Revenir sur l’œuvre cinématographique d’Ousmane Sembène, l’un des artistes africains emblématiques de la répression coloniale et de la période postcoloniale pose le lien entre histoire et mémoire, entre histoire racontée et devoir de mémoire1. Certes, l’histoire n’est pas la mémoire, mais les réécritures d’événements historiques ou de faits divers marquants, relèvent pour Sembène d’un engagement politique fort qu’il se doit d’avoir pour le peuple africain et pour éviter l’amnésie. Celui qui se dénomme lui-même le « mécréant » et qui avait installé un écriteau devant sa maison à Dakar avec l’inscription Gàlle Ceddo (Maison du rebelle) en dit long sur cette figure de militant. Le cinéma incarne à ses yeux l’outil le plus important pour toucher les Africains, société de l’oralité, au point qu’il se dira prêt à tout pour mener à bien ses projets : « Je te dis, je coucherai avec les diables ou les diablesses pour faire mes films »2.
L’objet de cette réflexion est de revisiter autour de deux de ses films, où les femmes sont mises au premier plan (La Noire de…, 1966, 65 min ; Emitaï, 1971, 95 min), les processus narratifs dont il fait usage et les positions qu’il endosse pour inscrire dans la mémoire de ses publics ce qu’il ne faut pas oublier concernant les répressions colonialistes. Il n’aura donc de cesse de soutenir la puissance d’un cinéma forain relié à des événements historiques, de se faire le porte-parole de témoins disparus, ou n’ayant pas osé s’exprimer publiquement. Bref il se fera le témoin des témoins. Puis, l’analyse portera sur l’après-Sembène afin que ses œuvres et engagements multiples ne sombrent pas dans l’oubli. Certes, depuis sa disparition en 2007, Sembène s’est vu consacré au « Panthéon des hommes de culture et de sciences d’Afrique et de la diaspora, [considéré comme] une bibliothèque inépuisable, une référence culturelle de la trempe de Cheikh Anta Diop » (Cissoko, 2008, en ligne), mais aussi une référence au niveau international. Honoré dans de multiples festivals cinématographiques3, différentes manifestations et via des travaux écrits protéiformes, Sembène le « Balzac africain » (Berty, 2019, p. 20) demeure l’une des figures emblématiques des Histoires de l’Afrique, « dont la dissidence et la rébellion ont toujours été occultées dans les discours officiels sénégalais politiques ou/et religieux » (Gadjigo, 2013, p. 22). Ainsi, parmi le foisonnement de ces différentes productions, l’attention portera sur deux événements majeurs :le documentaire Sembène ! The inspiring story of the father of African cinema (Gadjigo et Silverman, 2015)4 qui sert de référence aujourd’hui concernant la biographie de l’artiste d’autant qu’il est très accessible (DVD et YouTube)5. Puis, la création de l’Association Sembène Ousmane à l’Université Cheikh Anta Diop le 19 juin 2018 dont l’initiative revient à des enseignants, chercheurs, étudiants, artistes et citoyens désireux de prolonger l’œuvre sembénienne.
Sembène Ousmane, l’artiste africain engagé, symbole du non-oubli.De La Noire de… (1966) à Emitaï (1971)
L’originalité du travail de Sembène réside pour partie dans le fait qu’il ne se limite pas à donner des représentations du colonialisme au masculin ; au contraire, il s’empare de la cause des femmes pour traiter de cette question. Dans son premier long métrage, La Noire de…6, inspiré d’un fait divers survenu sur la Côte d’Azur le 23 juin 1958 et publié dans le quotidien Nice Matin, il narrel’histoire d’une jeune fille, Diouana Gomis, au service d’une famille expatriée à Dakar. Sembène montre alors combien elle est fière de ce travail parce qu’il lui permet de s’émanciper en tant que femme africaine d’autant qu’elle n’a aucune autre tâche à faire comme le ménage ou la cuisine. Pour elle, ce « travail chez les Blancs » participe d’une reconnaissance positive de son africanité et, pour son entourage, elle est devenue l’héroïne promise à un bel avenir, surtout lorsqu’elle est invitée, dans un second temps, à rejoindre ses patrons à Antibes.
Diouana considère ce voyage comme une chance inespérée de découvrir un nouveau monde, même si pour Sembène, c’est le déplacement de l’illusion. Mais tant ce nouveau lieu – un très bel appartement qui a vue sur la mer Méditerranée – que ce nouvel emploi se transforment peu à peu en enfer : Diouana est plongée dans un isolement total car elle ne sort jamais de l’appartement et elle n’a aucun échange verbal sauf avec « Madame ». Au fil des jours, Diouana souffre du mépris de sa « maîtresse », de ses remarques racistes, et des tâches ménagères incessantes imposées. Aussi se rend-elle compte du piège dans lequel elle est tombée. L’horizon de Diouana est réduit à la froideur de l’appartement qui devient progressivement son tombeau. Comme elle ne parle jamais, Sembène fait exprimer les sentiments et émotions de cette dernière en voix offau point que cette voix intérieure illustre la notion de clôture subie. De même, le cinéaste met en scène un masque Ban-mâna offert par Diouana aux coopérants. D’objet de décoration, il se transforme au cours du film en objet de révolte car il symbolise le refus du Maître (Ban : refus ; mâna : maître). Muet comme elle, il observe toutes les humiliations qu’elle subit et c’est lui qui devient la voix de l’héroïne. À ce sujet, Sembène précisera : « La Noire de… portait sur la difficulté de communiquer avec le néocolon. On peut voir dans le masque qu’offre la jeune femme au couple de Blancs un rôle précis, une référence à l’au-delà et au monde des esprits. Un Européen n’y verra qu’une forme. Cette relation au sacré est autre » (Barlet, 2009, p. 118). Cette voix off qui accompagne tout le déroulé du film symbolise la réclusion, l’immobilité et l’impossible retour. Voix qui devient progressivement, pour l’héroïne, une carapace contre le monde extérieur et le poids du regret (celui d’être partie), qui fait défiler les souvenirs d’une famille restée sans nouvelles et d’un amour laissé au pays (son fiancé). Pour Sembène, l’économie de la parole permet de souligner la logique coloniale et ses violences. Enfin, Diouana décide de faire sa valise, le spectateur ne peut qu’envisager son retour à Dakar. Mais le départ est tout autre, Diouana se suicide dans la baignoire de l’appartement.
Avec ce fait divers, Sembène a voulu montrer ne serait-ce qu’avec le titre de son film, La Noire de…, la violence psychologique des colons et leur manière de rendre invisibles les personnes colonisées, mais surtout il a voulu témoigner de l’urgence de dire (Gariazzo et al., 2016). Diouana est bien « “la Noire” de quelque chose ou de quelqu’un. [Et ce titre] […] suffit à évoquer l’idée d’asservissement qui […] renvoie le spectateur à l’esclavage et la colonisation – d’autant que cette dernière est encore fraîche dans les mémoires » (Andriamirado, 2009, p. 89). Ici, Sembène se veut le témoin obligé des témoins disparus (à l’image de Diouana) ou de ceux qui n’avaient pas pu raconter et dire ce qui était inénarrable. C’est donc bien comme témoin cinéaste oculaire (comme s’il avait vu et vécu la même situation), qu’il devient pour de nombreux publics africains la référence d’épisodes dramatiques liés à la colonisation.
Emitaï (1971), inspiré également d’un fait réel, est la première réalisation reliée à l’histoire contre l’armée coloniale de Sembène où ce dernier témoigne, par la longueur des séquences, d’un cauchemar sans fin avec des femmes en premier plan. Dans ce contexte historique particulier, les troupes coloniales installées à Dakar sont en manque de ravitaillement, et l’ordre est donné en 1942 de réquisitionner le riz cultivé dans tous les villages sénégalais. Or, en Casamance, là où se déroule le film, les femmes sont responsables des récoltes et le riz est considéré comme sacré. Les femmes qui apprennent par le tam tam l’arrivée imminente de soldats, prennent la décision de résister et de cacher le riz pendant la nuit7. Il s’agit d’une décision forte et risquée. Arrivés sur place, les militaires découvrent les faits et décrètent de punir les femmes rebelles : ils les prennent de force en otage, avec leurs enfants, et les obligent à s’asseoir sur la place du village sous un soleil torride, le joug des fusils des tirailleurs pointés sur elles, et ce jusqu’à ce qu’elles cèdent8. Cette situation qui dure témoigne de ce que Sembène veut révéler, à savoir la contrainte d’être installé de force dans un espace particulier – celui de la place du village, lieu habituel d’échanges – qui se transforme alors en un espace restreint et clos. Parallèlement, la détermination des femmes s’inscrit également dans une forme de résistance incarnée par leur apparent ou prétendu mutisme traditionnel dans les affaires de la Cité, mutisme qu’elles utilisent comme arme contre l’armée coloniale qui n’arrivera pas à les faire fléchir. Plus tard, les femmes tentent de quitter la place et cherchent à se cacher, mais elles sont ramenées manu militari, et l’entrave en ce lieu se poursuit. Après que l’armée a exécuté le chef de village, les quelques hommes restés au village procèdent à ses funérailles, mais ils sont stoppés par l’armée qui décrète qu’elles ne pourront avoir lieu qu’à la condition que ceux-ci apportent le riz caché par les femmes. Quelques hommes cèdent et apportent trois paquets de riz : leurs femmes sont libérées, mais celles-ci préfèrent se rasseoir auprès de leurs compagnes d’infortune. Constatant que les femmes ne capitulent toujours pas, les militaires menacent de brûler le village et des tirs d’intimidation ont lieu. Un jeune adolescent est tué et cette mort conduit à un nouvel acte de bravoure du côté des femmes qui décident de célébrer aussitôt les funérailles du jeune homme et du chef de village. Elles prennent le temps de mettre leur coiffe destinée aux rites funéraires, se meuvent très lentement vers le cimetière. Sembène surprend ici le spectateur car cet agissement est, de fait, ignoré par l’armée. Sauf que la réponse ne se fait pas attendre. En effet, pendant le temps de recueillement des femmes, les militaires soumettent les hommes à un dilemme terrible : aller chercher les sacs de riz cachés pour éviter la mort de leurs compagnes et la mise à feu du village, ou ne rien faire. Ils choisissent de répondre aux exigences de l’armée, mais l’esprit de vengeance est à l’œuvre et un gradé, excédé par la résistance et l’arrogance des femmes, demande aux hommes de déposer les sacs de riz au sol, leur ordonne de s’aligner le long d’un champ et les fait exécuter les uns après les autres par les tirailleurs enrôlés.
Sembène met ici en images l’affrontement d’un village avec l’armée coloniale, qui se fait sur un mode quasi silencieux comme dans La Noire de… « Le film se veut un hymne à la résistance au travers […] de femmes engagées pour la survie de leur village qui luttent pour éviter que leur récolte de riz ne leur soit confisquée pour aller nourrir l’effort de guerre de la métropole » (Mestaoui, 2011). Si Sembène tient à relater ce type de drames récurrents, c’est pour éviter que de pareils événements ne se reproduisent, car pour lui, l’amnésie est une grave erreur : « Nous peuples dominés, nous ne pouvons pas nous taire, le silence serait un suicide. Si nous refusons de dénoncer l’injustice (le sort des tirailleurs, l’esclavage ...), nous en serons complices » (Chinien, 2009).
D’où sa posture totalement assumée, celle, à l’appui de fictions, de se faire le narrateur-témoin et porteur des mémoires des opprimés des exactions des colons, quitte à déranger les pouvoirs en place (en France et au Sénégal), et à importuner l’historiaphie officielle. De fait, lorsque la mémoire d’un passé peu glorieux pour certains, en l’occurrence la France, est pointée par Sembène, c’est parce qu’il estime qu’il est du devoir de ceux qui ont été opprimés de répéter sans cesse que « toute colonisation est mauvaise quelle que soit sa nature ou l’esprit dans lequel elle est [ou a été] faite, [que] toute forme d’esclavage doit être rejetée et [que] toute personne qui pense autrement est quelqu’un d’étrange […] qui pourrait abuser de son pouvoir et devrait être combattue »9 (Murphy, 2000).
L’après Sembène. Sembène ! Le documentaire, premier objet testimonial de la vie de l’artiste
Sembène ! est un documentaire biographique qui fait aussi état des différents visages de l’artiste au cours de sa carrière avec « 1 000 heures de rush et 50 interviews [qui] auront permis aux deux collaborateurs de tirer quelque chose d’instructif pour mettre debout une mémoire cinématographique-littéraire » (Niang, 2016a). C’est encore « un chuchotement à la mémoire » de Sembène (Ibid.). Fruit de sept années de travail de recherche documentaire10, le film découpé en six volets commence par une citation de Sembène qui témoigne de son engagement : « Si les Africains ne réalisent pas leurs propres images, l’Afrique va bientôt disparaître ». De même, les premiers plans qui montrent sa maison à l’abandon depuis 2007 laissent à penser que si personne n’agit pour perpétuer à la fois le souvenir de l’homme et son héritage, il n’y aura plus de mémoire collective africaine (Niang, 2016, en ligne) : « Sauvegarder les archives de Sembène, est un devoir impératif pour la préservation de la mémoire collective (africaine) sans laquelle il ne saurait y avoir de culture » (Niang, 2016b). Dès le premier chapitre du film, « La Maison du Rebelle », S. Gadjigo auquel Sembène avait confié les clés de sa maison, fait état en 2011, de l’état de dégradation de la maison de l’artiste : « Tout est moisi, détruit… […]. Son héritage est en train de pourrir […]. Impossible de croire que Sembène avait été ainsi abandonné […]. Un gâchis incroyable […] » confie-t-il à la caméra tout en annonçant l’objectif du film : « Je ne peux pas laisser ses livres et ses films disparaître ». Très proche de Sembène pendant plus de dix-sept ans, S. Gadjigo rappelle au spectateur que « Sembène a commencé à écrire pour donner la voix aux sans-voix »11. C’est ce qui est montré dans ce documentaire, lequel est le premier objet testimonial concernant la vie de l’artiste et de l’homme, objet important à la fois pour les chercheurs ou pour ceux qui veulent mieux connaître Sembène. Le troisième volet du film « Un miroir pour l’Afrique » rappelle comment Sembène a débuté sa carrière d’écrivain lié à un constat qu’il fait lorsqu’il est à Marseille : « Mon Afrique était absente. L’Afrique des travailleurs. L’Afrique des laboureurs. L’Afrique des gagne-petits. Ce qu’on évoquait était une Afrique moribonde ». Puis, arrive sa carrière de cinéaste militant, malgré tous les obstacles rencontrés, à savoir aucune industrie cinématographique, pas de matériel de qualité, pas de technicien professionnel, pas d’acteur bien formé, pas de financements : pourtant, il réalise son premier film Borom Sarret (L’homme à la charrette, 1962)12 tourné avec des restes de pellicules que lui avaient laissé ses amis européens. Mais pour Sembène, peu importe les difficultés13, le cinéma demeure pour lui la seule opportunité pour les Africains de se voir selon leur propre miroir14 : « Les Noirs ont besoin de cinéma noir… » ou « Je suis la bouche, les oreilles et les yeux de millions de personnes »15. Véritable griot avec les instruments de l’artiste africain moderne, caméra et stylo16, Sembène incarne la résistance populaire et politique et enchaîne des productions provocatrices, parfois controversées (Emitaï, Xala, Ceddo, Camp de Thiaroye), qui lui valent à la fois succès et rejet17.
Ce qui est également important dans ce documentaire, ce sont les moyens utilisés pour transmettre après sa mort ses enseignements visionnaires et ses mises en scène des problèmes de la société africaine. Par exemple, l’une des dernières séquences du documentaire qui montre la diffusion de La Noire… auprès de villageois·e·s africain·e·s répond à l’une de ses volontés : utiliser le cinéma forain pour faire réfléchir les Africains sur leur Histoire avec toute la complexité que cela suppose et les questionnements sur un passé parfois encore mal connu. Le film montre aussi comment Sembène devient célèbre ailleurs qu’en Afrique grâce à S. Gadjigo, professeur de littératures francophones et de cinéma au Mount Hlyoke College (Massachusetts) :il l’incite à participer, notamment aux États-Unis, à des conférences, des festivals, des entretiens avec des journalistes tout en lui servant de traducteur. Ce qui fait que Sembène va à la rencontre de nouveaux publics qu’il n’aurait jamais côtoyés. Au fil du temps, il se rend compte qu’il est mieux considéré à l’étranger qu’au Sénégal et fait des rencontres mémorables18. Ces différents aspects de la vie de Sembène, y compris ceux liés à sa vie privée, sont dans ce cadre des éléments essentiels, en ce sens que mis bout à bout, ils permettent de mieux saisir le personnage et de comprendre son parcours ; de même, ils s’inscrivent dans une cohérence au plus près de la réalité, grâce à un travail d’écriture scénaristique composé de récits reconstitués et réagencés, ce qui, pour la première fois, donne accès à une vision non parcellaire de la vie et de l’œuvre de l’homme. En outre, ce récit filmique est un objet testimonial à lui seul, et s’inscrit dans ce que S. Gadjigo revendique, à savoir être un « continuateur » et un transmetteur pour éviter l’oubli. Mais comme l’écrivain et critique de cinéma, Olivier Barlet (2015), le rappelle : « ce film n’est qu’une étape sur la route du sauvetage des archives de Sembène pour les chercheurs du monde entier »19.
L’Association Sembène Ousmane
Parmi d’autres actions concernant la mémoire autour de Sembène, est à souligner la création de l’Association Sembène Ousmane avec plusieurs projets en cours. D’abord, la naissance du projet central Waxtaan Sembène20qui rappelle que Sembène avait dialogué de différentes manières auprès de ses publics (articles, entretiens, conférences, etc.), ce qui, à côté de ses romans et films, constitue un paratexte sembénien conséquent. Or, le constat de l’Association est le suivant : l’état de la conservation et de la divulgation de ce patrimoine intellectuel est éparpillé ou en voie de dissipation. Ainsi peut-on lire ceci sur le site de l’Association : « Le texte L’Homme est culture (1975) n’est plus édité et on ne dispose que d’une poignée d’exemplaires dans quelques bibliothèques universitaires à travers le monde ; de même, la plupart des entretiens sont presque inaccessibles pour un public non académique, alors que d’autres ne sont consultables qu’en se rendant dans des archives, en France ou au Sénégal. Le but de ce projet consiste à restituer à Sembène cette parole oubliée afin que les chercheurs, tout comme les amateurs, puissent l’entendre à nouveau »21.
Le second volet École du soir – À l’école de Sembène Ousmane a pour objectifs d’amener les jeunes Africains à s’approprier la vision de Sembène sur l’éducation et de « redynamiser la lecture-débats et les cinéclubs comme espaces d’échange sur les idées fortes » (Ibid.) de ce dernier. L’idée est aussi d’en inciter certains aux métiers cinématographiques avec des concours de scénario et de mise en scène afin de faire perdurer le cinéma africain. Le troisième volet du projet Mbokkeelgi 22consiste à vulgariser la pensée et les productions de l’artiste et donc de « promouvoir une convergence et une synergie d’interventions des différentes formes artistiques autour de [son] œuvre »(Ibid.). Enfin, le dernier volet « Notices d’autorité » s’intéresse à la mise en place de documents fiables et vérifiés sur l’œuvre de Sembène. En effet, force est de constater qu’il y a « divergence des informations livrées à propos des mêmes œuvres, des mêmes événements concernant Sembène ». C’est pourquoi l’équipe mise en place à cet effet doit « élaborer des fiches de renseignements appropriées aux différents objets d’enquête, à partir d’une recherche assidue, en vue de fournir des données fiables, qui fassent autorité et fondent une référence crédible ». Pour les chercheurs intéressés, ce dernier volet est sans doute une base de travail à venir essentielle et un objet mémoriel digne de l’artiste. Pour autant, la vie de la jeune association Sembène Ousmane a stagné quelque peu et n’a pas pu développer comme prévu toutes les activités envisagées en raison de la crise du Covid, mais elle travaille à la commémoration prévue en 2023 à l’occasion du centenaire de Sembène. Elle a néanmoins organisé les 14 et 15 juin 2019 le colloque international à Dakar Ousmane Sembène, artiste-militant, accompagné du premier festival sembénien avec une rétrospective des films de l’artiste et d’une sélection de courts et longs-métrages de cinéastes contemporains. Toujours en raison du Covid, la publication des actes n’est pas encore achevée et devrait paraître en 2023 dans le n° 1 de la revue Cahiers Sembène Ousmane dirigée par le Pr. Mbaye Diouf de l’Université McGill à Montréal23. La mémoire de l’homme et de son œuvre est donc bien gardée même s’il reste encore à faire, comme la transformation de sa maison Gàlle Ceddo en musée ou lieu de mémoire en fonction de la volonté de sa famille24.
Conclusion
Le constat est là. De son vivant, Sembène a réalisé ce qu’il voulait transmettre par l’image : une prise de conscience par le peuple africain de leurs histoires passées, notamment celles des méfaits du colonialisme et du post-colonialisme. Ce que d’autres (amis, enseignants, chercheurs, cinéastes, artistes, etc.) poursuivent sans relâche, le documentaire de S. Gadjigo et de J. Silverman et les actions de l’Association Sembène Ousmane en attestant. À cela, s’ajoute l’ouverture de la Daaray Sembène en 2008 à Thiès dirigée par Hadja Maï Niang, enseignante-chercheure en Lettres et didactique de l’image à l’Université de Thiès. Cette école populaire ouverte à tous se veut une maison de la pédagogie par l’image et commémore la mémoire de l’artiste tous les ans25. Il est aussi à noter l’ouverture du complexe cinématographique Sembène Ousmane à Dakar depuis mars 2018, qui expose dans ses murs, de nombreuses photos ou affiches de l’homme et de ses œuvres. Mais, il faudra sans doute attendre 2023, année de son centenaire, pour espérer que : « Sembène, c’est quelqu’un qu’on ne doit pas oublier […] Il était en avance sur son époque et jusque-là, son époque ne l’a pas encore rattrapé. Le jour où l’on comprendra Sembène […] le continent africain commencera à pouvoir rentrer dans son développement » (Ibid.).
Références
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