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De la Lorraine à la Chine

Les recherches de Pr Jacques Walter relatives au programme « Carrières testimoniales. Les devenirs-témoins de conflits des 20e et 21e siècles » ont été pour moi une source d’inspiration importante en ce qu’elles ont stimulé mon intérêt pour un domaine largement inexploré dans les études portant sur l’histoire et la mémoire menées en Chine contemporaine. Plus précisément, cela m’a incitée à m’intéresser à la trajectoire qui conduit les témoins à rompre le silence pour livrer un témoignage sur les événements historiques sensibles tels que la Grande famine (1959-1961) et la Révolution culturelle (1966-1976) sous le régime communiste.

Suite à ma rencontre avec certains témoins des affrontements de Chongqing (ville du sud-ouest de la Chine) qui se sont déroulés pendant la Révolution culturelle, j’ai envisagé la possibilité d’utiliser la perspective élaborée par Jacques Walter et Béatrice Fleury dans Carrières de témoins de conflits contemporains (1 à 3) afin d’étudier la notion de « carrière testimoniale » (Fleury, Walter, 2013, p. 9) sur le terrain chinois. C’est ainsi qu’en 2015 et 2016, grâce à un financement de la Région Lorraine et de la ville de Nancy pour le contrat de recherche « De la Chine à la Lorraine. Sources et ressources pour (re)penser la Révolution culturelle » (2014-2017), je me suis rendue à Chongqing afin de mener des entretiens auprès des témoins des affrontements de Chongqing.

Ces affrontements– les premiers et les plus meurtriers des conflits de la Révolution culturelle – sont survenus entre décembre 1966 et octobre 1968 à Chongqing, ville renommée, lors de la guerre froide, pour son industrie de l’armement florissante. Ces combats ont pour origine les conflits internes majeurs qui opposent les gardes rouges concernant la répartition inégale du pouvoir entre les différentes organisations communistes de masse pendant la Révolution culturelle. Au début de l’année 1967, les gardes rouges se divisent en deux factions, la Faction 815 et les Rebelles jusqu’au bout. Dès lors, ces coalitions rivales ne vont cesser de s’affronter. Pendant la période la plus sanglante, entre juillet et septembre 1967, « au moins 1700 victimes », dont des collégiens, lycéens, étudiants, travailleurs, agriculteurs et citoyens, s’entretuent à Chongqing (Chi, 2017, p. 294).

Certaines recherches ont été menées sur les affrontements de Chongqing1, toutefois, dans les livres d’histoire publiés en Chine continentale, cet événement historique se voit retirer toute légitimité par les autorités qui font de leur mieux pour qu’il tombe dans l’oubli. Ainsi l’histoire de ces affrontements repose-t-elle principalement sur des historiens non officiels qui collectent eux-mêmes des matériaux historiques, réalisent des entretiens et écrivent sur le sujet. Les souvenirs des témoins revêtent donc une importance capitale pour la reconstruction de l’histoire des actes de violence commis à Chongqing, et pour l'inscription de cet événement dans la mémoire collective.

Dans cette contribution, nous étudierons dans un premier temps le parcours de deux témoins des affrontements de Chongqing. Nous tenterons d’éclairer les « facteurs privés » et ceux publics qui les conduisent à « prendre la parole pour transmettre ces expériences à des tiers » (leur motivation, leur rencontre, l’attente de la société chinoise, etc. ; Fleury et Walter, 2013 : quatrième de couverture). En tant que témoins des affrontements de Chongqing, ceux-ci peuvent-ils regarder au-delà de leur appartenance à leur faction et réfléchir aux violents et sanglants combats auxquels ils ont participé ? De plus, dans le contexte d’une censure aussi stricte de l’édition et d’Internet exercée par le Parti communiste chinois (PCC), les témoins professionnels existent-ils réellement ? Ou plutôt, quelles sont les conditions requises pour qu’un témoin des affrontements de Chongqing devienne un témoin « professionnel » (Ibid.) ?

Dans un second temps, nous démontrerons, dans le contexte des affrontements, « comment repérer et analyser les facteurs de légitimation et de stabilisation conduisant à la consécration de certains témoins historiques ? » (Fleury et Walter, 2014, quatrième de couverture). Quel rôle les témoignages jouent-ils dans la reconstruction de la mémoire d’un événement historique sensible tel que les affrontements de Chongqing ? Quelles sont les modalités d’influence d’un témoin sur d’autres, c’est-à-dire les motifs et conditions de « pollinisation » d’un témoignage ? (Fleury et Walter, 2015, p. 12).

Nous honorerons ces objectifs grâce à la constitution d’un riche corpus qui comprend notamment les sources primaires des entretiens, mais également des sources secondaires comportant des recherches existantes tels des ouvrages, mémoires et articles, ainsi que des sources inédites ne pouvant être publiées en Chine.

Du silence au témoignage

Plus de 30 ans après la fin des affrontements de Chongqing, cet événement reste un chapitre occulté de la mémoire collective et hors du champ de vision du public. Il existe deux raisons à ce phénomène.

Tout d’abord, à partir de la fin de l’année 1968, les jeunes de Chongqing, dont nombre d’entre eux avaient directement participé aux affrontements, comme ceux d’autres villes chinoises, sont contraints de s’installer et de travailler à la campagne en raison du mouvement des « jeunes instruits »2 lancé par le Parti communiste. Ce n’est qu’à l’issue de la Révolution culturelle, à la fin des années 1970, qu’ils retournent à Chongqing et sont confrontés à de graves problèmes de survie. Au cours de mes entretiens, j’ai appris que la majorité des personnes qui avaient participé aux affrontements ont dû travailler durement après leur retour en ville pour pouvoir subsister à leurs besoins, et n’avaient ni le temps ni l’énergie pour se remémorer le passé et se livrer à une réflexion.

Mais la raison principale de cette situation s’explique par le changement d’idéologie de l’État, à savoir la répudiation de la Révolution culturelle et de la ligne révolutionnaire de Mao Zedong en 1978 qui a pour conséquence que les victimes ne sont plus considérées comme des martyrs ayant sacrifié leur vie pour leur pays, mais comme des victimes de la lutte politique. Leurs proches qui ont perdu des membres de leur famille et ceux ayant participé aux affrontements qui ont perdu des camarades de classe, des collègues ou des amis doivent poursuivre leur vie dans la douleur : leur expérience individuelle n’est pas comprise par la société et se voit confinée dans leur monde intérieur en tant que souvenir individuel.

À partir de 2001, l’événement historique que constituent les affrontements de Chongqing commence à attirer l’attention des médias chinois. En avril de la même année, le Southern Weekend publie un dossier spécial de 13 000 mots intitulé « Le cimetière silencieux de la jeunesse de la Révolution culturelle » (Han et Yu, 2001). Celui-ci contient des entretiens avec cinq témoins des affrontements de Chongqing qui brisent pour la première fois le silence dans l’un des journaux les plus influents du pays, afin de se confier sur la mort de parents ou de camarades de classe enterrés dans le cimetière. Les souvenirs personnels réels et vivaces suscitent des réactions enthousiastes de la part des lecteurs dans tout le pays lors de la publication de l’article. C’est la première fois que l’histoire des affrontements de Chongqing se trouve au centre de l’attention du pays tout entier. En 2006, à l’occasion du 40e anniversaire de la fin de la Révolution culturelle, le New York Times publie un reportage, effectué sur place, sur le nettoyage des tombes lors de la fête de Qingming3 au cimetière des affrontements de Chongqing, intitulé « Nettoyage des tombes de Qingming, retour sur les années sanglantes de la Révolution culturelle ». Le fait que les médias occidentaux réalisent un reportage sur cet événement historique est également sans précédent.

La carrière testimoniale de Zhisheng Zheng, fondateur du cimetière des affrontements de Chongqing

C’est dans ce contexte que le Chongqing Business Daily, un journal local de Chongqing, publie en 2007 un article sur le cimetière où sont enterrées les victimes des affrontements de Chongqing, grâce auquel Zhisheng Zheng s’exprime en tant que témoin pour la première fois :

« Une journaliste du Chongqing Business Daily, Yang Yue, a publié un reportage sur le cimetière des affrontements de Chongqing qui comportait de nombreuses erreurs. Après avoir lu l’article, je lui ai écrit une lettre pour rétablir certains faits historiques dans laquelle j’ai précisé que j’étais le fondateur du cimetière, que je m’étais occupé de la plupart des corps et les avais enterrés, et qu’à ce titre, j’avais un droit de parole. Le Chongqing Business Daily a alors demandé à cette journaliste de m’interviewer, suite à quoi elle a écrit un autre reportage sur le cimetière en se fondant sur notre entretien » (Entretien du 15 juin 2015 avec Zheng Zhisheng à Chongqing)4.

C’est la première entrevue de Zheng avec les médias en tant que témoin des affrontements de Chongqing. En s’appuyant sur son témoignage, la journaliste rédige un nouvel article et corrige les faits historiques erronés présentés dans son reportage initial. Cependant, ce texte ne sera publié dans le Chongqing Business Daily (Yang, 2010) sous le titre « Chongqing : des données historiques détaillées contribuent à ce que le cimetière soit reconnu comme site historique et culturel » qu’après que le cimetière ait été classé comme site historique et culturel au niveau municipal par la ville de Chongqing à la fin de l’année 2019. Dans son article, la journaliste mentionne les chiffres relatifs aux victimes du cimetière des affrontements de Chongqing fournis par Zheng, les détails sur les personnes décédées qu’il a mises en terre et, en particulier, sa confession concernant la mort de deux victimes des Rebelles jusqu’au bout à laquelle il est étroitement associé et pour laquelle il a été condamné à 13 ans de prison. En outre, l’article présente un portrait de face de Zheng, ainsi qu’une photographie de lui de dos lors de son retour au cimetière. C’est la première fois que son portrait apparaît dans un média de masse.

Saisissant l’opportunité offerte par cet entretien, Zheng décide de rédiger ses mémoires :

« Jusqu’alors, je n’avais pas eu le courage d’écrire sur ces événements. Le 2 janvier 2008, j’ai fêté mes 65 ans, et j’ai décidé de commencer d’écrire le jour de mon anniversaire, ce qui était logique pour moi. Mon épouse n’était pas favorable à ce que je rédige mes mémoires en raison du caractère sensible du sujet et du fait que j’avais été emprisonné pour une affaire criminelle. Mais bien que j’aie purgé 13 ans de prison, ma culpabilité n’a jamais diminué au fil des ans. Chaque jour, après avoir terminé mon travail et les tâches ménagères, j’attendais qu’elle soit endormie et j’écrivais entre 23 h et 2 h du matin, tout en pleurant : c’est ainsi que j’ai écrit mes mémoires qui comportent environ 500 000 mots » (Entretien du 16 juin 2015 avec Zheng Zhisheng à Chongqing).

Son expérience personnelle des affrontements de Chongqing représente environ un tiers de ses mémoires. Après en avoir achevé la rédaction, Zheng envoie le manuscrit à Shu He, un historien spécialiste des affrontements de Chongqing, qui le considère comme

« un récit honnête et courageux de son passé et une confession sincère, qui va au-delà de la controverse entre la faction 815 et les Rebelles jusqu’au bout, et qui présente en outre une grande valeur historique » (Entretien du 6 avr. 2016 avec He Shu à Chongqing.).

Shu He le présente ensuite à un certain nombre de journalistes et de chercheurs nationaux et internationaux afin que ces derniers organisent des entrevues. Entre 2010 et 2019, Zheng accorde sept entretiens à des journalistes chinois et étrangers renommés du Southern Weekend, du Beijing News, du New York Times, entre autres, en tant que fondateur du cimetière des affrontements de Chongqing. Il participe également à deux documentaires5, est interviewé par plus d’une dizaine de chercheurs spécialistes des affrontements de Chongqing, et publie un extrait de ses mémoires intitulé « Les confessions de Zheng Zhisheng sur les affrontements de Chongqing » dans le « Numéro spécial sur le cimetière des affrontements de Chongqing (2012) » de la revue académique La Mémoire (pp. 10-29). Ses nombreuses apparitions dans les médias et le fait que son témoignage soit fréquemment cité par des spécialistes de l’histoire des affrontements de Chongqing confèrent à Zheng un statut de témoin professionnel. Il confie la raison pour laquelle il continue d’accorder des entretiens :

« Le mois d’août 1967 est la période qui donne lieu aux actions les plus violentes des affrontements de Chongqing, celle où j’ai fait un pas dans la mauvaise direction et où je suis tombé dans l’abîme. Le sang, la sueur et les larmes des autres se sont mêlés à mon sang, ma sueur et mes larmes : j’ai sombré dans le gouffre. Je fus plongé dans un cauchemar contre lequel je me débats avec acharnement encore aujourd’hui. Je souhaite qu’il soit consigné pour que les jeunes tirent les leçons de mes faux pas et ne commettent pas les mêmes erreurs » (Entretien du 15 juin 2015 avec Zheng Zhisheng à Chongqing).

Ses mémoires sont d’ailleurs intitulées Sueur, sang et larmes : un siècle de rêves. Cependant, en raison de son contenu sensible, le texte est victime de la censure et n’a pu jusqu’à présent être publié en Chine continentale. Zhisheng Zheng l’a mis à la disposition des journalistes et des chercheurs auxquels il a accordé des entrevues, ainsi qu’à d’autres témoins des affrontements sous la forme d’un livre électronique, dans l’espoir qu’ils contribueront à diffuser la vérité sur cet événement historique.

Le parcours du témoin Musen Li, commandant en chef des Rebelles jusqu’au bout

Musen Li est un autre témoin des affrontements de Chongqing m’ayant accordé un entretien. Il a 28 ans au début de la Révolution culturelle en 1966 et travaille en tant qu’assistant-technicien à l’usine de machines Jiangling à Chongqing6. Pendant la période des affrontements, il est le commandant en chef des Rebelles jusqu’au bout et le principal commandant en première ligne des affrontements. Il dirige personnellement les opérations de combat dans le district de Jiangbei à Chongqing en août 1967, durant lesquelles il utilise les armes et équipements des troupes régulières, y compris des mitrailleuses et des obus d’artillerie, de sorte que les affrontements de Chongqing se sont transformés en guerre civile. Ces combats sont considérés comme les plus meurtriers que connut le pays. Il a en outre assumé le poste de directeur adjoint du comité révolutionnaire de Chongqing, dont les pouvoirs équivalent à cette époque à ceux du « maire adjoint de la ville » (Entretien du 10 et 11 avr. 2016 avec Li Musen à Chongqing).

Bien qu’il ait occupé une position clé pendant les affrontements, Li demeure silencieux pendant plus de 30 ans après les événements. L’occasion pour lui de s’exprimer en tant que témoin des affrontements de Chongqing et de commencer à exposer sa propre histoire se présente lors de la diffusion d’une histoire orale des affrontements sur Internet en 2004. Huang Lian, membre des Rebelles jusqu’au bout ayant participé aux affrontements, diffuse en effet « Un récit oral de la révolution culturelle de Chongqing – une entrevue avec Huang Lian » (Lao, 2004) qui reconstitue oralement la chronologie des affrontements de Chongqing, récit qui suscite de nombreuses réactions au sein des chercheurs travaillant dans le domaine des études sur la Révolution culturelle. L’historien Shu He estime que l’opinion de Li, l’ancien chef des Rebelles jusqu’au bout, fait le plus autorité pour ce récit oral. Il contacte par conséquent ce dernier par l’intermédiaire d’un ami et lui rend visite à son domicile. De fait, Li constate que ce récit comporte « de nombreuses erreurs factuelles, notamment une confusion sur les dates, des noms et des lieux erronés, ainsi que des détails inexacts » (Entretien du 10 avr. 2016 avec Li Musen à Chongqing). Après que Shu He l’y ait fortement incité, il décide finalement d’écrire ses propres mémoires. Musen Li explique ainsi sa motivation :

« Mon objectif en écrivant mes mémoires est de m’efforcer autant que possible de raviver des souvenirs précis et de préserver les documents historiques liés à la Révolution culturelle, et de mettre au jour la vérité. Même s’il s’agit d’un événement que j’ai personnellement vécu, je ne me fierai pas seulement à ma mémoire : je rechercherai d’autres personnes pour enquêter et comprendre cet événement sous différents angles, et je tenterai de restituer le vrai visage des affrontements ainsi que les détails des faits majeurs qui en témoignent » (Entretien du 11 avr. 2016 avec Li Musen à Chongqing).

Après six années d’écriture, de nombreuses révisions et l’ajout de notes et d’annexes grâce au concours de Shu He, les mémoires de Li intitulées Témoin des affrontements de Chongqing : autobiographie du responsable des Rebelles jusqu’au bout, sont publiées à Hong Kong en 2011 par la Presse de communication culturelle chinoise. Il s’agit du premier texte de mémoires d’un membre des Rebelles jusqu’au bout officiellement publié. Le livre fait l’objet d’une approbation enthousiaste de la part de la communauté des chercheurs étudiant la Révolution culturelle, et devient l’un des ouvrages de référence majeurs relatifs à l’étude du récit oral des affrontements de Chongqing.

Suite à la publication de ses mémoires, Li devient le point de mire des journalistes et chercheurs chinois qui lui réclament un entretien. Ses interviews et son portrait sont publiés dans le China News Weekly, une publication de premier plan en Chine continentale (Liu, 2011), et sur le site Internet de recherche historique de Tencent Divertissement (2013).

Musen Li est également un promoteur actif du récit oral des affrontements de Chongqing. En 2011, le département d’histoire du Comité de la Conférence consultative politique du peuple chinois et la bibliothèque de Chongqing financent conjointement, sous la direction de Shu He et pour une période de deux ans, un projet qui donne lieu à un Recueil de l’histoire orale des témoins de la Révolution culturelle de Chongqing. En tant qu’ancien responsable des Rebelles jusqu’au bout, Li garde le contact avec de nombreux participants de cette faction ayant participé aux affrontements. Il confie :

« Je me rends compte que le temps presse : ce groupe de personnes, qui étaient jeunes et d’âges moyens à l’époque, ont aujourd’hui des cheveux grisonnants, synonymes d’entrée dans la vieillesse ; la plupart d’entre eux sont septuagénaires, souffrent de diverses maladies, et certains suivent en ce moment même un traitement contre le cancer. Si les informations pertinentes ne sont pas exploitées dès maintenant, il deviendra difficile pour quiconque, au fil du temps, d’en savoir plus sur ce qu’ils ont vécu » (Entretien du 10 avr. 2016 avec Li Musen à Chongqing).

C’est pour cette raison que Li convainc et mobilise de nombreux témoins qui exprimaient des doutes, hésitaient, voire refusaient de participer au projet d’histoire orale. Sous son influence, 68 témoins ayant appartenu aux Rebelles jusqu’au bout participent à cette entreprise7, tandis que la faction 815, dépourvue d’un chef de file influent comme Li, réunit seulement 41 participants.

En outre, en 2015, Musen Li apporte son aide aux chercheurs qui documentent les affrontements de Chongqing pour dessiner les diagrammes des champs de bataille de deux des plus célèbres combats de grande envergure qui se sont déroulés en août 1967 à Chongqing : la bataille pour la conquête de Qingshuichi, la position dominante de l’usine de construction de Yangjiaping, et la bataille pour le contrôle de la résidence des hauts fonctionnaires à Panjiaping. Il retourne sur le théâtre des opérations et trace des schémas aussi fidèles que possible à la situation de l’époque, fournissant des informations sur la position et les armes des équipes de combat des Rebelles jusqu’au bout (comme par exemple les positions des mitrailleuses antiaériennes).

Par ailleurs, la publication des mémoires de Musen Li incite une autre participante aux affrontements de Chongqing, Huang Ronghua, membre du Conseil révolutionnaire de Chongqing de la Faction 815 et responsable logistique de l’usine d’électricité du fleuve Yangtze8 à Chongqing, à rédiger ses propres mémoires. Elle fait la connaissance de Shu He que lui présente Li, et avec le soutien de Shu He, elle publie deux ans plus tard chez le même éditeur à Hong Kong ses mémoires intitulées Comment je suis devenue la « filleule de Jiang Qing » : autobiographie de Huang Ronghua, ancien membre du Comité révolutionnaire de Chongqing et représentante de la faction 815 (2013).

Les facteurs communs conduisant les deux témoins à prendre la parole

Zhisheng Zheng et Musen Li n’étaient pas les premiers témoins des affrontements de Chongqing, mais ils étaient deux des plus actifs. Certains facteurs communs leur ont permis de devenir des témoins professionnels. Tout d’abord, ils ont tous deux joué un rôle central dans les affrontements de Chongqing : l’un est le fondateur du cimetière de Chongqing et a personnellement mis en terre plus de 280 corps, tandis que l’autre était l’un des principaux dirigeants des Rebelles jusqu’au bout et le commandant en chef des combats. De fait, ils possédaient tous les deux une compréhension plus approfondie de l’événement que d’autres l’ayant vécu. Ainsi, lorsqu’ils prennent connaissance des fausses informations relatives aux affrontements, ils décident de briser le silence et de devenir des témoins en se fixant le même objectif : rétablir la vérité historique et livrer leur témoignage à la génération suivante afin qu’elle puisse en tirer des enseignements. Dans le même temps, du fait qu’ils ont eu un rôle de premier plan dans cet événement historique, et parce que de tels témoins sont rares, ils deviennent le point de mire des médias qui rivalisent d’efforts pour obtenir un entretien et font l’objet d’études de la part des chercheurs.

En second lieu, ils bénéficiaient tous deux d’une bonne situation financière et avaient du temps libre à leur disposition. S’ils ont été officiellement réprimés et punis après la fin des affrontements (Zheng a été condamné à 13 ans de prison et Li à 10 ans de sanction administrative), ils se sont tous deux assuré un revenu confortable par la suite grâce à leurs efforts et à leur travail acharné (Zheng était propriétaire d’une entreprise privée et Li était ingénieur hautement qualifié dans une usine appartenant à l’État). Un bon revenu et le temps libre dont ils disposent après avoir pris leur retraite leur fournissent les conditions nécessaires pour devenir un témoin professionnel. D’une part, cela leur permet de se concentrer sur la rédaction de leurs mémoires sans se soucier d’une éventuelle récompense : ils étaient conscients avant de commencer à coucher sur papier leurs souvenirs qu’un contenu aussi sensible avait peu de chances d’être publié en Chine continentale. D’autre part, les deux hommes ne perçoivent aucune rétribution pour les entretiens qu’ils accordent aux journalistes et aux chercheurs, et ils ne ménagent aucun effort pour accompagner ces derniers lors des nombreuses visites sur les anciens champs de bataille et au cimetière, devenu un site commémoratif des affrontements et situé dans la grande banlieue. Tous deux ont offert leurs mémoires aux journalistes et aux chercheurs, et Musen Li a mis les siennes à disposition de diverses bibliothèques publiques et universitaires du pays. Il a également consacré beaucoup de temps et d’argent pour organiser des activités commémoratives liées aux affrontements, rencontrer d’autres personnes ayant vécu ces événements et les inciter à participer au projet d’histoire orale en fournissant du matériel historique (photographies, journaux intimes, articles de presse, etc.).

De plus, les deux témoins ont une belle plume. Si leurs souvenirs personnels sont souvent fragmentés, confus et flous, ils réussissent néanmoins à travers leurs récits à se remémorer avec précision leur expérience personnelle dans cet environnement chaotique. Ils ont sélectionné un certain nombre d’événements, les ont rendus plus compréhensibles et en ont fait des marqueurs symboliques du déclenchement des affrontements de Chongqing, notamment en ce qui concerne les circonstances, le fil conducteur, le résultat, et l’imputation des faits. En outre, ils se dégagent tous deux dans leurs mémoires des limites imposées par les factions auxquelles ils appartenaient, se livrant à une réflexion sur les combats et sur la Révolution culturelle et s’opposant au culte de Mao Zedong et à la violence.

Le rôle de passeur de l’historien spécialiste et les conditions de pollinisation d’un témoignage

L’historien Shu He a exercé une influence déterminante dans le parcours effectué par Zhisheng Zheng et Musen Li pour devenir témoins. Il peut être considéré comme ayant joué le rôle de passeur. D’une part, il a pris l’initiative de rencontrer Musen Li, l’a encouragé à écrire ses mémoires, lui apportant son soutien et lui soumettant des suggestions tout au long du processus d’écriture, puis a contacté les éditeurs en vue de la publication. Lorsque Zheng a achevé ses mémoires, il les a confiées à Shu He qui lui a suggéré à nouveau de nombreuses modifications. D’autre part, Shu He les a tous les deux présentés à des journalistes et des chercheurs qu’il connaissait, les incitant à leur accorder des entrevues ; il a en outre publié des extraits de leurs mémoires dans la revue académique qu’il dirige. C’est grâce à la contribution active de Shu He qu’ils ont rapidement acquis le statut de témoin des affrontements de Chongqing au sein des médias et des cercles universitaires, tant en Chine qu’à l’étranger, et que leurs témoignages ont été largement diffusés dans la sphère publique, suscitant un large écho.

Concernant la condition de pollinisation d’un témoignage, on peut observer à partir de l’exemple de Musen Li que la capacité d’un témoin à influencer ou non d’autres personnes ayant vécu cet événement à s’exprimer dépend essentiellement de la proximité qu’il entretient avec elles et de la confiance qu’il leur accorde. La soixantaine de personnes qui ont été encouragées par Li à devenir des témoins des affrontements de Chongqing faisaient toutes partie de ses collègues et de ses amis proches. Ils ont combattu ensemble, partageant le même sort, et ont par la suite maintenu des relations étroites : certains d’entre eux travaillaient au même endroit que Li, et d’autres le fréquentaient régulièrement. Il régnait entre eux une confiance à toute épreuve, de sorte qu’ils ne se sont pas sentis intimidés ou méfiants vis-à-vis du rôle de témoin.

Par ailleurs, la publication des mémoires de Musen Li a eu pour effet de les sensibiliser à la nécessité de partager leurs souvenirs personnels : quatre de ces personnes ont commencé à rédiger leurs mémoires, et celles de l’une d’entre elles ont été publiées deux ans plus tard chez le même éditeur.

Conclusion

S’appuyant sur les entretiens menés auprès de Zhisheng Zheng et Musen Li, cet article explore le parcours de deux témoins des affrontements de Chongqing et met en évidence les facteurs qui conduisent ces deux témoins à prendre la parole pour transmettre leurs expériences à des tiers. Ainsi analyse-t-il les conditions requises pour qu’un témoin des affrontements de Chongqing devienne un témoin professionnel ainsi que les conditions de pollinisation d’un témoignage.Le cas de Musen Li n’est pas une exception. En effet, il existe d’autres exemples similaires dans le domaine des études sur la Révolution culturelle. Par exemple, dans le cadre du projet d’histoire orale de certaines universités de Pékin, un témoin a également conduit des étudiants de son entourage à devenir des témoins, à relater leurs expériences personnelles et à publier leurs mémoires. Ainsi notre étude fournit-elle, au regard du thème abordé dans cet ouvrage, une étude de cas d’un événement historique sensible qui transpose sur le terrain de la recherche chinoise la théorie et la méthodologie élaborées par le Pr. Jacques Walter au cours de sa carrière, relatives à la recherche sur les témoignages, la mémoire et l’histoire.

Références

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Zheng Zhisheng, s. d. [non publié], Sueur, sang et larmes : un siècle de rêves.

  • 1 À ce jour, il n’existe, qu’un seul livre historique publié à Hong Kong, Combattre pour le président Mao : les affrontements de Chongqing durant la Révolution culturelle (He, 2010), environ dix mémoires publiés ou inédits, ainsi qu’une trentaine articles.
  • 2 L’envoi des jeunes instruits à la campagne est une politique menée en République populaire de Chine par Mao à l’issue de la Révolution culturelle. De 1968 jusqu’à la fin des années 1970, près de 17 millions de jeunes Chinois des villes sont envoyés autoritairement à la campagne parce que le Parti voulait transformer ces jeunes citadins en paysans pour le reste de leurs jours.
  • 3 La fête de Qingming est une fête chinoise traditionnelle, désignée comme la fête des morts, la journée nationale de nettoyage des tombes depuis 1935.
  • 4 Toutes les traductions des entretiens sont de l’auteure.
  • 5 À savoir Histoire de Zheng Zhisheng, un témoin de la Révolution culturelle (Chi et Xia, 2015) et Mémoire des meurtres commis à Chongqing (Yang Meng, 2020).
  • 6 Il s’agissait d’une usine des forces armées pendant la guerre froide qui produisait des obus d’artillerie, et dont l’emplacement était tenu secret.
  • 7 Au total, 147 témoins ont pris part au projet d’histoire orale.
  • 8 Il s’agit d’un arsenal de la défense nationale dont l’origine remonte à plus de 100 ans et dont la tâche principale, suite à la fondation de la République populaire de Chine, est de produire des balles.
  • Références

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