L’exercice d’une fonction politique cesse naturellement lorsque celui qui l’assume est atteint par l’âge ou la simple envie de se soustraire à des obligations qui le contraignent. Parfois aussi un coup du sort — un échec électoral, une « affaire » malvenue1 — peut le pousser à la quitter prématurément. Enfin il peut arriver que certains séismes politiques de grande ampleur le contraignent, comme beaucoup de ses collègues, à reconsidérer sa carrière. C’est en particulier le cas lorsque surviennent des changements institutionnels et politiques non anticipés. La France entre 1815 et 1958 n’en manque pas. Il se trouve que Flandin, né en 1889, décédé en juin 1958, a connu la Troisième République, le régime de Vichy, la Quatrième République, les débuts de la Cinquième. Sa carrière politique — et inévitablement sa sortie — n’ont pu dans ces conditions qu’en être très perturbées.
Pierre-Etienne Flandin connait une carrière rapide et brillante : six législatures de 1914 à 1940 dans sa circonscription d’Avallon dans l’Yonne, des fonctions de maire à Domecy-sur-Cure, de conseiller général de Vézelay et des responsabilités ministérielles, d’un secrétariat d’État à l’aviation aux Affaires étrangères, en passant entre autres par la Présidence du Conseil qu’il installe à Matignon. Par ailleurs, chef de l’Alliance démocratique à partir de 1933 jusqu’à la guerre, il incarne longtemps une droite libérale et modérée. Mais dans les années qui précèdent le second conflit mondial, le discours se durcit et dévoile, parfois, une certaine complaisance pour les thèses développées au sein des droites radicales. Pour autant, Flandin, s’il a longtemps exprimé de la sympathie pour le fascisme italien, réprouve en tout point le nazisme. Néanmoins il est clair que cette complaisance accompagne l’évolution du député de l’Yonne, évolution qui marque son parcours politique à la fin des années trente : alors que les crises internationales provoquées par les dictatures se multiplient, son engagement pacifiste, parfois très proche du défaitisme, le conduit à penser réalisables, au prix de concessions réciproques inévitables, des accords voire une entente possible avec les dictatures, en particulier avec l’Italie fasciste que les puissances démocratiques ont, selon lui, malencontreusement jetées dans les bras de Hitler en gérant maladroitement la crise éthiopienne. D’où des prises de position fortement critiquées par ses adversaires politiques et une partie de l’opinion publique, que ce soit en faveur d’une non-intervention dans la guerre civile espagnole ou des accords de Munich de septembre 1938. Si l’hiver 1938-1939 est marqué par une certaine détente diplomatique — ce qui semble sur le moment cautionner les options très prudentes de Flandin — la crise polonaise qui naît au printemps 1939 le montre à nouveau circonspect. Il est clair que, très pessimiste sur la capacité du pays à affronter une guerre, il plaide en compagnie de parlementaires issus de différents groupes comme Marquet, Paul Faure, Montigny, Petsche — et bien d’autres — pour une solution négociée avec l’Allemagne, d’autant que la signature du pacte germano-soviétique, très révélateur selon lui de la duplicité de Staline, se révèle particulièrement inquiétante pour les démocraties désormais isolées face à l’Allemagne nazie et augmente sensiblement le risque de guerre. Flandin pense possible, voire indispensable, de trouver une issue diplomatique à cette crise au prix de concessions inévitables, mais, en revanche, il affirme que, par malheur, si Hitler choisissait la guerre s’associant ainsi objectivement avec Staline, il trouverait devant lui « La France de la Marne, de Verdun et les soldats de la liberté accourus des quatre points du monde (afin que) la civilisation chrétienne de justice et de fraternité ne soit pas foulée aux pieds par la barbarie asiatique »2.
Mais force est de constater la très grande réserve de Flandin durant le processus qui débouche sur la déclaration de guerre. Il reste avant tout partisan d’une issue diplomatique qu’il porte avec constance dans les couloirs de la Chambre et surveille de près Daladier, dont la ligne ne parait pas toujours très nette, oscillant entre fermeté et négociation. En vain. Le 3 septembre la France est en guerre et Flandin, bien que très pessimiste, en accepte les conséquences et s’engage : « La France se bat contre l’esprit de domination (…) Le combat est engagé (…) ; les forces de la civilisation doivent prévaloir sur celles de la barbarie (…) ; La France combat pour un idéal universel (…), un même patriotisme nous anime, nous voulons de toutes nos forces la victoire pour que la France vive heureuse dans un monde rénové »3.
Survient alors la désastreuse défaite et la chute du régime tertio-républicain en juillet 1940. Le voilà donc confronté à un premier choix. Il est initialement hésitant sur la conduite à tenir. Son cher Morvan — comme la Bretagne — pourrait constituer un môle ultime de défense et serait dans ce cas totalement impliqué dans la guerre. Cette sombre perspective n’étant qu’une de ces absurdes rumeurs circulant dans le pays, il reste que la région est tout de même envahie par les Allemands et occupée. Faut-il rester à Domecy et continuer à assumer au moins ses fonctions locales ? Ou bien faut-il quitter son village pour trouver refuge dans des régions épargnées par l’occupation ? Les pressions familiales, notamment celles de son épouse et de son frère, finissent par le convaincre. Il reste dans sa commune et continuera dans les semaines qui suivent à assumer sa fonction de maire et à maintenir des liens avec le conseil général, intervenant parfois avec bonheur — y compris inévitablement auprès des autorités allemandes — pour régler des questions aussi essentielles que l’approvisionnement des populations, la gestion des réfugiés, l’aide aux familles à la recherche d’un de leurs membres prisonnier. Cette aide apportée aux populations lui vaudra l’estime de certains de ses concitoyens, la réprobation d’autres qui y verront le fruit d’une collaboration en bonne et due forme. Mais plus lourde de conséquences est son attitude face aux conséquences de la défaite sur les institutions du pays et sur le choix d’un nouveau régime. Issu d’une famille de notables de tradition indiscutablement républicaine, ayant lui-même fait une carrière politique brillante dans le cadre des institutions de la Troisième République, peut-il adouber un ralliement qui provoquerait sa disparition ? La réponse de Flandin est donnée lors de la séance du 10 juillet ; son discours salue avec un certain courage la République défunte. Mais il faut dans l’immédiat faire un choix. Pour Flandin il n’est d’autre issue que de confier à Pétain les pleins pouvoirs l’autorisant à doter la France d’institutions nouvelles. Il ratifie donc la Révolution nationale. Mais s’il concède que la nécessité contraindra le nouveau gouvernement à prendre aux régimes que l’on combat ce qui fait leur force, il espère qu’il se refusera à une soumission totale à un modèle contestable, car :
Rien ne serait pire qu’une copie servile d’institutions dont on ne prendrait sans doute alors que ce qu’elles ont de médiocre et de mauvais, dont on n’assimilerait pas, au contraire, ce qu’elles ont de fort. Il faut que nous prenions leur force ; Il faut que nous éliminions non seulement leurs faiblesses, mais, si le terme n’est pas trop gros, cette sorte de mépris pour la nature humaine. Cela, voyez-vous mes chers collègues, nous n’avons pas le droit de le transposer dans nos institutions parce que ce serait toucher au dépôt sacré qui nous a été légué par nos pères, que nous devons léguer à nos fils4.
Ce ralliement à un nouveau régime résulte donc d’un choix. Certes celui-ci aurait pu être, compte-tenu de la tradition républicaine portée par ses ascendants et par lui-même, de cesser toute activité politique, ce qui fut d’ailleurs le choix de nombreux parlementaires. On aurait pu dans ces conditions imaginer Flandin mettre un terme à sa carrière politique, du moins à l’échelon national, et se contenter de gérer discrètement sa commune et son département sans autre ambition. Il n’en fut rien.
En fait, il semble que, dès le 10 juillet, il ait été convaincu que tôt ou tard il figurerait dans les équipes qui, derrière Pétain, auraient la charge du pays. Son goût incompressible pour la politique, son ambition, son anticommunisme militant, son pacifisme intransigeant, et, d’une façon générale, son ralliement dans l’immédiat avant-guerre à des valeurs proches de celles dont étaient dépositaires les décideurs politiques désormais installés à la direction du pays lui laissaient entrevoir un avenir politique probable.
Dans les semaines qui suivent le 10 juillet, il écrit des articles ou prononce des discours qui ne dissimulent pas son adhésion au nouveau régime et à un dialogue avec l’Allemagne, dialogue d’autant plus inévitable à ses yeux que le Reich semblait devoir établir son influence sur toute l’Europe pour un certain temps. L’allocution prononcée à Dijon le 16 novembre devant un parterre de journalistes est sans doute celle où il s’engage le plus — il dénoncera postérieurement une falsification de ses dires —. Il observe qu’« un ordre nouveau naît en Europe » et en tire la conclusion que « notre faute serait de ne pas y participer » alors que « le vainqueur a compris que ce serait une erreur d’en exclure le génie français (…) ». C’est bien une politique de collaboration qu’il justifie. Mais il a toujours été clair pour lui qu’elle devait surtout se concrétiser dans le domaine économique et encore exprimait-il des doutes sur sa faisabilité en observant combien les principes fondamentaux de l’économie libérale étaient étrangers à l’Allemagne nazie.
Mais pour être appelé à des responsabilités, il ne lui suffit pas de s’adresser à l’opinion publique. Il convient de rétablir des contacts, de ranimer ses réseaux qui sont multiples et d’approfondir ses relations avec des personnalités bien en cour à Vichy, avec des Français impliqués dans une collaboration précoce et militante à Paris, enfin avec quelques représentants des autorités occupantes. La situation se dénoue en décembre 1940. À Vichy, Laval est de plus en plus contesté. Ses décisions, sa façon de gouverner, autoritaire et personnelle l’isolent et le condamnent à terme. Un complot se forme ayant vocation à le démettre. Mais encore faut-il lui trouver un remplaçant. Le nom de Flandin émerge rapidement, porté par des personnes placées dans l’entourage immédiat du Maréchal comme Du Moulin de Labarthète, Chevalier ou encore Bouthillier. Le député de l’Yonne présente quelques aspects qui peuvent séduire Pétain : ils se connaissent pour s’être rencontrés dans le cabinet Doumergue ou encore à Avallon — fief électoral de Flandin — en 1933 lorsque Pétain a honoré de sa présence les cérémonies accompagnant le tricentenaire de Vauban. Flandin a par ailleurs une expérience ministérielle imposante qui lui a permis d’acquérir une expérience incomparable en tout domaine, des finances aux questions de politique étrangère en passant par l’aviation ou les travaux publics. Ces activités lui ont permis de tisser des relations dans le monde anglo-saxon qui peuvent être utiles à une époque où la guerre bascule. De plus il est plus souple que Laval ce qui rassure l’entourage du Maréchal. Enfin — et cela peut plaire à ce dernier — c’est un Français honorant le travail, la famille et la patrie, un provincial, un homme lié à un terroir ; c’est du moins la description qu’en fait Bouthillier à Pétain à qui il souligne que Flandin n’est ni un « international » ni un « vagabond » : « C’est un fils du Morvan. De père en fils les Flandin sont conseillers généraux du canton de Vézelay. Le frère, médecin, occupe la maison paternelle de Domecy où Pierre-Étienne Flandin vit dans une charmante demeure de paysan basse et rose ; le lierre et la vigne vierge se glissent le long des murs »5.
Le 14 décembre, Laval est remercié et remplacé par un triumvirat réunissant Darlan, Huntziger et Flandin. Ce gouvernement aux contours incertains ne résiste pas longtemps aux rivalités internes et aux intrigues de Laval. Il disparait début février 1941. Il est bien difficile de juger Flandin sur une expérience aussi courte. Si certains historiens6 ne voient en « l’intermède Flandin » que le simple prolongement d’une collaboration commencée avant lui et prolongée avec et après lui, collaboration qu’il n’aurait en rien amendée, d’autres, moins sévères,7 lui attribuent un projet de libéralisation du régime en mettant par exemple en avant la création d’un Conseil national ayant vocation à consulter les élites à défaut de leur donner le pouvoir de légiférer.
En février 1941 Flandin retrouve sa liberté. Un choix se présente à nouveau. Il peut cesser, à défaut de tout abandonner, de postuler tout rôle à un niveau national et se contenter de gérer sa commune et son canton où son influence reste considérable. Mais comment guérir de cette addiction à la politique et à l’exercice du pouvoir ? Après un court passage en zone sud, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, où il possède une résidence, il décide de passer en Algérie8.
Que peut lui offrir l’Algérie ? Tout d’abord des conditions de vie assurées ; Flandin y possède des propriétés (sans doute acquises par son père, Etienne Flandin, membre important du « parti colonial », qui fut sénateur de l’Inde et résident général en Tunisie). Ensuite l’Algérie est manifestement convertie à la Révolution nationale, ce qui lui convient. Il se trouve aussi qu’il y rencontre de nombreuses et vieilles connaissances comme André Mallarmé, professeur de Droit, député puis sénateur d’Alger, ancien ministre ou Paul Saurin, grand notable de l’Algérie française, maire et conseiller général de Rivoli, député, membre de l’Alliance démocratique où il a soutenu sans relâche Pierre-Étienne Flandin qui la préside de 1933 à 1940. On ajoutera à ces Français d’Algérie des hommes politiques venus comme lui de métropole trouver refuge à Alger. C’est le cas de Marcel Peyrouton ; juriste, haut fonctionnaire, apprécié de Flandin avec lequel il entretient des relations confiantes, il a figuré dans le court gouvernement que ce dernier dirige à Vichy. Enfin, Flandin semble servi par la chance. En novembre 1942 intervient le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord, évènement qui ne peut que le rassurer sur la suite des événements tant il est apprécié dans les milieux politiques anglo-saxons, en particulier par Winston Churchill avec lequel il a tissé des relations très cordiales, Churchill qui ne le lâchera jamais. Les conditions semblent donc on ne peut plus propices à la reprise d’activités politiques dont il est si friand. Le projet qu’il caresse et qu’il partage avec nombre de politiciens réfugiés comme lui en Algérie est de préparer la libération, qui semble désormais imminente, du territoire national par les alliés et l’armée d’Afrique. Il s’agira, en s’appuyant sur la loi Treveneuc de 1872, de prendre immédiatement dans le sillage des libérateurs le contrôle du territoire et d’en confier la gestion à des gens sûrs en évitant qu’elle ne soit confisquée par une résistance métropolitaine qui inquiète Alger. Malheureusement ce château de cartes s’écroule avec l’arrivée de de Gaulle en mai 1943 et l’installation du CFLN à Alger. De Gaulle ne peut épargner des personnalités qui, ayant servi Vichy et participé à la collaboration, sont totalement inacceptables, que ce soit pour la résistance locale qui se réjouit des poursuites désormais lancées « à l’égard du sinistre Pétain et de ses odieux complices, les traîtres de Vichy »9 ou la résistance métropolitaine. Ces personnalités sont donc poursuivies et sanctionnées. Flandin, qui jouit de certaines protections, notamment anglaises (Churchill, Macmillan…), mais aussi françaises (Le Troquer, Queuille), échappe un moment aux poursuites avant d’être finalement interné en décembre 1943. Il reste emprisonné quelques mois en Algérie avant d’être transféré début octobre 1944 à Fresnes. Il y rencontre nombre de personnalités éminentes (comme Vallat, Bergeret, Carcopino, Pierre Benoit…) dans des conditions de détention rigoureuses.
Il est jugé en juillet 194610, ce qui est sans doute une chance pour lui tant il est vrai que la situation politique est nettement moins tendue que celle qui présidait aux premiers procès de l’épuration. Il est condamné à cinq années de dégradation nationale, mais bénéficie simultanément d’une absolution obtenue par ses avocats grâce à des témoins faisant acte de services rendus à la résistance (on retiendra que seuls des témoins à décharge seront produits lors de ce procès). Ce qui l’intègre à la cohorte des Vichysso-résistants.
Flandin sort exténué d’une détention lourdement anxiogène. Ne serait-il pas temps désormais de mettre un terme à une carrière déjà bien remplie d’autant que sa réputation est tout de même ternie malgré l’absolution dont il a bénéficié — il ne cessera d’ailleurs jamais de revenir sur une épuration dont il dénoncera souvent les excès en particulier en 1948 au Banquet des Mille — et qu’il est en théorie inéligible ? De retrouver Domecy et le calme de sa campagne morvandelle ? Certes ; mais tout bien réfléchi pourquoi se retirerait-il ? Il a payé de deux années de prison son adhésion à la Révolution nationale et un tribunal l’a absous en toute légalité. Même si son village lui est cher, il ne se voit guère abandonner cette vie trépidante que lui offre une carrière politique. Ce dernier choix qui se dessine dès sa sortie de prison confirme bien l’incompressible passion que Flandin éprouve à l’exercer. Encore faut-il repartir au combat muni d’atouts suffisants. La presse qu’il a abreuvée d’articles et de chroniques avant-guerre lui est désormais à peu près totalement fermée. S’ajoute à cela la disparition du théâtre politique de beaucoup de ses amis parlementaires compromis avec Vichy, localement ou au niveau national. Reste son parti, l’Alliance démocratique, désormais dirigée par Marcel Ventenat. Mais, déjà en perte de vitesse avant la Seconde Guerre mondiale comme le démontrent les élections de 1932 et 1936, elle semble, malgré les efforts de ses militants et cadres, peiner à retrouver le poids et l’influence dont elle jouissait avant le conflit. Elle est de plus fortement touchée dès la libération par l’épuration qui sanctionne certains de ses dirigeants et élus. Enfin, elle ne parvient pas à se départir de handicaps qui la minaient déjà avant-guerre : une animation sur le terrain sans envergure et inadaptée aux masses, un financement incertain et considérablement compromis, des divisions certes déjà connues avant 1939, mais réamorcées au début de la Quatrième République, divisions entre factions rivales regroupées derrière des personnalités marquantes comme Reynaud et Flandin par exemple. Quant à son programme, le parti ne le renouvelle guère. Fidèle à sa tradition libérale et anti-étatiste, dépositaire d’un anticommunisme et antisocialisme militant, partisane de politiques budgétaires rigoureuses et arrimée à la défense du franc, attachée à un empire colonial idéalisé, l’Alliance semble figée dans une vision passéiste des choses et peu adaptée au monde nouveau-né de la guerre. On comprendra que cette formation politique affaiblie ne puisse exercer une forte attraction. Parti de notables plus que d’électeurs, elle marque le pas. En 1948, elle compte encore localement dans ses rangs des maires et des conseillers généraux, mais seulement quatre députés (dont deux Icaunais, Chamant et Moreau) et un conseiller de la République. On peut comprendre que beaucoup de militants désorientés se dirigent vers des partis nouveaux comme le Parti républicain de la liberté (PRL) ou le Centre national des indépendants et paysans (CNI(P)). L’Alliance, affaiblie, s’intègre d’ailleurs au Rassemblement des gauches républicaines (RGR) dès 1946.
Quelle place véritable occupe Flandin dans ce parti à la recherche de son passé ? En fait, même si Marcel Ventenat en assume de fait la direction, Flandin, dirigeant désigné par acclamation au congrès de 1948, y jouit d’un prestige considérable. Son parti, bien que diminué, lui offre par ses congrès une tribune d’où il s’adresse aux Français. Retenons celui organisé à Lyon en 1952 : Pinay, dont le fief électoral de Saint-Chamond n’est pas si loin, est alors à la tête du gouvernement, ce qui montre tout de même combien l’Alliance conserve quelque influence malgré son déclin électoral. Les relations entre ces deux personnalités marquantes du centrisme ont toujours été superficielles. Mais, dans une brillante allocution, Flandin loue sans réserve les mesures de Pinay — mesures dont on peut penser qu’il regrette amèrement de ne pas avoir à les appliquer lui-même — les démontrant comme indispensables au rétablissement de l’ordre financier, économique, social et politique voire moral dont la France a tant besoin.
Mais un vrai retour en politique ne peut se réaliser que s’il est accepté et soutenu par l’opinion publique et plus encore par les électeurs. C’est la raison pour laquelle Flandin se décide à franchir le Rubicon électoral. Localement, c’est l’accès au conseil général qu’il guigne (les élections municipales ne sont pour lui qu’une formalité). Flandin ne peut se présenter aux deux premiers scrutins de l’après-guerre, ni en septembre 1945 — il est à cette date emprisonné — ni en mars 1949 — il juge à juste titre que le moment n’est pas encore venu. C’est son frère Charles-Etienne, médecin des hôpitaux à Paris, mais possédant domicile à Cure qui se présente. Proche de centre gauche radical, apprécié localement, conseillé avec précision par son frère qui lui désigne les communes et les électeurs stratégiques, il remporte haut la main les deux scrutins et assure la permanence du nom Flandin à Auxerre. Mais, en 1955, Pierre-Etienne estime pouvoir poser sa candidature. Celle-ci ne passe pas inaperçue. Elle soulève l’indignation d’une partie de l’opinion publique locale et nationale. C’est cette émotion que le PC tente d’exploiter. Il se trouve que le seul candidat engagé contre Flandin dans ce combat électoral, René Léger, retraité de la RATP, est communiste. Moyennant quoi le Bureau politique, sans doute dubitatif sur les chances de son candidat face à un concurrent comme Flandin dans son propre fief, délègue Raymond Guyot pour muscler sa campagne. Le 13 avril, à Vézelay, Guyot délivre un discours de combat très mobilisateur, discours qui — et c’est ce qui en fait son originalité — en appelle, contre Flandin, « l’homme de la trahison nationale », au rassemblement de tous les Français, ranimant ainsi des valeurs portées par le parti communiste et la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Flandin, manifestement inexpugnable à l’échelon local, est pourtant élu avec 67 % des voix.
Mais l’est-il au niveau national ? Les élections sénatoriales confiées aux notables locaux semblent nettement moins risquées que les élections législatives. Flandin se lance en 1952. Les conditions paraissent favorables, ce que souligne la presse nationale. Les élections de 1951 ont confié la direction du pays à la droite dont l’homme fort dans l’Yonne est Jean Moreau, ministre dans le gouvernement Pinay, maire, conseiller général et député d’Auxerre. Pourtant Flandin est battu et sa défaite est inquiétante à deux titres : d’une part elle est arithmétiquement large et par ailleurs les deux sénateurs nouvellement élus partagent en tout point ses valeurs et ses choix politiques. L’Yonne envoie donc un signal clair : elle reste à droite, mais ne veut pas de gens trop compromis avec Vichy et le monde d’avant-guerre. Flandin devra se contenter d’un ancrage local avec ses fonctions de maire et de conseiller général.
Il meurt en juin 1958 alors que se construit dans une atmosphère délétère la Cinquième République. La question de savoir si l’installation du nouveau régime eût pu relancer sa carrière ne se pose guère compte tenu de ses échecs antérieurs cités plus haut, de son âge, de la profonde lassitude éprouvée par une épouse qui n’aspire qu’à la tranquillité et enfin de l’usure générée par des épreuves personnelles, la plus cruelle étant en 1955 le décès de son fils dans un accident d’avion qui l’ébranle profondément. Il est vraisemblable que cette fois Flandin aurait abandonné toute prétention à un destin politique national.
Voilà Flandin sorti de la politique… mais y aurait-il une autre forme de sortie qui serait celle qui affecte l’image, la mémoire collective d’un individu, d’un homme politique en particulier ? Dans les années qui suivent sa mort, son image n’est pas officiellement contestée, bien au contraire. On retiendra l’hommage que lui rend une foule nombreuse lors de ses obsèques à Cure, le 17 juin 1958, ainsi que les allocutions prononcées par les personnalités présentes, notamment celle du préfet de l’Yonne qui, au terme d’un très déférent discours à « l’éminent homme d’État » que fut Pierre-Etienne Flandin, évoque le souvenir d’« un grand Français n’ayant jamais transigé avec ce qu’il considérait comme son devoir ». Il rappelle au passage certaines phrases prononcées le 10 juillet par l’ancien Président du conseil adjurant les parlementaires présents de se saisir de l’importance des enjeux, de ne « pas perdre (…) l’âme de la France, si nous voulons que la France se maintienne partout vivante et unie », de se persuader enfin que « nos divisions doivent cesser en présence de la situation où nous nous trouvons. » Même en prenant en compte le contexte de l’intervention du préfet — la nécessité pour le nouveau régime de rassembler autour du général de Gaulle l’ensemble des droites — on admettra que la louange est très prononcée. Mais d’autres points sont à mettre en avant qui montrent combien la mémoire « officielle » ne lui est pas hostile. Une salle Flandin est créée au musée municipal d’Avallon alimentée par la famille en documents divers, lettres, photos, caricatures, articles de presse ; et la même ville accueille une rue Flandin dans la zone urbaine sortie de terre dans les années 60. Enfin son neveu Paul Flandin assure la permanence du nom dans le Vézelien avec des mandats locaux de maire et conseiller général. De plus il s’attelle à la création du Parc naturel du Morvan en 1970, ce qui lui vaudra — ainsi qu’au patronyme Flandin — une certaine popularité. Quant à la relève politique au niveau national et départemental, elle est indirectement assurée par Jean Chamant dont la longue carrière, les choix politiques, le cumul des mandats (il y ajoute toutefois une présence au Sénat), la puissance des réseaux et la carrière ministérielle rappellent à plus d’un titre celle de son célèbre prédécesseur. Cette proximité entre les deux hommes sera d’ailleurs sanctionnée par une alliance matrimoniale réunissant des membres des deux familles. Jusqu’à la fin des années 80, il apparait donc que Flandin ne souffre d’aucun opprobre particulier même s’il est l’objet d’un rejet radical dans les milieux entretenant le souvenir de la résistance. Mais tout se brouille dans les décennies qui suivent sous l’influence d’une analyse renouvelée du régime de Vichy et de la collaboration par nombre d’historiens. Le vent tourne ce qui vaut à la commémoration post mortem d’être revue à la baisse. La salle du musée est fermée en 2010 officiellement pour accueillir des dons d’un grand intérêt ce qui est avéré… mais des rumeurs circulent sur les nombreuses protestations de personnalités locales ou de visiteurs qui auraient été choqués de voir un homme de Vichy honoré ainsi. Et au printemps 2017, la rue Flandin (inconnue d’une très large majorité d’Avallonais) est rebaptisée au profit de la députée britannique Joe Cox, quant à elle totalement inconnue des populations locales, assassinée par un militant d’extrême droite dans son pays. C’est là, d’une certaine façon, la sortie définitive de Flandin d’une carrière politique que son adhésion au pétainisme a condamnée.
Pierre-Etienne Flandin, figure de la droite française de l’entre-deux-guerres, fait un mauvais choix politique aux débuts de l’Occupation en votant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain puis en dirigeant le gouvernement à Vichy de décembre 1940 à février 1941. Emprisonné à la Libération, il est déclaré inéligible. Il tente un retour politique à partir de 1948 avec le soutien d’anciens fidèles de son parti, l’Alliance démocratique, et l’appui d’autres épurés. Il rate les sénatoriales de 1952 et doit se contenter d’un siège de conseiller général en 1956. Il illustre ces sorties politiques imposées et impossibles.
Pierre-Etienne Flandin, a figure of the French right of the 1930s, made a bad political choice at the start of the Occupation by voting full powers to Pétain then by leading the government in Vichy from December 1940 to February 1941. Imprisoned upon Liberation, he was declared ineligible. He attempted a political comeback from 1948 with the support of former followers of his party, the Alliance démocratique, and the support of other purged members. He missed the senatorial elections of 1952 and had to settle for a seat as conseiller général in 1956. He illustrated these imposed and impossible political exits.