos anciens militants (et également de la petite fraction qui le demeure) deviennent des enseignants, des inspecteurs du travail, des éducateurs, des psychologues, etc., tout métier qu’ils peuvent faire et qui sont utiles à la modernisation sociale de la France. Ils s’élèvent socialement tout en transformant la société dans une direction conforme à leurs idéaux d’origine, que demander de plus ?

Encore faut-il y arriver et c’est la deuxième condition qui est remplie. Cette génération est une génération de bons élèves. À la porte des lycées, les gens de Lutte ouvrière recherchaient systématiquement les bons élèves des bonnes sections. Mais c’était de fait là que recrutaient toutes les organisations gauchistes. À l’inverse de pas mal de militants des générations suivantes, les faux étudiants étaient rares. Certes, le temps d’études était restreint, mais les capacités intellectuelles permettaient de passer les épreuves avec succès. Et les devenirs des célébrités, secrétaire de Sartre pour Benny Levy, éditeur et écrivain pour Olivier Rollin ou André Glucksman, inspecteur général pour Alain Geismar, architecte pour Roland Castro, professeur d’Université pour Daniel Bensaïd, Alain Badiou et des dizaines d’autres, tous ces exemples ne sont pas des exceptions, mais plutôt la pointe acérée de la reconversion.

En dernière instance, la sortie en politique des militants gauchistes éclaire une dernière fois la profonde réalité du gauchisme français : ce fut un pur produit de l’Éducation nationale. À l’origine du mouvement, un gauchiste sur deux est lycéen ou étudiant. Au bout de quelques années, un sur deux est étudiant ou enseignant.

Ce qui n’est pas du tout le cas ni chez les organisations italiennes ni chez les organisations terroristes françaises. Action directe recrute parmi les milieux marginaux des employés de banque plus ou moins intermittents et parmi divers précaires, ce qui ne correspond pas à la norme sociale des organisations gauchistes des années 1970.

C’est du reste là que nichent les rares exceptions dont j’ai parlé dans le tableau presque idyllique que j’ai dessiné de la reconversion sociale des anciens militants. Dans les entretiens que j’ai menés, les seules impasses sociales que j’ai relevées sont les devenirs des maoïstes établis avant d’avoir passé le baccalauréat. Dans cette société du diplôme qu’est la France, cela signifiait brûler ses vaisseaux. Heureusement, ce ne fut pas la pratique la plus fréquente chez les établis. Ajoutons à ce constat celui de l’échec de la prolétarisation des organisations gauchistes et nous comprenons pourquoi la parenthèse du gauchisme politique fut socialement aisée à refermer.

Naturellement, au terme de cette contribution, je me suis contenté de répondre à une seule question : pourquoi n’ont-ils pas fait le choix terroriste ? Il resterait à répondre à une autre question, aussi importante : mais qu’ont-ils fait alors ? Y a-t-il eu des conséquences sociopolitiques de leur entrée en politique ou bien tout ceci ne fut-il qu’une parenthèse sans lendemains ? Mais c’est une vaste question qui nécessiterait une autre réflexion collective.

  • 1Sommier Isabelle, « Une expérience ‘’incommunicable” ? Les ex-militants d’extrême gauche français et italiens », dans Fillieule Olivier (dir.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005, p. 173.
  • 2Bensaïd Daniel, Une lente impatience, Paris, Stock, 2004.
  • 3Buton Philippe, Histoire du gauchisme. L’héritage de Mai 68, Paris, Perrin, 2021, en particulier annexe n° 3.
  • 4DellaPorta Donatella, Rossi Maurizio, Cifre Crudeli. Bilancio dei terrorismi italiani, Istituto di studi e ricerche Carlo Cattaneo, 1984 ; Panvini Guido, Ordine nero, guerriglia rossa. La violenza politica nell’Italia degli anni Sessanta et Settanta (1966-1975), Turin, Einaudi, 2009 ; DeLuna Giovanni, Le ragioni di un decennio, 1969-1979. Militanza, violenza, sconfitta, memoria, Milan, Feltrinelli, 2009 ; Satta Vladimiro, I nemici della Republica. Storia degli anni di piombo, Milan, Rizzoli, 2016 ; Cazzullo Aldo, I ragazzi che volevano fare la Rivoluzione. 1968-1978. Storia critica di Lotta continua (1998), Milan, Sperling & Kupfer Editori, 2006 ; Bobbio Luigi, Lotta Continua. Storia di un’organizzazione rivoluzionaria, Rome, Savelli, 1979, Milan, Feltrinelli, 1988 ; Curcio Renato, A visage découvert [1993], Lieu commun, 1993 ; FranceschiniAlberto, Brigades rouges. L’histoire secrète des BR racontée par leur fondateur [2004], Paris, Editions du Panama, 2005 ; Clemeti Marco, Storia delle Brigate rosse, Rome, Odradek, 2007 ; Ferrigno Rossella, Nuclei Armati Proletari. Carceri, protesta, lotta armata, Naples, La Città del Sole, 2008 ; Segio Sergio, Una vita in Prima Linea, Milan, Rizzoli, 2006.
  • 5Aubron Joëlle, Menigon Nathalie, Rouillan Jean-Marc, Schleicher Régis, Le prolétaire précaire. Notes et réflexions sur le nouveau sujet de classe, La Bussière, Acratie, 2001 ; Rouillan Jann-Marc, De mémoire (1). Les jours du début : un automne 1970 à Toulouse, Marseille, Agone, 2007, De mémoire (2). Le deuil de l’innocence : un jour de septembre 1973 à Barcelone, Marseille, Agone, 2009, De mémoire (3). La courte saison des Gari : Toulouse 1974, Marseille, Agone, 2011 ; Rouillan Jann-Marc, Dix ans d’Action directe. Un témoignage, 1977-1987, Marseille, Agone, 2018 ; Dubuisson Aurélien, Pour une histoire transnationale de la violence révolutionnaire en Europe après 1968. L’exemple d’Action directe et des Cellules communistes combattantes, Thèse Sciences-Po Paris, 2021.
  • 6 Sur ces deux points, je me permets de renvoyer à ma synthèse récemment parue, Buton Philippe, op. cit.
  • 7 Sur cette question, cf. Buton Philippe, « I socialisti francesi e la questione italiana », dans Spiri Andrea (a cura di), Bettino Craxi, il socialismo europeo e il sistema internazionale, Venezia, Marsilio, 2006 et id., « Gérer la contestation gauchiste », dans Castagnez Noëlline, Morin Gilles (dir.), Le Parti socialiste d’Epinay à l’Elysée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
  • 8Pavard Bibia, Contraception, avortement et société française (1955-1982). Histoire d’un changement culturel et politique, Thèse de doctorat en histoire contemporaine, IEP Paris, 2010 ; Pavard Bibia, Si je veux, quand je veux : contraception et avortement dans la société française, 1956-1979, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012.
  • 9 Parti Communiste Révolutionnaire marxiste-léniniste (1974-1983), une des organisations issues du Parti communiste marxiste-léniniste de France, créé en 1967, interdit en 1968 et parsemé de scissions en 1970. Son principal organe de presse est Front rouge puis Le Quotidien du Peuple.
  • 10Tanturli Andrea, Prima Linea. L’altra lotta armata (1974-1981), Rome, DeriveApprodi, 2018.