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Couverture du livre Des cultures à l’interculturation (A. Frame) Show/hide cover

Analyses sémiopragmatiques en SHS : dépasser les approches comparatives

Il est maintenant question de mettre en évidence les apports potentiels de l’approche sémiopragmatique appliquée à des questions ou à des objets de recherche « internationaux ». Bien des projets de recherche intègrent cette dimension, cherchant à mettre en parallèle ou à comparer des phénomènes sociaux « homologues » observés dans des contextes nationaux différents, se posant la question de l’internationalisation d’un produit, d’un service ou d’une organisation, ou bien travaillant sur des objets parfois présentés comme transnationaux, tels que certains médias numériques. Face à ces objets et à ces questions, les modèles utilisés pour penser la dimension internationale ou « interculturelle » sont souvent ceux dénoncés ici comme essentialistes et réducteurs (supra, section 1.2). Dans un premier temps, nous avons fait la distinction entre perspectives microsociales et macrosociales, expliquant avec Hofstede ou Trompenaars qu’il ne faut pas chercher à appliquer les résultats d’enquêtes voulues macrosociales à des situations d’interaction qui se situent à l’échelle micro. Or, ce chapitre revient sur cette distinction, pour la compléter, en soulignant que même dans une perspective comparative macrosociale, les modèles à la Hofstede ne suffisent pas pour penser toute la complexité des objets sociaux offerts à la recherche comparative.

L’étude de différents objets sociaux nécessite la prise en compte non seulement de leur relation systémique à des cultures nationales, mais aussi, dès que l’on ouvre l’éventail de la complexité, de tout un ensemble d’autres éléments. Cela recouvre aussi bien des contextes spécifiques (sociaux, organisationnels...) que divers phénomènes culturels liés à d’autres groupes (d’utilisateurs, de consommateurs, par exemple) mais aussi, selon l’objet, les variables relevant d’un système (politique, de marque…) ou d’un dispositif (sociotechnique…). En mettant en avant la pluralité des cultures, l’approche sémiopragmatique est suffisamment complexe pour prendre en compte des différences au niveau de la culture nationale, tout en laissant leur place aux autres appartenances et niveaux d’analyse, et en inscrivant le tout dans des contextes sociaux et figuratifs propres. À travers l’articulation qu’elle propose des échelles micro, méso et macro, l’approche nous permet de contraster les objets étudiés sans a priori simplificateurs et en conservant davantage de complexité dans l’analyse, afin d’arriver à une appréciation fine des motivations pouvant éclairer des ressemblances et des différences constatées. Cette approche plus complexe des situations sociales remet en cause in fine l’ambition analytique de l’approche comparative, dans la mesure où, comme le veut le dicton populaire, il faut « comparer ce qui est comparable ». Or, la multiplication des facteurs pris en compte, ainsi que le caractère émergent et performé des repères de signification, incitent l’analyste à une vision davantage systémique des faits sociaux comparés qui ne peuvent s’appréhender sans la prise en compte de tout un contexte.

Ce chapitre illustre ce propos, tout d’abord en soulignant des limites rencontrées dans des travaux de recherche qui visent à intégrer la dimension internationale (section 5.1). Il évoque ensuite les apports de l’approche sémiopragmatique appliquée à la pluralité culturelle dans le contexte de la communication externe des organisations, d’un point de vue opérationnel, mais aussi plus largement pour penser les pratiques de communication numérique (section 5.1.2). Il fait ainsi le lien avec la troisième partie de cet ouvrage qui explorera davantage la manière dont cette compréhension de l’activité sociale à l’échelle micro peut éclairer notre vision de phénomènes méso- et macrosociaux liés à l’évolution continue des cultures.

5.1. Repenser la dimension internationale des études comparatives

Est-il légitime de parler de culture nationale lorsque l'on considère le fonctionnement d'une organisation ? Ou bien faudrait-il plutôt traiter des différentes manières, propres à un groupe social, à une organisation, voire à tel ou tel groupe de travail au sein d'un atelier d'une entreprise donnée, de créer du sens ? [D’Iribarne, 2009, p. 318 ; notre traduction]1

Spécialiste de recherches comparées en sciences de gestion, notamment entre la France, les Pays-Bas et les États-Unis (D’Iribarne, 1989), la Suède (D’Iribarne, 2002), ou bien d’autres pays (D’Iribarne et al., 2002), Philippe d’Iribarne a dédié une grande partie de sa carrière, à la tête de l’équipe CNRS « Gestion et société », à la question de l’impact des différences culturelles sur les pratiques managériales. Dans ce domaine particulier, d’Iribarne et ses collègues ont montré que la culture nationale n’est qu’une variable parmi toutes celles qui influencent les représentations et les comportements dans différents contextes. Sans chercher à produire un paradigme généraliste qui, à l’image de l’approche sémiopragmatique, pourrait avoir comme ambition de réunir l’ensemble de ces variables, d’Iribarne s’est positionné très tôt contre les approches comparatives simplistes ou simplificatrices et n’a cessé de revendiquer, avec ses collègues, l’importance de la complexité dans ce type d’analyses.

C’est dans ce même champ des sciences de la gestion que Geert Hofstede a élaboré son modèle des dimensions de comparaison des cultures nationales, appliquées aux organisations (Hofstede, 1984, 1991, 2011 ; Hofstede et al., 2010). Ce modèle a été concurrencé ensuite par d’autres procédant plus ou moins des mêmes principes (House et al., 2004 ; Lewis, 1996 ; Trompenaars et Hampden-Turner, 1993). Résolument macrosociaux et comparatifs, ces modèles avec leur relative simplicité face à toute analyse qui cherche à rendre compte de la complexité des situations sociales, ont trouvé ainsi la clé principale de leur succès dans le secteur de la formation professionnelle, auprès des entreprises. Et c’est peut-être ce succès en lui-même qui explique leur popularité continue dans certaines revues internationales en gestion, mais aussi dans les SHS de manière plus large, en dépit des critiques sévères qui ont été formulées à leur égard (supra, section 1.2).

À côté des sciences de la gestion, aux avant-postes sur la question culturelle, pour différentes raisons (supra, section 4.2), d’autres disciplines n’ont pu ou n’ont pas cherché à se doter de modèles d’analyse complexes du social et du culturel pouvant remplacer si facilement les modèles dimensionnels à la Hofstede. Ces modèles se prêtent à un emploi souvent peu critique, par défaut semble-t-il, pour analyser la dimension internationale d’un objet d’étude. À quelques exceptions près, les sciences de l’information et de la communication, dans les espaces francophone et anglophone, ne font pas figure d’exception. Certes, le champ de la communication interculturelle, lorsque celui-ci est reconnu sur le plan institutionnel, s’ouvre à différentes perspectives, mais rares sont les recherches dans des sous-champs de la communication qui cherchent à aborder l’international ou l’interculturel à travers des prismes plus complexes que ceux des modèles dimensionnels. Dans cette section, nous évoquons plusieurs domaines de la communication dans lesquels des approches complexes pour penser l’international ou l’interculturel semblent appropriées, à travers des exemples de recherches qui vont déjà dans ce sens, ou bien qui font le constat des limites des modèles comparatifs classiques. Nous défendons et soutenons l’idée selon laquelle une approche sémiopragmatique pourrait éclairer l’ensemble de ces domaines et constituer un paradigme communicationnel alternatif pour les SIC, bien supérieur aux modèles comparatifs à la Hofstede, afin de repenser la dimension internationale ou interculturelle de ses objets de recherche.

5.1.1. Analyses cross-culturelles de la communication externe des organisations

La mondialisation économique qui a favorisé, au cours des dernières décennies, l’émergence d’entreprises et de groupes internationaux, de marchés « globaux », mais aussi les migrations et la mixité culturelle à l’échelle sociétale, a créé de nouvelles contraintes en matière de communication externe pour toutes les organisations. Comment communiquer par-delà les frontières nationales ? Comment s’adresser à des publics composés de groupes sociaux divers ? Comment gérer la « révolution numérique » qui multiplie les canaux et les messages, facilitant leur diffusion en temps réel au-delà des groupes initialement ciblés, mais qui conserve les traces et favorise l’expression publique des mécontentements ? Ces questionnements opérationnels, pas nouveaux certes, seront repris à la section 5.2.1. Ils se posent aussi aux chercheurs qui travaillent sur la communication des organisations, et qui ont besoin de modèles pour penser la complexité culturelle du social.

On remarque un intérêt croissant pour la question de l’interculturel dans le champ de la communication des organisations en France et à l’international, dimension mise en avant par Krishnamurthy Sriramesh et Jon White dans un texte qui a fait date (Sriramesh et White, 1992), au point d’être cité parfois comme le début du « tournant culturel » (cultural turn) dans la discipline anglo-saxonne des « public relations ».2 Une vingtaine d’années plus tard, à côté des nombreux ouvrages traitant de la dimension internationale de la communication des entreprises, certains se sont attachés plus particulièrement à aborder la question culturelle (Bardhan et Weaver, 2011 ; Carayol et Frame, 2012 ; Edwards et Hodges, 2011 ; Sriramesh et Verčič, 2012). En ouverture de l’ouvrage collectif qu’il signe avec Dejan Vercic, Sriramesh résume ces travaux qui touchent à la dimension culturelle de la communication professionnelle à travers trois catégories : (i) des analyses de la manière dont les cultures nationales préfigurent la communication externe ; (ii) l’impact social et culturel de la pratique de la communication externe ; et (iii) la culture professionnelle du secteur de la communication (Sriramesh, 2012). Parmi ces catégories, selon cet auteur, la première est la plus représentée dans la littérature scientifique. Il s’agit alors avant tout de distinguer et de comparer les pratiques d’un pays à un autre, ou de chercher les « spécificités » culturelles des pratiques de la communication au sein de telle ou telle aire géographique. En suivant une telle démarche comparative, Sriramesh dénonce à son tour les approches trop simplistes fondées sur les travaux d’Hofstede, dont il se fait l’écho des critiques. Cependant, il propose ensuite d’adopter, à la place des dimensions d’Hofstede, le modèle développé par Richard Lewis (1996) dans l’ouvrage When Cultures Collide, là encore un modèle macrosocial qui cherche à ramener les cultures nationales à des dimensions comparables entre elles. Même si Sriramesh trouve plus fondées les dimensions mises en avant par Lewis, toute approche macrosociale ne peut éclairer qu’une infime partie, souvent essentialisée, de la complexité sociale dans laquelle exercent les praticiens de la communication, à l’échelle microsociale. Pour aller plus loin dans la prise en compte de cette complexité, dans un contexte de mondialisation, Valérie Carayol appelle à privilégier, au contraire, des méthodes d’investigation qualitatives et des approches interdisciplinaires, à la place des comparaisons macrosociales (Carayol, 2012, p. 57). Il faut rester sensible à la grande variété des représentations susceptibles d’être mobilisées par des acteurs dans une situation donnée, représentations liées à un contexte, à différentes identités, mais aussi à l’histoire, aux objets convoqués, et ainsi de suite : une complexité irréductible à un petit nombre de « dimensions » de comparaison.3

Les méthodes employées sont avant tout le reflet des questions de recherche posées, et c’est peut-être là que la réflexion renouvelée autour de la dimension culturelle de la communication externe se montre la plus innovante. En prônant une approche qualitative de la dimension interculturelle, Valérie Carayol fait écho à des chercheuses comme Jacquie L’Etang (2012) et Caroline Hodges (2012) qui préconisent l’investigation ethnographique des pratiques professionnelles des communicants, afin de mieux comprendre la place du métier dans la société au sens large. Ces approches s’inscrivent dans la deuxième catégorie de recherches identifiée par Sriramesh : celle de l’impact sociétal de la communication professionnelle, qui reflète mais contribue aussi à façonner les représentations sociales des groupes ciblées. En renouant avec la dimension anthropologique de l’activité, on peut concevoir les praticiens comme des conteurs, des marchands de mythes (dans le sens de Barthes), des professionnels du storytelling, et non seulement comme des techniciens ou des managers (L’Etang, 2012).

En abordant la culture via le prisme de la théorie de la structuration (Giddens, 1987 ; cf. aussi supra section 2.1), il faut penser la relation dialectique entre cultures et communication, ici entre les cultures associées aux groupes sociaux présents dans la société et la communication externe des organisations, qui puise dans les symboles pour actualiser les figures signifiantes associées à ces cultures. Il s’agit de la circulation triviale des biens culturels dans le sens de Jeanneret (2008), appliquée ici aux textes et aux supports de communication professionnelle qui réactualisent les repères de signification culturelles tout en étant des produits culturels (Frame et Ihlen, 2018). Les professionnels de la communication jouent ainsi le rôle de médiateurs culturels (Frame, 2013c ; Schoenberger-Orgad, 2009) : ils se doivent de produire des messages qui résonnent avec les représentations de leurs publics tout en contribuant à faire évoluer ces représentations à travers leur travail et son impact dans l’espace médiatique. L’approche sémiopragmatique, ouverte sur la question de l’interculturation au sein des sociétés (infra, chapitre 6), peut aider à éclairer cette dynamique, selon une approche longitudinale, en s’intéressant, par exemple, à la reconfiguration progressive des repères de signification (infra, chapitre 5.2.3).

Les cultures de métier des professionnels de la communication font l’objet de la troisième catégorie d’études portant sur la dimension culturelle dans le classement de Sriramesh (supra). Elles soulèvent, entre autres, la question de l’impact des normes, des standards et des pratiques professionnelles sur le travail effectué et les messages produits. Dans ce domaine, l’approche sémiopragmatique peut servir à penser à la fois la production et l’interprétation des messages, par rapport à différents contextes figuratifs et aux différents niveaux de signification (préfiguration, configuration, figuration). Et puisque les cultures professionnelles de ceux qui travaillent dans le domaine de la communication et produisent les messages coexistent avec d’autres cultures du côté de la production (cultures organisationnelles, par exemple) et bien d’autres encore parmi les publics auxquels les messages sont destinés, l’approche sémiopragmatique permet aussi de prendre en compte la pluralité culturelle et la diversité au sein même des publics, un constat qui est souvent fait mais plus rarement traduit au niveau opérationnel. Marianne Sison souligne, par exemple, la nécessité de reconsidérer les audiences « multiculturelles » dans le contexte australien. Malgré le multiculturalisme assumé de l’État, son étude lui a permis d’affirmer que les campagnes de communication primées, donc logiquement en vue, ne prennent presque jamais en compte cette variable (Sison, 2009).

Lorsque les « différences culturelles » sont abordées en communication externe, il est généralement question de ciblage de tels ou tels groupes, dans une vision stéréotypée du consommateur-type idéal représentant telle ou telle catégorie (socio-professionnelle) de la population. Compte tenu de leur rôle de médiateurs culturels, les professionnels qui procèdent ainsi contribuent à renforcer la perception de ces différences au sein des sociétés dans lesquelles ils opèrent. Or, bien rares sont les approches théoriques qui prennent à bras le corps la question de la diversité de tous les publics, malgré un contexte sociétal qui exige que l’on accorde de plus en plus d’importance aux identités, par exemple à travers les débats autour de l’appropriation culturelle. Ici encore, l’approche sémiopragmatique s’avère, recherches et résultats à l’appui, particulièrement féconde, avec des applications pratiques et opérationnelles qui seront développées plus loin.

5.1.2. Médias et pluralité culturelle : le défi de la localisation

Étant donné l'augmentation de la communication transculturelle à mesure que la mondialisation de la communication médiatique progresse, il s'ensuit que les processus de communication transculturelle augmentent ou sont susceptibles d'augmenter dans la vie de tous les jours, ce qui implique également que divers processus d'hybridation deviennent des phénomènes quotidiens. Les comparaisons internationales ne peuvent pas rendre compte de cette complexité, et il est nécessaire de développer une approche comparative différente. Cette nouvelle approche n'exclura pas la prise en compte des États nationaux et des cultures nationales en tant que points de référence, mais elle ne supposera pas simplement que ce sont les “contenants” à partir desquels les investigations doivent commencer. [Hepp, 2015, p. 28 ; notre traduction]4

À bien des égards, tous les éléments recueillis sur la prise en compte nécessaire de la pluralité culturelle, en communication externe des organisations, s’appliquent également à la communication via les médias. Dans un article qui dresse l’état de l’art autour de cette question, Mélodine Sommier (2014) souligne les apports potentiels d’une approche critique de l’interculturel au champ de la communication médiatique (Media Studies). Elle affirme l’intérêt de penser la diversité culturelle des publics, dans un contexte où les médias de masse représentent généralement cette diversité du point de vue d’une majorité dominante. Selon l’étude menée par la chercheuse, les mécanismes de normalisation culturelle à l’œuvre dans de tels discours hégémoniques ne sont que rarement questionnés dans les articles scientifiques publiés dans ce champ. La plupart d’entre eux, écrit-elle, même lorsqu’ils interrogent la construction discursive d’une identité minoritaire, font preuve de nationalisme méthodologique, en négligeant d’interroger en parallèle la construction identitaire de l’identité culturelle majoritaire, implicitement posée comme norme (Sommier, 2014, p. 6).

La « révolution numérique », à travers les nouveaux usages médiatiques qu’elle a engendrés, a complexifié et partiellement remis en cause ce modèle de discours hégémonique des médias de masse. L’augmentation de l’offre, via de nouveaux canaux (multiplication et convergence des supports média traditionnels via des sites internet et des chaines numériques) et de nouvelles formes médiatiques socionumériques, a contribué à la fragmentation des publics. Cette évolution permet un « ciblage » plus fin de contenus médiatiques et publicitaires, fondé sur des groupes sociaux potentiellement plus homogènes à certains égards (vision politique, centres d’intérêts…), mais qui restent « divers » du point de vue d’autres appartenances ou identités.

La prise en compte de la dimension culturelle dans l’étude des médias se pose alors déjà comme un problème complexe dans un seul contexte national. Or, lorsqu’il s’agit de travaux comparatifs entre usages ou systèmes médiatiques dans plusieurs pays, le risque de nationalisme méthodologique ou de visions réductrices de la diversité culturelle est plus important encore. Faute de modèles permettant une prise en compte de la complexité des publics, la tentation est de mettre l’accent sur la seule dimension nationale, utilisée pour expliquer les différences, parfois un peu rapidement et dans des termes essentialistes. Ce type d’approche est particulièrement marqué, par exemple, en ce qui concerne les discours professionnels et académiques autour de la localisation de supports médias et notamment de sites internet.

Les enjeux de la localisation d’un site web dépassent le simple fait de traduire les contenus linguistiques. Il s’agit de prendre en considération des logiques d’adaptation de ces contenus, mais aussi de la forme, le cas échéant, afin de les rendre plus appropriés ou accessibles pour le(s) public(s) cible(s). Cela peut consister, par exemple, à changer des noms ou des apparences de personnages pour les rendre plus familiers, à rajouter des explications ou de la « couleur locale », à se conformer à des impératifs juridiques ou à des normes industrielles locales, ou à modifier certains éléments jugés culturellement choquants.5 À côté des dimensions linguistique, technique et juridique de la localisation, la dimension culturelle est un argument commercial souvent avancé par des agences de traduction et/ou de localisation.6 Lorsqu’il est question des méthodes de travail des localiseurs, ces experts culturels en situation de médiateurs, les discours d’agence restent assez vagues. En analysant de plus près les pratiques professionnelles dans l’industrie de la localisation, il s’avère que la pratique dominante dans la plupart des agences, pour une traduction / adaptation de site, est de faire appel à un locuteur natif freelance, qui se charge de la localisation grâce à ses connaissances personnelles de la « locale » nationale visée, plutôt que d’employer des outils, des méthodes ou des modèles théoriques spécifiques pour l’aider dans cette tâche. Une telle approche implicite n’a rien de contestable en soi, mais, dans l’argumentaire commercial sur leur site, certaines agences s’appuient sur une littérature scientifique spécialisée dans la localisation de sites internet, laissant entendre qu’elles appliquent une méthodologie fondée sur les résultats de ces études : argument de légitimation scientifique du travail effectué, ou bien motif de surfacturation de services non-existants ?

Une partie importante de la littérature portant sur la question de la dimension culturelle de la localisation des sites internet a été recensée dans un état de l’art publié par Francisco Tigre Moura, Nitish Singh et Wootae Chun. Sont retenus 90 articles scientifiques parus entre 2000 et 2015 (Tigre Moura, Singh et Chun, 2016). Ces articles sont classifiés selon trois approches, assez équitablement représentées dans le corpus recensé par ces auteurs. Nous qualifions ces approches d’inductive, de déductive et de « centrée sur les usages ». Les études mobilisant l’approche inductive, dont un article qui a fait date de Wendy Barber et d’Albert Badre (1998), cherchent à identifier des « marqueurs culturels » dans un corpus de sites web associés à différents pays et aires linguistiques, que ce soit de manière générale, à l’image de l’étude citée, ou bien ciblée sur certains pays uniquement et sur un secteur précis, comme par exemple une étude des sites de compagnies aériennes entre les États-Unis et la Chine (Lo et Gong, 2005). D’une manière globale, ces études ont identifié un petit nombre de ressemblances et de différences selon les pays et les secteurs d’activité, mais à un niveau tellement généraliste (langue employée, sens d’écriture, utilisation de couleurs du drapeau national dans certains sites…) qu’elles n’ont pas de profondes implications pour la conception de sites web. Par ailleurs, ce type d’approche semble avoir suscité bien moins d’intérêt au-delà des années 2010, en raison peut-être du constat de son pouvoir explicatif relativement faible compte-tenu de l’importance d’autres facteurs. Comme le savent les communicants, le brief créatif derrière la conception d’un site web professionnel repose généralement sur une stratégie, propre au secteur ou au marché, aux publics cibles, au positionnement par rapport à la concurrence, à l’identité de marque, etc. On ne peut certainement pas tout ramener à un format « national » de site, comme le sous-entendent certaines études de ce type.

En adoptant une posture inverse, les approches déductives s’attachent à repérer des manifestations de différences culturelles prédites par certaines théories comparatives des cultures nationales. Parmi les études recensées par Tigre Moura et ses collègues (2016), le modèle d’Hofstede est utilisé dans environ 88 pour cent de ces publications, suivi de celui de Shalom Schwartz (1994) et de la distinction mise en avant par Edward Hall sur les cultures à contexte fort ou faible, ou bien des combinaisons de ces modèles, comme celle proposée par Nitish Singh (Baack et Singh, 2007). Or, la plupart des chercheurs cités dans l’état de l’art sont spécialistes du webdesign ou du marketing et non pas de l’interculturel à proprement parler, et une lecture critique de ces travaux révèle un nationalisme méthodologique marqué dans la majeure partie de ces études, ainsi qu’une méconnaissance, parfois, des modèles utilisés et de leur domaine d’application.

À titre d’exemple à ne pas suivre, citons un article, publié dans l’International Journal of Scientific and Engineering Research, qui prétend appliquer le modèle d’Hofstede à l’analyse des sites internet, afin de mettre en avant les logiques culturelles distinctes, présentées sous forme de conseils pour des concepteurs de sites internet. L’article préconise, par exemple, d’utiliser des couleurs qualifiées de « masculines », telles que le noir, le gris, le marron, le bleu ou le vert, dans des sites destinés à des publics de sociétés « masculines », alors qu’il s’agit de préférer des couleurs « douces » telles que le rose, la pêche, ou bien des nuances de rouge, précise-t-on, pour les sites à destination des sociétés « féminines » (Alao Olujimi et al., 2013). Le même article conseille de privilégier l’inclusion de photographies d’individus lorsqu’on vise une société individualiste et de groupes pour les sociétés collectivistes. Bien évidemment, de telles préconisations en dépit du bon sens révèlent une incompréhension fondamentale, de la part des auteurs, du modèle d’Hofstede en lui-même. Elles ignorent aussi les critiques qui ont été formulées à l’égard de ce modèle (supra), ainsi que les mises en garde d’Hofstede sur les différences d’échelle entre macro et micro et donc à l’inapplicabilité du modèle à l’échelle d’un support de communication qui doit être pensé par rapport à un contexte commercial, communicationnel, technologique, social, etc. Cependant, de tels articles prétendument scientifiques continuent à paraître, afin de combler, semble-t-il, une lacune dans la littérature et une demande socio-commerciale par rapport à une question de recherche qui ne trouve pas, pour l’instant, de réponse ailleurs.

Le troisième type de recherches répertorié par Tigre Moura et al. concerne les usages d’individus représentant différents groupes nationaux, et notamment leurs réactions d’utilisateurs face à des interfaces développées dans ou pour différents contextes nationaux. Malgré quelques exceptions, la majeure partie de ces études converge autour de l’idée selon laquelle, même s’il n’y a pas de spécificités culturelles très facilement décelables grâce à l’approche inductive (supra), le niveau de satisfaction exprimé, le niveau d’efficacité dans la navigation et la recherche d’informations, semblent plus élevés pour les sites localisés (Moura, Singh et Chun, 2016, p. 317). L’attitude des utilisateurs est alors plus positive, plus confiante, leurs intentions d’achat ou de retour sur le site plus marquées, écrivent les auteurs. Selon ces résultats, il semble que l’adaptation de la forme et des contenus d’un site à ses publics constitue un enjeu d’engagement de ces publics via l’expérience ergonomique, d’utilisateur, mais il est clair aussi que cela dépasse la seule prise en compte macrosociale de la culture nationale dans la conception de sites internet.

Afin de combler le manque apparent de littérature scientifique en mesure d’expliquer la dimension culturelle de la localisation, il peut être pertinent de reformuler la question de recherche initialement posée. Au lieu d’étudier l’influence des cultures nationales sur la conception et le développement de sites internet, il s’agirait de regarder plutôt l’influence de tout un ensemble de facteurs, culturels, mais aussi sociaux, économiques, commerciaux, stratégiques, sur ces mêmes processus. À notre sens, c’est uniquement en abordant la complexité de cette question, notamment d’un point de vue stratégique à l’échelle microsociale, que l’on pourra comprendre les dynamiques de sensemaking à l’œuvre. En prenant en compte la stratégie de communication et le positionnement d’une organisation dans un paysage plus global, par rapport à une identité de marque mais aussi les identités des publics cibles, l’on comprendra mieux certains choix créatifs qui dépassent largement des questions d’individualisme ou de collectivisme. En ouvrant sur les questions de standardisation ou de « glocalisation » des supports de communication, on peut apprécier la valeur stratégique d’une politique globale de forte standardisation des sites internet chez Microsoft,7 entreprise pour laquelle la standardisation est un gage d’interopérabilité, et à l’ONU, dont la position supra-étatique interdit la multiplicité ou le ciblage des discours selon la langue utilisée.8

En revanche, le même degré de standardisation serait fort mal venu sur les différents sites nationaux des restaurants McDonalds,9 pour lesquels l’adaptation de l’offre, et donc de la communication, aux goûts et aux habitudes alimentaires locales, constitue un enjeu de compétitivité majeur. Selon l’image de marque nationalement connotée ou non, la non-adaptation peut également être une stratégie épousée. C’est le cas, par exemple, du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne10 qui, dans les versions anglaise et allemande de son site, conserve des éléments de langage en français et mise sur les notions de terroir et de savoir-faire traditionnel associés aux vins français et bourguignons, tout autant que dans la version d’origine, avec des images typiques du paysage viticole bourguignon et une typographie classiquement française. L’identité française est ici un argument de vente et un gage de qualité pour le consommateur étranger, qu’il convient de conserver, voire d’accentuer davantage dans les versions étrangères du site internet (Bô, Lellouche et Guével, 2013, p. 105). Comme le remarquent Tigre Moura, Gnoth et Deans dans leur article sur les réactions d’utilisateurs à des versions « culturellement adaptées » ou non de sites de voyage, parfois l’exotisme perçu devient un gage d’authenticité qui augmente l’attractivité du produit ou du service vendus (Tigre Moura, Gnoth et Deans, 2015).

La dimension culturelle est clairement à prendre en compte dans une telle réflexion, afin d’analyser la manière dont les supports de communication et les messages qu’ils cherchent à faire passer peuvent être interprétés du point de vue du « framing culturel » (Van Gorp, 2007). Or, réduire cette dimension à des questions de valeurs à la Hofstede, comme le fait la littérature scientifique du domaine, est peu pertinent. En revanche, une approche plus complexe des relations entre cultures au pluriel et communication, attachée à donner toute sa place, pour reprendre des points d’entrée sémiopragmatiques, au déploiement figuratif comme aux faire persuasif (stratégique) et interprétatif (identitaire) de tous les acteurs, peut ouvrir bien d’autres horizons à l’analyse. La section suivante illustre différents apports inscrits dans cette voie et méthode de recherche, en abordant les phénomènes de communication à travers le prisme d’une pluralité culturelle ancrée dans un contexte social.

5.2. Communication des marques et pluralité culturelle : de l’international au local

[À] part quelques rares exceptions, à partir de la fin des années 80, la littérature professionnelle a cessé de fournir des recettes en matière de publicité transnationale. La multitude des facteurs en jeu rend en effet illusoire l'établissement d'un ensemble de principes et de procédés. En revanche, chacun partage l'idée qu'au lieu de suivre un système de règles fixes et cohérentes, la conception de campagnes de publicité transnationale est justement affaire de pragmatisme [De Iulio, 1999, p. 264]

En mettant en avant les multiples facteurs qui peuvent influencer les campagnes publicitaires d’un pays à un autre, ainsi que les pratiques professionnelles dans ce domaine d’il y a une trentaine d’années déjà, Simona De Iulio souligne les limites des approches qui s’obstineraient encore à appliquer les modèles comparatifs des cultures nationales à l’élaboration de supports de communication, dans le cadre d'une stratégie de « glocalisation ». Traiter la complexité multifactorielle de manière pragmatique, en faisant de la localisation ad hoc en fonction de chaque marché, de chaque entreprise, de chaque produit, s’est révélée depuis des années être une stratégie bien plus adaptée et fructueuse. Cependant, le « tournant culturel » dont il a été question ici nous amène à réinterroger de nouveau les pratiques professionnelles dans ce domaine. À quoi doit ressembler la localisation lorsque le public local n’est pas un, mais multiple, lorsqu’il est hyperconnecté et capable de rapprocher des messages destinés à différentes aires géographiques ? Comment les entreprises peuvent-elle aborder cette complexité des publics dans des sociétés cosmopolites ?

Après l’approche nationale comparative, le paradigme global/local (Featherstone, 1990, 1995 ; Lie, 2003) qui obéit à des logiques de standardisation et de localisation (De Iulio, 1999) doit aussi être repensé à la lumière de la pluralité culturelle et de la performance identitaire. Si la standardisation à outrance risque de réduire, pour certains annonceurs et produits, la pertinence perçue du texte, la localisation consiste à l’adapter en fonction d’un public idéalisé, stéréotypé, ce qui peut également provoquer un rejet dans certaines conditions. La typification et la catégorisation ont leurs limites à l’ère des revendications identitaires, où la personnalisation, la pluralité identitaire et l’intersectionnalité sont les maîtres-mots. Dans ce contexte, il convient de replacer les cultures et les identités au centre de la réflexion, en tant que dynamiques communicationnelles, et non comme des variables à prendre en compte en dernière instance, de manière stéréotypée au niveau macro. Au risque notamment de produire une analyse coupée des instances sociales de production et de réception, ou bien aveuglée par le nationalisme méthodologique, selon lequel les seules cultures sont celles de « l’Autre ». L’enjeu devient alors de penser la pluralité au niveau local également, tout en maintenant un lien avec le niveau global, dans un contexte technologique qui ne cesse de restructurer les liens de sociabilité, d’influence et de consommation.

La perspective introduite dans cette section sort ainsi des approches comparatives de la communication afin de changer de posture, de regarder les sociétés nationales non pas à travers les statistiques de leurs différences moyennes, mais bien du point de vue des identités, des voies de communication et des processus de signification qui relient les individus entre eux et avec lesquels les entreprises peuvent essayer de rentrer en interaction à travers leurs actions de communication.

5.2.1. De la stéréotypie au tournant culturel en communication des marques

Puisque la catégorisation sociale et la stéréotypie sont des procédés cognitifs naturels chez l’Homme (supra, chapitre 2), elles constituent une partie intégrante de notre communication dans tous les domaines : de la publicité au divertissement, de l’enseignement à l’industrie culturelle, une communication qui n’aurait pas recours aux stéréotypes à un niveau ou à un autre est difficilement imaginable. Les professionnels de la communication s’y réfèrent toujours, afin d’ancrer dans les représentations sociales dominantes les messages qu’ils cherchent à faire passer, pour les associer à des idées reçues et les faire « résonner » auprès de leurs publics. Lorsqu’il s’agit d’évoquer des groupes sociaux, il est habituel de rencontrer des stéréotypes de nationalité ou ethniques, des stéréotypes de genre, relatifs à l’âge, à l’apparence physique, aux professions ou bien à d’autres traits identitaires, que ce soit dans la communication interpersonnelle ou médiatée. Dans la communication publicitaire, les spots télévisés et autres supports visant à vendre des parfums ou des cosmétiques, des voitures « made in » France ou Allemagne, des aliments qui jouent sur « l’exotisme » ou « l’authenticité », font très régulièrement appel à des stéréotypes connus de leurs publics supposés afin de « faire sens », en réduisant la dissonance cognitive des messages à transmettre.

Outre leur fonction dénotative fondée sur le « clin d’œil » de la reconnaissance sociale, les stéréotypes sont souvent associés à une intention énonciative d’humour ou d’ironie et censés être interprétés au « second degré », expliqueraient leurs concepteurs. Une utilisation exagérée d’auto-stéréotypes (stéréotypes portant sur le groupe auquel sont associés l’annonceur et le public ciblé), par exemple, peut correspondre à une stratégie visant à générer une certaine complicité avec le public qui partage cette appartenance et cette représentation, tout en reconnaissant son caractère exagéré et donc humoristique.11 Une utilisation semblable d’hétéro-stéréotypes, par exemple des stéréotypes de nationalité portant sur un groupe étranger, peut servir à souligner la prétendue « authenticité » ou bien d’autres caractéristiques supposées du produit étranger. Cela peut aussi correspondre à une stratégie de distanciation du groupe stéréotypé, qui dédramatise, en quelque sorte, le fait de préférer un produit étranger, en se moquant « gentiment » du groupe en question.12

Or, dans un monde de plus en plus connecté, dans lequel la conscience identitaire de différents groupes sociaux semble se renforcer (supra) et sous le mantra discursif du « politiquement correct » (Barbéris, 2019), certaines campagnes de communication se voient reprocher leur caractère stéréotypé. En effet, qu’il soit ou non provoqué intentionnellement par l’intéressé, il y a de nombreux exemples de ce que l’on appelle souvent le « bad buzz » sur internet, exemples qui proviennent d’une utilisation contestée de stéréotypes, notamment lorsque ceux-ci portent sur des groupes sociaux considérés comme non-privilégiés.13 Sur les questions de genre, de sexualité, de représentations de groupes ethniques, les sociétés occidentales ont beaucoup évolué depuis une cinquantaine d’années, au regard de ce qui est généralement considéré comme socialement acceptable ou, au contraire, offensif, dans les messages publicitaires. La question semble devenir de plus en plus sensible sur le plan social, dans des sociétés où l’on n’admet que progressivement leur caractère socialement cosmopolite et à un moment où la fragmentation médiatique provoquée par les réseaux socionumériques permet aux individus les plus attentifs face à ces questions de trouver un relai quasi instantané de leur indignation auprès de nombreux sympathisants connectés.

Des initiatives pour dénoncer et combattre les représentations stéréotypées dans les médias voient le jour, à l’image de l’Alliance contre les stéréotypes (« Unstereotype Alliance »), lancée en 2017 par l’ONU (UN Women), ciblant notamment les stéréotypes de genre dans les messages publicitaires. Son manifeste a été signé par de nombreuses entreprises et agences de communication multinationales.14 Il serait particulièrement naïf de ne pas soupçonner, derrière de telles actions, une dimension « politiquement correcte », dans la mesure où les organisations qui s’y associent peuvent chercher à cultiver une image positive (RSE) et de la reconnaissance sociale parmi les individus ou groupes qui se sentent victimes de représentations publicitaires stéréotypées. Mais de telles initiatives soulèvent aussi des questions profondes sur la pensée catégorique et son expression publique et, à la lumière des travaux sur le tournant culturel en relations publiques (supra, section 5.1.1), sur la responsabilité déontologique des médias et des professionnels de la communication dans l’évolution des représentations sociales.

Une fois de plus, la communication sans stéréotypes semble utopique, dans la mesure où toute communication repose sur des représentations socialement partagées, dont les stéréotypes constituent une forme particulièrement figée. Pour lutter contre les stéréotypes jugés socialement indésirables, inverser les rôles « traditionnels » entre les hommes et les femmes, par exemple, ne remet pas nécessairement en cause le cadre référentiel jugé « normal » chez le récepteur, surtout si celui-ci soupçonne à travers une publicité la volonté de l’annonceur de contrer un stéréotype. Une solution plus efficace consiste à éviter de mettre en scène des personnages comportant des traits stéréotypés quels qu’ils soient, mais il est possible que cela rende la publicité moins efficace aux yeux du créatif, en la privant d’éléments facilement reconnaissables qui contextualisent et crédibilisent, pour certains, le message.

Ces considérations sur la représentation des groupes sociaux dans les supports de communication touchent au phénomène connexe d’appropriation culturelle (supra, section 1.2.2). Dans un contexte nord-américain, mais de plus en plus en Europe également, les marques se voient accusées, à travers leurs produits ou leurs communications, d’exploitation commerciale illégitime et non respectueuse de traits culturalo-identitaires revendiqués comme traditionnels par des groupes sociaux ou ethniques. Outre les exemples touchant à l’industrie de la musique, ces dernières années, les marques Chanel, Nike et TopShop ont provoqué des scandales sur les réseaux socionumériques en s’inspirant de traditions ou de motifs « exotiques » dans des produits qu’ils ont tenté de commercialiser, avant de les retirer de la vente (Frame et Ihlen, 2018). Ce que l’on pouvait considérer autrefois comme des « emprunts » culturels, ou bien des « touches d’exotisme », voire des « clins d’œil » est présenté comme des més-appropriations grossières dans un contexte identitaire de plus en plus politisé et connecté à l’échelle mondiale. Comment les marques peuvent-elles s’adresser aux consommateurs de nos sociétés plurielles, en espérant apporter l’adhésion de leurs publics cibles et avec un objectif majeur : adapter leur communication pour cultiver une certaine complicité à travers des représentations, des codes et un style partagés, sans toutefois prendre le risque de s’attirer une mauvaise image en s’aliénant d’autres parties de la population ?

Identités et neutralité culturelles en communication des marques

Une solution possible à cette problématique semblerait être celle d’épouser la neutralité du politiquement correct : éviter tout message susceptible de froisser les uns et les autres et, face à d’éventuelles accusations d’appropriation culturelle, jouer la carte de la sensibilité culturelle et du respect de la diversité. Certes, de tels discours permettent aux marques d’afficher des « valeurs » positives susceptibles d’emporter l’adhésion publique du plus grand nombre, mais est-ce pour autant une stratégie durable dans un paysage communicationnel où de nombreux acteurs se font concurrence pour se faire entendre, souvent à travers des campagnes qui cherchent à « faire le buzz » à travers des messages ou des images « choc » ?

À l’inverse, la stratégie de provocation a une longue histoire, ayant souvent été privilégiée par des marques qui cherchent à faire parler d’elles. Cela est vrai dans le domaine commercial et on peut aussi faire un parallèle sur ce point avec le domaine politique. L’image de marque de différents partis politiques en France et ailleurs intègrent, explicitement ou implicitement, des positionnements identitaires, que ce soit pour embrasser la « diversité » culturelle, ou bien pour la combattre. À l’heure d’une montée en puissance, dans plusieurs pays, de mouvements politiques populistes qui communiquent sur le registre de l’appartenance identitaire communautariste, cette stratégie semble de plus en plus gagnante. Les marques commerciales vont-elles à leur tour reproduire la division « progressiste versus populiste », en ciblant différents segments de la population ? Dans le contexte d’une injonction sociétale généralisée au politiquement correct, des marques peuvent très bien voir dans un tel positionnement anti-minoritaire le moyen de se faire l’écho de discours sociaux ambiants, de faciliter l’identification de ceux qui ne se retrouvent pas dans l’utopie inclusionniste.

Dans son ouvrage How Brands Become Icons, Douglas Holt (2004) évoque plusieurs marques « iconiques » américaines, et retrace leur succès à leur capacité d’incarner, à travers le storytelling, un « mythe identitaire » lié à un « monde populiste » (populist world)15 américain. Ce mythe peut changer dans le temps, mais l’essentiel pour la marque, selon Holt, est de rester fidèle à sa posture historique auprès d’un groupe social cible habitant un « monde populiste ». Ainsi, la marque Budweiser est passée, dans l’espace de quelques décennies, d’un positionnement patriotique pro-américain et pro-travail, par exemple à travers la campagne « This Bud’s For You » pendant les années 1980, à un positionnement beaucoup plus cynique et désabusé à travers les campagnes « Lizards » et « Whassup ? ! » à la fin des années 1990 (Holt, 2004, p. 96‑125). La première campagne vantait les mérites du travail pour la gloire de l’Amérique, selon la logique du mythe protestant anglo-saxon, pendant les années Reagan. Or, la perte des emplois industriels et les délocalisations orchestrées par les entreprises multinationales ont provoqué un désenchantement de la valeur « travail » parmi la classe ouvrière qui a impacté, selon Holt, la réception du message publicitaire de Budweiser. Les campagnes lancées à la fin des années 1990 ont fait une volte-face remarquée par rapport à cette valeur. Le monde corporate y est critiqué et on glorifie plutôt ceux qui regardent faire les autres en se moquant de leurs efforts vains et absurdes à avancer dans une société où la stratégie la plus payante serait de chercher à prendre du bon temps. Selon l’analyse de Douglas Holt, ces deux positionnements successifs font sens pour la cible principale de la marque que sont les ouvriers américains, en raison de l’évolution du mythe populaire lié au travail pendant cette période. La marque retient ce qu’Holt appelle son « autorité politique » (political authority), celle de pouvoir parler à un groupe social donné, en incarnant les idéaux de la masculinité américaine pour les travailleurs qui ne font pas partie de l’élite, et son « autorité culturelle » (cultural authority), celle de profiter d’une légitimité pour parler de certains sujets, en mettant en scène des histoires de solidarité et de camaraderie masculine dans la vie quotidienne (Holt, 2004, p. 125).

À travers des exemples de ce type, Holt prône la nécessité de prendre en compte la dimension culturelle du marketing, à travers une analyse des mythes qui circulent dans les sociétés et qui résonnent auprès de différentes parties de la population. La thèse de son ouvrage consiste à critiquer les limites des modèles classiques du marketing de marque, fondés sur la notoriété autour de valeurs abstraites (mindshare), le marketing émotionnel et le marketing viral. Alors que ces modèles identifient des ingrédients nécessaires à l’émergence d’une stratégie de marque « iconique », écrit-il, à eux seuls ils ne suffisent pas pour l’assurer. Seule une attention toute particulière portée aux mythes identitaires qui habitent les « mondes populistes » et à leur évolution dans le temps permet à une marque de rester une source d’identification emblématique auprès de sa cible. La notoriété de la marque, l’investissement affectif que peuvent ressentir ses consommateurs et les phénomènes de buzz ne sont pas des objectifs en soi, mais bien des symptômes d’une stratégie réussie de « branding culturel », selon Holt (2004, p. 35).

La notion de branding culturel telle que l’expose le livre d’Holt vient souligner une nouvelle fois la complexité de la prise en compte de l’imaginaire culturel et l’insuffisance des modèles comparatifs pour aborder la communication de marque sur des marchés nationaux différents. Cette approche s’oppose aussi à la neutralité du politiquement correct : la volonté de défendre certaines idées, écrit-il, « even when they offend a substantial fraction of the buying public, is a consistent thread among iconic brands » (Holt, 2004, p. 70). Depuis toujours, les marques visent différents groupes sociaux, fondés sur l’âge, la classe sociale, le centre d’intérêt, et ainsi de suite. Une stratégie culturelle des marques met en œuvre une logique identitaire fondée sur l’inclusion et l’exclusion, puisqu’afficher une marque, c’est afficher un style de vie, une identité de groupe. Les marques se trouvent ainsi dans une contrainte paradoxale : devoir aseptiser leur communication, à l’ère des réseaux, pour la rendre la moins offensive possible dans une société plurielle, tout en continuant à promouvoir l’appartenance identitaire à un groupe particulier associé à la marque. Pour mieux faire face à ce défi, seule une bonne compréhension des dynamiques culturelles de la communication de marque permet d’éclairer les stratégies mises en œuvre.

Les « conversations de marques » : les marques comme cultures

Les marques iconiques fonctionnent comme des militants culturels, encourageant les individus à adopter un autre regard sur eux-mêmes. [Holt, 2004, p. 9 ; notre traduction]16

Les travaux de Douglas Holt ont été influents dans l’évolution de la conception du marketing de marque (brand marketing) dans le monde Anglo-saxon, au début des années 2000. Écrivant à une époque où le storytelling et la communication virale venaient concurrencer les approches de personnification de la marque (Aaker, 1997 ; Cohen, 2014) et le modèle classique du « mindshare » fondé sur les valeurs, Holt a ouvert la voie à une vision diachronique, plus complexe, de la communication de marque, centrée sur le storytelling, mais liée aux styles de vie, aux contextes culturels et à leur évolution. Holt reprend ainsi une idée déjà soulignée par Jean-Noël Kapferer (1991), qui voyait dans le recours aux marques par les consommateurs la recherche d’un socle symbolique et identitaire important, permettant de donner du sens à la vie via la consommation, face à la perte des repères de l’époque hypermoderne. Le phénomène que décrit Holt s’inscrit aussi dans un mouvement plus général de « dépublicitarisation » (Montety, 2013) et de « culturalisation de la marchandise » (Lipovetsky et Juvin, 2010) qui pousse les annonceurs à se transformer en producteurs de contenus culturels « marqués » (branded content). Pour mieux engager leurs publics, en proposant un univers de marque qui dépasse la seule publicité, ils développent ainsi divers supports médias (magazines, films, livres, événements, expositions, happenings, musées) au service du branding, de la culture de marque, et pour participer ainsi à une « conversation » avec leurs publics (Berthelot-Guiet, 2011 ; Bô et Guével, 2009 ; Galibert, Pelissier et Lépine, 2012 ; Jamet, 2013).17

Or, si cette évolution bien visible en France a été documentée par les chercheurs, l’approche culturelle qu’Holt a décrite et analysée à partir de campagnes de communication américaines n’a pas été développée au même point dans les travaux francophones. Certes, on la retrouve en tant que métaphore dans des articles ou ouvrages (Bô et Guével, 2009 ; Bô et al., 2013), mais l’accent y est mis autant sur la volonté de l’annonceur de définir et de « communiquer sa culture » à travers un « univers de marque » qu’il cherche à contrôler, que sur l’attention portée aux mondes populaires sous-jacents, sources de repères culturels préfigurés et configurés pour les consommateurs qui interprètent ces messages. Dans l’ouvrage Brand culture : développer le potentiel culturel des marques de Bô, Lellouche et Guével, la tension entre ces deux approches est rendue explicite. Dès l’introduction, le livre annonce la nécessité d’une rupture paradigmatique.

Appréhender la marque comme une culture invite à opérer plusieurs glissements dans l’interprétation classique du fonctionnement et du rôle des marques : en premier lieu, penser la marque comme culture fait prendre conscience qu’une marque n’est pas une institution figée, une étiquette posée sur un produit, mais qu’elle est avant tout un processus, une activité. Penser en termes de culture nous amène à envisager la marque comme une entité vivante, évolutive, construite par strates, en permanente interaction avec son environnement, cette interaction se construisant et se révélant par les médias. [Bô, Lellouche et Guével, 2013, p. 3]

Malgré cette annonce résolument constructionniste et performative, les deux premières parties du livre reproduisent des travers déjà évoqués à propos des premières analyses de la culture organisationnelle (supra, section 4.2.1), en considérant qu’une marque « possède » une culture, qu’il suffit de « communiquer » celle-ci à autrui pour imposer des valeurs, etc. Ce n’est qu’à la dernière partie de l’ouvrage que le deuxième coauteur, le « philosophe et sémiologue », Raphaël Lellouche, prend ses distances par rapport à ces positions, qu’il dénonce comme « inadéquates » (2013, p. 115). « Remplacer le mot « imaginaire » par le mot « culturel » n’a guère d’intérêt si l’on ne pense rien de plus dans le second que ce que l’on y pensait déjà dans le premier », écrit-il (Bô, Lellouche et Guével, 2013, p. 152). Lellouche propose ensuite une « théorie générale de la marque commerciale » fondée sur la notion de performativité : les consommateurs performent la culture de marque à travers leurs interactions, celle-ci faisant partie des repères culturels sociétaux qui composent leur réalité sociale quotidienne. Cette théorie constructionniste, aux accents marxistes, beaucoup plus approfondie, est développée davantage dans la postface du livre sous forme d’entretien entre Daniel Bô et Raphaël Lellouche. Elle va plus loin dans le sens d’Holt et ouvre de nouvelles pistes vers une analyse des marques en tant que cultures, mais aussi de la place des marques dans les cultures sociétales contemporaines.

Une fois compris la fonction de la marque, on voit bien qu’elle ne vit pas dans la seule dimension économique, ni dans une sphère éthérée d’« imaginaire », mais qu’elle existe nécessairement de plain-pied dans la culture : les marques y sont à la fois phénomènes et acteurs ; elles sont d’abord, de façon évidente, des phénomènes culturels importants de la modernité, qui est simplement impensable sans elles. En tant que médias sociaux, elles immergent l’ensemble de la société contemporaine. Certes, ne relevant pas de la culture au sens élitaire du terme, leur connaissance ne nécessite pas d’aptitude scientifique ou littéraire, mais elles s’approprient et restituent des territoires techniques et pratiques, des mœurs et des usages, des modes de représentation, des références symboliques… Médias et cultures allant de pair, elles sont donc à penser comme une partie intégrante de la culture populaire de cette société. [Bô, Lellouche et Guével, 2013, p. 158]

La rupture que propose ici Lellouche par rapport aux paradigmes fondés sur l’analyse discursive d’un imaginaire plus ou moins orchestré d’une marque, nous semble à la fois pertinente et prometteuse pour analyser et comprendre la place des marques dans la circulation des idées, des êtres culturels, au sein de la société. Il s’agit, entre autres, de penser les marques comme acteurs institutionnels à part entière dans le processus d’interculturation sur les plans sociétal et trans-sociétal qui fera l’objet de la troisième partie de cet ouvrage. La marque n’est pas tant considérée comme détenteur d’une culture propre qu’elle pourrait contrôler que comme repère signifiant et institution susceptible de participer, via ses communications, à l’actualisation de représentations sociales dans un domaine précis.

Depuis la popularisation de la logique « web 2.0 », dans les années 2000, des annonceurs apprennent progressivement, afin de tirer profit de la communication participative, à renoncer à vouloir contrôler en tout point leur image de marque en ligne et en adoptant une posture d’écoute et d’interaction avec leurs consommateurs. Après ses débuts dans les médias traditionnels, la personnification de la marque a connu de nouvelles formes sur internet, à travers des avatars anthropomorphiques censés incarner un visage humain de celle-ci. L’essor du marketing viral pousse plus loin cette logique « web 2.0 », lorsque les marques cherchent à faire parler d’elles à tout prix, en s’associant à des éléments censés « faire le buzz ». Par conséquent, écrit Holt, « identity branding has turned into the task of stealthily seeding brands with the right customers, so that they will take up the brand and develop its value. The company takes a back seat to consumers in forging what the brand stands for » (Holt, 2004, p. 28). Or, non seulement cette perte de contrôle est un risque assumé quant à l’image de marque, mais en jouant la carte de la viralité, l’image à long terme de la marque n’est pas assurée, dans la mesure où des influenceurs qui voient une marque devenir populaire peuvent être tentés de la délaisser rapidement au profit d’une autre, plus exclusive et « tendance ».

Pour Holt, l’approche culturelle des marques « iconiques », au contraire, consiste à suivre et à continuellement adapter la communication de marque à un public particulier (autorité politique), en déployant des figures qui font sens car on les associe à la marque (autorité culturelle), ce qui semble assez peu compatible avec le marketing viral, qui ne pourrait constituer une stratégie durable que pour une poignée de marques qui visent les geeks passant d’une tendance à une autre (Holt, 2004, p. 34). Pour la plupart des autres annonceurs, dans leur stratégie média en ligne et hors ligne, le storytelling semble être le paradigme de choix pour participer à la « conversation » culturelle autour des valeurs identitaires de la marque. La dimension de storytelling suppose un ancrage dans l’histoire, à travers un récit, des personnages, des valeurs mis en scène dans les différentes communications d’une marque. C’est à ce niveau que le storytelling s’oppose au marketing traditionnel lorsque celui-ci cherchait à réduire une marque à des valeurs abstraites, supposément intemporelles et transposables d’une campagne à une autre.

Les travaux autour de la dimension narrative des marques insistent sur la nécessité de ne pas les aborder comme des valeurs désincarnées, mais bien dans leur dimension actualisée, performée, figurée, à travers des récits et des mises en scène particuliers. Comme le démontre Douglas Holt, les publics s’attachent non à des valeurs dans l’absolu, mais à leur incarnation, et l’interprétation d’une nouvelle campagne s’appuiera sur les représentations configurées et préfigurées des campagnes passées, mais aussi sur un contexte culturel plus large qui évolue à son tour. Une marque peut ainsi faire sens pour son public en passant d’une valeur à une autre, opposée (comme dans l’exemple de Budweiser qui glorifie le travail avant de le ridiculiser), tout en restant positionnée auprès d’un même public. Ce procédé trahit tous les bons principes de cohérence dans le marketing classique, mais prend en compte l’évolution des multiples récits culturels de référence pour le public concerné.

L’analyse culturelle d’Holt fait une distinction entre différents profils d’adeptes à une marque, en fonction de leur relation à celle-ci (Holt, 2004, p. 140‑151). Les « followers » sont les adeptes les plus fervents de la marque, très fidèles et attentifs aux innovations. Une marque peut aussi avoir affaire à des « insiders », des individus qui auraient une relation privilégiée à la marque, du fait de leur statut d’égéries, de pratiquants ou d’influenceurs reconnus dans un domaine sur lequel la marque cherche à maintenir une reconnaissance sociale. Alors que les « insiders » seraient souvent moins passionnés que les « followers », leur parole peut avoir un impact non négligeable sur ceux-ci, du fait de leur légitimité perçue. Enfin, ce qu’Holt appelle les « feeders » représentent souvent la majorité des adeptes d’une marque : ces consommateurs achètent les produits de la marque pour des questions d’affiliation sociale, pour se donner une certaine image, gagner en crédibilité auprès de leurs amis, etc. Sans que les distinctions entre ces trois catégories soient nécessairement étanches, le fait d’analyser les publics dans ces termes est un élément stratégique important et une réelle plus-value de ce type d’approche. Comme le remarque Holt (2004, p. 149), là où les marques peuvent être tentées d’agir en fonction du point de vue des « feeders », plus nombreux, ce sont en réalité les « insiders » et les « followers » qui sont les plus influents, car les « feeders » consomment la marque essentiellement en raison de sa popularité auprès de ces derniers. Une compréhension plus fine des dynamiques culturelles de la « conversation de marque » permet ainsi de cibler les communications de manière plus efficace.

Dans l’approche culturelle, d’un point de vue performatif, le storytelling ne se résume pas à une marque qui élabore et qui dicte son histoire, mais c’est en proposant des éléments auxquels les consommateurs peuvent s’identifier et qu’ils peuvent s’approprier, que la marque contribue à entretenir son image dans un contexte culturel qui évolue. Parfois les mythes dont dépendent les marques peuvent résulter des actions et des récits d’autres acteurs, que ce soit les consommateurs eux-mêmes, l’industrie culturelle ou bien des figures influentes dans la société. Douglas Holt analyse, par exemple, la manière dont le mythe autour des motos Harley Davidson s’est progressivement structuré, presque à l’encontre des efforts de la marque elle-même, à partir de la figure du « motard hors-la-loi », par l’industrie culturelle, à travers des films comme The Wild One,Easy Rider et Terminator II, mais aussi par la communication politique de Ronald Reagan qui a cherché à faire de l’entreprise un champion de la bataille commerciale qui opposait alors les États-Unis à l’industrie japonaise (Holt, 2004, p. 155‑208).

Au-delà des mythes qui la préfigurent, la marque est aussi performée, au niveau figuratif, par ses adeptes à travers leurs interactions. Comme le souligne Raphaël Lellouche, il s’agit d’un processus itératif, émergent et participatif, qui n’échappe pas aux configurations mises en scène par la marque elle-même.

Le « performeur » de la marque n’est pas culturellement efficace dans la seule mesure où son autorité symbolique serait seulement « déléguée » par la marque qui l’autorise (comme les institutions selon Bourdieu) mais il y est incité par les propositions des marques. Dans les faits, l’inflexion, la transformation se fait de manière progressive, s’actualise dans l’itération : c’est dans la répétition de la performance que l’espace de liberté du sujet se déploie. [Bô, Lellouche et Guével, 2013, p. 125]

La marque participe ainsi à une « conversation » qui se développe à travers le temps. Elle existe en partie grâce à ses propres productions, mais surtout à travers les traces performées et partagées par ses adeptes, repères de signification qui structurent la « culture de marque », et qui existent dans un contexte culturel plus large, évolutif lui aussi. Cette double-appartenance culturelle mérite ici quelques précisions : la marque constitue un point d’ancrage identitaire qui permet à ses adeptes, et notamment les followers dans le classement d’Holt (supra), de se considérer comme un groupe social à proprement parler, qui peut être caractérisé par une diversité d’appartenance (des individus qui se considèrent comme différents à d’autres points de vue), mais qui est uni autour de l’attachement de ses membres à la marque ou à une habitude de consommation particulière. Ce sont les interactions entre ces individus centraux à la culture de marque, y compris à travers les éléments mis en scène par la marque elle-même, qui façonnent la culture.

Mais, comme c’est le cas avec toute autre culture, des individus qui sont marginaux par rapport au groupe social, ou bien qui en sont exclus, partagent eux aussi certaines représentations à propos de la culture de marque, représentations préfigurées qui affectent potentiellement leurs interactions avec ses adeptes. Il n’est pas nécessaire d’être Japonais pour avoir une idée de la culture japonaise, tout comme il n’est pas nécessaire d’être un fan d’Harley Davidson pour reconnaître quelques codes associés aux motards. La connaissance de la culture de marque est ainsi diffusée de manière plus large mais aussi inégale, au sein de différentes sociétés (infra, partie 3) et y compris à travers les frontières nationales, ce qui donne toute sa profondeur à l’analyse des stratégies de localisation déjà évoquées (supra, section 5.1.2.).

Au-delà du marketing du contenu et de la création de produits culturels « brandés », le regain d’intérêt pour la dimension culturelle des marques encourage les professionnels de la communication à sortir de l’analyse discursive simple, en privilégiant d’autres dimensions : les matériaux culturels divers, les styles de vie, les mythes fondateurs qui structurent la production et l’interprétation des textes. Malgré son apparente nouveauté, l’on peut rapprocher ce type d’analyse, du moins dans son esprit, des Mythologies de Barthes (1957) ou bien des analyses foucaldiennes autour des lectures culturelles de la folie, de la médecine ou de la sexualité. Il s’agit de chercher à saisir les idéologies dominantes d’une époque, d’une société, mais aussi de les articuler avec une connaissance fine des publics, en tant que groupes sociaux, et de leurs rapports divers à ces idéologies. Une stratégie culturelle de marque doit ainsi chercher à intéresser le public grâce à l’actualité de la « conversation », en phase avec ses préoccupations et sa vie. Il faut que la marque soit partie-prenante dans cette conversation, mais aussi qu’elle soit attentive aux mythes qui animent différents groupes de consommateurs et à la manière dont ils performent la culture de marque.

De manière plus concrète, Douglas Holt formule deux préconisations pour les marques elles-mêmes. D’une part, lorsqu’elles élaborent leurs stratégies de communication, les entreprises doivent s’intéresser non pas tant aux profils de consommateurs individuels qu’aux connaissances culturelles qui les animent (Holt, 2004, p. 207‑210). D’autre part, les créatifs, issus d’une formation en humanités et plus sensibles aux mythes avec lesquels composent les marques, doivent être associés à l’élaboration du brief stratégique, aux côtés des managers diplômés d’écoles de commerce et davantage susceptibles de raisonner en termes de statistiques et d’indicateurs. L’ouvrage de Bô, Lellouche et Guével prône le positionnement de la marque comme « leader culturel », « parce qu’elle provoque, élargit et ne produit pas simplement des contenus stéréotypés. Elle est en osmose avec ce qui est en train de se faire : elle doit être à la pointe de la création ou de la recherche. L’enjeu est donc d’identifier et d’approfondir les courants porteurs » (2013, p. 142).18 L’ouvrage cite des exemples de marques déjà impliquées, à travers des « laboratoires de recherches culturelles », dans le développement d’une expertise culturelle pointue liée à leur domaine de métier.

HSBC recueille des statistiques sur la vie des expatriés. Lesieur a lancé un Observatoire des cuisines populaires. Le constructeur automobile Audi a organisé un colloque baptisé Urban Future, pour inviter à réfléchir sur la place de l’automobile dans le futur. Coca-Cola a lancé un Observatoire du bonheur. Axa s’interroge via sa fondation sur la longévité. Cetelem étudie les comportements et choix de consommation des Européens via son observatoire. Sodexo a créé la Fondation Sodexo pour la qualité de vie. Aufeminin.com est devenu l’expert du marketing auprès des femmes à travers son laboratoire Womenology. Ces initiatives illustrent comment les marques peuvent s’envisager comme des agents culturels à travers des démarches exploratoires et expérimentales. [Bô, Lellouche et Guével, 2013, p. 142]19

En plus de ces initiatives qui visent à impliquer les marques directement comme actrices dans l’espace public, en interne, Bô, Lellouche et Guével imaginent, avec Grant McCracken (2011), la nomination d’un CCO ou « Chief Culture Officer », un « Vice-président culture » chargé de suivre les tendances et de jouer un rôle de pilotage stratégique au sein de la direction d’entreprise. La prise en compte des dynamiques culturelles qui façonnent le contexte discursif dans lequel ils opèrent est devenu un enjeu stratégique pour les organisations et une condition sine qua non d’une campagne de storytelling réussie, comme le conclut Douglas Holt : « The greatest opportunity for brands today is to deliver not entertainment but rather myths that their customers can use to manage the exigencies of a world that increasingly threatens their identities. »(Holt, 2004, p. 221).

5.2.2. Cultures et communication numérique

Le contexte culturel dans lequel opèrent les organisations et leurs marques a bien évidemment été fortement impacté par le déploiement massif des technologies numériques de la communication, comme cela a déjà été remarqué, à travers la complexité et la multiplicité des publics et le besoin de les prendre en compte y compris à travers la localisation (supra section 5.1.2.). Les nouvelles « figurations » sociales dans le sens d’Elias (1978), engendrées par la « révolution numérique », la multiplication et la polarisation des publics en ligne sont au centre des travaux de l’École de Brême sur les « figurations communicationnelles » (supra section 3.2.3.). En se donnant pour objectif de comprendre la manière dont l’utilisation incontournable des médias affecte la communication ancrée dans des contextes et des « figurations » sociales, ces chercheurs abordent le niveau macro à travers l’étude du micro et du méso (Couldry et Hepp, 2016 ; Hepp, 2017 ; Hepp et al., 2018a). Pour ce faire, ils tiennent compte des « constellations » sociales qui relient différents groupes à travers leur usage des médias, mais aussi le fait que ces personnes partagent, dans un certain degré, des « cadres de référence communs » (« common frames of reference ») qui leur permettent de faire sens des contenus qui circulent sur ces réseaux médiatiques (Kuipers, 2018). Il peut être intéressant de confronter ces « cadres de référence communs » au concept de « culture » dans le sens que nous lui donnons : labile, pluriel et performé. Les références partagées préfigurent en partie l’utilisation des médias, mais elles sont aussi performées et peuvent être très liées aux dispositifs et aux formes médiatiques. La théorie de l’école de Brême, qui sera évoquée plus en détails dans le dernier chapitre de l’ouvrage (infra, chapitre 7), souligne l’importance des médias dans le développement et la circulation des cultures à tout niveau de la société.

Au-delà des problématiques de performance et de circulation des cultures via les médias numériques, abordées plus loin, il convient de remarquer, avec Yves Jeanneret (et bien d’autres) que la communication numérique comporte aussi une dimension culturelle propre :

J’emprunte l’expression « opérativité symbolique » à Louis Quéré, qui l’a employée pour désigner le rôle joué par les formes de la communication dans une élaboration des formes du social […] et le fait qu’un dispositif médiatique développe toute une représentation du processus de communication lui-même et entraîne par là une structuration de la compétence communicationnelle des sujets sociaux. [Jeanneret, 2008, p. 70]

La communication via une interface numérique quelconque suppose une médiation technique et le recours à des codes plus ou moins propres au médium, que ce soit à travers l’utilisation d’un langage particulier (ex. : langage de programmation), d’opérateurs-foncteurs spécifiques impliquant une « grammaire » propre, plus ou moins rudimentaire, à l’image de Twitter (Frame et al., 2016), de caractères spécifiques tels que les émoticônes (Liénard, 2013), ou bien d’un style, d’un registre ou de mèmes associés à tel ou tel dispositif numérique.

Les cultures associées aux médias numériques et aux groupes « virtuels » qui les performent relèvent bien des mêmes processus de constitution que les autres cultures (supra, section 2.2) : identification à un groupe social (ici souvent virtuel, d’usagers) et interaction (ici médiatée via une interface). Leur spécificité, cependant, relève de la sociabilité particulière qui les caractérise : des interactions médiatées synchrones ou asynchrones impliquant des individus souvent à distance (mais les interactions médiatées en présence sont de plus en plus courantes également).20 Ces interactions peuvent être structurées autour d’une activité particulière (ex. : un groupe Instagram sur la nourriture végan) ou bien une extension de la sociabilité hors ligne d’un groupe social (un groupe WhatsApp d’une classe scolaire dans lequel les élèves échangent à propos de devoirs d’école ou d’autres sujets informels). À chaque fois, une culture numérique propre liée, à des degrés différents, au dispositif et au groupe particulier vient préfigurer et configurer les interactions. Dans des cas extrêmes, telle que la communication centrée sur l’image ou bien l’ASMR (Benarbia, 2019), la culture et les codes du dispositif peuvent être suffisamment développés pour permettre à des individus qui n’ont pas d’autre langue en commun d’échanger et de faire sens de leurs énoncés respectifs.

Cultures et traces

Une autre spécificité des cultures numériques pouvant intéresser la recherche est le caractère matérialisé des interactions qui s’y rapportent. La médiation des dispositifs sociotechniques implique souvent la constitution de traces numériques (Frame et Brachotte, 2016 ; Galinon-Mélénec et Zlitni, 2013) servant de clé de lecture, pour des chercheurs ou des (nouveaux) membres des groupes en question, permettant de suivre l’évolution incrémentale de la culture à travers les interactions à l’échelle microsociale. Tout comme le nouveau venu dans n’importe quel groupe social peut chercher à « prendre la température » des interactions, en restant, dans un premier temps, un peu en retrait dans un rôle d’observateur, afin d’éviter les « faux pas », celui qui rejoint un groupe virtuel peut regarder les fils de conversation, le cas échéant, afin de mieux s’en approprier les codes. L’analyse de la création de nouveaux groupes permet à l’observateur de reconstituer la logique figurative des codes culturels, à travers les traces laissées par les internautes, traces qui viennent performer l’interface sur le plan culturel (Frame et Brachotte, 2016 ; Frame et al., 2017).

En dehors des traces numériques proprement dites, le concept de trace, tel qu’il est défini dans le paradigme de l’homme-trace (Galinon-Mélénec, 2011, 2013 ; Galinon-Mélénec et al., 2016) ouvre des perspectives d’analyse riches pour l’étude des dynamiques culturelles. Les cultures n’existant que par convention sociale, liées à des groupes sociaux particuliers, et ne se manifestant qu’à travers les interactions sociales façonnées par les attentes intériorisées des uns et des autres, la notion de trace est intéressante à double titre. Tout d’abord, les interactions, à travers lesquelles les repères de signification sont performés et les cultures s’actualisent, laissent tout type de traces, comme dans l’exemple des dispositifs sociotechniques, mais plus indirectement sous la forme d’artefacts culturels de tout genre : les produits de l’industrie culturelle, les publicités, etc. Les institutions sont elles-mêmes des traces, parfois réifiées, de formes culturelles instituées (Berger et Luckmann, 1966) et les sciences qui les prennent comme objet (sociologie, sciences politiques, histoire…) travaillent à la fois sur la culture et sur la trace. Bien entendu, il ne s’agit pas, dès lors, d’aborder la trace comme on pourrait aborder l’empreinte : cultures et institutions sont dans une relation médiatée complexe qui dépasse l’indiciel. Elles résultent de multiples médiations impliquant des rapports politico-socio-économiques de pouvoir et d’identités qui dépassent largement le cadre d’analyses déterministes (Jeanneret, 2016).

La deuxième application possible de la notion de trace à la culture concerne la socialisation et l’intériorisation de repères de signification. À ce niveau-là aussi, on peut considérer que l’individu est marqué par les cultures au fil de sa socialisation au sein de différents groupes, processus qui continue tout au long de la vie. Cloet et Pierre évoquent une telle approche :

Ceci nous conduit à envisager la notion de culture comme une « trace » de ce qui est arrivé à un individu dans la forme d’un événement. Mobiliser la notion de culture, en cela, ne revient pas à pointer un acte de jugement d’une personne, ni même une représentation mais un processus qui se déploie à partir de traces laissées chez un individu à la suite des rencontres vécues. [Cloet et Pierre, 2018, p. 306]

La théorie de l’Homme-trace évoque la manière dont le vécu façonne l’individu tout au long de la vie, au niveau physique et psychique. Admettre que la socialisation marque l’individu, lui permettant par exemple d’intégrer de nouveaux repères de signification et enrichissant ses savoirs préfigurés, n’implique pas un quelconque déterminisme culturaliste. Si l’Homme est le produit de ses actions et de ses interactions, il reste aussi maître de ses actions à un certain niveau de conscientisation, selon les stratégies figuratives et intersubjectives déjà évoquées (supra, section 3.1.3).

Cultures et algorithmes

Les traces culturelles dépassent aussi à la fois les individus et les artefacts si l’on cherche à adopter une vision « méta » de la culture, appréhendée à travers des données massives, de consommation, de pratiques culturelles, etc. à l’aide de corpus et des techniques d’analyse algorithmiques associés au traitement de « Big data ». Dans la recherche appliquée en marketing, par exemple, l’on sait reconstituer des pratiques « culturelles » de consommation, même ciblées par groupe social, à partir de millions de données individuelles de consommation (ex : analyse consolidée à partir de tickets de caisse de supermarché et profils de clients détenteurs de cartes de fidélité). Ces pratiques échappent à la conscience « culturelle » des membres des groupes, mais révèlent et relèvent de « styles de vie » incarnés (Boutaud, 2019).

Outre leur utilité pour mettre en avant des logiques « culturelles » insoupçonnées et introuvables pour des méthodes d’analyse classiques en SHS (Basaille-Gahitte, Leclercq et Savonnet, 2018), les algorithmes sont eux-aussi des traces numériques invisibles qui impactent l’émergence et la performance de traits culturels dans le contexte de cultures numériques (Jeanneret, 2016). Des algorithmes peuvent influencer le choix et la visibilité des contenus proposés sur un réseau socionumérique, selon le profil d’un compte, par exemple, y compris des contenus associés à d’autres comptes considérés comme proches, selon des mesures de proximité elles aussi algorithmiques. En sélectionnant, favorisant ou valorisant certains contenus, l’algorithme favorise l’engagement avec ces contenus et donc certains comportements chez les usagers. Si ces comportements sont identifiés par la suite comme étant propres au groupe social particulier, il faut alors se poser la question du rôle de l’algorithme dans l’émergence de tel ou tel trait « culturel » du groupe, voire du groupe lui-même. La relation entre algorithmes et cultures constitue ainsi une problématique intéressante, que l’on commence tout juste à explorer (Massanari, 2017), faute, entre autres, d’une conception claire du fonctionnement culturel de la communication humaine. Or, la vitesse de développement des algorithmes appliqués aux médias numériques et les possibilités d’exploitation commerciale qui y sont associées, ne peuvent qu’encourager l’élaboration de projets de recherche en ce sens dans les toutes prochaines années.

En allant plus loin, on pourrait aussi imaginer des algorithmes qui participeraient au développement de l’intelligence artificielle (IA) dans le cadre d’interactions homme-machine, en apprenant, grâce à « l’apprentissage profond » ou deep learning, à se comporter de manière plus authentiquement « humaine ». Les solutions de réponses automatisées et autres social bots se multiplient (Ferrara, Varol, Davis, Menczer, et Flammini, 2016 ; Frame et Brachotte, 2019), grâce notamment aux avancées en linguistique de corpus qui permettent la production d’énoncés « authentiques » en langue naturelle. Or, en s’appuyant sur une conceptualisation des relations entre communication, contexte, cultures et identités, au cœur d’une démarche sémiopragmatique, les algorithmes pourraient être programmés pour mieux aborder la dimension créative de la figuration, liée à des considérations identitaires et à un contexte social. L’enjeu serait notamment d’intégrer dans l’apprentissage culturel de la machine, la dimension temporelle et le caractère incrémental de la figuration. Cela lui permettrait, par exemple, de saisir l’évolution dans les significations possibles de l’expression « gilet jaune » entre l’été 2018 et l’été 2019 et de l’employer en prenant en compte les éventuels sous-entendus politiques et identitaires du terme. Grâce au deep learning, la traduction automatisée s’appuyant sur un corpus de textes en langue spécialisée, et même les expériences d’écriture automatique littéraire21 se révèlent de plus en plus convaincantes. Pour ce qui concerne les interactions homme-machine, et notamment les dispositifs automatiques à vocation interactive sophistiquée, une meilleure appréhension de la dimension culturelle de la communication ne peut qu’améliorer la finesse et l’authenticité perçue des énoncés produits par intelligence artificielle.

5.2.3. Questionnements et méthodes d’analyse

La discussion au fil de ce chapitre a mis en avant les limites évidentes des approches comparatives des cultures nationales, telles qu’on les applique encore parfois à différents objets et terrains en SHS, tels que la localisation ou la communication externe des entreprises. Face à la complexité sociale résultant de la multiplicité et de l’interconnexion des publics, mais aussi face à l’importance d’éléments contextuels dans l’interprétation de tout phénomène social, nous avons cherché à souligner les apports de l’approche sémiopragmatique pour éclairer de tels objets et terrains. Comme au chapitre précédent, cette dernière section met en exergue des questionnements et méthodes d’analyse issus de travaux existants ou objets de préconisation qui permettent d’appliquer cette approche, notamment dans les domaines de la communication politique, de la communication des organisations et de la communication numérique.

Puisque les méthodes de recherche découlent à la fois de l’appareil théorique déployé et de la question de recherche formulée, il s’ensuit que les approches comparatives, s’attachant à déterminer les spécificités statistiquement valables entre cultures nationales, ne sont applicables et pertinentes que dans un nombre très limité de cas. Pour cela, il faut que la question de recherche relève d’un niveau d’abstraction conséquent, portant sur le macrosocial et non le microsocial. Lorsqu’on cherche à passer d’un terrain à un autre, ou bien à comparer un même objet dans deux contextes nationaux différents, l’erreur écologique (Hofstede, 1991, p. 112) consiste alors à penser qu’il suffit de comprendre les différences macrosociales entre cultures nationales, et d’extrapoler à partir de celles-là afin de bien saisir les différences à l’échelle microsociale.

Or, comme nous l’avons souligné, le processus de sensemaking dans un contexte quelconque repose sur de multiples repères de signification. Pour analyser la communication d’une marque, comme nous l’avons vu, on ne peut faire l’économie ni de l’imaginaire collectif de différents groupes sociaux au sein de la société cible, ni du contexte concurrentiel spécifique du marché national, des communications antérieures de la marque en question, etc. En raison de cette complexité, il n’existe pas de méthode tout indiquée pour passer d’un terrain à un autre en recherche appliquée. Une fois écarté le leurre des approches comparatives, il reste à déployer des méthodes aptes à éclairer un contexte culturel spécifique et à prendre en compte les dynamiques culturelles et identitaires à l’œuvre dans tout phénomène de communication.

Le domaine de la communication politique n’a pas été directement évoqué jusque-là, mais il fait l’objet de travaux antérieurs, conduits d’un point de vue comparatif (Brachotte et Frame, 2011, 2018 ; Frame, 2012c ; Frame et al., 2016 ; Frame et Brachotte, 2013, 2015). Lorsqu’il s’agit de comparer la communication politique entre différents pays, même dans le cadre d’une même élection transnationale telle que celle du parlement européen, plusieurs niveaux de contexte doivent être pris en compte, comme le montre très bien Tatiana Brenner (2017) dans sa thèse de doctorat, co-encadrée par l’auteur.22 Saisir les différents enjeux perçus d’un scrutin européen, d’un pays à un autre, nécessite, en effet, une compréhension fine non seulement de la langue et de la culture nationale, mais bien des différentes formations politiques et leur importance dans la sphère nationale, des figures politiques sur le devant de la scène, de leurs positions sur un ensemble de questions politiques, économiques et sociales, et ainsi de suite.

Là où les approches comparatives classiques s’arrêtent aux valeurs supposées de différentes sociétés, l’approche sémiopragmatique incite le chercheur à interroger les multiples contextes et sources de signification mobilisés par les individus qui produisent ou interprètent un message politique. L’approche n’anticipe pas les spécificités des terrains ni ne prétend apporter des éléments précis quant aux différences qu’on peut y trouver, mais elle a l’avantage de sensibiliser le chercheur, à travers le triptyque préfiguration – configuration – figuration, à la complexité des facteurs pouvant servir à comprendre telle ou telle réaction à un moment donné pendant une campagne. Cela nécessite de multiples compétences : en sciences politiques et en analyse des médias, certes, une bonne connaissance de la société en question et des repères de signification culturels dominants, mais aussi une appréciation de l’image des figures politiques concernées.

La question de la mise en scène de l’intime en politique (Stanyer, 2013) permet d’illustrer ce point. Une étude comparée, s’appuyant sur l’analyse de discours, entre des messages postés sur Facebook et des tweets américains, britanniques, et français, issus de comptes publics de leaders politiques et de leurs conjoints, dans le cadre d’élections nationales, montre différentes pratiques à l’égard de la mise en scène de la sphère personnelle ou privée (Frame, 2012c ; Frame et Brachotte, 2013). À cette époque, là où les personnalités américaines et britanniques publiaient, de temps à autres, quelques détails liés à la vie du couple, à grand renfort de réseaux sociaux, de telles informations étaient absentes des comptes français, généralement liés aux leaders eux-mêmes, les partenaires restant en retrait des médias socionumériques du point de vue de la communication politique. Afin d’analyser ces pratiques, les approches comparatives pourraient évoquer des questions de « distance hiérarchique » plus importante en France que dans les deux autres pays (Hofstede, 1991), ou bien une tendance à davantage distinguer les sphères publique et privée en France (Trompenaars et Hampden-Turner, 1993). En revanche, il serait plus difficile de justifier du fait que les leaders politiques français, issus d’une culture nationale réputée pour son style communicationnel « affectif » (Trompenaars et Hampden-Turner, 1993) et plus « féminin » que celui des pays anglo-saxons (Hofstede, 1991), soient ici plus farouches sur le plan de l’expression émotionnelle que leurs homologues « neutres » et « masculins ».

En approche sémiopragmatique, l’analyse prendra en compte non seulement les éventuelles spécificités culturelles nationales, mais aussi les cultures politiques et médiatiques, ainsi que les identités des figures politiques et les pratiques observées des uns et des autres à l’égard de la mise en scène de l’intime. Pensons à la tradition médiatique en France qui considère généralement que la vie personnelle d’une figure politique relève de la sphère privée, malgré une exposition croissante de la « première dame » dans la vie publique française, depuis Bernadette Chirac (Vergara, 2012). Les éventuelles expositions de la sphère privée, notamment dans la presse « people » en France, n’ont pas de commune mesure avec les pratiques habituelles de la presse britannique ou américaine, beaucoup plus intrusives dans ce domaine. Peut-être en raison de cette habitude, en communication politique, la sphère personnelle est plus facilement assimilée à la sphère publique qu’à la sphère privée dans les pays anglo-saxons. L’épouse ou compagne de l’homme politique est devenue presque la garante de son image de père de famille responsable, beaucoup plus, d’ailleurs, que ne l’est l’époux des leaders féminins. À ce titre, il n’est pas rare qu’une épouse prenne position sur des questions politiques concernant les femmes, là où l’époux élu est moins crédible, une pratique parfois observable en France également (Bernadette Chirac, Carla Bruni-Sarkozy, Brigitte Macron…).

Au-delà de la tradition médiatique nationale, des éléments de contexte immédiats liés aux personnes peuvent aussi constituer des facteurs importants dans les usages observés. En prenant l’exemple de l’élection législative britannique de 2012, il est clair que dans ce contexte national, politique et médiatique particulier, les pratiques observées dépendent aussi de la configuration des candidats et leurs identités propres. Par exemple, l’épouse de Gordon Brown, premier ministre sortant, et celle de David Cameron, alors leader de l’opposition, étaient très présentes dans les médias socionumériques, là où la femme de Nick Clegg, leader du parti des Liberal Democrats, peut-être en raison de sa nationalité espagnole, est restée presque totalement en retrait et inconnue du public. Par contraste, Sarah Brown, professionnelle de la communication, était l’une des twittos les plus populaires en Grande-Bretagne à l’époque, prenant régulièrement position sur des questions familiales en tant que « première dame ». Sa communication facile s’opposait à l’ethos de son mari, parfois mal à l’aise devant les caméras. Elle a ainsi joué un rôle d’humanisation pendant la campagne, aux côtés d’un premier ministre qui pouvait autrement sembler quelque peu austère. Samantha Cameron paraissait alors sur Facebook, dans des vidéos de campagne aux côtés de son mari, en coulisses, ou bien seule dans certaines vidéos tournées en son propre nom. L’absence remarquée du couple, à l’époque, sur le réseau Twitter, pourtant utilisé par les autres candidats, s’explique par un mot d’humour malheureux de David Cameron pendant un entretien à la radio en 2010, lorsqu’il a assimilé les twittos à des idiots (Frame, 2012c). Grâce à de tels éléments précis, l’approche sémiopragmatique nous permet d’articuler différentes échelles d’analyse (Desjeux, 2002), en intégrant à la fois le général et le particulier dans un contexte figuratif, pour mieux saisir les logiques à l’œuvre pour chaque terrain comparé. Les méthodes d’analyse portant sur la production médiatique (analyses discursive, sémiotique, netnographique…), ainsi que d’éventuels entretiens avec les acteurs intéressés sur leurs pratiques, permettent de dresser un portrait complexe de ces logiques.

En dehors des études comparatives de terrains nationaux distincts, des questions de recherche portant sur d’autres objets sociaux impliquent elles-aussi une dimension internationale potentiellement éclairée par l’approche sémiopragmatique, dont un bon nombre a déjà été mentionné, en relation avec la communication des organisations et la migration (supra, sections 4.2.3 et 4.3.2). Pour faire écho aux questions évoquées dans ce cinquième chapitre, nous gardons en référence une analyse de sensibilité sémiopragmatique menée, pour un mémoire de master, sur la réception de la publicité ciblant les « voyageurs d’affaires » dans les aéroports internationaux. Afin de mieux comprendre les enjeux stratégiques pour les annonceurs visant un public international, cette étude a mobilisé plusieurs méthodes (analyse de discours, analyse sémiotique et une approche ethnographique des voyageurs d’affaires, s’appuyant sur des entretiens avec informateurs) pour éclairer les dynamiques identitaires impliquées dans la réception de ces publicités, dynamiques complexes et non réductibles aux seules identités nationales (Robayo Sotelo, 2019).

Dans la lignée des propositions de Douglas Holt (2004) ou encore Bô, Lellouche et Guével (2013), un « audit culturel » d’une marque peut être indiqué pour mieux adapter sa stratégie de communication à un environnement socioculturel particulier. Cela implique à la fois une étude diachronique de la communication de la marque en question, et une analyse synchronique, éventuellement à l’aide de focus groupes de consommateurs faisant partie de la cible, des « mythes culturels » dominants ou alternatifs, sur lesquels la marque pourrait chercher à s’appuyer. En travaillant à partir de l’approche de Douglas Holt, Julian De Los Rios Sandoval (2019) a adopté une approche netnographique (Kozinets, 2010) des cultures alimentaires exprimées via les réseaux socionumériques Facebook et Instagram. Son mémoire de master visait à éclairer la réussite de la campagne de communication digitale de l’entreprise Jamie Oliver, organisation éponyme du chef britannique, autour du hashtag #FoodRevolution.

Les débats autour de l’appropriation culturelle constituent un autre terrain riche pour une analyse sémiopragmatique, notamment à l’égard des problématiques d’essentialisation des discours identitaires et de réification des traits culturels, à travers la figuration des pratiques et des discours (méthodes : observation participante, analyse discursive…). Les forums spécialisés sur internet pourraient être un terrain de prédilection pour ce type d’étude, d’autant plus que la netnographie permet une analyse diachronique de textes, susceptible de mettre au jour l’évolution incrémentale de représentations et de normes culturelles (figuration – reconfiguration) à travers les échanges (Frame et Brachotte, 2016). L’étude sémiopragmatique de traces numériques pourrait, à ce titre, venir en appui des travaux en SIC dans la mouvance Homme-trace (Galinon-Mélénec, 2011 ; Galinon-Mélénec et al., 2016 ; Galinon-Mélénec et Zlitni, 2013), afin de documenter et d’analyser les interactions homme-machine-homme, à travers les traces constituantes qui composent le médium. En plus de la netnographie et de l’analyse discursive diachronique d’archives, une méthodologie impliquant l’utilisation d’algorithmes sur une mode « archéologique », inspirée de la linguistique de corpus, pourrait servir à identifier des tendances incrémentales à long terme, difficilement détectables à l’aide de méthodes qualitatives manuelles.

Bien que la culture reste (encore) le propre de l’Homme, la médiation des marques et des médias, notamment numériques, comprend des éléments indissociables pour l’étude de l’évolution des cultures. Comme l’évoque Raphaël Lellouche (Bô, Lellouche et Guével, 2013), à la suite de Simmel et de Bourdieu, la culture a depuis toujours résulté de rapports au pouvoir. Les pouvoirs religieux et politique sont désormais fortement concurrencés par le pouvoir commercial des marques, dans un contexte profondément impregné de nouvelles figurations médiatiques comme le soulignent les chercheurs de l’école de Brême. L’un des défis pour les sciences de la communication aujourd’hui est de penser ensemble ces éléments pour comprendre les évolutions des contextes sociaux dans lesquels nous communiquons. La dernière partie de l’ouvrage rassemblera ainsi les différents fils déployés jusqu’ici dans notre réflexion, afin de proposer des pistes pour analyser, non pas cette fois-ci l’impact des cultures sur différentes formes et figures communicationnelles (du macro au micro), mais bien l’impact de ces dernières sur l’évolution des cultures elles-mêmes (du micro au méso et au macro).

  • 1« [I]s it legitimate to speak of a national culture when we consider the functioning of an organisation? Or instead, should we deal with different ways, specific to a social group, to an organisation, even to such or such a working group within a workshop of a given firm, to give meaning? » (D’Iribarne, 2009, p. 318).
  • 2Sur la distinction entre « public relations » et « relations publiques », ainsi que les différences de structuration disciplinaire entre espaces anglophone et francophone cf. Carayol, Chaudet, et Frame, 2015.
  • 3A titre d’exemple, citons le projet éditorial de Tom Watson (Watson, 2015) qui a travaillé sur l’histoire des « relations publiques » dans différents pays. À travers des analyses approfondies de la genèse et du développement du métier, pays par pays, rédigées par des spécialistes des pays en question, chaque ouvrage dans la série éditée par Watson, dédiée à une zone du monde ou à un continent particulier, cherche à faire émerger la singularité de la conception et de la place du métier dans chaque contexte national (ex. Carayol, Chaudet, et Frame, 2015). Cette entreprise de recherche comparée échappe ainsi aux travers réductionnistes de bien d’autres études comparatives, en prenant soin de préserver la spécificité et la complexité de la situation dans chaque pays.
  • 4« [G]iven the increase in communication across cultures as globalized media communication advances, it follows that transcultural communication processes (can) increase at the level of the everyday, which also implies that various processes of hybridization become everyday phenomena. Inter‐national comparisons cannot capture the complexity of this, and it is necessary to develop a different comparative approach. This new approach will not exclude consideration of national states and national cultures as points of reference, but it will not simply assume that these are the “containers” from which investigation should begin. » (Hepp, 2015, p. 28).
  • 5De ce point de vue, la localisation ne prend pas en compte la dimension transculturelle (Hepp, 2015 ; cf. aussi infra, section 7.1.1) des médias, lorsque des textes-supports sont développés pour être destinés à des publics étrangers. Dans les travaux évoqués ici, il s’agit de traduire et d’adapter les textes-supports à un public étranger.
  • 6Cf. par exemple le site internet du groupe leader mondial sur ce marché, Transperfect : http://transperfect.fr/services/multicultural_marketing.html [consulté le 30/04/2020]. Cette compétence interculturelle figure aussi dans des référentiels de compétences professionnelles destinés à la formation de traducteurs, comme par exemple le référentiel du label « master européen de traduction » (EMT).
  • 7Source : Microsoft. Disponible sur : http://www.microsoft.com. [Différentes versions linguistiques consultées le 28/11/2022].
  • 8Source : United Nations. Disponible sur : https://www.un.org. [Différentes versions linguistiques consultées le 28/11/2022].
  • 9Cf. par exemple les sites web de McDonalds, disponible sur : http://www.mcdonalds.fr,http://www.mcdonalds.de, https://www.mcdonalds.com, https://www.mcdonaldsindia.com, [consultés le 28/11/2022].
  • 10Source : Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne. Disponible sur : http://www.vins-bourgogne.fr/ [consulté le 28/11/2022].
  • 11Ce même mécanisme se reproduit bien sûr dans d’autres types de contenus médiatiques ou culturels depuis l’antiquité : la littérature, le théâtre, le cinéma, les séries télévisées… avec une dimension de censure sociale qui consiste à se moquer des traits comportementaux prétendument reconnaissables mais présentés comme excessifs (Bergson, 1900).
  • 12De telles stratégies peuvent être décelées derrière des campagnes publicitaires automobiles, comme la campagne « Deutsche Qualität » d’Opel en France, par exemple, ou bien celle des biscuits McVitie’s utilisant le slogan, « C’est anglais, mais c’est bon ! ».
  • 13Depuis toujours, les professionnels de la communication sont ainsi confrontés à la bivalence des stéréotypes, à la fois réducteurs, essentialisants et à ce titre contraires à une pensée libre et ouverte, mais en même temps indispensables pour faire sens du monde en le simplifiant, le rendant lisible, pensable, comme le souligne Ruth Amossy (1991).
  • 14Source : Unstereotype Alliance. Disponible sur : http://www.unstereotypealliance.org [consulté le 28/11/2022].
  • 15Les mondes populistes sont définis comme suit : « places separated not only from everyday life but also from the realms of commerce and elite control. The people living in populist worlds share a distinctive ethos that provides intrinsic motivation for their actions. Often populist worlds exist at the margins of society. But what unites people in a populist world is that they act the way they do because they want to, not because they are being paid or because they seek status or power » (Holt, 2004, p. 9). Holt analyse les « motards hors-la-loi » (outlaw bikers), une plage mexicaine, ou bien les « jeunes Noirs périurbains » (Black suburban youth) comme figures sensibles pouvant cristalliser un mythe identitaire populiste à un moment donné, pour un groupe social donné.
  • 16« Iconic brands function like cultural activists, encouraging people to think differently about themselves » (Holt, 2004, p. 9).
  • 17Rappelons qu’un dossier spécial de la revue Communication et Langages (numéro 169) a été consacré à l’émergence de ce phénomène « conversationnel » dans les discours publicitaires en France (Patrin-Leclère, 2011), avec des contributions qui soulignent la distinction entre « communication » et « conversation » dans ce contexte.
  • 18Sur ce point, cf. aussi (Frame, 2013c ; Frame et Ihlen, 2018b).
  • 19Des initiatives universitaires, telles que l’observatoire des discours agroalimentaires circulant sur les réseaux socionumériques développé à l’Université de Bourgogne dans le cadre du projet de recherche « Cocktail » (https://projet-cocktail.fr/, dir. G. Brachotte) participent également à mieux comprendre la manière dont différents acteurs et médias contribuent à façonner les discours et les mythes populaires dans des secteurs particuliers.
  • 20Si beaucoup a été fait, notamment au début des recherches sur internet, sur le potentiel de mise en relation transfrontalière offert par ces médias, il s’est avéré que la possibilité technique ne suffit pas pour induire des usages sociaux nouveaux (Proulx, 2004) : le fait de pouvoir discuter via les forums avec des inconnus d’autres pays ne se concrétise que s’il fait sens pour les individus concernés, par exemple dans le cas d’interactions bien spécifiques et ciblées où il s’agit de relations commerciales, techniques, etc.
  • 21Source : France Culture. Disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-poetes/road-le-sentiment-de-la-route [consulté le 28/11/2022].
  • 22À travers une approche inspirée par les sémiosphères de Lotman (1999, 2000), Brenner distingue cinq niveaux à prendre en considération afin d’interpréter un tweet en communication politique : après (i) le niveau des signes et (ii) celui du tweet avec sa grammaire particulière, elle identifie (iii) le niveau contextuel du framing médiatique (à la lumière de l’actualité médiatique de la société, des représentations sociales et des frames dominants), (iv) le contexte politique national (relations entre les partis, histoire et sujets politiques), qui fait partie de (v) la sémiosphère nationale, synonyme, dans ce modèle, de culture nationale (Brenner, 2017, p. 124).