À l’heure où j’écris (février 1933) le peuple français environné d’inimitiés, trompé, ruiné, écrabouillé par le fisc, et qui voit revenir la guerre, à la suite de l’évacuation criminelle de Mayence, tourne vers la Chambre des députés des regards de haine. Elle est pour lui la nouvelle Bastille, l’antre d’où souffle le malheur, et le signe de sa servitude à six cents farceurs, menteurs, truffeurs et pillards. C’est bien ainsi que je voyais, en le quittant pour n’y pas revenir, ce baroque dépotoir de lâchetés, d’incapacité et d’idées fausses, où j’avais usé, en vain, quatre ans et demi de mon existence. Mon échec du 11 mai 1924 fut ainsi, pour moi, une délivrance1.
Une « délivrance » qui mérite évidemment d’être remise en perspective au regard d’une aventure électorale complexe au sein d’un mouvement politique antiparlementaire. Il s’agit de tenter d’appréhender les raisons, les modalités, les enjeux et les perceptions contrastés de la fin du mandat législatif de Léon Daudet et, plus globalement, de la fin de l’expérience électorale de l’Action française.
Au début du siècle, Henri Vaugeois clame son refus de participer aux élections législatives. Il s’attaque aux conservateurs, royalistes ou républicains, qui acceptent de s’intégrer au consensus républicain, car, dit-il, « on ne peut espérer détruire un régime qu’en s’appuyant sur un principe qui lui soit clairement et radicalement opposé »2. En réalité, l’Action française (AF) se montre rapidement bien plus pragmatique et elle appelle ses militants à agir en fonction des circonstances et des candidats. Ainsi, lors des élections municipales de 1908, Bernard de Vésins élabore un plan afin de présenter, à Paris, des candidats dans le plus grand nombre de circonscriptions possibles. Une note d’un correspondant des RG explique :
Il est bien évident qu’aucun des candidats ne saurait passer ; qu’à part le Quartier Notre-Dame […] aucun n’obtiendra même un succès d’estime. Presque tous auront des chiffres de voix dérisoires. L’Action française le sait d’avance. Cependant, elle marche quand même. Son but est à la fois un but de propagande pour son programme politique : la monarchie et un but de réclame pour le journal. Ceci grâce à l’affichage par tous ses candidats d’une même profession de foi nettement royaliste et Action française : affichage que la déclaration de candidature affranchira du droit de timbre3.
Ainsi, dès son origine, la ligue adopte une position ambivalente à l’égard du champ républicain légaliste. En 1910, à l’occasion des élections législatives, le journal publie même une justification de son action électorale : « L’Action française dit Par tous les moyens et ajoute : mêmes légaux. Est bon tout ce qui peut éclairer l’opinion. Nos doctrines sont encore plus inconnues que méconnues. Il s’agit donc de les faire connaître. Une candidature est un excellent moyen »4. L’AF affirme que sa tactique générale est « de ne pas avoir de politique électorale uniforme, mais d’agir dans les circonstances diverses, au mieux des intérêts du pays »5.
Les choses changent après la Grande Guerre et, le 24 juillet 1919, Charles Maurras définit l’action électorale comme le « devoir nouveau » des ligueurs :
Nous comptons sur l’activité, l’intelligence, l’effort patriotique de nos amis. À eux de s’appliquer à la tâche pénible dans les conditions qui vont faire une preuve nouvelle de leur ténacité et de leur souplesse, de leur force et de leur bonheur. Nous ne leur avons pas toujours montré cette voie. Nous ne la leur montrerons pas toujours. Les circonstances exceptionnelles motivent une conduite qui est exceptionnelle aussi. Cette clause des variations nécessaires n’est pas improvisée non plus. Elle est inscrite depuis longtemps dans notre programme. […] La devise de notre Action française est d’agir, d’avancer, de manifester par tous les moyens, même légaux.
L’AF en appelle alors à « l’Union nationale » même si elle ne fait pas partie du Bloc national6.
En province, des listes d’Union nationale se forment et des ententes se nouent. Maurice Pujo explique que la situation y est différente qu’à Paris, car les amis de l’AF y rencontrent « des sentiments moins étroits et moins égoïstes »7. Dans l’Hérault, le Vaucluse, l’Ardèche et la Vendée, les monarchistes et les conservateurs se présentent sur les mêmes listes. Des ententes ont également lieu en Ille-et-Vilaine, dans le Cher, dans le Tarn-et-Garonne, dans les Côtes du Nord, dans le Cher, dans les Basses Pyrénées, en Vendée, en Loire Inférieure, dans le Vaucluse, dans l’Indre, en Moselle, en Ardèche, en Gironde8. D’une manière générale, et particulièrement en province, la question de la participation aux élections renvoie à la crise royaliste du début des années 1910 et au positionnement alors « révolutionnaire » et violemment antiparlementaire de l’AF. Cette dernière a remporté la lutte contre les royalistes conservateurs, mais il n’en demeure pas moins que les « notables blancs » sont encore nombreux et voient d’un bon œil ce changement de positionnement des maurrassiens. Toutefois, des divergences existent toujours notamment au sujet de la conduite à tenir vis-à-vis du gouvernement en place. Pour les plus virulents, la participation électorale ne doit servir qu’à augmenter la propagande ; pour les plus modérés, il est nécessaire de s’intégrer au jeu politique.
Dans l’Hérault, André Vincent œuvre au rapprochement des tenants de ces deux conceptions, mais à la veille des élections, certains candidats soutenus par l’AF n’affichent pas ouvertement leurs convictions monarchistes, ce qui heurte les ligueurs les plus intransigeants9.
Les élections de 1919 enregistrent un renouvellement important du personnel politique. Alors qu’en 1914, 73 % des sortants étaient réélus, ils ne sont que 46 % en 191910. Si l’AF tente de faire bonne figure en saluant la victoire du Bloc national, ses propres résultats sont minces : moins de 30 candidats proches de l’AF sont élus sur 616 députés11. Cet échec est à peine masqué par l’arrivée tonitruante de Léon Daudet à la Chambre.
La participation de l’AF aux élections de 1919 est intéressante autant sur le plan théorique que sur le plan pratique. En effet, si l’AF faisait déjà partie, avant-guerre, peut être sans le vouloir, de l’ensemble des forces collectives de la Troisième République, elle s’y intègre encore un peu plus en 1919.
Cinq ans plus tard, en 1924, le contexte est très différent : la rupture entre les radicaux et le Bloc national est alors consommée12. Comme en 1919, l’AF se présente aux élections et participe à la campagne électorale qu’elle débute au milieu du mois de mars. Le 13, le quotidien publie en première page : « Notre programme électoral : Action française et Union nationale révisionniste ». L’AF s’adresse aux « patriotes français » et utilise l’exemple de l’Italie fasciste et des réussites de Mussolini pour prouver le bien-fondé de ses ambitions :
Vous ne pouvez l’oublier, et l’exemple de l’Italie le montre depuis deux ans ; quelques hommes résolus suffisent pour imposer à un Parlement toutes les mesures que peut exiger la sécurité de la nation. Il dépend aujourd’hui de vous, patriotes français, d’envoyer à la Chambre ces quelques hommes chargés de lutter contre les convulsions qui suivent la vie trop chère et l’avilissement de la monnaie et une menace de guerre pire que celle dont nous sortons13.
L’échec électoral pour l’AF est, cette fois, quasi complet. À Paris, Daudet n’est pas réélu. En province, les résultats sont médiocres malgré la solidité des bastions royalistes du Nord, de Vendée et de Loire-inférieure. L’effondrement est particulièrement rude dans le Midi. Les trois députés royalistes de l’Hérault sont battus, tout comme celui du Vaucluse. Dans le Gard, un seul député royaliste se maintient contre quatre en 1919.
Après 1924, Léon Daudet n’abandonne pas immédiatement ses ambitions parlementaires. Il se présente à l’élection sénatoriale du Maine-et-Loire en 1925 en vue de remplacer le défunt Jules Delahaye sénateur royaliste lié à l’AF. Sur la proposition de Dominique Delahaye, le congrès des conservateurs angevins désigne Léon Daudet comme seul candidat de toutes les droites contre le Cartel des gauches. L’Ouest Éclair de l’abbé Trochu, déclenche alors une campagne violente contre Daudet. Au premier tour de l’élection, Léon Daudet (338 voix) s’impose devant le candidat du Cartel (275 voix) et devance tous les autres candidats : Manceau (278 voix), Gesbron (29 voix), de Cathelineau (4 voix). Mais Manceau se maintient au second tour et est finalement élu au troisième tour, ce qui déclenche une série de critiques et pas uniquement dans les rangs de l’AF. Chacun y va de son mot, considérant que le Cartel a réussi son coup et parvient, en plus de faire échouer Daudet, à diviser les catholiques. L’AF dénonce un complot fomenté par Paris pour empêcher le retour de Daudet au Parlement. En réalité, il semble plutôt que les notables provinciaux et les politiciens des petites villes n’aient pas voulu « qu’un brandon de discorde les (représente) au Sénat »14.
Il est difficile de comprendre toutes les nuances de cette affaire, car nous ne disposons que des sources partisanes de l’AF. Il faut surtout en retenir ses conséquences au niveau politique. En effet, après cet échec, Léon Daudet ne cherche plus à se faire réélire et le « moment parlementaire de l’AF » est définitivement clos. Il faut alors justifier l’échec.
Dans ses Mémoires, Daudet n’évoque pas les élections de 1925. En revanche, pour expliquer son échec de 1924, il se réfugie derrière le thème maurrassien habituel des dysfonctionnements du régime parlementaire en pointant la corruption d’une part et la pression de la machine administrative républicaine d’autre part.
Il affirme tout d’abord que :
Du commencement à la fin (de la législature), un vieux député à profil de vautour (bien que fort inoffensif), du nom de Saumande, administra, en l’absence, et aussi en présence de ses collègues, à lui tout seul, 145 boîtes de bulletins de vote ! Les deux tiers de la majorité ne savaient pas, la plupart du temps, dans quel sens ils avaient voté. Ils s’en remettaient à Saumande, qui s’en remettait au président du Conseil.15
Il ne s’agit donc pas pour Daudet de s’en prendre à la « bonne chambre du 16 novembre », mais plutôt à la corruption intrinsèque du régime empêchant, de fait, toute forme de représentativité y compris lors des élections. Excuse commode pour expliquer son échec électoral. Il ajoute encore :
Quand on a vu le mécanisme de près, ce numérotage fou de grains de sable (ou voix d’électeurs conscients) qui peut renverser, comme au 11 mai 1924 on se dit que mieux vaudrait jouer, tous les quatre ans, le sort du pays à pile ou face. Il y aurait plus de chances heureuses. Celles-ci sont éliminées, sauf accident, des élections législatives, par la pression d’une machine administrative asservie aux intérêts les plus immédiats et aux passions les plus viles16.
Pour Daudet, son échec n’est donc pas lié à un manque de soutien populaire ou à l’incapacité pour la propagande maurrassienne de transformer son influence intellectuelle en socle d’électeur, mais plutôt au poids d’une administration empêchant une expression politique raisonnée. Daudet écrit ainsi que « la masse est indifférente en politique. Elle obéit à l’administration »17. Cette remarque est intéressante, car elle renvoie à une analyse évolutive du rapport de l’AF aux masses populaires. Daudet écrit ces lignes en 1933 à un moment où l’AF a en partie abandonné ses ambitions de propagande populaire pour se réorienter vers ceux qu’elle nomme « les élites ». En réalité, dans les années 1920, l’AF cherche à convaincre, avec plus ou moins de succès, les classes moyennes qui représentent d’ailleurs une part importante de ses ligueurs en province.
Quoi qu’il en soit, après 1925, Daudet ne cherche plus à se faire réélire. S’agit-il pour autant d’une retraite politique ? Évidemment, non. En effet, la fin de sa législature ne correspond pas à sa retraite médiatique. D’ailleurs, cette fin de mandat subie contribue à nourrir un discours de plus en plus virulent comme dans le cadre de l’affaire Philippe Daudet. Pour rappel, en décembre 1923, le jeune homme (fils de Léon Daudet) se suicide après avoir fugué et vraisemblablement pris contact avec les anarchistes du Libertaire. Au cours des années suivantes, Léon Daudet publie de très nombreux articles affirmant que son fils ne s’est pas suicidé. Il est d’ailleurs condamné à cinq mois de prison en 1925 pour diffamation à l’encontre d’un des protagonistes de l’affaire. En mai 1927, il est sommé de se rendre en prison pour purger cette peine. Le 10 juin, Léon Daudet et Joseph Delest se barricadent rue de Rome, dans les locaux du journal. Il faut l’intervention du préfet de police de Paris Jean Chiappe pour convaincre Daudet et Delest de se rendre. Depuis la Santé, Daudet continue à publier des articles qu’il signe « Un père de famille » et finit par orchestrer une rocambolesque évasion le 25 juin 1927.
Ainsi, la fin de son mandat politique ouvre à Daudet de nouvelles voies d’opposition à la République parlementaire. Ses articles quotidiens dans les colonnes du journal ainsi que ses coups d’éclat propagandistes, inenvisageables en tant que député, nourrissent la rhétorique d’un animal profondément politique.
Animal politique à l’aise à l’intérieur ou à l’extérieur du Parlement. À la différence d’un mouvement à l’antiparlementarisme revendiqué comme la ligue d’Action française. L’aventure électorale de 1919 à 1925 est, en effet, un moment complexe pour les ligueurs, mais aussi pour les rouages de l’organisation. En 1919, afin de mener à bien ses nouvelles ambitions, l’AF met en place une véritable structure de propagande spécifique. À partir du mois de juillet, la ligue organise un service électoral qui occupe une permanence quotidienne rue de Rome de 15 à 19 h18. En septembre, l’AF propose un service d’abonnement de propagande et, à partir du mois d’octobre, la Nouvelle librairie nationale diminue les tarifs des publications jusqu’à la fin des élections19. Comme toujours, le matériel de propagande mis en circulation par la ligue est important : affiches, tracts, brochures, etc. Enfin, à la fin du mois d’octobre, l’AF organise deux grandes journées « Pour le million de la défense nationale et la propagande électorale »20. En 1924, l’AF met à nouveau en place un « fonds électoral immédiat » chargé de recevoir les souscriptions pour la campagne. Le 17 avril, le total récolté s’élève à 1 095 570 francs.
La ligue d’Action française parvient donc, structurellement, à s’insérer à des campagnes électorales traditionnelles, mais ce nouveau répertoire d’actions collectives ne convient pas à tous les ligueurs. En effet, trouver le point d’équilibre pour satisfaire le lecteur du journal, l’électeur et le ligueur est difficile. Le choix de participer aux élections conduit les dirigeants maurrassiens à tenir des discours aseptisés, au moins en apparence. Ainsi, les dissensions internes entre ceux qui souhaitent le coup de force et ceux qui s’adaptent au cadre de la légalité républicaine s’accentuent de 1919 à 1924. Dans un premier temps, les seconds sont à la manœuvre et, force est de constater, qu’une présence à la Chambre des députés constitue incontestablement une caisse de résonance pour un mouvement politique même antiparlementaire. L’année 1923 correspond, pour Daudet et l’AF, à une période d’apogée de l’influence politique du maurrassisme notamment au moment du grand débat du mois de juin21.
Cette influence sur le jeu parlementaire ne permet toutefois pas le succès aux élections l’année suivante et l’échec de 1924 est mal vécu par une partie des militants de la ligue. Une note des RG de juillet 1924 affirme ainsi que :
L’Action française a été profondément atteinte par son effondrement électoral. Les adhérents qui avaient fourni des fonds de propagande (plus de deux millions) ont été nombreux à manifester leur mécontentement. Le tirage du Journal a baissé dans des proportions importantes. […] Les résultats de la vente sont désastreux. […] À l’intérieur même des organisations d’AF, le mécontentement est vif. Un grand nombre de « camelots » et de « commissaires » considèrent qu’ils ont été roulés par les politiciens du parti. Dans les sections de province, le mouvement de désaffection est peut-être plus marqué encore22.
En réalité, si l’on analyse la situation à plus long terme, la fin de la tentation électorale a plutôt renforcé les structures de l’AF. Le chiffre des abonnements au quotidien passe de 20 000 en 1921 à 45 000 en août 1926. L’évolution du nombre des conférences organisées par le service des conférences de l’AF est également significative. En 1925 : 235 conférences ; en 1926 : 828.
Il semble que ces succès soient en partie liés à un retour à la radicalité militante dans le contexte de surenchère nationaliste du milieu des années 1920. Plusieurs études au sujet des organisations locales d’AF tendent à confirmer que la ligue profite de la reprise de l’opposition frontale avec la République. Gérard Gaudin note par exemple qu’en Provence, « dans cette phase d’expansion, les élections de mai 1924 […] sont plutôt un facteur favorable dans la mesure où elles ne peuvent que décevoir tous ceux qui pensaient avoir trouvé en 1919 une “bonne République conservatrice” »23. David Bensoussan confirme que, dans le cas breton, « les années 1924-1926 constituent un moment de renouveau pour l’Action française qui peut s’appuyer sur la radicalisation en cours des milieux catholiques suite aux projets religieux de la nouvelle majorité politique »24. De plus, l’opinion publique française rejoint alors certains des thèmes de prédilection de l’AF et notamment l’anticommunisme. Le 23 novembre 1924, le gouvernement organise la cérémonie de panthéonisation de Jean Jaurès qui choque profondément la droite en raison de la forte participation communiste. Danielle Tartakowsky rappelle que « le cortège communiste, à nouveau toléré, est surmonté de 180 drapeaux rouges dépourvus d’inscription et de 300 pancartes portant “Guerre à la guerre par la révolution prolétarienne”, “Instituons la dictature du prolétariat” et “Aux ligues fascistes opposons les centuries prolétariennes” »25. Maurice Pujo écrit le 24 novembre :
On peut douter que le gouvernement qui a dû traverser nos boulevards à l’ombre des drapeaux de l’Anarchie, que l’armée a été obligée de les saluer, soient très fiers de leur journée. Cette journée, où la République a donné au désordre un rang officiel, pèsera sur ses destinées, et les pitoyables ministres bourgeois devaient s’en rendre compte à entendre résonner derrière eux, comme une casserole à la queue de leur cortège, les chants et les hurlements de la Révolution26.
L’AF voit clairement dans la manifestation une préfiguration de la Révolution communiste. D’ailleurs, au cours du mois de décembre 1924, la crainte d’une tentative de coup de force communiste est évoquée dans la presse parisienne. Le Matin, Le Temps, L’Écho, La Liberté, L’Avenir, Le Quotidien relaient ces inquiétudes. Depuis plusieurs années, la propagande communiste bénéficie d’une surestimation systématique par la droite. « La peur du communisme qui s’empare alors de toute la bourgeoisie, du moins de la bourgeoisie parisienne, n’est ni surfaite, ni artificielle »27. Elle a même des conséquences en haut lieu, car le gouvernement ordonne la perquisition des locaux des communistes et de l’école de propagande de Bobigny ainsi que l’arrestation de ses principaux dirigeants.
Ce climat entraîne de nombreuses violences tout au long de l’été 1925 et en 1926. À Paris, en mars 1926, les camelots interviennent dans une réunion communiste à la salle des Sociétés savantes28. En mai 1926, ce sont les camelots qui sont attaqués par les communistes lors de la vente du journal29. En mai toujours, des communistes cherchent à empêcher une réunion à Villeneuve-Saint-Georges. Ils attendent les camelots à la sortie de la gare et les escortent en les huant jusqu’à la salle de la réunion30. En septembre 1926, l’AF renforce ses mesures de sécurité autour de son imprimerie par crainte d’une intervention communiste : 12 camelots et commissaires assurent les gardes de nuit31. Les années 1925-1926 sont sans conteste une période de forte ébullition dans les rangs de la ligue. Les militants et leurs dirigeants semblent, au moins en apparence, renouer avec la tentation révolutionnaire d’avant 1914.
En 1919, après avoir fait le choix de l’Union sacrée, l’Action française fait celui de l’aventure électorale. Elle avait déjà, avant 1914, utilisé l’expression propagandiste « Par tous les moyens, même légaux », mais, en 1919, elle généralise l’expérience et met en place différentes structures chargées de la campagne. Si l’élection de Léon Daudet est remarquée, elle masque mal une réussite, en réalité, assez limitée. Daudet participe activement aux débats à la Chambre et souhaite conserver son siège en 1924. À nouveau, la ligue tente de mobiliser ses troupes et adapte, en vain, son organisation à la période électorale. En 1925, Daudet veut rebondir en se présentant à l’élection sénatoriale. Encore une fois, l’échec est cuisant et le conduit, ainsi que la ligue, à abandonner définitivement l’aventure électorale. Léon Daudet reconnaît l’échec, mais l’explique par les lourdeurs administratives et la corruption intrinsèque au système politique français. Après 1924, l’AF retourne à une opposition frontale avec la République et Daudet, loin d’une retraite médiatique, continue à publier quotidiennement dans le journal et à exercer une influence politique, hors du champ parlementaire. Entre 1919 et 1924, l’AF a été incapable de satisfaire à la fois ses lecteurs, ses électeurs et ses ligueurs. La « sortie politique » de 1924-1925 a donc des conséquences ambivalentes pour le mouvement. Elle met un terme à une influence majeure sur le jeu politique parlementaire, mais elle permet aussi l’apogée d’un militantisme maurrassien renouant avec la radicalité politique.
En réalité, l’expérience électorale de Léon Daudet et de l’AF peut être relue en parallèle de l’histoire de la ligue dans son ensemble. En effet, cette dernière est traversée par les rapports complexes entre théorie et pratique, entre maurrassisme et militantisme. Complexité qui trouve son origine dans l’incapacité de l’AF à régler sa contradiction originelle (voire même fondatrice) entre activisme et conservatisme. Et c’est cette contradiction qui empêche sans conteste la réussite de l’aventure électorale maurrassienne.
Ce chapitre a pour objet d’appréhender les raisons, les modalités, les enjeux et les perceptions contrastées de la fin du mandat législatif de Léon Daudet et, plus globalement, de la fin de l’expérience électorale de l’Action française. La « sortie politique » de 1924-1925 est liée à une succession d’échecs électoraux pour les membres de l’Action française mais aussi, et peut-être surtout, pour Léon Daudet. Ces échecs ont des conséquences ambivalentes pour le mouvement. Ils mettent un terme à une influence majeure sur le jeu politique parlementaire (influence incarnée par Léon Daudet) mais ils permettent aussi l’apogée d’un militantisme maurrassien renouant avec la radicalité politique.
This chapter aims to understand the reasons, the modalities, the issues and the contrasting perceptions of the end of Léon Daudet’s legislative mandate and, more generally, of the end of the electoral experience of Action Française. The “political exit” of 1924-1925 is linked to a succession of electoral failures for the members of Action Française but also, and perhaps especially, for Léon Daudet. These failures have ambivalent consequences for the movement. They put an end to a major influence on parliamentary politics (influence embodied by Léon Daudet) but they also allowed the apogee of Maurrasian activism reconnecting with political radicalism.