Cette étude analyse la manière dont les qualités sémiotiques de la ville d’Annecy participent à la fabrique de l’imaginaire du festival d’animation. L’objet de cette recherche est donc d’identifier selon quels procédés la mise en exposition du festival sur le territoire annécien permet de renforcer les impressions et les représentations qui lui sont attachées. Nous verrons ainsi en quoi la mobilisation du territoire comme cadre d’une expérience culturelle singulière oriente le regard des participants et organise les modalités de leurs échanges.
Cette recherche s’inscrit dans la continuité des travaux traitant du fonctionnement communicationnel des dispositifs d’exposition (Davallon, 1999 ; Glicenstein, 2009 ; Gob, Drouguet, 2014). Nous analysons ici les qualités sémiotiques de la ville d’Annecy dès lors qu’elle est investie comme le dispositif d’exposition du festival d’animation. Pour cela, nous postulons que la scénographie de l’événement repose sur des principes organisateurs propres à une muséologie de point de vue, soit une forme d’exposition centrée non plus sur les objets ou les savoirs mais sur la prise en charge de l’expérience vécue du visiteur (Davallon, 2011). Par ailleurs, à l’instar des travaux consacrés aux salons professionnels (Lecler, 2020), nous observons la manière dont cet événement tend à minimiser le registre marchand en favorisant l’élaboration d’un entre-soi qui repose sur une prise en charge sensible et émotionnelle des participants. En cela, nous faisons ici l’hypothèse que la scénographie du festival d’animation euphémise les enjeux stratégiques de la manifestation en mobilisant la charge symbolique des espaces de la ville et en immergeant les participants dans un environnement sémiotiquement construit.
Pour mener à bien cette recherche, nous avons conduit une série d’entretiens semi-directifs (n =6), de janvier à mars 2021, auprès des organisateurs du festival, salariés de la Cité de l’image en mouvement (CITIA), et des participants. Cette première enquête exploratoire nous a permis d’appréhender les objectifs stratégiques de la manifestation ainsi que les représentations qui lui sont attachées. Dans un second temps, nous nous sommes rendus à Annecy et avons réalisé une enquête par observation de l’événement. Au cours de cette enquête, nous avons analysé la manière dont certains espaces du territoire annécien sont investis afin que la ville et l’événement se racontent l’un et l’autre, permettant ainsi une commutation de l’espace public en espace scénique. Finalement, nous avons procédé à l’analyse sémiotique de la version en ligne du festival. Notre objectif était de définir comment sont pensés et représentés le festival et son territoire dans leur médiation numérique. Cette phase de notre enquête a révélé que l’absence de mise en scène sur le dispositif en ligne du festival faisait ressortir son caractère professionnel en dépersonnalisant les échanges.
Cet article est construit en trois parties. Dans un premier temps nous ferons état de l’écart que nous avons pu constater entre les enjeux stratégiques du festival et les représentations qu’il véhicule. Ensuite, nous analyserons la manière dont la scénographie du festival mobilise le territoire afin de construire son « monde utopique » (Davallon, 1999). Enfin, nous nous consacrerons à l’analyse de la version en ligne du festival. Nous verrons en quoi elle constitue un cas de silence sémiotique (Hébert, 2020) entrainant la perte des impressions et des représentations attachées à la manifestation.
Le festival d’animation d’Annecy est un événement annuel porté par les services de CITIA et destiné aux professionnels de l’industrie du film d’animation. Cette manifestation, qu’elle se tienne in situ ou en ligne (pour les éditions 2020 et 2021), est organisée en deux parties : une partie « festival », fondée en 1960, et une partie marché international du film d’animation (Mifa) mise en place en 1985 dans le cadre d’une politique nationale d’accompagnement de l’industrie impulsée par Jack Lang. À titre d’exemple, en 2019, elle comptait 12 300 accrédités composés à 98 % de professionnels de l’animation et d’étudiants provenant de 92 pays différents. Ainsi, le temps d’une semaine, elle contribue au développement de cette industrie en réunissant l’ensemble des acteurs de sa chaine de coopération (Becker, 1982) dans un même lieu. L’objectif est de « montrer des films, valoriser des talents, accompagner des projets et permettre à l’industrie de se rencontrer pour financer de nouvelles productions, pour acheter, recruter, faire de la [promotion] pour des films qui sont en production » (enquêté MM, directeur CITIA, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021). En cela, le festival d’Annecy semble s’imposer comme un rendez-vous professionnel international incontournable pour le monde de l’animation.
Cependant, les entretiens que nous avons conduits auprès des organisateurs et les participants du festival ont révélé une tension entre ses objectifs industriels et marchands et les représentations qu’il véhicule. En effet, comme l’illustre l’extrait d’entretien ci-après, les enquêtés nous ont décrit le festival d’animation comme un événement « récréatif » ou encore « bon enfant », en insistant sur son caractère « jeune » et « décontracté » : « c’est assez bon enfant le monde de l’animation parce que ’y a beaucoup de création, beaucoup d’artistes alors y’a un côté jeune qui fait qu’on garde une décontraction qu’il n’y a pas dans le cinéma euh… à Cannes par exemple c’est pas du tout la même ambiance. Les gens qui arrivent à Annecy, comme on est après Cannes, à chaque fois ils disent “ah enfin les vacances quoi ! ”, alors qu’ils viennent bosser. Y’a un côté vacances, décontraction » (enquêtée VE, responsable Mifa, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 29 janv. 2021). Dans cette même idée, nous avons également constaté que, pour décrire leurs représentations du festival, les enquêtés faisaient état d’une ambiance qui lui est propre. Pour cela, ils se référaient d’une part aux codes et aux conventions du secteur de l’animation comme monde social (Cefaï, 2015) : « c’est tout simplement l’atmosphère du festival. C’est-à-dire que les gens, juste avant qu’une projection commence euh… […] là c’est le moment où le, le public, même c’est encouragé, participe, fait des commentaires ou interagit pendant tout le long de la bande annonce et juste ça je trouve que ça fait euh… c’est, c’est, ouais, c’est vraiment une ambiance qui euh… qui, qui fait partie et qui est le festival » (enquêtée SP, bénévole et festivalière, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 05 mars 2021). D’autre part, ils témoignaient de cette ambiance en décrivant les caractéristiques de la ville et à la mise en exposition de l’événement en son sein : « par exemple les séances de diffusion en plein air […] sur le Pâquier1, donc qui est cette grande étendue d’herbe devant le lac, dès que la nuit tombe et que, et que ça y est la projection commence euh… je trouve que, voilà, la ville aide aussi. Y’a quelque chose d’un peu, d’un peu magique » (enquêtée SP, bénévole et festivalière, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 05 mars 2021).
Dans cette perspective, si « l’ambiance relève […] d’une physique contextuelle qui ne peut se passer de l’épreuve du in situ » (Thibaud, 2018 : 6), notons que celle-ci renvoie à la co-présence d’un sujet et d’un objet. En d’autres mots, l’ambiance se rapporte à la fois au perçu et au construit, car « de même que l’architecte ou le scénographe agence matériellement des formes sensibles, les usagers configurent par leurs actes le milieu dans lequel ils se trouvent » (Thibaud, 2012 : 9). De cette manière, les représentations du festival et les impressions liées à la ville semblent se confondre par le jeu d’ambiances qui se répondent mutuellement ou, pour reprendre l’expression de l’un de nos enquêtés, grâce à « une alchimie particulière […] [qui fait que] la ville est indissociable du festival et du marché » (enquêté MM, directeur CITIA, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021).
Aussi, les questionnements guidant cette recherche sont nés de ce premier constat. Selon quels procédés un événement professionnel dont l’objectif est de développer l’industrie du film d’animation revêt un caractère « magique » et « bon enfant » aux yeux de ses participants ? En quoi la mise en exposition du festival dans la ville d’Annecy participe à la fabrique de cet imaginaire ? Enfin, comment cet imaginaire a-t-il été médiatisé dans la version en ligne de l’événement ? Pour répondre à ces différents questionnements, nous mobiliserons la notion de « monde utopique » de Jean Davallon, pour qui le monde de l’exposition est un monde de langage qui englobe deux mondes :
Le premier de ces mondes est réel ; il se définit comme un dedans qui s’oppose au dehors, et c’est à lui que l’on pense tout naturellement lorsque l’on parle de l’« exposition » ou même du « monde de l’exposition ». Il est constitué des objets – expôts et outils- que nous voyons, des lieux que nous parcourons, des visiteurs que nous rencontrons et… de nous-mêmes. C’est lui que nous avons désigné sous les termes d’espace synthétique. Le second des mondes de l’exposition est un pur être de langage ; il est un monde imaginaire. Il est une construction qui résulte de l’agencement des significations produites au cours des visites, il existe à travers elles. Nous l’appellerons monde utopique. […]. Chaque exposition présuppose en effet un tel monde, constitué par l’ensemble des représentations et des impressions qu’il peut éveiller chez les visiteurs (Davallon, 1999 : 170).
Ainsi, à partir de l’analyse du fonctionnement sémiotique du territoire, nous définirons selon quels procédés la mise exposition du festival d’animation dans la ville d’Annecy soutient la construction d’un « monde utopique » qui procure aux festivaliers une impression de « vacances » et qui euphémise, voir invisibilise ses enjeux industriels et marchands.
Au cours des entretiens, les enquêtés nous ont décrit un territoire « transfiguré » par le festival, cela en faisant aussi bien référence à la présence des festivaliers qu’à la mise en exposition de la manifestation dans le centre-ville d’Annecy. Par exemple, alors que l’un des organisateurs de l’événement indique que la présence des étudiants en animation « amène un autre état d’esprit dans la ville qui est complément transfigurée pendant cette semaine-là » (enquêté MM, directeur CITIA, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021), une festivalière explique qu’« avec les projections euh… en écran géant en plein air, gratuit, à plusieurs endroits, entre autres pour les enfants et tout ça, […] la ville prend vraiment […] un autre visage à ce moment-là » (enquêtée CB, festivalière, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 12 févr. 2021). Certains enquêtés évoquent alors un territoire qui se « dynamise » et s’« anime » le temps d’une semaine, conférant à une ville « assez calme » une « dimension jeune » et une certaine « effervescence ».
Ce changement de visage, cette transfiguration de la ville, prend forme à partir de la scénographie du festival en son sein. En effet, grâce à l’implantation de différents éléments qui forment les isotopies du « monde de l’exposition » du festival, la ville devient le cadre à la manifestation :
Bah c’est ça que je dis c’est complètement autre chose euh… parce que vraiment le festival il investit euh… euh… plusieurs endroits d’Annecy. C’est à ce moment-là euh… des fois, sur de très bonnes éditions jusqu’à soixante mille personnes qui débarquent dans la ville. Donc euh… donc oui, plus toute la décoration, toute la mise en scène, le, le, la navette aussi sponsorisée par Cartoon Network qui passe régulièrement. Y’a toute une effervescence vraiment qui se développe dans la ville à ce moment-là. […]. Quand je dis mise en scène c’est, c’est plus euh… avec les éléments de communication, avec les affiches, avec, avec euh… parce que des fois ils mettent des sculptures en rapport avec le festival qui sont un peu dans plein d’endroits différents dans la ville. Euh… oui c’est ça, tout le système de communication qui fait qu’on sait que le festival est là (enquêtée SP, bénévole et festivalière, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 05 mars 2021).
Ce jeu des isotopies correspond à des « effets de sens fondés sur la récurrence de traits situés soit sur le plan du signifiant [(couleurs, formes)] soit sur celui du signifié [(récurrence d’un thème ou d’une impression)] » (Davallon, 1999 : 152). De cette manière, le visiteur entre dans le « monde de l’exposition » du festival sans pour autant passer les portes d’une institution. Il est immergé dans ce monde et se repère en observant les formes et les couleurs qui relèvent de la charte graphique du festival. Pour appuyer notre propos, nous pouvons prendre pour exemple la mise en scène de l’intérieur de Bonlieu, Scène nationale d’Annecy2 et point de départ du festival. Sur le plan du signifiant, nous notons la récurrence du violet dans l’espace, couleur de la charte graphique du festival, qui se décline sur la signalétique mais aussi sur les affiches et les badges des festivaliers. De plus, chaque issue de ce bâtiment indique la direction d’un point d’arrêt du circuit du festival dans la ville (cinémas, musées, expositions urbaines, etc.) que le visiteur pourra rejoindre en suivant des flèches voilettes temporairement accolées à la signalétique urbaine.
Par ailleurs, nous pouvons observer que le festival s’étend dans l’ensemble de la ville en marquant sa présence en dehors du circuit par le biais d’expositions urbaines. Nous pouvons, par exemple, citer l’exposition « Annecy Festival, 60 ans et toujours animé », installée sur les façades de certains bâtiments de la ville ainsi que sur les panneaux publicitaires des abris bus, qui comprend d’anciennes photographies du festival afin de raconter son histoire ; ou encore, l’exposition « Même les souris vont aux paradis », implantée dans le hall de la gare d’Annecy, qui fait référence à un film d’animation en compétition au festival. Ainsi, ces expositions disséminées dans différents espaces de la ville forment des indices du festival et exposent le visiteur à la récurrence du thème de l’animation. Le « monde de l’exposition » du festival se fond ainsi dans le décor urbain annécien
En observant la disposition du festival dans la ville nous pouvons par ailleurs constater que les projections de films ainsi que les différentes expositions liées à l’animation sont rassemblées dans l’hypercentre. Effectivement, la Scène nationale d’Annecy, Bonlieu, devient pour l’occasion un lieu de projections et de conférences et constitue le point de départ du festival. Les autres lieux investis par le festival sont situés en étoile autour d’elle. Ces lieux correspondent à des salles cinémas mais aussi à des théâtres et des lieux patrimoniaux transformés pour la semaine en espaces de projections et d’exposition. Chacun d’entre eux est accessible à pied en moins de 15 minutes depuis Bonlieu. En revanche, l’emplacement du Mifa est situé à 22 minutes à pied du centre-ville. Il tient place au sein de l’Impérial Palace, un hôtel haut de gamme érigé aux abords du lac d’Annecy. Une navette, réservée aux accrédités du Mifa, permet alors la jonction entre Bonlieu et l’Impérial Palace.
Cette disposition participe à la construction du « monde utopique » du festival pour deux raisons. D’une part, elle met en avant la partie du festival dédiée à la création en centralisant les projections de films, notamment en plein air, et les expositions. Dans le même temps, elle isole le Mifa, consacré aux rencontres professionnelles. D’autre part, comme l’indique l’un des organisateurs de la manifestation, cette disposition permet de faire coïncider la diffusion des films en compétition avec un certain nombre d’activités de loisir et d’offres dédiées au grand public : « le grand public doit rester au centre-ville avec cette offre-là qui peut être la salle de cinéma, du musée, etc., aller manger, aller au bord du lac, etc., etc. » (enquêté AM, responsable rencontres professionnelles et grand public, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021). Cette configuration, qui sectorise aussi bien les activités que les publics, participe à forger les représentations et les impressions attachées à la manifestation en ce qu’elle assimile les accrédités du festival -soit un public averti composé de professionnels et d’étudiants- au grand-public. Dans cette idée, le même enquêté explique que les projections de films en plein air au bord du lac sont aujourd’hui considérées comme le symbole de la manifestation : « l’idée que les gens ont c’est que le festival c’est des projections sur le Pâquier, c’est que ça. Alors c’est un petit peu plus, j’ai envie de dire, mais symboliquement c’est les projections sur le Pâquier […]. Le Pâquier est un lieu qui se veut être familial. C’est un rendez-vous familial. […] et surtout c’est la seule chose à laquelle le grand public a accès » (enquêté AM, responsable rencontres professionnelles et grand public, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021). Un symbole qui – tout en faisant écho aux représentations de l’événement que nous avons évoquées plus haut (« récréatif », « bon enfant », etc.) – est loin de refléter la réalité des activités et des enjeux du festival : « C’est-à-dire qu’Annecy d’habitude c’est quoi ? C’est, bon, des projections en plein air pour le grand public [rires] mais c’est aussi plein de salles de cinéma qui sont occupées toute la journée avec […] énormément de projections. Mais c’est aussi un marché avec la construction de chapiteaux à l’Imperial Palace, des espaces stand, des professionnels qui sont là pour se rencontrer et faire du business, etc., etc. » (enquêté AM, responsable rencontres professionnelles et grand public, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021). Ainsi, la disposition de l’événement dans la ville, par un jeu de « caché, dévoilé », masque ses activités industrielles et marchandes et met en avant le seul aspect de la manifestation destiné au grand public : les projections de films en plein air dans un « lieu qui se veut être familial ». De cette manière, une manifestation destinée aux professionnels du secteur de l’animation revêt l’image d’un événement familial.
Dans un article de 2011, Jean Davallon entrevoit dans la muséologie de point vue une nouvelle forme d’exposition centrée non plus sur les objets ou les savoirs mais sur la prise en charge de l’expérience vécue du visiteur. Celle-ci organise notamment l’expérience de la visite en créant une accentuation du jeu en le proximal et le temporel. Dans cette optique, nous pouvons également observer que la manière dont est conçu le circuit du festival dans la ville d’Annecy engage les visiteurs dans un parcours où l’« émotion esthétique, [soit les points d’arrêt du circuit,] alterne avec la flânerie, la promenade dans un environnement dépaysant, original, agréable » (Davallon, 2011 : 42). En cela, comme le souligne une festivalière, la beauté de la ville d’Annecy, en tant que cadre d’exposition du festival, revêt une importance particulière dans l’expérience de l’événement :
C’est que Annecy est en plus, pour moi c’est une des euh… enfin de ce que j’ai vu, je suis très, très loin d’avoir tout vu mais c’est une des villes, c’est une magnifique ville, c’est une des plus belles villes. C’est un lieu où ’y a les montagnes, où ’y a le lac et en plus sur cette période-là, au mois de juin, il fait très beau, il fait très chaud. En plus elle a ce petit côté un peu euh… euh… petite ville avec ses petites rues euh… donc bon je trouve que c’est vraiment magnifique […]. Peut-être que dans une autre ville ça serait aussi chouette mais c’est vrai que du coup moi j’ai une affection quand même vraiment particulière. (enquêtée SP, bénévole et festivalière, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 05 mars 2021)
Jean Davallon souligne que ce jeu entre le proximal et le temporel a pour effet de placer l’authenticité de l’expérience au cœur de l’activité de visite « selon un modèle hérité de la pratique touristique » (Davallon, 2011 : 43). Dans cette même idée, nous pouvons noter que plusieurs des points d’arrêt du festival correspondent à des lieux de culture et de patrimoine à forte capacité signifiante : les monuments historiques anneciens. De la sorte, le château d’Annecy accueille une exposition du festival et le Haras National devient un espace de projection en plein air. Ainsi, le circuit du festival – de la promenade dans « ses petites rues » aux arrêts dans ses espaces patrimoniaux- invite les festivaliers à s’émerveiller non plus seulement des objets exposés mais du cadre dans lequel ils se trouvent. Ces éléments contribuent à façonner leur expérience du festival en mêlant la découverte des œuvres cinématographiques à celle de la ville au long d’un circuit pédestre. Un aspect qui, selon nous, contribue à donner aux participants des impressions de « vacances » et de détente caractéristiques de son « monde utopique ».
Dans cette même idée, l’extrait d’entretien ci-dessous révèle la manière dont les organisateurs de la manifestation mobilisent les caractéristiques de ville comme des outils permettant d’organiser leur relation à la manifestation ainsi que leurs manières d’être ensemble :
Oui parce qu’on serait dans un territoire on va dire moche, pour faire simple, ce serait beaucoup plus compliqué pour nous et donc on a la chance d’avoir un terrain qui est extraordinaire, d’avoir une ville à taille humaine ce qui permet globalement des transports à pieds ou en vélo. […]. Tout ça dans un décor qui est incroyable. Donc y’a de plus en plus en gens euh… ce qu’on a remarqué c’est que les séjours se sont rallongés ces dernières années, y’a des gens qui en profitent pour rester le week-end et faire de la rando, du parapente. Euh… on a la chance d’avoir de très, très belles tables étoilées à Annecy au bord du lac donc bah les gens se souviennent de diners extraordinaires. Certains viennent et toute la semaine mangent des fondues et des raclettes y compris quand il fait trente degrés. Donc forcément on est une manifestation qui, au niveau du secteur, est hyper, hyper appréciée parce que les gens ont vraiment un attachement viscéral à Annecy et à la manif. Parce qu’ils se sentent comme à la maison, parce que c’est encore à taille humaine, parce qu’il a moins de star system qu’on peut retrouver dans d’autres types de manifestations cinématographiques et audiovisuelles. Donc c’est une alchimie euh… qui est assez particulière et qui fait que les gens sont relativement accessibles y compris bah voilà on a réussi à placer des Tim Burton ou autres qui ont été vraiment au contact des festivaliers, des bénévoles, etc. euh… et ça c’est possible quasiment qu’à Annecy, c’est vrai qu’on a cette chance-là. Donc ça crée une ambiance particulière […]. Donc à la fois les habitants d’Annecy ils vont voir des projections plein air, ils voient des gens qui se baladent, sur les terrasses de différents bars, cafés et restaurants donc pour toutes ces raisons la ville est indissociable du festival et du marché. (enquêté MM, directeur Mifa, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021)
D’une part, cet extrait d’entretien nous montre que les caractéristiques de la ville permettent aux organisateurs de la manifestation d’engager un véritable travail sur les émotions des festivaliers afin de cadrer leur relation au festival. Nous pouvons ainsi observer comment se construit une pragmatique de l’attachement (Hennion, 2005) chez les festivaliers à travers la relation corporelle qu’ils entretiennent avec l’environnement du festival – parcourir à pied le circuit du festival dans « un décor qui est incroyable » – et dans le faire-ensemble – « des dîners extraordinaires » au bord du lac. D’autre part, cet extrait d’entretien montre également la manière dont la physionomie de la ville est mobilisée comme symbole pour organiser les échanges entre les participants via un jeu de connotation. Ici, la « taille humaine » de la ville permet aux festivaliers de « se sentir à la maison » entrainant des rapports de proximité entre les participants, de sorte que même les célébrités de l’industrie deviennent accessibles.
Finalement, un dernier aspect de notre analyse touche précisément aux modalités d’échanges entre les festivaliers. Les organisateurs de la manifestation nous ont indiqué que l’enjeu principal du festival était de mettre en relation différentes catégories professionnelles du secteur de l’animation. Les entretiens ont dans le même temps révélé l’importance accordée au caractère « informel » de ces rencontres. Dans ce sens, l’une des organisatrices du Mifa explique : « que dans, dans l’animation, ou dans tout art, la rencontre impromptue, non organisée euh… est importante, la discussion, comment le contact se fait et euh… euh… et l’inspiration qui peut, qui peut advenir d’une discussion, comme ça, sur un stand de cinq minutes peut sans doute déboucher sur une collaboration parce qu’il s’est passé un truc, il s’est passé quelque chose entre un artiste et euh… entre deux artistes ou entre un artiste et son producteur » (enquêtée VE, responsable Mifa, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 29 janv. 2021). Il s’agit donc pour les organisateurs de fournir aux professionnels les conditions propices à de tels échanges. Nous avons donc observé la manière dont les organisateurs du festival mobilisaient le territoire pour induire une dimension informelle dans les rencontres professionnelles.
Comme nous l’avons évoqué plus haut, une des caractéristiques de la mise en exposition du festival est la coïncidence du circuit avec des activités de consommation, de loisir et de détente. Comme l’illustre l’extrait d’entretien ci-après, cet aspect renforce l’image « décontractée » de la manifestation et permet dans le même temps de personnaliser les relations entre les festivaliers : « [le festival] c’est aussi les gens que tu connais que tu vas retrouver, c’est une bière que tu vas pouvoir partager, c’est un super rendez-vous que tu vas faire au bord du lac » (enquêté MM, directeur CITIA, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021). À travers cet extrait d’entretien, nous pouvons également noter la récurrence des références faites au lac d’Annecy dans les discours des organisateurs. Ainsi, le second procédé employé pour donner aux rencontres professionnelles un caractère informel touche directement au fonctionnement sémiotique de la mise en espace du festival. Nous pouvons observer ce procédé dans la partie Mifa du festival, situé à l’Impérial Palace. En effet, en érigeant un chapiteau sur le lac d’Annecy, les organisateurs du Mifa mobilisent les qualités sémiotiques du lac, par un jeu de couplage semi-symbolique, pour signifier aux festivaliers une opposition entre les espaces de travail et les espaces de détente à partir du contraste formel terre/lac :
Un espace plus, plus, plus informel enfin qui permette la rencontre informelle et euh… et cet espace a changé la physionomie, ce n’était plus simplement un endroit où tu vas travailler, voir des stands, faire tes rendez-vous mais tu vas aussi te poser un peu et laisser place à la rencontre euh… inopinée et euh… bon aussi c’est un lieu de rendez-vous. Mais voilà, ça, ça change euh… la façon d’envisager un marché, c’est aussi un moment de plaisir parce que, parce qu’on est dans l’art, parce qu’on est dans la création et que, et qu’il faut avoir du temps pour se parler. Donc ça fait partie des moyens de se rencontrer. Et cet espace est accessible à tous, aussi bien les festivaliers que, que les Mifa. Donc euh… voilà la, la physionomie du marché côté exposition, côté stands (enquêtée VE, responsable Mifa, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 29 janv. 2021).
Nous pouvons le lire dans cet extrait, le chapiteau bâti sur le lac demeure un lieu de rendez-vous. Cependant, il offre aux festivaliers un espace de rencontre en phase avec le « monde utopique » du festival en ce qu’il évoque le « plaisir ».
Ainsi, après avoir analysé la manière dont la scénographie du festival dans la ville d’Annecy mobilise le territoire afin de construire son « monde utopique », nous allons maintenant nous consacrer à l’analyse de la version en ligne du festival dans la partie suivante. Nous verrons en quoi celle-ci constitue un cas de silence sémiotique (Hébert, 2020) entrainant la perte des impressions et des représentations attachées à la manifestation.
En 2019, dans un contexte de crise sanitaire mondiale, le festival d’animation d’Annecy inaugure une version en ligne de l’événement, faute de pouvoir se tenir en présentiel. Les extraits d’entretiens présentés ci-dessous relatent les impressions des organisateurs vis-à-vis de cette édition « exceptionnelle » ainsi que les expériences qu’en ont fait les festivaliers interrogés. En 2020, le festival d’animation s’est tenu à la fois en ligne et à Annecy, une édition qualifiée d’« hybride » par ses organisateurs. Les captures d’écran présentées dans cet article correspondent à la version en ligne du festival de 2020. Ces éditions en ligne du festival sont organisées sur le modèle des éditions précédentes et tendent à en reproduire les pratiques (Barats, 2013). En effet, de la même manière que le festival in situ, la version en ligne est composée de deux parties : le « festival » et le Mifa. Le premier dispositif en ligne, nommé « plateforme vidéo », pourrait s’apparenter à la partie « festival » de l’événement. Il est accessible à l’ensemble des accrédités du festival et se consacre à la diffusion des films d’animation. Il a été conçu spécifiquement pour l’édition 2019 du festival. Un second dispositif, nommé « Networking », est quant à lui dédié aux échanges professionnels. Désigné par les organisateurs du festival comme un « outil », il renvoie à la partie Mifa de l’événement et est accessible uniquement aux professionnels et aux étudiants du secteur. Ce second dispositif est préexistant à l’édition 2019 et avait initialement été mis en place pour faciliter les prises de rendez-vous entre les professionnels à Annecy.
En dehors de quelques problèmes techniques rencontrés lors de la première édition en ligne du festival, les organisateurs ont considéré cette édition réussie en ce qu’ils estimaient avoir rempli leur rôle vis-à-vis de l’industrie de l’animation en mettant en relation les professionnels du secteur. Comme le montre l’extrait d’entretien ci-dessous, le succès de la version en ligne du festival a ainsi été mesuré sur la base du nombre de messages échangés entre les professionnels :
L’industrie a pu continuer, enfin les rendez-vous ont eu lieu. On a eu sur la plateforme de messagerie trente-sept-mille messages qui ont été échangés en une semaine plus euh… là c’est ce qu’on arrive à mesurer mais les gens s’envoyaient forcément des mails en direct ou autre. Donc ouais ’y a eu beaucoup d’échanges, beaucoup de rendez-vous donc ça a été utile. Après, euh… jusqu’à quel point l’avenir nous le dira mais au moins on a été utile parce que c’est notre capacité, c’est notre rôle de rassembler au même moment, que ce soit sur place ou en ligne, des professionnels du monde entier, de différentes catégories professionnelles, des talents dans le but de développer cette industrie, dans le but de permettre à des créateurs, des créatrices de s’exprimer. (enquêté MM, directeur CITIA, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021)
Si nous observons l’interface du « Networking » de la version en ligne du festival, nous pouvons tout d’abord remarquer que le dispositif a recours à l’imaginaire du contact pour inciter les utilisateurs à entrer en relation (Souchier, Candel, Gomez-Mejia, Jeanne-Perrier, 2019). En effet, comme le montre l’illustration 06, les références au relationnel sont nombreuses, tant dans le vocabulaire employé (matchmaking, networking, connexions, etc.) que dans le choix des icônes (une poignée de main, un groupe). De même, la fonction agenda est ici indiquée sous la dénomination « mes rendez-vous » et un lien vers l’application Teams est épinglé à droite de la barre de recherche en accès direct. Nous pouvons également noter la présence de fortes sollicitations qui engagent les utilisateurs à effectuer des demandes de connexion. Par exemple, comme le montre l’illustration 2, les instructions d’utilisation du dispositif sont délivrées par ordre via l’emploi de l’impératif présent : « montrez de l’intérêt pour les autres, planifiez des réunions ou démarrez une discussion pour vous connecter à d’autres personnes ». Cette illustration témoigne également de l’impératif de productivité (ibid.) réclamé par l’outil via la formule : « commencez à proposer des rendez-vous afin de multiplier vos connexions ». De la sorte, contrairement à l’organisation du Mifa en présentiel, il ne s’agit plus « de se poser un peu et [de] laisser place à la rencontre » mais de multiplier les échanges dans une démarche quantitative. Pareillement, l’illustration 08 montre l’insistance du dispositif à engager la discussion avec d’autres utilisateurs par un jeu de conjugaison. Ainsi, si l’outil offre la possibilité d’« ignorer » (infinitif présent) un « profil », il somme, dans le même temps, l’utilisateur de « discutez » (impératif présent) avec ce dernier. Par ailleurs, nous pouvons observer que les modalités de rencontres sont ici rationalisées. D’une part, le dispositif permet d’effectuer des recherches par catégorie socio-professionnelle (recruteurs, acheteurs, étudiants, etc.) en appliquant différents filtres (localisation, nom de la compagnie, statut), cela afin de proposer des rendez-vous ou de manifester son « intérêt » pour un profil. D’autre part, il formule des recommandations de connexion par le biais d’algorithmes de correspondances de profils (cf. illustration 1). Nous pouvons dès lors remarquer que la structure de ce dispositif en ligne ne laisse aucune place aux rencontres « informelles » ou « inopinée » évoquées plus haut. Le « Networking », ne serait-ce que par son nom, s’affiche donc comme un espace strictement professionnel qui tend à dépersonnaliser les échanges entre les participants dans une perspective de rentabilité.
Le premier constat que nous pouvons faire en observant la « plateforme vidéo » du festival touche à la simplicité de sa mise en forme. En effet, elle se présente comme un catalogue épuré où les contenus sont classés selon quatre rubriques : « l’officiel », « off-limit, perspectives, jeune public », « fin d’études » et enfin, « films de commande ». Les traces du festival d’animation ne peuvent ainsi se lire que de trois manières. D’abord au niveau du bandeau de la page d’accueil qui reprend les couleurs de la charte graphique de l’édition 2020. Ensuite, via la lecture de la « bande-annonce partenaires » qui correspond systématiquement au premier contenu de chaque rubrique. Enfin, nous pouvons noter que le vocabulaire emprunté pour la dénomination des rubriques correspond à l’univers de discours du festival et, par là même, semble s’adresser à un public initié. De la sorte, à l’inverse de la mise en exposition du festival in situ, l’objet semble ici placé avant l’expérience. Par ailleurs, l’analyse du dispositif ne révèle aucune forme de prescription des contenus qui sont, pour leur part, présentés de manière factuelle : titre, durée, synopsis, identité, générique, technique (cf. illustration 4). Contrairement au « Networking », l’utilisateur est ici peu sollicité. Comme le montre l’illustration 5, il peut lire des contenus, sélectionner ses contenus « favoris », ajouter des contenus à son « panier » ou effectuer une recherche avancée. De même, le dispositif ne semble pas particulièrement inciter les utilisateurs à sélectionner leurs contenus favoris. En effet, cette sélection n’étant pas rendue publique, nous pouvons faire l’hypothèse qu’elle correspond à une fonctionnalité de classement privée, cela en vue d’un potentiel achat. Finalement, ainsi dépourvue de mise en scène, la partie « festival » de l’événement parait ici vidée des impressions qui constituent son « monde utopique » et semble donc s’apparenter à un outil destiné aux professionnels de l’industrie.
Nous l’aurons compris, la version en ligne du festival fait ressortir les enjeux industriels de la manifestation en dépersonnalisant les relations entre les festivaliers sur le « Networking » et en présentant les films d’animation sous la forme d’un catalogue sur la « plateforme vidéo ». De cette manière, les objectifs du festival sont ici placés au premier plan : rassembler les professionnels de l’animation autour de nouvelles productions, provoquer leur rencontre et ainsi participer au développement de l’industrie. En cela, bien que la manifestation ait rempli ses objectifs stratégiques, son « monde utopique » semble quant à lui avoir disparu. À ce sujet, l’une des festivalières indique ne pas avoir reconnu le festival au cours de son édition 2019 : « par contre le point négatif c’est que clairement pour moi ça n’avait rien à voir avec le festival. Dans le sens où vraiment surtout sur euh… oui, je trouve beaucoup avec le festival d’animation ce qui est absolument génial c’est tout euh… tout ce qu’il y a autour. Tout l’événement, toutes les fusions qu’il y a lors des, des séances de projection, toute la mise en scène avec, avec les gens qui envoient des petits euh… les petits avions sur la scène. […]. Toute cette excitation-là elle n’y est pas » (enquêtée SP, bénévole et festivalière, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 05 mars 2021). Nous pouvons alors postuler que la version en ligne du festival constitue un cas de silence sémiotique en ce que les signes attendus de l’événement par les festivaliers n’apparaissent pas (Hébert, 2020). Ainsi, en comparant notre analyse de la mise en exposition du festival dans la ville d’Annecy avec celle de son dispositif en ligne, nous pouvons émettre l’idée que l’absence d’une « épreuve in situ » dans l’expérience l’événement – aussi bien dans la relation au territoire que dans le faire-ensemble- conduit à l’effacement de son « monde utopique ». Une hypothèse qui semble être partagée par les organisateurs de la manifestation qui espèrent mobiliser la version en ligne du festival comme un à-côté au motif que : « rien ne remplace l’expérience » (enquêté MM, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021). Et qui, dans le même temps, s’interrogent sur la manière de conserver « l’esprit » du festival : « on se dit si à l’avenir c’est à la fois du physique, à la fois du virtuel, comment est-ce qu’on arrive à mélanger un peu les deux et à faire perpétuer l’esprit d’Annecy ? » (Enquêté AM, responsable rencontres professionnelles et grand public, entretien avec l’auteure, réalisé en visioconférence le 18 janv. 2021).
Finalement, à travers l’analyse de la mise en exposition du festival d’animation dans la ville d’Annecy, nous avons pu observer la manière dont un territoire permettait de fixer les modalités de communication entre une manifestation et ses visiteurs en participant à la fabrique de son imaginaire. Notre étude a ainsi révélé que les impressions et les représentations attachées au festival d’animation étaient renforcées par le fonctionnement sémiotique de sa mise en espace dans la ville. En effet, nous avons vu que l’investissement du centre-ville comme vitrine de la manifestation permettait de conférer une image familiale au festival – notamment grâce à la symbolique des espaces de projection en plein air- et, dans le même temps, de mettre en avant son volet création. De même, nous avons observé que la physionomie de la ville permettait de personnaliser les relations entre professionnels par des jeux de connotation et de couplages semi-symboliques. Par ailleurs nous avons vu que le circuit du festival reposait sur des techniques d’exposition propres à la muséologie de point de vue. En cela, nous avons pu faire le constat qu’il engageait « une prise en charge corporelle et sensible [du festivalier] qui se traduit pour ce dernier par le vécu d’une expérience singulière liée tout à la fois à ce qu’il rencontre et à son parcours » (Davallon, 2011, p. 42). Pour toutes ces raisons, nous avons pu conclure que le territoire, en tant que cadre d’exposition du festival, permettait d’engager une pragmatique de l’attachement auprès des festivaliers. À l’inverse, l’analyse des dispositifs en ligne de l’édition 2020 de la manifestation a révélé la prégnance de ses enjeux industriels et marchands. Effectivement, dénudée de son environnement physique, la version en ligne du festival laisse paraître des objectifs de rentabilité dans les modalités d’échange entre participants et perd sa dimension créative en exposant le film d’animation comme un objet catalogué. Ainsi, nous pouvons finalement faire l’hypothèse que le territoire annécien, plus qu’un cadre d’exposition, est constitutif du « monde utopique » du festival d’animation. Une piste de recherche qui pourrait être approfondie par une analyse des productions info-communicationnelles du festival, ainsi que par une série d’entretiens complémentaires, notamment auprès des bénévoles, cela afin de déterminer comment le festival et ses valeurs sont présentés et ainsi définir à partir de quels symboles l’imaginaire du festival se transmet.
Résumé : Cette contribution interroge les propriétés sémiotiques d’un territoire dès lors qu’il est investi comme un dispositif d’exposition. En mobilisant le festival d’animation d’Annecy et sa version en ligne comme cas d’étude, on observe la manière dont la ville permet de fixer les modalités de communication entre une manifestation culturelle et ses visiteurs. L’objet de cette étude est donc de déterminer selon quels procédés les représentations de la ville d’Annecy et celles du festival d’animation se co-construisent. Il est montré en quoi la mobilisation du territoire comme dispositif d’exposition de l’événement influe sur le regard des participants et cadre leur relation au festival, dans quelle mesure la constitution de cette scénographie permet de fédérer une communauté de professionnels de l’industrie de l’animation.
Abstract: This article aims to question the semiotic qualities of a territory when invested by an exhibition event. We take as a study case the Annecy Animated Film Festival and its online version to analyse in which ways the city, considered as a singular space of experiences, sets up the communication modalities between a cultural performance and its participants. Our objective is to determine by which means the various representations of Annecy and its Animated Film Festival are co-created. We will see how the territory mobilisation, seen as an exhibition device of the cultural event, influences the participants’ vision and marks out their approach to the Festival. Finally, we will analyse to what extent the construction of this scenography allows the professional community to be federated around the Animated Film industry.