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La fin de carrière politique de Jean-Pierre Chevènement

Au soir du 21 avril 2002, au terme d’une campagne électorale au cours de laquelle il a prétendu réconcilier la République et la Nation tout en faisant « turbuler le système », Jean-Pierre Chevènement qui a un moment fait figure de troisième homme dans la course à l’Élysée, enregistre un score décevant de 5,3 %. Faute de stratégie adaptée, « le projet chevènementiste s’effondra comme un château de cartes »1. Face au « krach civique » (qu’il avait vu venir) que représente le second tour Jean-Marie Le Pen — Jacques Chirac2, il appelle ses sympathisants à voter pour ce dernier. Ayant toutefois perdu presque tous ses soutiens à droite et ayant échoué à se rapprocher du Parti socialiste (PS), il perd également les sept élus du Mouvement des citoyens (MDC) au Palais Bourbon au soir du second tour des législatives le 16 juin suivant. Jean-Pierre Chevènement lui-même est battu par Michel Zumkeller (Union pour un mouvement populaire [UMP]) dans le Territoire de Belfort :

À l’été un moment de désespoir me traversa : jamais armé de mon seul courage, je ne pourrais remonter la vague d’opprobre qu’une campagne de stigmatisation bien conduite attachait à mon nom comme celui qui aurait empêché L. Jospin d’être présent au second tour et bien sûr d’être élu. … Pour la première fois je doutai, car j’avais voulu ouvrir un chemin en me portant candidat, et ce chemin s’était refermé apparemment sans espoir3.

Minoritaire devenu marginal à gauche depuis son départ du gouvernement de Lionel Jospin en août 2000 suite à leur affrontement sur le dossier corse, il apparait désormais comme le principal responsable de sa défaite en 2002. Malgré la campagne de presse hostile menée par Le Monde de Jean-Marie Colombani, l’homme d’État à la culture encyclopédique, qui reste maire de Belfort décide, à 63 ans, de « penser autrement (son) rapport à la politique » et, « comme par instinct », de « remonter à cheval » :

[…] un grain de sable, le 21 avril, m’avait fait trébucher, mais c’était à mes yeux, un accident de parcours. Il ne remettait en rien en cause les combats de fond qui structuraient depuis deux décennies mon engagement contre l’installation d’un capitalisme financier dérégulé et mondialisé […] et contre l’Europe de Maastricht, mal pensée, mal foutue et grosse de déséquilibres de toute nature. Il me suffisait donc de reprendre le fil des combats autour desquels j’avais construit mon action politique. Enfin et surtout la lutte continuait pour la République et pour la France, dont je n’oubliais pas qu’elle comportait un petit coin, Belfort, où je me sentais chez moi et où j’entendais bien garder le dernier mot4.

C’est qu’en raison de ses engagements de jeunesse, de sa conception collective de l’action politique, il avait moins « calibré sa carrière » pour se faire élire président de la République que pour « influer durablement sur l’orientation de la vie politique française » et faire pencher la balance aux moments décisifs dans le sens de ce qui lui paraissait être « l’intérêt supérieur du pays ».

Trois pistes nous paraissent devoir être successivement explorées pour comprendre et expliquer les vingt dernières années de l’itinéraire d’un homme dont le combat des idées a toujours fait corps avec le combat politique. D’abord, la Fondation Res Publica, reconnue d’utilité publique en 2005, Think Tank (groupe de réflexion) politique qu’il préside jusqu’en 2021 tout en maintenant une intense activité d’écriture ; ensuite, celle de l’élu du Territoire de Belfort puisqu’il reste maire de Belfort jusqu’en 2007 et président de la Communauté d’agglomération belfortaine avant de devenir Sénateur (2008-2014) ; et, enfin, celle des missions qui lui sont confiées tant à la tête de la Fondation de l’Islam de France qu’en Russie auprès de Vladimir Poutine.

Réfléchir pour alimenter le débat public

La genèse de la Fondation Res Publica s’inscrit dans le contexte post 2002 de sa défaite à la présidentielle suivie de sa défaite aux législatives de Belfort. Faisant le double constat de l’incapacité des partis politiques à mener une réflexion sérieuse sur la situation de la France dans le monde et de sa mise au ban de la gauche qui rend impensable la création d’un pôle intellectuel au sein de cette dernière, il a l’idée de créer un Think Tank qui serait reconnu d’utilité publique à l’instar des fondations Gabriel Péri, Jean Jaurès, Robert Schuman ou de la Fondation pour l’innovation politique.

Souhaitant alerter et mobiliser l’opinion publique quant aux menaces déstabilisatrices que représente la guerre d’Irak, il organise le 1er mars 2003 dans le cadre du Club République moderne, créé en 1983 pour procéder à l’aggiornamento républicain de la gauche, mais devenu centre de réflexion généraliste, un colloque intitulé « Les États-Unis et le reste du monde ». Grâce à son carnet d’adresses, au concours de Samir Naïr qui préside le groupe Machrek au Parlement européen et de Jean-Yves Autexier, le casting est prestigieux. Du côté français Régis Debray, deux anciens ministres des Affaires étrangères (Hubert Védrine et Jean François-Poncet), deux anciens ambassadeurs à l’ONU (Alain Dejammet et François Bujon de l’Estang) ; côté américain, Simon Malley (ancien conseiller de Bill Clinton pour le Moyen-Orient), l’historien Immanuel Wallerstein, l’ancien ministre libanais des Finances George Corm) ; côté israélien Shlomo Ben Ami, ancien ministre des Affaires étrangères. Sont également présents d’anciens ministres espagnols, divers intellectuels allemands, russes ou chinois… bref « le gratin de ce qu’on pouvait réunir à ce moment-là sur un sujet qui concentrait l’attention du monde et en disait long sur l’hubris de l’hyperpuissance »5. Conclusion ? La guerre d’Irak est une erreur par laquelle Georges W. Bush va enliser l’Amérique au Moyen-Orient.

Ce colloque préfigure ceux de la future fondation qui prend d’abord la forme d’une Association de préfiguration née en dehors de tout mécanisme/clivage partisan et dans laquelle deux proches de J.-P. Chevènement jouent un rôle fondamental. D’abord son ami Alain Dejammet avec qui il a fait ses classes à Belfort au 35e Régiment d’infanterie avant de le retrouver en Algérie puis à l’Ecole nationale d’administration (ENA). Diplomate, A. Dejammet a été Ambassadeur à l’Organisation des Nations unies (ONU) dans les années 1990. Ensuite, Jean-Yves Autexier : né en 1950, ce dernier a adhéré très tôt à la section du PS de Sarcelles et au Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (CERES), considérant alors Chevènement comme un « personnage stendhalien aux idées claires qui considère de manière lucide ce que doivent être les rapports avec le PC, à savoir la nécessité de conclure un accord de gouvernement pratique en lieu et place d’un sempiternel dialogique idéologique, afin de gagner les élections tout en inversant le rapport de force à gauche »6. C’est en 1975, à l’issue de son service militaire, qu’il rencontre finalement J.-P. Chevènement au sein de la Commission Défense du PS alors divisée en deux camps : d’une part les amis de Charles Hernu et de la Convention des institutions républicaines ; de l’autre, les chevènementistes partisans du « tournant nucléaire » et d’une politique intelligente envers les officiers et sous-officiers, deux ans après le coup d’État au Chili. Auteur de notes pour Chevènement, il devient assistant parlementaire de Georges Sarre tout en étant titulaire de mandats électifs à Sarcelles et dans le Val-d’Oise, etc. Élu député de Paris (1988-1993), il quitte le PS en 1992, en désaccord avec le soutien du PS à la guerre du Golfe et au traité de Maastricht pour devenir secrétaire national du Mouvement des citoyens puis du Mouvement républicain et citoyen jusqu’en juin 2008. En 1997, il rejoint le cabinet de J.-P. Chevènement à l’Intérieur avant de devenir Sénateur de Paris en 2000. Son mandat s’achevant en septembre 2004, il dirige d’abord l’Association de préfiguration puis la Fondation Res Publica de 2005 à 2010.

Reconnue d’utilité publique et installée rue de Bourgogne, cette dernière a pour objectif :

[…] la réflexion, l’analyse et la capacité́ de proposer des choix de politiques publiques, face aux grands enjeux nationaux et internationaux. Sa perspective est celle d’une évolution vers un dialogue réel des cultures et des nations, dont la traduction politique est la multilatéralité dans la prise de décision et la conduite des actions les plus conséquentes pour l’avenir du monde. Dans le même esprit, elle mène une réflexion constructive à propos des grandes questions de société́, fondée sur l’exigence et l’actualité́ d’un modèle républicain pour le XXIe siècle7.

À partir d’un programme de travail préalablement défini par le Conseil scientifique, la Fondation dont la coordination est assurée par le directeur et par une équipe d’animation resserrée, organise des colloques et des débats rassemblant des experts prestigieux tout en produisant régulièrement, ou à la demande, des notes et des dossiers intéressant les pouvoirs publics, les institutions européennes, les États ou les entreprises.

Vingt-deux ans après le colloque et la loi d’orientation et de programmation de 1982 sur la recherche et le développement technologique, la première manifestation organisée par la Fondation a lieu dès septembre 2004 : la thématique « Recherche et mondialisation » est l’occasion pour l’ancien ministre de la Recherche et de l’industrie entouré de ses collaborateurs de l’époque d’analyser la « crise d’identité »8 que traverse la recherche française. Parmi les enjeux abordés par la Fondation, on peut repérer des questions thématiques (approvisionnement énergétique, question agricole et alimentaire, avenir du dollar, régulation des échanges, par exemple), géopolitiques (l’Asie du Sud-Est entre ses géants, l’avenir des Balkans, du Moyen-Orient, le devenir de l’Afrique), l’évolution des institutions et de la société́ française (inégalités, école et société́ du savoir, entreprises et territoires, problèmes clés des institutions, finances publiques, système politique et médiatique, etc.). En 2009, quelques mois après le déclenchement de la crise financière de 2008 qui semble donner raison aux arguments qu’il a développés sept ans plus tôt dans son discours de Vincennes, J.-P. Chevènement trace quatre axes de réflexion pour la Fondation.

  1. La refondation européennetant du point de vue politique (« Poser le problème de la démocratie au niveau de l’Europe revient à admettre la réalité des nations européennes et à reconnaitre que c’est dans le cadre de la nation que s’exerce d’abord la démocratie »9), économique (définition d’un gouvernement économique de la zone euro, une politique européenne de l’énergie, une politique commerciale fondée sur une concurrence équitable), la relation franco-allemande, la relation que nous devons entretenir avec la Russie (acteur clé pour l’avenir européen, non seulement pour nos approvisionnements énergétiques, mais pour l’équilibre d’un monde multipolaire, n’est pas moins importante).

  2. La révision du rôle de l’Étatpensé comme outil de l’intérêt général auxquels les changements en cours assignent de nouvelles responsabilités (« Devra-t-il être le pompier qui éteindra les feux dans l’urgence avant de se retirer ? Ou doit-il jouer un rôle plus actif, stratège et anticipateur, pour un pilotage de long terme ? »).

  3. L’analyse des phénomènes marquants du désordre mondial (évolution du commerce international à travers les échecs répétés des cycles de l’OMC, régulation du système monétaire international, etc.). La cohésion d’un ensemble européen et euro-méditerranéen : mise en valeur des convergences possibles en matière de droit, d’administration, de service public, d’éducation, d’intégration et d’accès à la citoyenneté et construction de projets permettant un rapprochement concret.

  4. L’approfondissement des concepts clés du modèle républicain (nationalité fondée sur la citoyenneté, intégration, laïcité, éducation civique, mission fondatrice de l’École, Égalité de tous devant la loi, prévalence de l’intérêt général, organisation territoriale équilibrée, garantie des libertés publiques, définition et rôle des services publics, civisme versus « montée des communautarismes », etc.), ainsi que le développement, à partir de ces notions, du dialogue entre les cultures et entre les nations.

Les manifestations organisées par la Fondation nous permettent de prendre la mesure de la nature du « réseau Chevènement » : malgré sa marginalisation politique, il peut toujours compter sur un noyau dur de « chevènementistes » auquel s’ajoutent, en plus des « experts », quelques hommes ou femmes politiques intéressés par le débat d’idées10. Les rapports qui voient le jour illustrent également son souci constant de fonder l’action politique sur une connaissance du monde et un effort collectif et systématique de réflexion de haut niveau. Témoignant de la cohérence d’une « autre politique », ils sont lus dans les cabinets ministériels ainsi que par quelques parlementaires intéressés par autre chose que leur circonscription. Toutefois la question de leur audience et des retombées à plus long terme reste entière.

Parallèlement, J.-P. Chevènement a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2004. Il doit beaucoup à l’éditeur Claude Durand (1938-2015)11, qu’il connait depuis 1969 et la publication de Socialisme et Social-médiocratie sous le pseudonyme de Jacques Mandrin. Il lui propose de publier Défis républicains qui paraissent « à chaud » chez Fayard en 2004. Suivent Pour l’Europe votez non ! (Fayard, 2005), La faute à M. Monnet (Fayard, 2006), La France est-elle finie (Fayard, 2011), Sortir la France de l’impasse (Fayard 2011), Le monde qu’on leur prépare (Plon 2011), 1914-2014, l’Europe sortie de l’Histoire (Fayard, 2013), Un défi de civilisation (Fayard, 2016), Passion de la France (Laffont, 2019), Qui veut risquer sa vie la sauvera (Laffont, 2020). Que retenir de cet ensemble impressionnant ? D’abord, son goût pour l’histoire avec notamment une prédilection pour la Révolution française, la Résistance, et les racines de cette « crise matricielle qu’a été la Première Guerre mondiale ». Ensuite que la parution de plusieurs de ces ouvrages coïncide avec des campagnes électorales et/ou de grands débats publics français. C’est le cas en 2005, lorsqu’il prend une part active à la campagne du « Non » lorsque J. Chirac soumet le projet de traité constitutionnel élaboré par la Convention présidée par Giscard au référendum au printemps. Le PS est divisé : Dominique Strauss-Kahn prend parti pour le « oui », Laurent Fabius pour le « non » et J.-P. Chevènement publie Pour l’Europe Votez non ! tout en multipliant les meetings avec le MDC. Pour la première fois, les réseaux sociaux entrent dans la partie. Le « non » l’emporte avec 55 % des voix… mais le traité de Lisbonne adopté en 2008 passe outre la volonté des Français. Par la suite, il s’intéresse beaucoup aux fondements idéologiques de la construction européenne. C’est à nouveau le cas en 2011 (les trois ouvrages publiés dans la même année sont de réels succès de librairie) alors que la perspective de l’élection présidentielle de 2012 se profile. Il publie notamment Sortir la France de l’impasse. Dans une première partie, il aborde « L’Europe à refaire » : impasse du projet européen de la France (démocratie au déni, concours flous et volonté absente), Allemagne au sommet de l’Europe ; le capitalisme financier globalisé comme nouveau Frankenstein (méfaits de la dérégulation, rechute, le capitalisme financier contre les États) ; la crise de la monnaie unique (vice constitutif, saut fédéral irréaliste, fissures dans l’orthodoxie) ; l’Europe européenne à bâtir12. Dans une deuxième partie « Remettre debout le peuple français », il souhaite rendre au peuple français sa fierté en combattant l’antipopulisme de ses élites (crise de la démocratie passe par l’école, les médias et l’abandon des valeurs républicaines) ; réussir l’intégration, etc13. Dans une troisième partie « ce qu’on doit attendre du prochain président de la République » : il est question de redonner confiance à la France (École, Nation, nationalité, immigration et communautarisme, nucléaire comme atout), de restaurer son influence notamment vis-à-vis de l’Allemagne.

Enfin, ses deux derniers ouvrages témoignent d’une volonté de fixer pour la postérité son action d’homme d’État auquel l’Histoire aurait donné raison. Dans Passion de la France (2019, Laffont, Bouquins), plutôt qu’un choix de livres sélectionnés, il présente au lecteur « les moments forts de son expression » tels qu’il les discerne tout au long de 50 ans de vie politique pendant lesquels il a mêlé étroitement la réflexion et l’action. Il choisit de regrouper des extraits de ses textes essentiels par grands thèmes pour « illustrer sa philosophie et sa vision du monde ». Il retient les domaines où il s’est illustré par son action de ministre et les concepts qui ont donné sens à son engagement (la Nation et la République, l’État et le citoyen, etc.) et qui structurent son « patriotisme républicain, seul rempart efficace à ses yeux contre les régressions identitaires »14. « Passion de la France » s’entend dans un double sens :

Celle que j’éprouve pour mon pays et pour sa langue — médiation vers l’universel —, mais aussi passion au sens christique du terme, celle de la France dont les repères, depuis 1940 ont été brouillés et dont le récit national doit être reconstruit à la lumière d’une conception plus exigeante de l’Histoire et de la vérité15.

En 2020, Qui veut risquer sa vie la sauvera (2020) lui permet de parachever la statue du commandeur en mettant en avant sa dimension d’homme d’État, son exigence morale.

Jusqu’au bout, J.-P. Chevènement restera donc un homme politique qui pense (et pas un intellectuel en politique comme on peut le lire parfois) pour lequel l’action doit reposer une connaissance précise du monde — figure assez rare dans la France du début du 21e siècle. L’Histoire lui donne d’ailleurs raison sur un certain nombre d’enjeux comme la désindustrialisation16, l’hégémonie allemande en Europe, la relance du programme électro-nucléaire français ou la nécessité de réaffirmer les valeurs de la République.

« Ce petit coin de France où j’entendais bien garder le dernier mot »

Après le MDC, formation ultra-minoritaire lancée en 1993 alors que, contrairement aux conseils de son ami Philippe Seguin, il venait de faire le choix tactique de quitter le PS, entamant ainsi une marginalisation par paliers, J.-P. Chevènement lance en janvier 2003 avec quelques rescapés du Pôle républicain de 2002, le Mouvement républicain et citoyen (MRC). Il a beau ne s’être jamais vraiment intéressé à la structuration et la vie des partis — « ces derniers sont pour lui des moyens contrairement à d’autres hommes politiques de gauche qui réfléchissent moins, mais ne ratent jamais une Fête de la Rose »17 — il doit pouvoir compter sur des équipes, mailler le territoire et disposer de quelques moyens grâce aux investitures, etc. C’est qu’en politique, la parole ne suffit pas, il faut essayer d’établir des rapports de force. Si jusqu’à son départ du mouvement en juin 2015, il peut ainsi compter sur quelques élus dont le nombre décroissant illustre la réduction progressive de l’espace du chevènementisme sur l’échiquier politique, il reste en revanche l’élu incontournable du Territoire de Belfort.

Au lendemain de la présidentielle de 2002, il n’a, en effet, plus que deux mandats locaux, celui de maire de Belfort et de président de la Communauté d’agglomération belfortaine (CAB) et plusieurs priorités sur son agenda. D’abord, l’avenir de l’entreprise Alstom que le rachat aussi coûteux qu’inconsidéré, en 1999, de la division turbines à gaz au groupe helvético-suédois ABB a mis au bord de la faillite (il reconnait le rôle positif de J. Chirac et de Nicolas Sarkozy, l’État montant au capital à hauteur de 1 milliard d’euros). Ensuite, la structuration dans les faits de la CAB (27 communes et 100 000 habitants), qui à la suite de sa loi de 1999 sur l’intercommunalité a remplacé le District en 2000 : l’entreprise « herculéenne et millimétrée » consiste « à partir des partages de compétences opérés entre les communes et la CAB, à définir les services qui seraient conservés par la ville de Belfort et ceux qui deviendraient des services communs ou partagés selon des clefs de financement méthodiquement calculées »18. Enfin, il doit influer sur les dernières tractations financières pour la ligne TGV Rhin-Rhône dont l’inauguration est prévue en 2011 et hâter le regroupement sur le site unique de Sevenans des deux hôpitaux de Belfort et de Montbéliard19. Son action d’élu local est d’autant plus compliquée qu’ici non plus « la vindicte du PS n’est pas éteinte »20. En 2007, il est battu aux législatives et l’année suivante, pour éviter de cristalliser sur son nom les oppositions aux élections municipales, il organise sa succession à la mairie tout en conservant la présidence de la CAB jusqu’en 2008.

À cette date, plusieurs maires importants de la CAB et du Territoire de Belfort (dont Christian Proust qui a été président du Conseil général pendant 22 ans ou Françoise Bouvier, maire d’Offemont) lui font valoir que le mandat de sénateur est à sa portée. Le président de la Communauté de communes du Sud-Territoire, Christian Rayot (maire et conseiller général de Grandvillars à qui il demande d’être son suppléant) fait pencher définitivement la balance en sa faveur. Alors que le mandat de sénateur du Territoire de Belfort a toujours échappé à son mouvement, il l’emporte face à Yves Ackerman, président socialiste du Conseil général du Territoire de Belfort qui avait succédé brièvement pour 15 jours à Michel Dreyfus-Schmidt décédé (« c’est aujourd’hui la journée du patrimoine. Les délégués sénatoriaux ont sans doute cru devoir voter, non pour Jean-Pierre Chevènement, mais pour un monument national »)21. Il va désormais parcourir les 200 communes du Territoire de Belfort chaque fin de semaine dans sa 308 Peugeot flambant neuve.

Malgré l’esprit de vindicte du groupe socialiste au Sénat, ce travail de sénateur lui plaît beaucoup pour deux raisons. D’une part, en raison d’un rapport au temps différent de celui du Palais Bourbon : « On a le temps d’y travailler les sujets de fond, à l’abri des micros et des caméras » ; d’autre part, en raison de l’extraordinaire richesse de la bibliothèque. Il s’inscrit dans le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) dans lequel se retrouvent des radicaux de gauche et des personnalités atypiques. Il contribue à en rédiger les statuts d’autant moins contraignants (liberté de vote et d’expression) qu’il « n’entend pas renoncer à son positionnement républicain ». Inscrit à la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées présidée par Jocelyn de Rohan (un ancien de la « promo Stendhal »), il en devient l’un des vice-présidents et se voit confier un rapport sur le « désarmement, lutte contre la prolifération nucléaire et la sécurité en France » qui l’occupe beaucoup en 2009 dans la perspective de la Conférence d’examen du traité sur la non-prolifération qui se tient tous les cinq ans. Il effectue donc de nombreux voyages, perfectionne sa culture nucléaire. Son rapport est adopté à l’unanimité des membres de la commission et à la quasi-unanimité des sénateurs. Parallèlement, il effectue de nombreuses missions d’études en Afrique, Inde, Pakistan, etc.

Juste avant de quitter le Sénat, il combat à la tribune la déformation de l’intercommunalité souple qu’il a voulu instituer en 1999 afin de créer « de nouveaux espaces de solidarité face à l’apartheid social »22. En effet, en 2014, F. Hollande fait relever de 5 000 à 15 000 le plancher de population nécessaire à la constitution d’intercommunalités, ce qui divise par deux leur nombre (1 250 au lieu de 2 600). Pour J.-P. Chevènement on substitue un maillage hiérarchisé « où les technocrates — directeurs généraux et ingénieurs — auront par la force des choses le dernier mot sur les élus » à des coopérations de communes où les maires maitrisaient le processus de décision, cela représente pour lui une réduction des libertés locales et la preuve qu’une fois de plus on fait des réformes pour « plaire à Bruxelles »23. Il combat ainsi toutes les initiatives (grandes intercommunalités de plus 50 ou 100 communes qu’il est impossible de faire travailler ensemble, métropoles semées à tout vent, trop grandes régions) qui souffrent à ses yeux d’éloigner les centres de décisions des citoyens.

Ce texte définissait des intercommunalités souples fondées sur le volontariat. Ces groupements ont permis de mener des politiques qui n’existaient pas auparavant en matière d’habitat, de développement économique ou d’environnement. Elles ont procédé à des investissements qui n’avaient pas pu être menés du fait de l’émiettement communal. Mais ces intercommunalités restaient des coopératives de communes à taille humaine. Depuis, un plancher a été fixé à 15 000 habitants. Des intercommunalités peuvent comprendre désormais une cinquantaine de communes, ce qui est excessif. On est passé de 2 650 EPCI à fiscalité propre selon la loi de 1999 à moins de 1 500. Je ne suis pas sûr que cela constitue un progrès. Dans ces nouvelles entités, le fonctionnement ne peut pas être démocratique. Ce mouvement n’est d’ailleurs pas porté par les élus concernés. Les préfets ont exercé un pouvoir discrétionnaire, critiquable du point de vue de la démocratie locale24.

C’est que pour J.-P. Chevènement, « La démocratie ne va pas sans la proximité. Tout se passe comme si au binôme républicain (communes-départements), on avait voulu substituer un autre binôme (intercommunalités régions) articulé à un échelon européen qui reste à définir »25.

Résolu dès le départ à ne pas solliciter, à 75 ans, le renouvellement de son mandat de sénateur lorsque ce dernier arrive à son terme en octobre 2014, il annonce sa décision lors de l’assemblée générale des maires du département le 24 juin non sans souligner qu’il ne renonce pas pour autant à poursuivre le combat des idées qui a toujours fait corps avec le combat politique.

Deux « idées-forces » pour le début du 21e siècle ?

En mars 2012, alors qu’il est encore sénateur du Territoire de Belfort, J.-P. Chevènement est nommé par Laurent Fabius Représentant spécial pour la Russie dans le cadre de la diplomatie économique du Quai d’Orsay. Quatre ans plus tard, en 2016, c’est au tour de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, de faire de lui le président de la Fondation pour l’Islam de France. En apparence sans lien l’une avec l’autre, ces missions permettent en fait d’illustrer deux idées-forces de J-.P. Chevènement (la troisième étant son combat contre l’idéologie néolibérale) : d’une part, celle d’une « Europe-européenne » à la fois indépendante des États-Unis et la Chine dont il souhaite éviter le rapprochement avec la Russie et capable de jouer un rôle à l’échelle mondiale ; d’autre part, celle d’un « ressourcement de l’idée républicaine » à laquelle « une partie de la composante arabo-musulmane est rétive à s’intégrer »26.

L’obsidionalité russe et « l’Europe-européenne »

En effet, admirateur de la culture et du peuple russe qu’il considère comme européen, J.-P. Chevènement a effectué au cours de sa carrière plusieurs voyages officiels qui lui ont permis de rencontrer de nombreuses personnalités politiques et auxquels se sont ajoutés des voyages privés en Union soviétique puis en Russie. Ces relations lui permettent en 2005 d’organiser à la Fondation Res Publica le colloque « Où va la Russie ? » en présence de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères depuis quelques mois, de Thierry de Montbrial, de Evgueni Kojokine (directeur de l’Institut russe de recherches stratégiques de Moscou), d’Alexeï Pouchkov (historien et journaliste avant d’être élu député à la sixième Douma en 2011), de Jacques Fournier (Conseiller d’État, ancien Secrétaire général du gouvernement) et de Vladimir Pozner (journaliste, à l’époque présentateur de l’hebdomadaire socio-politique « Les Temps » et président de l’Académie russe de télévision). Dans sa conclusion, il appelle à prendre en compte le contexte (thérapies de choc administrées à la Russie postsoviétique ayant entraîné un appauvrissement considérable, désintégration complète de l’État, etc.) avant de juger les initiatives de Vladimir Poutine pour restaurer l’État et moderniser l’économie :

Va-t-il réussir ? Je n’en sais rien. […] Nous sommes évidemment en présence d’un régime autoritaire, mais qui laisse place aux forces du marché dans l’ordre économique et à des formes d’opposition minoritaires et un peu dispersées dans l’ordre politique, et qui autorise enfin l’espoir que puisse se constituer dans l’espace russe un véritable état de droit27.

Nation « indispensable à la paix sur notre continent et à l’équilibre du monde », la Russie lui apparait alors avoir besoin de l’Europe autant que cette dernière a besoin de la Russie : « Rien ne serait plus dangereux par ailleurs que de laisser la Russie s’isoler derechef, et s’enfermer dans un état d’esprit obsidional qui creuserait à nouveau les fractures sur notre continent ». Ainsi en va l’équilibre européen et la paix dans le monde…

Représentant spécial pour la Russie, il est invité à prendre la parole à un colloque organisé par l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) en avril 2014, quelques semaines après la « révolution de Maïdan » et l’invasion de la péninsule de Crimée par la Fédération de Russie. Optimiste quant au devenir des relations franco-russes enracinées dans l’Histoire, il s’y déclare partisan de ramener la crise ukrainienne qui sera résolue par la voie politique « à sa véritable dimension » après avoir renvoyé États-Unis/Europe d’une part et Russie d’autre part dos à dos :

Ainsi, les États-Unis et l’Union européenne ne voient pas l’avenir autrement que comme l’extension indéfinie de leurs normes et de leurs standards économiques et politiques […] Toujours est-il que la Russie, se sentant poussée dans ses retranchements par un processus évidemment anticonstitutionnel, s’est crue autorisée à remettre en cause un principe fondamental du droit international : l’intégrité territoriale d’un État ; au nom d’un autre principe, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et d’un impératif stratégique vital, le contrôle de Sébastopol28.

Hostile à toute russophobie, la désescalade passe pour lui par un statut qui ferait de l’Ukraine « un pont entre l’Union européenne et la Russie » (fédéralisation ou décentralisation poussée en Ukraine, neutralité internationalement garantie sur le modèle de l’Autriche en 1955, remise à niveau économique, etc.).

Sa rencontre avec V. Poutine quelques semaines plus tard — le 5 mai — à Sotchi à la demande du président François Hollande (qu’il considère être prisonnier des inflexions données par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de N. Sarkozy, et des résistances de l’État profond) fait l’objet d’un compte rendu qui figure à la fin du volume censé illustrer les moments forts de son expression publique paru chez Laffont en 2019. Au cours de l’entretien qui dure deux heures quarante (il faut déduire le temps de traduction) en présence du seul conseiller diplomatique de V. Poutine29, J.-P. Chevènement met en avant des arguments économiques (réorientation des achats de produits pétroliers russes par les États-Unis et par l’Europe) qui plaident en faveur d’une reprise en main politique de la crise, mobilise sa connaissance fine de l’histoire russo- ukrainienne et souligne le rôle incombant à la Russie et à la France pour maintenir la stabilité en Europe. Pour le président russe, la crise découle de l’excessive subordination de l’Europe aux États-Unis, du « coup d’État » qui a abouti à la fuite de V. Ianoukovitch et de l’incapacité des dirigeants ukrainiens. Dans ses Mémoires il revient également sur cette rencontre après avoir souligné une nouvelle fois l’existence d’une « grille de lecture russe de l’Histoire » à l’origine d’une « mentalité quelque peu obsidionale »30. À l’automne 2014, il est à Moscou pour œuvrer à l’apaisement des relations bilatérales franco-russes mises à mal par le conflit ukrainien et par le dossier sensible des deux navires de classe Mistral dont la livraison a été suspendue par F. Hollande.

Dès mars 2022, soit quelques semaines après l’invasion d’une partie de l’Ukraine par la Russie qu’il qualifie de « sidérante absurdité »31, il craint l’enlisement et défend l’approche d’Emmanuel Macron qui maintient alors la porte ouverte au dialogue. À nouveau, il propose pour l’Ukraine un statut de neutralité comparable à celui de l’Autriche après la Deuxième Guerre mondiale alors que « dans le cadre de l’Europe, notre tâche à nous Français, sera de maintenir une indépendance du vieux continent par rapport aux deux hyperpuissances de demain que seront la Chine et les États-Unis »32.

L’Islam de France et le « ressourcement de l’idée républicaine »

En décembre 2016, J.-P. Chevènement est nommé Président de la toute nouvelle Fondation de l’Islam de France (FIF) dont le projet a été lancé par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve après les attentats de novembre 2015 pour relancer l’Islam de France, conformément au principe de laïcité qui distingue le culturel du cultuel33. Critiquée — beaucoup estiment qu’il vaudrait mieux promouvoir une personnalité issue du vivier musulman — cette nomination fait néanmoins sens au regard de son itinéraire, de l’Algérie à la place Beauvau en passant par son refus de la guerre du Golfe. En effet, il a passé plus de deux ans en Algérie (d’avril 1961 à juillet 1963 successivement au titre du service militaire puis comme stagiaire ENA à l’ambassade de France à Alger) qui l’ont transformé. Ayant présidé pendant longtemps le groupe parlementaire franco-algérien (il connait les régions les plus reculées du pays) puis, à partir de 2011, l’Association France-Algérie34, il a toujours considéré le destin de sa « deuxième France »35 « à la fois si proche et si lointaine » comme un enjeu immense et pensé que « la solution d’une partie des problèmes de la société française tenait à la capacité des pays du Maghreb à épouser la modernité »36. Par ailleurs, son intérêt pour l’islam en tant que religion est ancien — il est l’ami de Jacques Berque qui lui inspire l’idée d’un Islam de France détaché du contexte des pays d’origine des pratiquants et susceptible de donner confiance aux musulmans vivant en France —, ses voyages fréquents et sa connaissance fine du Maghreb, du proche et le Moyen-Orient du point de vue géostratégique lui confèrent une épaisseur peu commune sur ces questions. Le défi de « l’islam de France » s’impose toutefois à lui lors de son passage au ministère de l’Intérieur et de Cultes. Dans son discours de Strasbourg du 23 novembre 1997, il évoque deux enjeux majeurs : d’une part, la nécessité de trouver des modalités pratiques et un interlocuteur légitime, ou du moins considéré comme tel par le plus grand nombre des musulmans de France « l’État n’imposera pas ses choix. Ce n’est pas son rôle, il agréera ceux qui lui seront proposés » ; d’autre part, la création d’une institution de nature à accueillir des travaux de recherche propres à mieux faire connaître l’Islam en France37. Par la suite, constatant la division de la communauté musulmane en courants antagonistes d’obédiences étrangères, trouvant anormal qu’il n’y ait aucune instance représentative du culte musulman en France (ses prédécesseurs Pierre Joxe et Charles Pasqua s’y étant cassé les dents)38 et désireux d’agir sur le plan culturel, il lance avec Didier Motchane l’idée d’un Institut des hautes études islamique qui ne voit finalement pas le jour39.

Figure appréciée par le monde musulman et seul membre non-musulman parmi les cinq personnalités qualifiées, J.-P. Chevènement se voit ainsi confier plusieurs missions. Afin de « crédibiliser » la FIF dans le paysage musulman et d’éviter les querelles intestines dont l’islam de France a le secret, un conseil d’orientation composé d’une trentaine de personnes (chercheurs, professeurs, juristes, hommes et femmes de terrain, etc.) voit le jour. Dans un entretien à Orient magazine en 2017, il réaffirme le caractère profane d’une Fondation reconnue d’intérêt public : « notre vocation est culturelle, pédagogique, sociale ; elle n’est pas religieuse ». La FIF n’intervient pas dans la formation théologique, mais elle contribue à la formation profane à travers des diplômes universitaires où sont approfondis les principes de la République et où est expliquée la laïcité, elle finance des bourses, contribue au relèvement du niveau de l’islamologie en France également et, plus largement, souhaite illustrer comment la civilisation européenne — et particulièrement française — s’est faite au contact étroit du monde musulman, parfois dans un processus conflictuel40. Il s’agit également de consolider financièrement l’instance consultative en complétant le tour de table des fondateurs (SNCF et Aéroport de Paris)41. Quels sont les résultats ? On ne peut s’empêcher de constater la relative impuissance d’un J. -P. Chevènement qui, malgré son expérience et sa maîtrise des dossiers, n’a pas réussi à mobiliser les financeurs privés, s’est heurté à l’islam consulaire et à la paralysie du Conseil français du culte musulman. Néanmoins, la FIF a peu à peu trouvé son rythme de croisière en soutenant les formations à la laïcité des imams, en lançant un campus numérique Lumières d’islam, etc.42.

Au final, 20 années séparent la défaite de J.-P. Chevènement à l’élection présidentielle de 2002 de sa promotion au grade de commandeur de la Légion d’honneur par le président E Macron en octobre 2022. Son choix de quitter le PS, parti où il était minoritaire puis la perte successive de ses mandats et à la quasi-disparition du chevènementisme de l’échiquier politique ont entraîné sa marginalisation progressive même si les médias entretiennent le mythe d’un Chevènement-Cassandre. Dans un entretien accordé à Marianne à la veille de l’élection présidentielle de 2022, il reconnait en E. Macron — un ancien chevènementiste qui a un temps appartenu au MDC avant de faire lui aussi « turbuler le système » en 201743 — un homme d’État alors que la « gauche a perdu sa boussole idéologique depuis longtemps » et « que les leaders du Parti socialiste ne se sont pas aperçus que ce dernier n’existe plus »44. Interrogé sur le programme du candidat, il précise : « Je serai de toute façon plus en mesure d’influer qu’en m’enfermant dans une abstention boudeuse, comme le font beaucoup d’hommes de gauche sincères, par manque d’imagination et aussi parce que la gauche n’a pas fait le travail intellectuel nécessaire à toute réorientation de fond ». Ce ralliement est toutefois loin de lui avoir rapporté autant qu’il ne l’espérait : si la matrice chevènementiste est reconnaissable dans quelques rares orientations du second quinquennat — jusqu’à la déroutante diplomatie d’E. Macron à propos du conflit ukrainien au cours de l’année 2022 pour certains journalistes45 —, sa nouvelle formation Refondation républicaine inscrite dans la majorité présidentielle qui visait l’investiture d’une dizaine de candidats pour les élections législatives s’est retrouvée bredouille au soir du second tour. Alors au final, que reste-t-il ? Sans doute, et c’est déjà beaucoup, la cohérence d’une pensée politique républicaine qui articule une politique intérieure de justice sociale et de modernisation sous la houlette de l’État à une politique internationale d’indépendance, de construction européenne refondée et d’une France capable de parler au monde.

  • 1Richard Gilles, « La candidature de Jean-Pierre Chevènement à la présidentielle de 2002 : la République au péril de la Nation », dans Meltz Renaud et Boulat Régis (dirs), Jean-Pierre Chevènement, le dernier des Jacobins, Paris, Nouveau Monde, 2021, p. 133-157.
  • 2Chevenement Jean-Pierre, Une certaine idée de la République m’amène à…, Paris, A. Michel, 1992, p. 199-213 et Qui vaut sauver sa vie, Paris, Robert Laffont, 2020, p. 422-423.
  • 3Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 423.
  • 4Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 427.
  • 5Chevènement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 426.
  • 6 Entretien de l’auteur avec J.-Y. Autexier, 30 novembre 2022.
  • 7 Disponible sur : https://www.fondation-res-publica.org/Presentation-de-la-Fondation-Res-Publica-par-Jean-Pierre-Chevenement_a26.html [consulté le 30 mai 2024].
  • 8Chevenement Jean-Pierre, « Introduction » [en ligne], Recherche et mondialisation. Propositions pour la recherche française, Cahiers de la Fondation Res Publica. Disponible sur : https://www.fondation-res-publica.org/attachment/19049/ [consulté le 30 mai 2024].
  • 9 Disponible sur : https://www.fondation-res-publica.org/Presentation-de-la-Fondation-Res-Publica-par-Jean-Pierre-Chevenement_a26.html [consulté le 30 mai 2024].
  • 10 Il en quitte la présidence en 2021 (tout en restant Président d’honneur) remplacé par une proche, Marie-Françoise Bechtel, ancienne conseiller d’État et directrice de l’ENA, secondée par J.-Y. Autexier.
  • 11 Instituteur à 19 ans après être entré dans la vie active à 14 ans, il milite pour Pierre Mendès France et à la Ligue des droits de l’homme. Après avoir envoyé un manuscrit, il entre en 1958 comme lecteur au Seuil. Il publie des auteurs de gauche d’Amérique latine (Gabriel Garcia Marquez) et des pays de l’Est (Soljenitsyne). Directeur général des éditions Grasset en 1978, il passe chez Fayard en 1980. Publie Nuit zoologiques (1979, Prix Médicis). A accompagné des centaines d’auteurs, dont Elisabeth Badinter, Régis Debray, Max Gallo, Jacques Attali, etc.
  • 12Chevenement Jean-Pierre, Sortir la France de l’impasse, Paris, Fayard, 2011, p. 11-75.
  • 13Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2011, p. 77-114.
  • 14Chevènement Jean-Pierre, Passion de la France, Paris, M. Laffont, 2019, p. 7.
  • 15Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020.
  • 16Boulat Régis, « Le ministère de la Recherche et de l’Industrie (1982-1983) ou l’échec d’un projet industrialiste », dans Boulat Régis et Meltz Renaud (dirs), op. cit., 2021, p. 275-304.
  • 17 Entretien de l’auteur avec Jean-Yves Autexier le 22 novembre 2022 qui souligne par exemple qu’il n’avait même pas souhaité disposer d’un bureau dans son Q.G. pendant la campagne présidentielle de 2002.
  • 18Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 438.
  • 19 Sur tous ces aspects nous renvoyons à Lamard Pierre et Heyberger Laurent, « Jean-Pierre Chevènement élu du Territoire de Belfort ou comment relever les défis d’une ville moyenne à l’heure de la mondialisation », dans Boulat Régis et Meltz Renaud (dirs), op. cit., 2021, p. 305-324.
  • 20Chevenement Jean-Pierre, op.cit., 2020, p. 442.
  • 21Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 443.
  • 22Lucas François, « Jean-Pierre Chevènement » dans Aubelle Vincent et Kada Nicolas (dirs), Les grandes figures de la décentralisation, Paris, Berger-Levrault, 2019 ;Entretien de l’auteur avec F. Lucas le 23 novembre 2022.
  • 23Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 434.
  • 24 « Entretien avec Jean-Pierre Chevènement », Gazette de communes, 01 déc. 2017.
  • 25Chevenement Jean-Pierre, « Postface » dans Aubelle Vincent et Kada Nicolas (dirs), Les grandes figures de la décentralisation, op.cit.
  • 26Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 485-490.
  • 27Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. 1464.
  • 28Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. 1472.
  • 29Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. 1375-1486
  • 30Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 450-451.
  • 31Chevènement Jean-Pierre, « Comment empêcher une troisième guerre mondiale ? », Marianne, 8 mars 2022.
  • 32Marianne, n° 1308, p. 30-31.
  • 33 La Fondation est une partie seulement du projet de B. Cazeneuve qui envisageait également une Association cultuelle loi 1905 bénéficiant de privilèges fiscaux et, en accord avec les autorités musulmanes et l’appui de l’État, aurait reçu le monopole de l’abattage rituel en lieu et place des trois mosquées de Paris, Lyon et Evry.
  • 34 Créée le 20 juin 1963 par Edmond Michelet et Germaine Tillon avec le soutien du général de Gaulle, l’Association France-Algérie réunit des personnalités françaises convaincues que l’accession de l’Algérie à l’indépendance un an plus tôt pouvait déboucher sur une ère nouvelle entre deux peuples.
  • 35 Entretien de l’auteur avec le préfet François Lucas le 23 novembre 2022.
  • 36Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2020, p. 452.
  • 37Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. 1118-1128.
  • 38 Le premier a créé en décembre 1989 le Conseil représentatif de l’Islam de France composé de personnalités choisies, mais qui est vite balayé par d’incessantes rivalités ; le second s’est rabattu sur la Grande mosquée de Paris pour créer un Conseil consultatif des musulmans de France (1993) et élaborer une Charte des musulmans de France, mais l’initiative tourne court.
  • 39Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. 1131.
  • 40 Entretien de Jean-Pierre Chevènement avec Nadia Yafi pour Orient Magazine, 26 octobre 2017 dans Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. 1146-1154.
  • 41 Bernadette Sauvaget, Libération, 13 décembre 2018.
  • 42 Il est remplacé par un intellectuel musulman, Ghaleb Bencheikh, élu en décembre 2018. Fils d’une figure algérienne, Cheikh Abbas, qui fut recteur de la Grande Mosquée de Paris de 1982 à 1989.
  • 43Chevenement Jean-Pierre, op. cit., 2019, p. VI.
  • 44 Entretien à Marianne, n° 1308, p. 30-33.
  • 45 Ariane Chemin et Philippe Ricard, « Guerre en Ukraine : le cavalier seul diplomatique d’Emmanuel Macron » [en ligne], Le Monde, 20 décembre 2022. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/12/guerre-en-ukraine-le-cavalier-seul-diplomatique-d-emmanuel-macron_6154065_3210.html [consulté le 30 mai 2024].