Fin 1958, de Gaulle réorganisa le Conseil économique en créant un Conseil économique et social (CES) composé de 205 membres nommés pour cinq ans et siégeant dans le palais d’Iéna à Paris. Pour le nouveau chef d’État, cette institution devait représenter le conseil des forces vives de la nation. Si le Conseil (devenu en 2008 CESE par l’ajout de l’adjectif « environnemental ») constitue la troisième assemblée de la République, son rôle n’est que consultatif. Il accompagne le gouvernement et le parlement dans leur travail législatif par des avis sur les projets/propositions de loi et décrets tout en publiant des études sur divers sujets. Le CESER au niveau national et les CESER au niveau régional représentent la société civile par leurs membres recrutés parmi les acteurs de la vie socio-économique du pays (représentants du patronat, de syndicats de salariés, de syndicats étudiants, de fédérations professionnelles, figures de la vie culturelle et des médias…)1.
Depuis ses origines toutefois, cette structure se voit critiquée dans les médias. Des articles et reportages dénoncent autant la gabegie d’une institution perçue parfois comme inutile que les dessous politiques du recrutement de ses membres. À croire les contempteurs, on y trouverait essentiellement les battus du suffrage universel et des anciens amis politiques à qui le pouvoir, reconnaissant, offrirait une retraite confortable. En 1971, le journaliste Viansson-Ponté évoquait déjà un lieu permettant « de caser là sous le prétexte d’une compétence parfois réelle, parfois supposée ou généreusement attribuée, les recalés du suffrage universel, députés de la majorité battus, anciens ministres sans emploi, permanents en mal de sinécure ou plus simplement partisans fidèles dont le dévouement mérite récompense »2. Sans l’indiquer clairement, le journaliste du Monde faisait allusion à la procédure particulière de nomination des « personnalités qualifiées », appelées « PQ » dans le jargon de l’institution, ces quarante personnes (soit le cinquième de l’effectif total) supposées « qualifiées dans le domaine économique, social, scientifique ou culturel » et nommées par décret en Conseil des ministres. De fait, si la plupart des conseillers sont choisis par leurs associations, syndicats ou organisation d’origine, une quarantaine d’entre eux sont désignés directement par le gouvernement.
Les propos de Pierre Viansson-Ponté relèvent-ils d’une représentation partiale du Conseil émanant d’un opposant soucieux de mettre en avant des pratiques de nomination discrétionnaires dans le cadre du discours critique de la gauche de l’époque envers le régime gaulliste ? En 2015, près de quarante-cinq ans après les propos du journaliste, un président socialiste, François Hollande, décida de privilégier la société civile dans la sélection des « personnalités qualifiées » afin de ne plus utiliser le CESE comme (selon sa propre formule) un « plan social pour les recalés du suffrage universel »3. Cette étude se propose de vérifier si le Conseil économique et social a vraiment constitué ces trente dernières années ce « placard doré » souvent dépeint de manière sombre par ceux qui souhaitaient sa disparition ou sa transformation radicale. En nous focalisant, pour circonscrire le corpus retenu, sur les membres de l’institution ayant une expérience parlementaire (Assemblée nationale, Sénat, Parlement européen) et en nous limitant à la procédure de nomination des « personnalités qualifiées », nous apprécierons sur le temps long la pertinence de ce discours critique réduisant le CES à une « maison de retraite » politique.
Le 3 juillet 2017, le président Emmanuel Macron réunit les parlementaires en congrès à Versailles pour réformer le CESE, « une des institutions de la République que le temps a figée dans les situations acquises » selon ses propres termes. C’est l’occasion pour les journaux de rappeler à leurs lecteurs en quoi consiste cette institution méconnue. Les analyses ou propos rapportés sont souvent critiques. Le Monde décrit cette structure comme « un organe discret et discrédité »4 tandis que le Figaro se fait l’écho au même moment de ce que pensent certains observateurs : « il est économique, social et même depuis 2008 environnemental, mais le CESE est surtout inutile »5. De fait, en 2010, lors de sa réforme, plusieurs personnalités de droite avaient réclamé sa disparition. Tout en reconnaissant la présence « de gens de qualité » et la production de « rapports de qualité », Hervé Mariton avait dénoncé un « jeu de rôles » éloigné selon lui d’une vraie démocratie participative comme le coût excessif de l’institution6. Des critiques reprises à la même époque par Marine Le Pen et le sénateur mosellan Jean-Louis Masson qui, en août 2013, avait déposé une proposition de loi visant à la suppression du CESE7.
Au demeurant, la critique ne se limite pas à la seule droite. Le militant écologiste et anti-corruption Jean-Luc Touly (conseiller régional EELV en Île-de-France de 2010 à 2015) avait présenté dans un ouvrage paru en 2015, Les recasés de la République, le CESE comme « un placard doré pour les copains du pouvoir en place »8. Interrogé par les médias à l’occasion de la sortie de son brulot, l’ancien syndicaliste déclarait : « Dans la liste des 40 nouvelles nominations faite par le gouvernement, ce sont en général tous des gens proches du parti socialiste. On a par exemple Philippe Guglielmi, conseiller régional socialiste sortant, on a Pascal Canfin, député européen d’Europe-Écologie, on a Jean-Luc Bennhamias… C’est les recasés, c’est les copains. Ça ne sert à rien et il faut se poser la question de son utilité »9.
À l’évidence, le CESE suscite les polémiques. Le discours médiatique sur le Conseil est souvent sévère qui décrit l’institution comme un « fromage de la République » où syndicats et patronat recaseraient leurs apparatchiks méritants et le pouvoir de ses vieux amis battus aux élections ou écartés du gouvernement10. Un repli confortable puisque les conseillers perçoivent un revenu pour une présence attendue correspondant à quelques jours pleins de travail par mois tout en bénéficiant d’une caisse de retraite plutôt avantageuse. Aux yeux du journaliste d’investigation Yvan Stefanovitch, auteur du livre Rentiers d’État, le CESE n’aurait donc plus de raisons d’être11.
Le président nomme ses copains. C’est une maison de retraite pour les syndicalistes, les associatifs et les politiques. On les met là et ils peuvent dormir. C’est 3 000 euros par mois. Ils ont tous frais payés et peuvent même ne pas venir. D’ailleurs les gens ne viennent pas : Laurence Parisot n’est pas venue pendant six mois. De toute façon ils ne peuvent pas travailler puisqu’il n’y a même pas de bureau. On est chez les fous .
Une tonalité critique reprise en août 2017 par le journaliste de France Inter, Jacques Monin. Dans son billet, celui-ci dessinait de manière féroce une assemblée recelant « son lot de politiques déchus, syndicalistes en fin de carrière, artistes en mal de succès. Ils viennent trouver là, sinon une retraite tranquille, au moins un strapontin doré en attendant des jours meilleurs. On les trouve surtout dans le contingent des 40 PQ (personnalités qualifiées), directement nommées par l’Élysée »12.
Qu’en est-il réellement ? Le Conseil fonctionne-t-il réellement comme une machine politique à recaser les copains et les battus ? Constitue-t-il de ce fait un lieu de sortie pour des élus en fin de carrière ?
Si le Conseil a pu apparaître comme un lieu de retraite politique, il le doit à ses modalités de recrutement. Après le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, le CES fut réorganisé, sa composition dépendant plus étroitement qu’auparavant du pouvoir exécutif. Concrètement, aux conseillers envoyés par les organisations socio-professionnelles s’ajoutèrent désormais une soixantaine de membres de « section » composés des représentants de l’outre-mer, des fameuses « personnalités qualifiées » (une quarantaine) et de représentants des « activités sociales » et « activités diverses » (entreprises nationalisées, associations…). Autant d’éléments directement désignés par l’exécutif. Il en résulta une politisation de l’institution critiquée très tôt comme le rappelle Alain Chatriot, tant les premières vagues de nomination de ces « sections » étaient marquées par une sur-représentation d’anciens élus et ministres gaullistes. En 1963, le communiste Jacques Duclos estimait que le « pouvoir casait ses amis », tandis que le politiste Jack Hayward décrivait en 1966 la pratique comme un « spoil system » à la française13. De fait, de 1958 à 2021 (année de suppression des « PQ »), le pouvoir usa régulièrement de son droit de nomination de membres du CES pour installer au Palais d’Iéna des éléments proches du gouvernement14. La pratique permettait de récompenser des fidèles et/ou de distribuer un lot de consolation pour les battus du suffrage universel et les écartés d’un remaniement gouvernemental. Elle permettait aussi à des élus de prendre une retraite progressive de la politique, en continuant pendant quelques années, à suivre plus ou moins activement des dossiers politiques, socio-économiques et culturels.
Quelle est la part de cette dernière situation ? Sur les 86 parlementaires passés par le CES recensés dans cette étude (leur nombre exact sur la période considérée étant bien supérieur), l’entrée au Conseil a constitué la dernière étape d’une carrière politique dans 36 cas. Une proportion non négligeable, mais finalement plus limitée qu’attendu. Sur ces 36 « retraités politiques », 25 relevaient de la procédure des « personnalités qualifiées » (voir le tableau en fin de chapitre). À l’évidence, ce mode de désignation, qui ne suppose pas de justification particulière, se prêtait particulièrement à cette opération.
C’est donc bien par ce biais que de nombreux anciens élus ont fini leur carrière politique au CES, entrant dans cette assemblée au terme de leur dernier mandat, à un âge parfois avancé. Dans bien des cas, la nomination intervenait dans le prolongement immédiat du dernier mandat (la participation au CESE étant incompatible avec l’exercice d’un mandat parlementaire à l’Assemblée ou au Sénat). Âgé de 68 ans, l’Union pour la démocatrie française (UDF) Jean-Claude Decagny rejoint le CES en 2007 après avoir été député du Nord jusqu’à cette date (il se contente d’être suppléant de Christine Marin et ne se représente pas aux municipales à Maubeuge en 200815). L’ancienne député et sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, Marie-Madeleine Dieulangeard, battue lors des sénatoriales de septembre 2001, finit sa carrière politique au CES, à 65 ans16. Jean-Claude Etienne, sénateur Union pour un mouvement populaire (UMP de la Marne jusqu’en 2010, entre cette même année au CES à 69 ans, après avoir été remplacé dans sa circonscription par sa suppléante17. Le sénateur UMP de Paris, Bernard Plasait, rejoint le CES à l’automne 2004 à 64 ans, quelques semaines après la fin de son mandat de sénateur. Le socialiste Alex Raymond est invité au CES par François Mitterrand en 1986, l’intéressé achève juste, à 70 ans, ses deux mandats de député de Haute-Garonne et de président du conseil régional Midi Pyrénées18.
L’entrée au CES s’opère parfois avec un certain retard par rapport à la fin du dernier mandat. Hugues Martin, bras droit d’Alain Juppé à Bordeaux, intègre le CES à 68 ans en 2010, quatre ans après avoir quitté la mairie et trois ans après avoir laissé le Palais-Bourbon19. Le décalage chronologique entre l’arrivée au Conseil d’un côté et les derniers engagements militants et/ou mandats électifs de l’autre peut parfois s’avérer important, comme dans le cas de Pierre Poujade que François Mitterrand fait entrer au CES en 1989 à l’âge de 69 ans20. Notons un décalage parfois entre les temporalités biologique et politique, certains anciens élus finissent leur carrière au Conseil, mais y entrent encore relativement jeunes. C’est le cas de Guy Bêche, député socialiste du Doubs de 1978 à 1993, qui rejoint le Palais d’Iéna en 1994, à 49 ans seulement. Martine Frachon, ancienne député Parti socialiste (PS) des Yvelines de 1981 à 1988 et suppléante de Michel Rocard, entre au CES à 52 ans en septembre 1989 après avoir été battue aux législatives de 198821. Certains membres du CES semblent de véritables benjamins, à l’image de Laurence Rossignol (42 ans à son arrivée dans l’hémicycle) ou de Fodé Sylla (41 ans), sans parler de Christian Estrosi qui fut nommé à 39 ans seulement…
Le repli au CES, pensé comme simplement provisoire, peut se révéler plus durable qu’espéré au point de s’apparenter à une retraite politique de facto ne correspondant pas au plan de carrière initial de l’intéressé. Chef d’exploitation agricole, proche du corrézien Jacques Chirac, Evelyne Guilhem s’était imposée lors des législatives de 1993 face au socialiste Jean-Claude Peyronnet dans la 2e circonscription de la Haute-Vienne. Elle trébucha toutefois lors des législatives anticipées de 1997 face au radical Daniel Boisserie qui s’imposa au second tour par 58,9 % des voix. Jacques Chirac, qui voulait récompenser celle qui avait dirigé la mission parlementaire d’information sur la « vache folle » et qui continuait de veiller à ses réseaux dans le monde agricole, la recommanda à Christian Jacob, député RPR de Seine-et-Marne qui (avec l’aide de l’ancien ministre de l’Agriculture Philippe Vasseur) avait pour mission de recaser les battus de 1997 après la déroute électorale de juin. C’est dans ce cadre qu’Evelyne Guilhem, alors âgée de 42 ans seulement, fut nommée, lors du conseil des ministres du 16 juillet, au Conseil économique et social22. À charge pour cette familière des chambres départementales d’agriculture d’entretenir les relais chiraquiens régionaux et de préparer son retour au Palais-Bourbon. Elle échoua toutefois à prendre sa revanche face au député sortant Daniel Boisserie lors des législatives de 2002 et 2007, se contentant de siéger de 1998 à 2010 au conseil général de la Haute-Vienne et au conseil régional du Limousin.
L’analyse détaillée des « personnalités qualifiées » de l’automne 1999 permet une étude de cas plus qualitative. En contexte de cohabitation, le Premier ministre Lionel Jospin prit en compte toutes les sensibilités de sa « majorité plurielle ». Les radicaux de gauche étaient bien lotis avec Jacques Dondoux, ancien secrétaire d’État au Commerce extérieur écarté du gouvernement fin juillet en raison de relations tendues avec Dominique Strauss-Kahn (Matignon espérant que cette promotion inciterait l’intéressé à cesser ses règlements de comptes médiatiques avec le ministre des Finances Dominique Strauss-Kahn), Thierry Jeantet (membre du bureau national du Parti radical de gauche (PRG) et la reconduction au palais d’Iéna de Claudette Brunet-Lechenault (conseillère générale de Saône-et-Loire, conseillère régionale de Bourgogne et surtout vice-présidente du PRG). Les écologistes n’étaient pas oubliés avec Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts. S’étant vu refuser la troisième place éligible sur la liste du parti écologiste lors des européennes de 1999 en raison de l’opposition de Dominique Voynet, Jean-Luc Bennahmias avait fait comprendre à la patronne des Verts qu’il n’avait « pas fait vœu de chasteté institutionnelle »23. La ministre de l’Environnement fit remonter le message à Matignon… Du côté des communistes, Aline Pailler, victime des mauvais scores de la liste Parti communiste français (PCF) aux élections européennes, trouva là un point de chute. Comme attendu, les socialistes furent favorisés avec les nominations de l’ancien communiste Charles Fiterman (qui avait quitté le PCF en 1995 pour se rapprocher des écologistes avant de rejoindre le PS en mai 1998), de la contestataire Laurence Rossignol (membre de la Gauche socialiste animée par Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon, cette figure du bureau national du PS avait été battue aux législatives de 1997 avant d’entrer au conseil régional de Picardie), des deux rocardiens Gérard Lindeperg (membre du secrétariat national du PS) et Dominique Taddeï (économiste), de l’ancien ministre fabiusien René Souchon, du fidèle jospiniste Pierre Schapira (conseiller PS du 2e arrondissement de Paris et ancien collaborateur de Lionel Jospin au ministère de l’Éducation nationale). D’autres socialistes comme Michel Debout (poperéniste), Anne-Catherine Franck (membre du cabinet de Jean-Pierre Masseret, secrétaire d’État aux anciens combattants), Ahmed Gayet (collaborateur de Martine Aubry au ministère de l’Emploi et de la Solidarité), Robert Navarro (premier secrétaire de la puissante fédération socialiste de l’Hérault) et Jean-Baptiste Motroni (ancien sénateur de Haute-Corse) complétaient le contingent de la rue de Solférino. Les équilibres internes à la majorité plurielle et au PS avaient été soigneusement respectés…24
De son côté, Jacques Chirac utilisa le contingent plus réduit de la Présidence pour recaser quelques proches relevant de la famille gaulliste, notamment dans sa version pompidolienne. Certains se trouvaient déjà en situation de retraite politique comme l’ancien ministre Philippe Dechartre et le président sortant du CES, Jean Mattéoli. D’autres avaient souffert des vicissitudes de la vie politique, à des degrés divers et pour des raisons différentes, comme l’ancien ministre de la Coopération Michel Roussin, qui avait dû démissionner du gouvernement Balladur en 1994 après sa mise en cause dans une affaire de fausses factures ayant abouti à un non-lieu. Deux anciens députés européens, les Rassemblement pour la République (RPR) Jean-Claude Pasty et Alain Pompidou (fils de l’ancien président de la République) qui n’avaient pas été retenus sur la liste conduite par Nicolas Sarkozy pour les européennes, trouvaient un lot de consolation au CES, tout comme l’ancien maire d’Arles et ancien sénateur RPR Jean-Pierre Camoin (maire d’Arles, il avait été battu aux municipales de 1995 par le socialiste Michel Vauzelle avant de quitter le Palais du Luxembourg en 1998). Il s’agissait bien, à droite aussi, de « nominations très politiques » selon la formule du quotidien Le Monde.
La procédure des « personnalités qualifiées » contribue-t-elle à faire du CES un lieu de retraite politique ? La situation est plus complexe qu’il y paraît à première vue. Notons tout d’abord que le statut PQ n’est pas réservé aux seules figures politiques. Des personnalités issues de la société civile peuvent aussi en bénéficier. Dans le cas de la promotion 1999, Lionel Jospin fit ainsi appel à deux historiennes (Georgette Elgey, ancienne collaboratrice de François Mitterrand à l’Élysée et Annette Wieviorka, alors membre de la mission d’études sur la spoliation des juifs de France présidée par Jean Mattéoli) et à deux responsables associatifs (Henriette Steinberg, présidente du Secours populaire et Lionel Brard, président d’honneur de France nature environnement). De son côté, Jacques Chirac sélectionna Maurice Bonnet, administrateur de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse, et Didier Robert, délégué national d’Agir tous pour la dignité (ATD) Quart-Monde (qui prit le relais de Geneviève Anthonioz-de Gaulle). La promotion des PQ de 1999 était du reste particulièrement « politique » comparée à d’autres vagues précédentes où les 40 personnalités qualifiées relevaient très majoritairement de la société civile, même s’il est parfois difficile de faire la part des choses lorsqu’il s’agit d’individus combinant des responsabilités associatives (mises en avant pour justifier officiellement leur entrée au Conseil) et des engagements politiques plus ou moins discrets, mais en réalité déterminants. Lorsqu’en septembre 1989, Harlem Désir entra au Conseil, il le fit comme responsable de SOS-Racisme dont il assurait la direction depuis 1984, mais ses liens privilégiés avec la gauche socialiste, via notamment Julien Dray côtoyé lors des années de militantisme trotskiste au sein de l’Union nationale des étudiants de France – Indépendante et démocratique (UNEF-ID, comptaient tout autant25.
Dans la vague de septembre 1989 portée par un pouvoir de gauche, on ne relevait parmi les promus qu’une douzaine de « politiques », bénéficiant pour certains d’un lot de consolation après la déconvenue des législatives de 1988 ou des européennes de 1989. Il s’agissait du député socialiste lyonnais Gérard Colomb (membre du secrétariat national du PS et proche de Pierre Mauroy) battu lors des législatives par l’UDF Bernadette Isaac-Sibille, de l’ancienne député rocardienne des Yvelines Martine Frachon, battue lors des législatives par le RPR Jacques Masdeu-Arus puis lors des européennes (où elle figurait sur la liste de Laurent Fabius), de l’ancienne adjointe socialiste du maire de Limoge et député européenne Colette Gadioux, de l’ancien secrétaire de la fédération socialiste de l’Essonne et conseiller technique au secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports José Garcia, du rocardien Gérard Lindeperg, de l’ancien député socialiste de Haute-Garonne et président du conseil régional de Midi-Pyrénées Alex Raymond, de l’ancien ministre et député communiste Marcel Rigout, de l’ancien député socialiste de la Nièvre Eugène Tesseire. Les personnalités reconduites relevaient essentiellement du monde associatif et professionnel, à l’exception du jospiniste Pierre Schapira (chargé des élections de 1986 et 1988 au sein du parti) et de quelques figures plus originales comme l’ancien patron de l’Union de défense des commerçants et des artisans (UDCA), Pierre Poujade, et le directeur de la Nouvelle Action royaliste, Bertrand Renouvin (qui avait appelé à voter Mitterrand en 1981)26.
S’agissant des PQ « politiques », le Conseil représente-t-il pour eux une porte de sortie permettant de terminer sereinement une carrière politique ou bien s’agit-il davantage d’une simple étape de repli provisoire, permettant de relancer après coup son parcours politique ? Certains promus de 1999 étaient déjà assez âgés (plus de 65 ans pour beaucoup) et achevaient au CES leur carrière politique. L’institution constituait pour eux le lieu d’une retraite politique marquée par le renoncement définitif à tout mandat électif et à toute responsabilité militante, marquée aussi par un progressif effacement médiatique. Le CES représentait ici la séquence finale d’un cursus honorum bien rempli, avec coïncidence entre le temps biologique de la vie et le temps politique de la carrière. C’était le cas de Philippe Dechartre âgé de 80 ans en 1999. Entré cinq ans plus tôt au Conseil sur la proposition du Premier ministre Edouard Balladur, il y resta seize ans, jusqu’en 2010 où, à 90 ans, il fut le doyen de l’institution après seize ans de mandat. Cette figure du gaullisme de gauche, secrétaire d’État de 1967 à 1972, éphémère député de la Charente-Maritime en 1968, membre du Conseil national du RPR à la fin des années 1980, avait gardé le contact avec le monde politique, notamment comme vice-président de l’Union des anciens députés gaullistes, mais il n’avait plus de mandat électif, de responsabilité militante et d’audience médiatique, et par là même de poids politique27. Il restait toutefois dans la mémoire de la génération du néo-gaullisme pompidolien à laquelle appartenaient Edouard Balladur et Jacques Chirac. Ajoutons que la « retraite » politique de Philippe Dechartre au CES fut particulièrement active. Il y rapporta plusieurs grandes lois sociales, rédigea des dossiers remarqués sur divers sujets (à caractère notamment culturel) et présida à partir de septembre 1998 la section des Économies régionales et de l’Aménagement du territoire. Considéré comme un sage au palais d’Iéna, Philippe Dechartre aima cet hémicycle où il appréciait la culture de l’écoute de l’autre, cette méthode pascalienne consistant à « s’asseoir dans le fauteuil de l’autre pour mieux le comprendre ». Le gaulliste de gauche pratiquait d’ailleurs cette démarche d’ouverture dans son autre lieu de retraite politique, la « fraternelle parlementaire » dont il avait pris en février 1997 la présidence28.
Au-delà du cas emblématique de Philippe Dechartre, le CES a constitué une fin de carrière pour d’autres anciens élus arrivés au terme de leurs derniers mandats et dont le Conseil a représenté après 1999 la dernière responsabilité politique. Distinguons toutefois entre ceux dont la retraite politique fut « contrainte » suite à un échec électoral ou une mise à l’écart partidaire, et ceux dont la retraite fut « libre », relevant d’un choix délibéré lié à un âge avancé ou à des considérations professionnelles29. À droite, deux écartés des listes européennes incarnaient ces retraites « contraintes » : Jean-Claude Pasty (ancien député RPR de la Creuse, ancien député européen et conseiller régional du Limousin, il entra au CES à 62 ans, y présida à partir de 2004 la section des relations économiques extérieures jusqu’à son départ en 2010) et d’Alain Pompidou (ancien député européen de 1989 à 1999, il rejoignit le CES à 57 ans et fut le porte-parole de l’institution pour la recherche et la politique spatiales, mais se recentra surtout sur sa carrière médicale à l’hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris, au laboratoire de l’hôpital Cochin, à l’Académie des technologies et à l’Office européen des brevets). Tout comme un battu des municipales de 1995, l’ancien maire d’Arles et sénateur RPR Jean-Pierre Camoin qui choisit de ne pas se représenter aux sénatoriales de 1998 et rejoignit le CES à 57 ans. Dans ces trois cas, le CES constitua autant un lot de consolation qu’un espace de retraite politique.
La retraite politique est parfois actée avant la nomination au CES comme PQ, l’intéressé ayant déjà abandonné ses mandats électifs et ses responsabilités militantes pour se déployer sur d’autres terrains, professionnels ou associatifs. L’entrée au Conseil ne constitue alors qu’un simple « hommage » et/ou remerciement pour services rendus, sans qu’il y ait besoin de « remettre en selle » un ami ou un proche dans le besoin. C’était le cas du RPR Michel Roussin, ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris puis à Matignon lors de la première cohabitation, éphémère député de Paris en 1993 et surtout ministre de la Coopération lors de la deuxième cohabitation. Ébranlé par l’affaire des HLM de Paris en 1994, cet ancien haut-fonctionnaire du renseignement avait abandonné la politique active pour se réorienter vers le privé, en activant ses réseaux africains. Président d’une filiale du groupe Eiffage, directeur du comité Afrique au sein du Medef, il prit en 2000 la vice-présidence du groupe Bolloré. Son arrivée au Conseil en 1999 grâce à son ancien ami Jacques Chirac ne visait donc pas à relancer une carrière politique à laquelle l’intéressé avait renoncé. Il s’agissait d’un geste amical et honorifique, qui permit toutefois au promu d’investir un nouveau lieu de rencontres et d’échanges, éventuellement capitalisable sur un plan professionnel30.
Les modalités et niveaux de sortie du politique via le CES peuvent être interrogées. Si pour certains promus de 1999, le CES représentait bien le dernier mandat, il ne signifiait pas pour autant la fin de tout engagement politique. Certains continuèrent de militer, mais ne déployèrent plus leur action ou leur parole dans les instances dirigeantes de grands partis, sur les travées du Parlement ou au sein du gouvernement, ils évoluèrent à une échelle plus modeste, dans le cadre de petites organisations militantes tout en conservant parfois une certaine présence médiatique. Lorsqu’il entra au CES en 1999 où il siégea dix ans, le communiste Charles Fiterman, qui avait déjà quitté le comité central du PCF en 1994 pour rejoindre la Convention pour une Alternative Progressiste (qui soutint la candidature de Dominique Voynet en 1995) puis s’inscrire au PS en 1998, continua de s’engager politiquement même s’il n’occupait plus les devants de la scène. Membre dès 2003 de l’association fondée par Michel Rocard, à gauche en Europe, il défendit le « Oui » au référendum de 2005 et appuya Ségolène Royal lors du congrès de Reims du PS en 200831. Il resta un élu local dans le Var jusqu’en 2014.
En revanche, le CES peut n’avoir constitué qu’un moment provisoire de repli après une déconvenue électorale ou une disgrâce partisane, avant une relance politique à la faveur de circonstances plus favorables. Si Laurence Rossignol trouva dans le palais d’Iéna un réconfort deux ans après son échec aux législatives de 1997, cette socialiste passée par les cabinets ministériels (Laurent Fabius puis Dominique Bredin) et qui était entrée au Conseil régional de Picardie en 1998, ne se satisfaisait pas de son seul siège au CES. Après deux nouveaux revers aux législatives de 2002 et 2007 dans la cinquième circonscription de l’Oise, la vice-présidente du Conseil régional (depuis 2004) entra au Sénat en 2011 avant d’être appelée au gouvernement en charge de la Famille, comme secrétaire d’État en 2014 puis comme ministre en 2016. De son côté, René Souchon, maire PS d’Aurillac de 1977 à 1995, conseiller général du Cantal de 1976 à 1982 puis de 1985 à 1998, député du Cantal de 1980 à 1983 et de 1986 à 1988, secrétaire d’État à l’Agriculture de 1983 à 1985 puis ministre de l’Agriculture de 1985 à 1986, connut une période politique difficile à la fin des années 1990, étant battu aux municipales de 1995, écarté en 1996 du conseil d’administration de l’Office national des forêts (ONF) et remplacé en 1998 par le socialiste Vincent Calmette dans son canton d’Aurillac. Pour l’ancien délégué national du PS au développement rural (jusqu’en 1996) qui ne détenait plus alors qu’un mandat de conseiller régional d’Auvergne, la nomination au CES (où il dirigea la section des relations extérieures) représenta un répit et une relance salutaire. Réélu maire d’Aurillac en 2001, René Souchon prit cinq ans plus tard la présidence du Conseil régional d’Auvergne32. Quant à Jean-Luc Bennahmias, ce n’est pas son premier passage au CES en 1999 après des élections européennes décevantes qui marqua sa retraite politique, mais son second en 2015. Relancé politiquement au début des années 2000, le secrétaire national des Verts, qui avait assuré la vice-présidence du Mouvement démocrate (Modem), siégé comme député européen sous ces couleurs de 2009 à 2014 et appelé à voter François Hollande lors de la présidentielle de 2012, rompit avec François Bayrou en juin 2014 avant de lancer son petit parti, le Front démocrate. Pour Jean-Luc Bennahmias qui, à 61 ans, en 2015, ne possédait plus de mandat électif et dont la carrière politique nationale semblait terminée (il ne dépassa pas les 1 % lors de la primaire socialiste de 2017), cette seconde entrée au CESE représenta une sortie politique honorable33.
À l’évidence, la procédure des « personnalités qualifiées » ne doit pas être caricaturée, tant les profils concernés diffèrent. Certes, des nominations discutables parmi les PQ ont pu alimenter la critique. En 2008, le président Nicolas Sarkozy fut à l’origine de promotions qui suscitèrent l’ironie des médias d’opposition. Il s’agissait moins de son conseiller média Pierre Charon et de son conseiller pour les questions sociales Raymond Soubie34, que du maire de Meudon Hervé Marseille. Quand par décret présidentiel du 28 octobre 2010 le maire de Meudon, entra au Palais d’Iéna, des esprits chagrins relièrent cette promotion au fait que cet édile UDF, soutien de Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2007, avait opportunément démissionné à l’automne 2009 du conseil d’administration de l’EPAD (Établissement d’aménagement de la Défense), permettant à Jean Sarkozy d’en briguer la présidence… Quelques années plus tard, le président François Hollande, même s’il eut moins recours à des placements politiques au CES que son prédécesseur, utilisa à son tour l’institution pour recaser des proches en difficulté. En 2015, le socialiste Jean-Marie Cambacérès, un ancien de la fameuse promotion Voltaire de l’ENA, bénéficia du système. Ancien député PS du Gard en 1988-1993, ce haut-fonctionnaire membre des instances dirigeantes du parti socialiste dans les années 1980 et 1990, avait fréquenté le CES, d’abord celui du Languedoc-Roussillon de 1982 à 1986 avant de rejoindre le Palais d’Iéna en 1987-1988 comme membre de la section finances. Cet ancien délégué national au secrétariat international du PS de 1998 à 2003 (lorsque François Hollande en était le Premier secrétaire), et fondateur en 2010 de l’association « Démocratie 2012 » (un club soutenant la candidature de François Hollande à la présidentielle), fut récompensé de sa fidélité politique en intégrant, à 66 ans, comme « personnalité qualifiée » le CESE en novembre 2015. Ce spécialiste de l’Asie y présida jusqu’en mars 2021 la section Affaires étrangères35.
Les anciens politiques ne sont d’ailleurs pas les seuls à trouver dans le CES un refuge accueillant via la procédure particulière des PQ. En 1989, le Président Mitterrand avait ainsi fait nommer au Conseil la chanteuse Georgette Lemaire. Une initiative peu goûtée par l’opposition de l’époque au point que le député Ladislas Poniatowski avait déploré que cette nomination « renforce l’image d’une institution qui joue, au moment des renouvellements, un peu les “soupes populaires” au profit d’un certain nombre de notables ratés, qui sert à remercier les amis fidèles, à flatter des courtisans assidus », en faisant oublier que le CESE est aussi « un lieu de rencontres privilégiées de tous les acteurs économiques et sociaux du pays »36. La procédure des PQ mériterait en réalité d’être considérée avec plus de recul, sans la réduire à ses seules dérives. Certains politiques qui en ont bénéficié ne se sont pas contentés de ce repêchage pour y attendre passivement des jours meilleurs, ils ont profité de cette séquence pour élargir leurs réseaux, acquérir de nouvelles compétences et se faire reconnaître de nouvelles expertises. Christian Estrosi, qui avait trouvé refuge au Conseil comme PQ en septembre 1994 après que le Conseil constitutionnel eut invalidé son élection comme député dans la deuxième circonscription des Alpes Maritimes pour irrégularité des comptes de campagne, reconnut ainsi publiquement le rôle joué par le CES dans la suite de sa carrière politique. Nommé en juin 2005 ministre délégué à l’Aménagement du territoire, il se rendit au Conseil le 10 janvier 2006 pour y prononcer un discours sur la modernisation des services publics en zone rurale et l’amélioration de l’accès au haut débit. Le président du conseil général des Alpes Maritimes revint sur son statut de PQ de septembre 1994 à juillet 1997. « En tant qu’ancien membre de la section des économies régionales et de l’aménagement du territoire, je côtoyais l’actuel président Hubert Ghigonis. À l’époque, l’on m’avait demandé de rédiger un rapport sur la coopération transfrontalière au service de l’aménagement du territoire. Il n’avait pas été voté à l’unanimité, mais quasiment. Je vous souhaite, monsieur le rapporteur, d’atteindre les mêmes objectifs. À l’époque, sans le savoir, le Conseil économique et social me préparait à la mission qui m’est aujourd’hui confiée. Je lui en serai toujours et ô combien reconnaissant »37.
Reste que les abus évidents et les critiques répétées ont fini par fragiliser la procédure spécifique des PQ, au risque d’affaiblir le Conseil économique et social dans son ensemble. Si la révision constitutionnelle concernant le CESE n’a finalement pas été adoptée, la loi organique du 15 janvier 2021 a supprimé les « personnalités associées », part trop controversée de l’institution.
Le cas des « personnalités qualifiées » est trop particulier pour régler à lui seul la question du rôle du CES dans les fins de carrière politique. Il existe d’autres statuts au sein du CES. Citons les « personnalités associées » qui apportent leur expertise aux travaux du Conseil, participent aux avis, rapports et études des Sections dans lesquelles elles sont affectées, votent sur des projets d’étude dont elles peuvent être rapporteurs, ou les individus choisis pour représenter l’Outre-mer, la Coopération, les entreprises, etc. À l’arrivée, le palais d’Iéna peut constituer une retraite politique définitive, une simple étape de repli après une déconvenue électorale/disgrâce militante ou un moment d’apprentissage dans une carrière politique.
Tous les politiques passés par le CES n’ont en effet pas intégré ce lieu au terme de leur cursus honorum. Certains y sont entrés au début de leur parcours politique, alors qu’ils n’avaient pas encore de mandats, mais simplement des responsabilités militantes. Ils ont donc découvert l’univers parlementaire grâce au palais d’Iéna. Loin de représenter un lieu de retraite politique, le CES a fonctionné pour ces individus comme un espace d’apprentissage complétant leur formation et favorisant la suite de leur carrière. Participer à des débats en séance plénière comme à des travaux en commission a pu conforter chez certains qui avaient apprécié cette expérience, le souhait de prolonger leur engagement politique en investissant le monde parlementaire.
Ancien responsable des Républicains sociaux à la fin de la Quatrièmee République, proche de Jacques Chaban-Delmas dont il était un chargé de mission à la mairie de Bordeaux, Jean Valleix cumulait au début des années 1960 les responsabilités militantes locales (secrétaire général de la fédération de Gironde de l’Union pour la nouvelle République [UNR]) et nationales (membre du comité central et du conseil politique de l’UNR puis de l’UD.Vème). À 37 ans seulement et grâce à l’intervention du président de l’Assemblée nationale, il entra au CES en 1965 où il siégea pendant deux ans à la section des transports et travaux publics. C’est au terme de cette expérience qu’il se présenta aux législatives de 1967 dans la 1re circonscription avant d’entamer une longue carrière parlementaire. Même configuration pour Albin Chalandon. Ce haut fonctionnaire devenu banquier (il dirigea à partir de 1964 la Banque commerciale de Paris grâce à l’appui de Marcel Dassault) s’était occupé de l’Action ouvrière et professionnelle à l’époque du Rassemblement du peuple français (RPF). Membre du Comité central puis trésorier de l’UNR, il avait été promu secrétaire général du parti gaulliste en 1959. Cette carrière politique fulgurante se limitait toutefois aux seuls cercles dirigeants du parti, Albin Chalandon n’avait jamais été adoubé par le suffrage universel. En septembre 1964, il entra à 44 ans au CES. Spécialiste reconnu des questions financières, membre du Conseil supérieur du Plan, il rejoignit le groupe des « personnalités outre-mer et zone franc », et fréquenta la section de la conjoncture, du revenu national et à la section des finances, du crédit et de la fiscalité. C’est dans ce cadre qu’il rédigea en 1966 un rapport remarqué sur le système monétaire international où il reprit les critiques gaulliennes sur le système monétaire de l’époque, appelant de ses vœux une monnaie internationale qui s’ajouterait à l’or dans les réserves monétaires. Il se montrait par ailleurs partisan d’une planification économique à l’échelle européenne. Trois ans après son entrée au CES, Albin Chalandon découvrit l’Assemblée nationale en étant élu, lors des législatives de 1967, député UD.Vème dans la deuxième circonscription des Hauts-de-Seine (Asnières)38. Membre de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, il y profita de l’expérience acquise au palais d’Iéna.
Le Conseil se prête d’autant mieux à ce rôle d’école politique que certains de ses membres y entrent, assez jeunes, comme représentants des syndicats étudiants ou du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) l’antenne cadette de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), avant de s’engager plus tard dans le monde politique. Dans les années 1980-2000, les exemples d’anciens du CNJA, passés par le palais d’Iéna avant de rejoindre les rangs de la droite parlementaire où ils continuaient de défendre les intérêts du monde paysan, étaient nombreux. S’agissant des élus RPR, citons François Guillaume qui entra au Conseil à 32 ans en 1964, la même année où il prit la présidence du CNJA, y resta cinq ans (jusqu’au terme de son mandat au CNJA) avant de retrouver le Conseil en 1979, l’année de son arrivée à la tête de la FNSEA (nommé ministre de l’Agriculture en 1986, il fut élu député RPR de la Meurthe-et-Moselle en 1993). Christian Jacob, après avoir dirigé le CNJA Nord de 1987 à 1990, entra au Conseil en 1992 à 33 ans. La même année, il prit la présidence du CNJA national, fonction qu’il conserva jusqu’en 1994 avant d’être élu député RPR de la Seine-et-Marne en 1995. Antoine Hert, qui entra au CES à 31 ans en 1994, était auparavant responsable du CNJA pour le Bas-Rhin, il sera élu député UMP du Bas-Rhin en 2002. La FNSEA n’a pas l’exclusivité de la représentation du syndicalisme paysan au CES, l’hémicycle accueille aussi des militants marqués à gauche, relevant notamment de la Confédération paysanne. C’était le cas de Patrick Lemasle, qui avait participé au milieu des années 1980 au rapprochement entre le syndicat des travailleurs paysans et la fédération nationale des syndicats paysans. Il en découla la Confédération paysanne dont Patrick Lemasle était un des responsables en 1987. Deux ans plus tard, il entrait au CES à 37 ans.
Si le CES est souvent critiqué pour son coût jugé excessif par la Cour des comptes, le manque d’assiduité de ses membres, le peu de saisines effectuées et de pétitions examinées, le reproche le plus fréquent consiste à le présenter comme une « base de repli pour d’anciens élus ou personnalités proches du pouvoir »39. En 2015, ces critiques incitèrent le socialiste Claude Bartolone (alors président de l’Assemblée) et l’historien Michel Winock à proposer, dans un rapport sur les institutions intitulé « Refaire la République », la fusion du CESE avec le Sénat pour créer un « pôle de contrôle parlementaire ». Une suggestion non retenue par la suite par le nouveau président Emmanuel Macron qui se contenta en 2020 d’une réduction du nombre des membres du conseil et d’une révision de ses modalités de fonctionnement. Mais cette réforme du CESE, en diversifiant et surtout en rajeunissant ses membres (représentation spécifique pour les jeunes et les étudiants, possibilité d’y siéger à partir de 18 ans), révélait bien que cette critique avait été entendue.
Nom | Prénom | Année et âge à l’entrée au CES | Parcours politique antérieur et/ou postérieur au CESE |
Aboville (D’) | Gérard | 2004 (59 ans) | DE (1994-1999), C Paris (2008-2014), échoue législatives 2002 |
Baggioni | Jean | 2004 (65 ans) | CG Haute-Corse (1973-1994), C Assemblée Corse (1986-1992), DE RDE (1994 à 1999) |
Beche | Guy | 1994 (49 ans) | D PS du Doubs (1978-1993), CG Doubs (1979-1985) |
Bennahmias | Jean-Luc | 1999 (61 ans) | CR Île-de-France (1992-1996), CR PACA (2004-2009), DE Verts (2004-2014), VP Modem (2007-2014), P Front démocrate (2014-2017) |
Brunet | Sylvie | 2015 (56 ans) | CM Marseille (1995-2008), battue législatives 2017, DE LREM-Modem depuis 2019 |
Cambaceres | Jean-Marie | 2015 (66 ans) | M Sommières (1986-1993), D PS Gard (1988-1993) |
Camoin | Jean-Pierre | 1999 (57 ans) | M Arles (1983-1995), S RPR Bouches-du-Rhône (1989-1998) |
Ceccaldi-Raynaud | Joëlle | 2005 (54 ans) | CG Hauts-de-Seine (1989-2002), CR Île-de-France (1998-2001), D UMP Hauts-de-Seine (2002-2005), M Puteaux depuis 2004 |
Charon | Pierre | 2008 (67 ans) | C Paris (2002-2020), S Paris UMP puis LR (depuis 2011) |
Charzat | Michel | 1993 (50 ans) | C Paris (1977-2014), M XXe arrond. Paris (1995-2008), D PS Paris (1981-1993, 1999-2007), S PS Paris (1995-1999) |
Collomb | Gérard | 1989 (52 ans) | D PS Rhône (1981-1988), M IXe arrond. Lyon (1995-2001), S Rhône (1997-2017, 2018), M Lyon (2001-2020), Mi Intérieur (2017-2018) |
Decagny | Jean-Claude | 2007 (68 ans) | CM puis adjoint Maubeuge (1971-1984), CG Nord (1982-1988), D UDF Nord (1988, 1993-2007), M Maubeuge (1984-1989, 1995-2001), CR Nord-Pas de Calais (1992-1995) |
Dechartre | Philippe | 1994 (80 ans) | SE (1967-1972), D UDR Charente Maritime (1968) |
Delevoye | Jean-Paul | 2010 (53 ans) | CG Pas-de-Calais (1980-2001), M Bapaume (2004-2014), D RPR Pas-de-Calais (1986-1988), S Pas-de-Calais (1992-2002), Mi Fonction publique (2002-2004), Pt CES (2010-2015), HC retraites (2017-2019) |
Depaix | Maurice | 1997 (56 ans) | CG Rhône (1988-2001), M Amplepuis (1989-2001), D PS Rhône (1995-1997), battu législatives 1997 |
Dimeglio | Willy | 1976 (42 ans) | CG Hérault (1976-2001), CM Montpellier (1983-1995), D PS Hérault (1986-1997) |
Dieulangard | Marie-Madeleine | 2001 (60 ans) | D PS Loire atlantique (1988-1991), S Loire atlantique (1992-2001), battue sénatoriales 2001 |
Dondoux | Jacques | 1999 (68 ans) | CG Ardèche (1988-2002), M St-Agrève (1995-2002), D PRG Ardèche (1997), SE Commerce extérieur (1997-1999) |
Estrosi | Christian | 1994 (39 ans) | D RPR Alpes maritimes (1988-1993, 1997-2005, 2007, 2008-2009), CG Alpes maritimes (2003-2008), Mi Aménagement territoire (2005-2007), SE Outre-Mer (2007-2008), CR PACA (2010-2016), M Nice depuis 2017 |
Etienne | Jean-Claude | 2010 (69 ans) | CR Champagne-Ardennes (1986-2010), D RPR Marne (1993-2001), CM Reims (1995-2010), S Marne (2001-2010) |
Evin | Claude | 1994 (45 ans) | Adjoint M St-Nazaire (1977-1989), D PS Loire atlantique (1978-1988, 1991-1993 et 1997-2007), PP gvt (1988-1989), Mi Affaires sociales (1988-1991), battu législatives 1993 |
Frachon | Martine | 1989 (52 ans) | D. PS Yvelines (1981-1988), battue législatives 1988, CM Poissy (1989-1995) |
Gadioux | Colette | 1989 (54 ans) | Adjointe M Limoges (1983-1995), DE PS (1984-1989), CG Haute-Vienne (1992-1998) |
Geveaux | Jean-Marie | 2010 (63 ans) | CG Sarthe (1982-2015), CM Mans (1983-2001), CR Pays-de-Loire (1992-2007), D RPR Sarthe (1993-1997, 2000-2007) |
Gibault | Claire | 2010 (65 ans) | DE UDF (2004-2009) |
Guilhem | Evelyne | 1997 (42 ans) | D RPR Haute-Vienne (1993-1997), battue législatives 1997, CG Haute-Vienne (1998-2004), CR Limousin (1998-2010) |
Lindeperg | Gérard | 1989 (51 ans) | CR Rhône-Alpes (1986-2004), CM St-Etienne (1995-2007), D PS Loire (1997-2002) |
Marseille | Hervé | 2010 (56 ans) | CR Île-de-France (1992-2004), M Meudon (1999-2017), CG Hauts-de-Seine (2004-2012), S UDI Hauts-de-Seine depuis 2011 |
Martin | Hugues | 2010 (68 ans) | CG Gironde (1979-2001), DE RPR (1999-2004), D RPR Gironde (2004-2007), M Bordeaux (2004-2006) |
Mathieu | Véronique | 2015 (60 ans) | DE CPNT (1999-2014), CR Grand Est (2015-2017) |
Motroni | Jean-Baptiste | 1998 (64 ans) | CG Haute-Corse (1973-2011), S PS Haute Corse (1997-1998), CT Corse (1999-2004) |
Navarro | Robert | 1999 (47 ans) | CR Languedoc-Roussillon (1998-2015), DE PS (2004-2008), S PS Hérault (2008-2019) |
Pailler | Aline | 1999 (44 ans) | DE PCF (1994-1999) |
Pasty | Jean-Claude | 1999 (62 ans) | D RPR Creuse (1978-1981), DE RPR (1984-1999) |
Patriat | François | 1993 (50 ans) | CG Côte d’Or (1976-2008), D PS Côte d’Or (1981-1993, 1997-2000), M Chailly (1989-2001), SE PME (2000-2002), Mi Agriculture (2002), CR Bourgogne (2004-2015), S PS puis LREM Bourgogne depuis 2018 |
Plasait | Bernard | 2004 (64 ans) | C Paris et adjoint maire (1983-2002), CR Île-de-France (1992-1996), S RI puis UMP Paris (1995-2004) |
Pompidou | Alain | 1999 (57 ans) | DE RPR (1989-1999) |
Raymond | Alex | 1986 (70 ans) | M Colomiers (1966-2001), D PS Haute-Garonne (1973-1986), CR Midi-Pyrénées (1981-1986) |
Richard | Dominique | 2011 (57 ans) | CM Angers (1983-1989, 2001-2002), CR Pays-de-Loire (1998-2016), D UMP Maine-et-Loire (2002-2007), battu législatives 2007 |
Rigout | Marcel | 1989 (61 ans) | D PCF Haute-Vienne (1967-1968, 1973-1981, 1986-1988), Mi Formation professionnelle (1981-1984) |
Rossignol | Laurence | 1999 (42 ans) | CR Picardie (1998-2015), S PS Oise (2011-2014, depuis 2017), SE Famille (2014-2016), Mi Famille (2016-2017) |
Roussin | Michel | 1999 (60 ans) | D RPR Paris (1993), Mi Coopération (1993-1994) |
Souchon | René | 1999 (56 ans) | CG Cantal (1976-1982, 1985-1998), M Aurillac (1977-1995, 2001-2006), D PS Cantal (1980-1983, 1986-1988), CR Auvergne (1980-2015), SE puis Mi Agriculture (1983-1986) |
Sylla | Fodé | 2004 (41 ans) | DE PCF (1999-2004) |
Teisseire | Eugène | 1989 (50 ans) | CG Nièvre (1982-2001), M Alluy (1983-2008), D PS Nièvre (1983-1986) |
Teulade | René | 1998 (67 ans) | M Artentat (1989-2014), Mi Affaires sociales (1992-1993), CG Corrèze (1993-2011), S PS Corrèze (2008-2014) |
Souvent considéré comme la troisième assemblée de la République, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) accueille des membres éminents de la vie socio-économique et socio-culturel du pays ainsi que d’ancien élus. Ils aident le gouvernement dans son travail législatif par des rapports et avis. Mais depuis ses origines, cette institution est souvent critiquée dans les médias comme inutile et dénoncée par ses adversaires comme une sorte de maison de retraite politique. Le pouvoir offrirait une agréable fin de carrière à ses anciens amis victimes du suffrage universel. En se penchant sur le cas particulier des « personnalités qualifiées », cette étude entend juger la pertinence de ces représentations.
Often regarded as the third assembly of the French Republic, the Economic, Social and Environmental Council (EESC) brings together eminent members of the country’s socio-economic and socio-cultural life, as well as former elected representatives. They assist the government in its legislative work through reports. But since the beginning, this institution has often been criticised in the media as useless and denounced by its opponents as a kind of political retirement home. Those in power would offer a pleasant end to the careers of their former friends, victims of universal suffrage. By looking at the specific case of ‘qualified personalities’, this study aims to assess the relevance of these representations.