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Le droit individuel à la formation des élus (DIFe) : un outil pour faciliter la sortie du mandat local ?

La formation des élus est une pratique relativement ancienne1. Présente dès la fin du 19e siècle sous la forme d’un outil à disposition des partis socialistes révolutionnaires pour contrôler et légitimer les élus issus de leurs rangs, la formation des élus se diffuse progressivement au sein puis en dehors du champ politique tout au long du 20e siècle et plus particulièrement à partir des années 1970. En comparaison des droits de formation accordés aux salariés2 et plus particulièrement aux agents3, la formation des élus se développe dans l’ensemble des partis politiques ainsi qu’à la majorité des associations d’élus4. Plusieurs universités essayent même de créer des offres de formation en direction des élus, même si les expériences se révèlent peu concluantes5.

La diversité des acteurs qui se saisit de cet objet participe à lui conférer des fonctions multiples ; les associations d’éducation populaire visent à revitaliser la démocratie locale en diffusant des savoirs normalement réservés aux élus, les associations d’élus dans les territoires cherchent par le développement de la formation à créer et entretenir un réseau au niveau départemental, les partis politiques escomptent de la formation qu’elle soutienne les consignes partisanes, ou encore, pour les associations de maires, qu’elle puisse faciliter l’exercice des mandats locaux.

C’est notamment sous ce dernier vocable que le droit à la formation (DFEL) est institué en France pour la première fois en 19926. Les élus locaux se voient alors reconnaître un congé de six jours par mandat7 pour suivre des formations liées à l’exercice de leur charge totalement financées par leur collectivité d’appartenance. Un organisme consultatif, le Conseil National de la Formation des Élus locaux (CNFEL) est installé au sein du ministère de l’Intérieur pour réguler ce nouveau marché et filtrer les organismes que l’on suspecte alors plus intéressés par l’ouverture des fonds publics que les intérêts pédagogiques des élus.

Ainsi, de toutes les fonctions qui ont pu être prêtées à la formation des élus entre les années 1890 et 1990, celle de sortir du mandat n’a jamais été évoquée. Il faut dire que cette acception de la formation contredit les attentes qu’on lui fait tacitement porter. Par la formation, il s’agit bien plus de permettre aux élus de réussir à endosser le rôle et de se maintenir en poste par l’acquisition de connaissances et le développement de compétences que d’envisager la fin de l’engagement électif. L’idée de créer un dispositif de formation permettant aux élus de sortir du mandat arrive seulement au début de l’année 2013 lors de la discussion de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat. D’initiative sénatoriale, la discussion est amenée par la proposition de faciliter la conversion des acquis de l’expérience des élus en diplômes valorisables sur le marché du travail.

En effet, les interlocuteurs de la mission ont régulièrement signalé les difficultés rencontrées par les élus, même les plus expérimentés, pour retrouver une activité professionnelle après avoir cessé d’exercer des mandats impliquant pourtant des responsabilités importantes et des compétences évidentes. Les élus se heurtent au manque de reconnaissance de l’expérience qu’ils ont accumulée, problème récurrent dans notre pays, mais particulièrement sensible pour les anciens élus. Du point de vue du rapporteur — comme de celui de la mission qu’il a par ailleurs présidée —, un dispositif de validation des acquis de l’expérience serait donc précieux puisqu’il leur permettrait d’obtenir un diplôme, sésame indispensable en France. On notera d’ailleurs que tous les représentants des associations d’élus reçus par la mission d’information en ont fait la demande.8

Reconnaissant à la fois le besoin des élus de se former et le faible recours de ces derniers au dispositif « traditionnel » (DFEL), la commission des lois du Sénat imagine la création d’un nouveau dispositif se formalisant sur la base d’un « droit individuel à la formation » cousin de celui en vigueur pour les salariés. C’est en passant en première lecture à l’Assemblée nationale, que la vocation du DIFe s’affine autour d’une nouvelle fonction d’assistance à la reconversion professionnelle des élus locaux.

Cependant, elle (la commission des lois) a modifié l’article 5 bis sur deux points à l’initiative de sa commission des lois : d’une part, elle a supprimé les dispositions créant le DIFe pour les conseillers communautaires (…), d’autre part, à l’initiative de sa commission des lois, elle a complété le texte sénatorial dans le sens des recommandations de sa mission d’information sur le statut de l’élu pour préciser que les formations organisées dans le cadre du DIFe « peuvent notamment contribuer à l’acquisition des compétences nécessaires à la réinsertion professionnelle des élus à l’issue de leur mandat ». Pour les rapporteurs de la mission, les députés Philippe Doucet et Philippe Gosselin, « ces formations devraient être, autant que possible, qualifiantes ou diplômantes, afin de faciliter, le cas échéant, la réinsertion professionnelle des élus ».9

Accepté au sein des deux chambres de manière unanime10, l’article 5 bis du projet de loi est donc approuvé par les parlementaires. L’administration du DIFe est confiée à la Caisse des dépôts et consignation qui finance le dispositif par un prélèvement de 1 % sur les indemnités des élus. En retour, tous les élus se voient reconnaitre une enveloppe de 400 € par année cumulable dans la limite d’un plafond de 800 €11. Venant se positionner en parallèle du droit financé par les collectivités locales (DFEL), le DIFe est aujourd’hui pensé comme un outil stratégique pour à la fois développer la pratique de formation des élus et lutter contre la « crise de vocation ». En conférant une autonomie aux élus pour se former, ces nouveaux droits visent à faciliter la conciliation entre les différents engagements (familiaux, professionnels, électifs, etc.).

Cependant, malgré les besoins pensés comme forts, la mise en œuvre du droit semble susciter peu d’intérêt chez les élus. Entre 2022 et 2023, ce ne sont pas plus de 21 587 élus qui recourent au DIFe, dont moins de 16 % dans le cadre d’une démarche de reconversion, soit 553412. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce faible recours. Premièrement, en tant que nouveau dispositif, le DIFe reste un dispositif relativement méconnu comparativement au droit financé par les collectivités locales qui existe depuis plus de 30 ans. Deuxièmement, ses modalités d’usage sont complexes et chronophages. Il convient tout d’abord de s’inscrire sur la plateforme « moncompteformation.gouv.fr » au travers du dispositif « FranceConnect + », d’y retrouver ses droits (ou les réclamer en cas de problème), de prendre en main l’ergonomie de la plateforme pour rechercher les formations selon le statut souhaité (salarié, élu en mandat, élu en reconversion professionnelle) et acheter la formation en utilisant une identité numérique « La Poste » précédemment créée. Autant d’étapes qui se transforment en obstacles pour des élus éloignés des pratiques numériques. Troisièmement, en excluant le tiers des élus locaux ayant soldé leur droit à la retraite, seuls les élus « actifs » sont autorisés à recourir au DIFe pour des raisons de reconversion. Quatrièmement, et malgré les points précédemment cités, le dimensionnement de l’enveloppe de la Caisse des dépôts et consignations ne permet pas un recours massif des élus au DIFe. Si plus de 10 % des élus locaux utilisaient leur 400 € annuel, l’équilibre du modèle économique ne serait pas pérenne.

Valables pour le DIFe en générale, des problématiques plus spécifiques concernent les formations de reconversion professionnelle13. Par exemple, la volonté de sortir du mandat ne s’est pas construite comme un préalable nécessaire pour recourir spécifiquement à ce type de formation. Dans la mesure où les fonds du DIFe sont fongibles avec le CPF, chaque élu peut librement mobiliser ces droits sans aucune justification de l’objectif poursuivi. De ce fait, entre 2022 et 2023, les fonds du DIFe ont principalement été mobilisés par les élus pour répondre à des enjeux d’ordre professionnel (mobilités internes, reconversion professionnelle, évolution salariale, etc.) sans lien avec l’exercice de leur mandat. Les droits relatifs à la condition d’élu se révèlent être des opportunités de financement des évolutions professionnelles. Ce recours s’explique en grande partie par le fait que plus de 90 % des formations de reconversion professionnelles ont été suivies par des conseillers municipaux. Autrement dit, des élus qui ne dépendent pas, ou peu, de l’exercice du mandat local pour vivre. Dans la mesure où l’engagement électif reste largement bénévole, le cumul avec une activité professionnelle incite ces élus à mobiliser l’ensemble des droits à leur disposition pour satisfaire leur besoin de formation au sens large. Au final, sur les deux années considérées, les demandes de formation se sont regroupées autour de cinq principales thématiques.

Graphique 1. Thématiques de formation les plus sollicitées

(source : Observatoire national de la formation des élus locaux [ONFEL])

Histogramme des thématiques de formations les plus sollicitées : Permis de conduire (9.1%) ; Bureautique (16,5%), Langue (15,5%) ; Reprise ou création d'entreprise (12.1%) et VAE ou bilan de compétence (10.6%).

Au regard des difficultés inhérentes au dispositif ainsi que de l’usage qu’en font les élus, les formations de reconversions professionnelles ouvertes par le DIFe apparaissent comme condamnées à rester une pratique marginale dans le parcours des élus locaux. Toutefois, plusieurs raisons permettent de nuancer ce propos. En premier lieu, les formations de reconversion professionnelles sont pensées, spontanément, pour être mobilisées plutôt en fin de mandat par des élus qui se questionneraient sur leur envie ou leur capacité de poursuivre leur engagement et dont le retour en emploi serait incertain. De ce fait, nous pouvons faire l’hypothèse que la demande de formation de reconversion professionnelle sera cyclique en fonction du calendrier électoral, notamment parmi les élus professionnalisés (maires, président, adjoints, vice-présidents, élus cumulant etc.) qui vivent « de » la politique. En deuxième lieu, plusieurs exemples montrent déjà l’existence de démarche de formations préventives permettant d’anticiper les prochaines échéances électorales. Aussi, face au nombre important de démissions, les formations de reconversion professionnelle sont également sollicitées par des élus ayant quitté le mandat ou s’apprêtant à le faire. Même si la sortie se réalise en cours de mandat et non à l’issue de ce dernier, le DIFe joue un rôle de facilitateur dans le retour à la vie professionnelle.

S’il y parait encore relativement discret dans les pratiques des élus, le pont établit par le DIFE entre la formation des élus et le compte personnel de formation traduit un tournant majeur de la doctrine par laquelle le droit à la formation des élus s’est institutionnalisé en France depuis 30 ans. Pensé pour se démarquer du régime commun de la formation professionnelle continue pour ne pas attiser les critiques sur la supposée professionnalisation des élus locaux, le droit à la formation des élus entre dans une nouvelle phase de son existence qui le rapproche tendanciellement des dispositifs de formation professionnelle.

À sa manière, le DIFe témoigne d’un mouvement de normalisation du temps électif dans le parcours biographique des individus. L’engagement n’est plus nécessairement une vocation qui se vit en dehors et en concurrence avec les autres champs sociaux. Les élus retrouvent des droits de plus en plus similaires à ceux qu’ils connaissent par ailleurs en tant que travailleurs et peuvent mobiliser de nouveaux leviers pour actionner des passerelles de mieux en mieux balisées pour faire du mandat un moment opportun pour se former professionnelle et/ou prévoir une sortie de la vie politique. Désormais, tout l’intérêt réside dans un suivi régulier des pratiques de formation pour mesurer la variabilité des motivations et des usages au fur et à mesure que se rapprocheront les élections municipales de 2026. L’objectif étant de vérifier l’hypothèse de la cyclicité de la demande de formation de reconversion professionnelle exprimée par les élus locaux.

  1. 1Camus Pierre, La formation des élus locaux en France (1880-2020). Les conditions d’une institutionnalisation instable, Thèse de sociologie, Université de Nantes, soutenue le 09 décembre 2021.
  2. 2 Loi n° 71-575 du 16 juillet 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente
  3. 3 Loi n° 72-658 du 13 juillet 1972 portant modification du code de l’administration communale et relative à la formation et à la carrière du personnel communal et applications.
  4. 4 On peut citer les associations d’élus généralistes (AMF), les associations d’élus thématiques (association des maires du littoral, de la montagne, etc.) ainsi que les associations d’élus partisanes (associé à un parti politique).
  5. 5 De nombreuses universités comme Paris I, Grenoble II, Lyon III, Dijon, Strasbourg III échouent à développer des offres de formations pour les élus.
  6. 6 Loi n° 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux.
  7. 7 Aujourd’hui 18 jours.
  8. 8 Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi (N° 660), adoptée par le Sénat, visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat. Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2013, pp. 88-89. Disponible sur :: https://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r1544.pdf [consulté le 30 mai 2024].
  9. 9Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, par Saugey Bernard. Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 janvier 2014, pp. 28-29. Disponible sur : http://www.senat.fr/rap/l13-290/l13-2901.pdf [consulté le 30 mai 2024].
  10. 10 Journal Officiel de la République Française. Session Ordinaire de 2012-2013. Compte rendu intégral. Séance du mardi 29 janvier 2013, pp 586-587, Disponible sur : http://www.senat.fr/seances/s201301/s20130129/s20130129.pdf [consulté le 30 mai ].
  11. 11 Le dispositif sera profondément modifié par la loi n° 2021-771 du 17 juin 2021 ratifiant les ordonnances n° 2021-45 du 20 janvier 2021 et n° 2021-71 du 27 janvier 2021 portant réforme de la formation des élus locaux transforment les 20 heures de formation une enveloppe comptabilisée en euros.
  12. 12 Baromètre annuel de la formation et de la reconversion professionnelle des élus locaux (2022-2023). Observatoire national de la formation des élus locaux (ONFEL).
  13. 13 Sur la base des données statistiques, une quinzaine d’entretiens a été menée auprès d’un échantillon de 50 élus sélectionnés aléatoirement en grappe dans le cadre de la rédaction d’un article pour le Céreq. Voir Camus Pierre, « Les formations de reconversion des élus locaux. Entre opportunisme professionnel et arbitrage de la persévérance en mandat », Journée des jeunes chercheurs du Cereq, 4 juillet 2024.