Aventure, comédie, drame ou encore récit de vie, quel que soit son genre cinématographique, chaque film, chaque histoire a besoin d’un lieu, d’un décor et d’une temporalité qui permettent de contextualiser la narration et de faire évoluer les personnages dans un cadre spatio-temporel. Ainsi, le territoire, qu’il soit urbain, campagnard ou même purement imaginé, est-il intrinsèquement lié à la création cinématographique. De simple décor, le territoire peut aussi illustrer la trame narrative, la nourrir et même parfois se révéler un élément central de la diégèse. Les œuvres cinématographiques de P. Claudel mettent en exergue le territoire Grand Est, lorrain, et singulièrement la ville de Nancy. L’étude de notre corpus, qui se compose d’Il y a longtemps que je t’aime (2008), Tous les soleils (2011), Avant l’hiver (2013) et Une enfance (2015), pose la question du lieu et du territoire. En effet, le territoire, au-delà de la monstration d’un décor ou d’une déambulation, pose aussi la question de sa mise en scène et de ses valeurs symboliques. Comment contribue-t-il de façon perceptive et émotionnelle à la narration ? Davantage qu’un décor nourrissant visuellement la trame narrative de ces quatre films, nous verrons que le territoire est (re)présenté et appréhendé comme un lieu de médiation à la mémoire, où l’on retrouvera ce que Gilles Deleuze nomme « l’image-affection » (Deleuze, 2012, p. 125).
De plus, la mise en scène temporelle de ces films semble agir sur et contribuer à une immersion qui nourrit la perception du territoire, ouvre la pensée à un nomadisme territorial suggérant la possibilité d’un cinéma du territoire participant à la réception émotionnelle de l’histoire. Aussi, nous interrogerons-nous sur la manière dont le temps filmique est traité dans les films claudéliens et la façon dont il influe sur la dimension émotionnelle et perceptive du lieu. Quelles temporalités sont proposées et comment influent-elles, dans la mise en scène, sur les émotions du spectateur en favorisant une poétique singulière du lieu ? Partant de ce postulat, notre analyse sur les représentations et le discours territorial relève d’une approche méthodologique alliant l’observation participante, la sémiologie, mais aussi la dimension anthropologique de la communication et une approche auto-ethnographique1.
Dans cette étude, nous nous proposons par conséquent de souligner les différentes fonctions du territoire dans les œuvres cinématographiques de P. Claudel. Comment est-il montré, représenté, utilisé et comment s’offre-t-il à notre regard voire comment se dessine-t-il sous notre regard ? Nous nous interrogerons ensuite sur sa perception et sa mise en scène, puis sur les enjeux des temporalités cinématographiques. Nous questionnerons enfin la notion de « nomadisme territorial ».
Notre corpus témoigne d’une importance variable du territoire et du lieu qui, dans leur mise en scène, agissent sur l’appréhension sensorielle de l’histoire. En effet, l’analyse du corpus met en évidence différents degrés d’intégration du territoire : simple décor substituable ou décor géographiquement localisé (Il y a longtemps que je t’aime). La connaissance du lieu est alors susceptible d’avoir un impact sur le spectateur dans sa réception de la narration.
Dans les différents lieux relevés (ville, campagne, bâtiments), certaines (re)présentations apparaissent non signifiantes au niveau des connaissances territoriales et non révélatrices d’un territoire précis. Le lieu montré est alors diégétiquement interchangeable et ne présente pas d’intérêt pour la narration en dehors du fait qu’il contextualise la scène. Ainsi, dans Avant l’hiver, le lieu est-il principalement axé sur des décors naturels et sur la ville. Dans une double dichotomie, tandis que le décor naturel est fortement lié à la famille et à la détente, la ville est davantage cachée dans sa représentation et en adéquation avec la vie du chirurgien. Ce changement de décor est également notable dans Tous les soleils. Dans les scènes liées aux répétitions de l’ensemble vocal d’Alessandro, on ne décèle aucune représentation symbolique du lieu. P. Claudel aurait pu mettre en avant la MJC Lillebonne, ne serait-ce qu’en filmant la façade. Au contraire, la salle filmée étant relativement commune, il est impossible d’identifier le lieu. Seul un connaisseur pourra éventuellement le reconnaître grâce à l’escalier intérieur du bâtiment en arrière-plan de l’une des scènes.
Parfois cependant, les lieux peuvent être significatifs. Par exemple, dans Une enfance, P. Claudel prend pour décor la ville de Dombasle-sur-Meurthe qui résume toute la vie de Jimmy : son logement, son école, ses terrains de jeux (et de rêves). Dans cette thématique de l’enfance difficile, P. Claudel filme cependant le parc de la Pépinière de Nancy dans le cadre d’une séquence teintée de joie pour l’enfant et son petit frère Kévin. De toute l’étendue du parc de la Pépinière, c’est le centre du parc avec la roseraie et le marchand de glaces qui est montré, tel un havre de paix. Ici encore le décor lié à la nature est synonyme de plaisir et de détente, propice à la contemplation du moment. Certes, ce lieu nancéien ne sera pas forcément reconnu par un spectateur qui ne l’est pas. Toutefois, on peut y voir un ancrage dans le territoire, voire un ancrage mémoriel pour celui qui le connaît. Plus explicitement, c’est dans Il y a longtemps que je t’aime que l’on repérera un ancrage plus précis, et notamment dans la ville de Nancy. En effet, le film enchaîne les scènes où le spectateur déambule dans la ville, par exemple aux côtés de Juliette qui la découvre ou avec sa sœur Léa. Ainsi, tout au long du film, découvre-t-on le campus lettres et sciences humaines, le restaurant L’Excelsior et plusieurs cafés-bars de la ville où Juliette se détend, le restaurant L’Arrosoir, le cinéma Caméo, le musée des Beaux-Arts où elle commente avec un collègue de Léa le tableau La Douleur du peintre lorrain Émile Friant. Plus encore, la ville se dévoile dans des moments conviviaux, de détente et de complicité, au gré de déambulations, mais aussi dans des instants privilégiés à la piscine Nancy-Thermal, dans le parc de la Pépinière ou encore à l’arrière de la place Stanislas. On retrouve ainsi des lieux emblématiques mais aussi un ancrage culturel avec l’évocation de l’ASNL (Association sportive Nancy Lorraine), le club de football local, ou de la célèbre quiche lorraine. Le réalisateur dit lui-même de cette monstration : « Il était important pour le film que l’histoire soit ancrée en province. Mes personnages sont des provinciaux. J’avais aussi envie de filmer des lieux chargés d’un riche passé historique, de souvenirs personnels, d’émotions2 ». Ainsi par ses références visuelles et sonores3, P. Claudel inscrit-il pleinement la localisation diégétique de son film en Lorraine et plus spécifiquement à Nancy.
Ce corpus filmique met en avant un territoire fortement lié aux instants de vie et à une temporalité du quotidien qui offrent de la ville et du territoire une image et une appréhension plurielles : lieu de déambulation diurne ou nocturne, de rencontres voire de tensions, si l’on prend l’exemple de la scène où Paul se retrouve dans un quartier lié à la prostitution. Cependant, le corpus donne surtout de la ville et du territoire une représentation positive, multipliant les lieux propices aux rencontres (Il y a longtemps que je t’aime, Avant l’hiver), à la convivialité, aux loisirs, à la détente, aux instants familiaux (Il y a longtemps que je t’aime) et amicaux (Tous les soleils), ou encore à une parenthèse enchantée (scène de la Pépinière dans Une enfance). Ville et territoire apparaissent ainsi principalement comme des lieux où il fait bon vivre. Par là, les films de P. Claudel rendent compte d’une intrication entre territoire et temps du quotidien, voire du « loisir ».
La ville et ses lieux s’offrent donc comme le théâtre du quotidien. Dans Il y a longtemps que je t’aime, on retrouve Léa travaillant à l’université ou Juliette rencontrant son agent de probation dans un café (Le Foy). Il en va de même dans Avant l’hiver avec la vie surchargée de Paul comme chirurgien, ou encore dans Tous les soleils où Strasbourg est filmé dans son quotidien : voitures qui circulent dans le bruit, activité foisonnante, convivialité dans un bar à vin. La ville est aussi le théâtre de l’interaction sociale : rencontre dans un bar, sortie au cinéma, au restaurant. Cependant, le corpus témoigne également d’une mise en tension entre l’activité urbaine et territoriale et des instants beaucoup plus lents qui permettent la déambulation. On pénètre alors lentement dans l’histoire, invités à contempler le moment : ces plans qui confèrent à la scène une certaine lenteur, propice à contempler les paysages au moyen d’une suspension narrative, génèrent une véritable « poétique du lieu ».
Dans ces films, la quotidienneté est liée au temps du loisir, de la détente et du ressourcement. Cette convivialité inscrite dans l’instant se retrouve par exemple dans Tous les soleils, lorsqu’Agathe se promène dans le jardin ou au bord d’un cours d’eau, mais aussi dans Il y a longtemps que je t’aime lorsque Juliette et Léa discutent à Nancy-Thermal. Certes, le lieu n’est pas directement reconnaissable pour un non Nancéien, mais sa beauté architecturale lui confère une dimension reposante et ressourçante pour les deux sœurs, qui favorise la discussion.
La (re)présentation de ces moments de loisirs embarque par ailleurs le spectateur avec les personnages, grâce à la mise en scène, dans une visite des lieux. Il en va ainsi, dans Il y a longtemps que je t’aime, du parc de la Pépinière, que révèle une succession de plans (carrousel, promenade en famille avec la poussette, jeux, animaux) renforçant l’aspect « loisir familial ». Si les scènes sont techniquement tournées en « plans moyens4 », il n’en reste pas moins que cette mise en scène permet une visite en compagnie des personnages. Le spectateur est avec eux dans la contemplation, profitant du temps suspendu offert par le parc.
Le lieu s’expose ainsi comme un relevé topographique du territoire où l’on déambule. L’itinérance des personnages dessine un parcours qui transforme le territoire en lieu d’action ou de déambulation, voire de contemplation dans lequel le spectateur peut s’immerger et dont il peut s’imprégner. En effet, dans leurs divers déplacements liés à des instants de vie, les personnages font découvrir le lieu comme un théâtre d’événements, ou c’est alors la représentation du lieu qui vient nourrir l’événement ou le message transmis par telle scène. La mise en scène, quant à elle, agit sur la perception et l’appréhension spectatorielles du territoire comme décor, lieu d’action ou acteur de la narration.
Pour Jacques Lévy, « en pratique, la logique du récit impose souvent une absence de respect pour la géographie de la ville. Celle-ci devient une variable d’ajustement que les contraintes pratiques du tournage, le style d’énonciation (avec notamment les partis-pris en matière d’ellipse) ou l’économie narrative peuvent maltraiter sans porter atteinte au projet » (Lévy, 2013, p. 689-711). Le critique ajoute qu’en ce sens, la dualité narratif/diégétique ne recoupe pas le couple spatialité/espace. Ainsi, le territoire n’a-t-il que peu d’influence sur ce qui se joue entre la narration et la diégèse. Et pourtant, l’étude du corpus claudélien montre que la mise en scène génère un « marqueur territorial » fournissant à la fois des représentations et des connaissances liées au territoire (culturelles, touristiques, historiques, identitaires voire géographiques). Dans les diverses mises en scène, la perception du lieu apparaît plurielle : touristique, mémorielle, et même sensorielle. Ainsi, dans les films à l’étude, un espace de médiation pluriel se met-il en place, qui permet la circulation du spectateur entre une réalité concrète – celle d’un territoire existant servant de décor voire nourrissant la narration (narrativement, émotionnellement ou sensoriellement) – et la fictionnalisation de ce même lieu. Ce dernier peut alors prendre différentes valeurs et dimensions et générer un autre rapport à lui-même, à sa perception comme à l’histoire.
En premier lieu, le territoire montré peut revêtir aux yeux du spectateur une valeur touristique plus ou moins explicite, par le biais des déplacements effectués par les personnages et les mouvements de caméra afférents. Si le territoire n’est globalement montré qu’en tant que décor pour la narration, la ville contemporaine, elle, est habitée par une multitude d’objets, plantés, fixés, qui permettent de la lire dans sa matérialité. Les décors en délimitent les contours, individualisent certains secteurs ou encore servent de repères pour qualifier des lieux (voir Amri, Cano, Catoir et al., 2007, p. 125). De fait, cette ville « objectivée » et organisée dans ses propres matérialités géographique, culturelle, sociale ou historique génère des lignes de force qui en viennent à structurer l’espace cinématographique, fabriquant des sortes de « clins d’œil » touristiques pour celui qui connaît ou découvre le lieu au gré du cheminement des personnages. En effet, certains plans attachés à la ville de Nancy5 ne sont pas forcément suggestifs tandis que d’autres font d’elle une véritable figurante, voire une actrice de la diégèse, offrant au spectateur la possibilité d’une visite dans des lieux emblématiques, qu’ils soient de culture (le musée des Beaux-Arts), de loisirs (le parc), de convivialité (les bars, les restaurants L’Arrosoir et L’Excelsior) ou encore d’Histoire (la place Stanislas).
Ces lieux, même s’ils ne sont pas toujours fidèlement représentés6, relèvent toutefois d’une mise en image qui s’apparente à une photographie ou une « affiche » urbaine. À ce propos, Alain Mons affirme que si l’affiche urbaine « fait partie de la mobilité apparente de la ville tout en constituant une pièce maîtresse de [son] architecture sociale, mouvante et quotidienne », elle peut être « perçue comme un arrêt possible sur image » (Mons, 1993, p. 126). Or, c’est précisément par le biais de ces « pièces maîtresses » témoignant d’une architecture sociale, mouvante et quotidienne qui s’insèrent paradoxalement dans la narration comme des « cartes postales », que le spectateur des films de Claudel peut, dans ces arrêts sur image, appréhender d’un point de vue touristique le territoire, la ville ou plus spécifiquement le lieu de l’action.
Deux monstrations du territoire peuvent en ce sens servir l’analyse en pointant une dualité, entre enracinement et utilisation d’un territoire. D’une part, l’analyse de la double structure narrative et visuelle révèle un enracinement territorial, un ancrage dans une localité spécifique, qui peut être volontaire et programmée. Ce parti-pris du réalisateur permet à la fois l’exploration de l’univers fictionnel mais aussi la découverte du lieu dans sa réalité concrète. C’est d’ailleurs en ce sens que l’on a pu, dans l’étude précédemment citée (Le Nozach et Lechenaut, 2017) relever un paradoxe dans les films de P. Claudel. Le réalisateur n’a pas souhaité faire de ses films une « carte postale » de la ville. En effet, si l’on s’attarde sur Il y a longtemps que je t’aime, les lieux urbains emblématiques ne sont pas ceux qui sont mis en avant. Il y a certes une volonté de faire évoluer les personnages dans Nancy et de montrer la ville ; mais l’intérêt consiste à la découvrir dans son ensemble et non seulement dans une optique touristique qui ne montrerait que ses hauts-lieux, tels la place Stanislas ou le parc de la Pépinière. D’ailleurs, le parc est filmé sous différentes facettes : lieu de loisir, familial mais aussi de méditation, de retour sur soi. C’est là le paradoxe : la vision « touristique » de la ville n’est pas celle attendue.
Dès lors, si le film expose des lieux nancéiens connus, il en propose une vision plus « cachée », moins « surfaite ». Ainsi, la vision que construit le film de 2008 de la ville s’accorde-t-elle à la localisation diégétique : dès les premières minutes d’Il y a longtemps que je t’aime, P. Claudel contextualise l’histoire dans la ville de Nancy ainsi que dans la région Lorraine par le biais d’un clin d’œil à l’ASNL via le plan montrant le fanion de l’équipe. L’évocation de la ville ne s’arrête pas à ces signes visuels, elle se poursuit dans les approches sonore et narrative. Ainsi nombre de dialogues évoquent-ils Nancy, que ce soit à propos de l’équipe sportive7 ou par l’évocation de la région ou de la ville. Le spectateur est ainsi très rapidement « embarqué » dans une « découverte » de la ville à travers des lieux qui ne sont pas sans rappeler ceux dépeints par les guides touristiques : loisirs, gastronomie, culture et patrimoine. Cette vision attendue et populaire est renforcée par la temporalité narrative et le quotidien des personnages dont on suit les évolutions. Toutefois, si certains lieux ne sont pas directement identifiables pour un non Nancéien, le fait de situer l’histoire à Nancy génère, pour le spectateur, une position de « visiteur des lieux ». Il les découvre en même temps que Juliette, tout en suivant le cours de l’histoire narrée autour d’elle. La posture spectatorielle est donc double, et se trouve renforcée par le fait que les dialogues évoquent explicitement la ville lorraine. Cependant, si Nancy est ancrée dans la narration, les choix de réalisation montrent aussi une ville et plus globalement un territoire comme une toile de fond, faisant fonction de décor accompagnant les personnages qui finit par s’effacer au profit de l’histoire.
Si les lieux ne sont pas toujours spécifiés ou révélateurs, c’est bien en ancrant l’histoire dans la ville, le territoire et surtout dans la quotidienneté des personnages que se créent un parcours et une possibilité de découverte de lieux « comme si on y était », et pas seulement en tant que visiteur. En effet, par la déambulation urbaine des personnages, leurs déplacements en voiture ou en vélo, le spectateur est nécessairement embarqué à leur suite dans une visite des lieux. Dans les quatre films qui forment le corpus, les plans « touristiques » se font et se défont sous le regard du spectateur : une rue adjacente à la place Stanislas, le parc de la Pépinière, un bord de canal, une forêt… Que ce soit Juliette ou Léa (Il y a longtemps que je t’aime), Paul (Avant l’hiver), Agathe (Tous les soleils) ou Jimmy (Une enfance), chacun évolue dans un espace en même temps qu’il nous le fait découvrir. Et l’appréhension (voire l’appréciation) que l’on en a, leur impact sur nous, sont d’autant plus forts que la temporalité se situe dans le quotidien des personnages.
Dans tout film, sans doute faut-il des lieux à l’action afin de permettre au spectateur de se situer et d’avoir des repères, les lieux pouvant aussi nourrir la narration voire s’y substituer. Certes, ils ne sont pas forcément centraux. Cependant, dans leur mise en scène, dans leur représentation, ils sont susceptibles de toucher à notre corporéité. Il existe une « imagerie du lieu », pour le dire avec Patrick Baudry évoquant une présence « qui ne vise pas l’harmonie d’une totalité du lieu, une représentation totale du lieu » (Baudry, 2012, p. 64). Entre le lieu et son image s’établit un rapport qui est de l’ordre de la ressemblance ; or cette ressemblance, Emmanuel Lévinas ne la pose pas « comme le résultat d’une comparaison entre l’image et l’originel, mais comme le mouvement qui engendre l’image » (ibid.). Dès lors, le spectateur se situe dans l’expérience de « l’imagerie » d’un lieu qui touche aussi de façon mémorielle à sa corporéité, à ses émotions, et le place à la fois en dedans et en dehors du récit et de sa localisation – dans un espace du reste propice à la déambulation. On pourrait en cela parler de « non-lieu » dans le lieu, offrant une autre dimension, une autre forme de visibilité, une appréhension différente mais aussi une expérience davantage visuelle et sensorielle des territoires montrés.
Mais c’est aussi dans la mise en scène et l’impact mémoriel que se déploie la possibilité pour le spectateur d’un enracinement dans le territoire.
On le sait, temps et espace sont étroitement imbriqués. La question de la temporalité est d’ailleurs particulièrement importante au cinéma puisqu’elle permet l’image en mouvement, mais donne aussi du sens à la narration. Si le temps se définit comme « la grandeur caractérisant à la fois la durée des phénomènes et des instants successifs de leur déroulement » (Petit Larousse illustré, 1986, p. 996), son appréhension filmique est à la fois dépendante de choix diégétiques et de mise en scène : fragmentation du temps et de l’espace, recours au passé pour parler du présent, variations entre lenteur, accélération et suspension du temps… Tous ces dispositifs viennent nourrir le récit filmique.
L’étude du corpus révèle différentes temporalités mises en jeu et parfois même en tension. Ce jeu des temporalités engendre des appréhensions différentes de la diégèse mais aussi du territoire. Il autorise une tout autre captation du lieu, qu’il soit diégétique ou territorial, et interroge la manière dont nous percevons le territoire en tant que spectateur. De fait, au-delà d’une possible intégration spectatorielle dans le récit, il favorise une captation mémorielle du territoire qui peut être individuelle ou collective. La mise en images du lieu, portée par une temporalité lente, laisse place au saisissement du territoire, lui accordant une valeur historique voire testamentaire. L’image, la photographie, le cinéma ont d’ailleurs souvent été utilisés pour témoigner d’événements historiques. Marie-Anne Matard-Boncci rappelle à ce propos l’importance de l’usage de la photographie dans la construction de la mémoire (Matard Bonucci, 2005). Le parallèle avec la photographie est ici bienvenu car c’est bien dans sa captation puis sa mise en images que le lieu peut être perceptuellement, sensoriellement et mémoriellement visité, cette captation permettant de l’appréhender sous de multiples facettes et de jouer sur les affects (Fontanille, 2017).
Dans les films de P. Claudel, l’appréhension du rapport qu’entretiennent les personnages avec le monde est générée par les qualités « immersives » de la mise en scène, plaçant le spectateur dans la position de ressentir les troubles que connaissent des personnages au passé ou au présent tragiques. En cela, les films claudéliens sont susceptibles de devenir eux-mêmes des médiateurs face à de tels événements, dans la mesure où ils nous invitent à nous identifier aux personnages qu’ils campent : ainsi la mise en scène qui entoure le personnage de Juliette (Il y a longtemps que je t’aime) met-elle en avant les tourments que peuvent susciter la maladie et la perte d’un enfant. La temporalité lente qui s’attache au personnage, ainsi que les différents plans utilisés, accentuent sa douleur et par là celle que quiconque peut ressentir face à la perte d’un être aimé.
Or les mouvements temporels propres à la diégèse permettent une double captation : celle de la diégèse elle-même et celle du territoire. Quelle que soit la manière dont le territoire est filmé – dans sa totalité, en arrière-plan ou dans un espace particulier nourrissant ou non la narration –, sa mise en scène temporelle crée une nouvelle appréhension du lieu. De même, le montage peut générer un instant de flottement, l’impression d’un temps suspendu permettant à la fois une visibilité et une visualisation du lieu susceptibles de mener pour des « locaux » à la perception d’une tension entre lieu vécu et lieu perçu. Les mises en scène lentes, très présentes au sein du corpus, produisent des effets dilatoires, à l’image de ce qu’évoque Dominique Païni à propos du ralenti du mouvement au cinéma (Païni, 2002, p. 99). Se construit ainsi une « poétique du ralenti », qui met en exergue le territoire et invite à une errance dans le lieu au moyen de sa contemplation. On notera que cette caractéristique temporelle est souvent liée à des silences ou accompagnée par des éléments musicaux propices à une esthétique filmique attachée au territoire. Un gros plan, un travelling très lent ou un plan fixe tels que les pratiquent Tous les soleils, Il y a longtemps que je t’aime, Une enfance et Avant l’hiver invitent à une contemplation du lieu qu’ils inscrivent dans la mémoire. Or, c’est bien dans cet instant contemplatif que le territoire, la ville ou le lieu se révèlent. On parlera alors d’une forme d’ « iconicité du territoire », qui le place ponctuellement au centre du dispositif visuel et génère une appréhension différente de la narration. Le spectateur est alors placé dans un entre-deux, entre l’espace diégétique et l’espace perçu, la mise en scène l’invitant à pénétrer dans un moment de contemplation : ainsi en va-t-il dans la scène où Jimmy rentre chez lui en vélo (Une enfance) ou dans la promenade de Paul avec Lou (Avant l’hiver), le temps alenti de la réflexion s’ouvrant à l’appropriation spatiale et à sa mémorisation. Se déploie alors une expérience émotionnelle du lieu en accord avec les déambulations des personnages. Ces instants donnent une porosité à l’image qui permet au spectateur de l’intégrer grâce à une « multi territorialité où se combinent expérience singulière et expérience spectatorielle » (Baudry, 2012, p. 25). Toutefois, paysages et lieux montrés ne nourrissent pas à eux seuls une ambiance, un sentiment ou une émotion : il en va aussi « d’un moment narratif, moment d’étrangeté permettant une ouverture sur soi et donnant acte à des sentiments à la fois précis et indéfinis » (ibid.).
Un lien se crée alors entre réalisateur, lieu et spectateur, dans la mesure où l’image peut aussi jouer sur le vécu de ce dernier, s’en faire l’écho. Gilles Deleuze évoque à ce propos l’alternance entre image actuelle et image virtuelle : « tout moment de notre vie offre deux aspects : il est actuel et virtuel, perception d’un côté et souvenir de l’autre » (Deleuze, 2012, p. 98). Or c’est bien dans cette alternance entre, d’un côté le lieu de l’action, de l’autre le lieu de la contemplation (arrêt temporel), que se jouent la réception et l’appréhension du territoire. D’où une appropriation « mémorielle » par rapport à un vécu ou en rapport avec le message véhiculé. Se forme alors un synchronisme temporel entre le temps vécu qui interpelle les souvenirs du spectateur et la diégèse, ce synchronisme octroyant au spectateur la possibilité d’intégrer le récit.
En outre, cette temporalité cinématographique liée, qui expose le territoire, nourrit une représentation « touristique » indirecte. En effet, par ces jeux temporels renforçant la visualisation territoriale, le film participe d’un « guide touristique » grâce auquel le spectateur peut se faire explorateur d’un territoire, d’une ville ou encore d’un lieu – diégétiquement explicite ou non. Lorsque la mise en scène induit une pause du regard, possibilité est alors offerte de visiter sensoriellement, affectivement un lieu voire de l’intégrer. Or il existe une dimension affective indéniable du lieu : P. Claudel entretient un lien fort avec la région lorraine. Ainsi, ne pouvons-nous négliger, quand bien même la démarche du réalisateur n’est pas volontaire, que son regard est susceptible d’amplifier, consciemment ou non, la dimension affectuelle dans la réception d’un lieu, notamment pour le spectateur qui le connaît et y est attaché. Sa part « psycho-sensorielle » est donc sollicitée, et permet d’exploiter toute l’intensité d’un lieu eu égard à l’Histoire et à son histoire.
Ces diverses mises en images du territoire positionnent le spectateur dans une ambiguïté du dehors et du dedans filmiques, le plaçant à la fois dans une immersion géographique (celle du film) et mémorielle (connaissance personnelle du territoire) propice au cheminement personnel dans ces différents espaces : il est à la fois spectateur et acteur du lieu. En effet, par le jeu des (re)présentations du territoire, se crée une connexion entre lui, la fiction et le monde réel, le territoire allant jusqu’à faire corps avec lui.
Plus encore, il l’invite à une déambulation et à une appropriation amplifiées par la mise en scène jouant des temporalités. En cela, le temps offert au regard du spectateur confirme ce qu’énonce Dominique Païni : « le phénomène cinématographique » est « ‘‘du temps donné comme perception’’. Autrement dit, [il permet] l’expérience d’une certaine durée que des images matérialisent » (Païni, 2002, p. 72). Cette expérience temporelle est le fruit d’une interaction communicationnelle entre réalisateur et spectateurs, qu’amplifie le jeu entre temporalité quotidienne et flux de la mise en scène, ce dernier créant une ambiance spécifique qui entremêle l’image donnée du territoire et l’image que l’on en reçoit.
La mise en scène constitue le lieu notamment à partir d’une inscription urbaine qui découle de la déambulation des personnages et ouvre à la pratique d’un territoire d’errance. Cette expérience oblige le spectateur à se déplacer – déplacement susceptible de se poursuivre sous forme de cheminement perceptif ou mémoriel. Établissant la distinction entre monde de l’urbain et monde de la ville, Patrick Baudry dit à propos de la forme urbaine qu’elle « provoque un autre rapport au lieu, faisant de ce lieu autre chose que lui-même et lui donnant, à l’endroit de sa familiarité même, une dimension d’étrangeté » (Baudry, 2012, p. 62). Cette étrangeté est générée non seulement par la connaissance ou non du lieu, mais aussi par le parcours aléatoire qui nous fait, par exemple, découvrir la ville de Nancy dans Il y a longtemps que je t’aime. Ici, l’expérience de la ville peut être rapprochée de l’expérience du voyage.
Interroger les qualités immersives des films de P. Claudel invite à développer une approche auto-ethnographique mais aussi d’anthropologie visuelle, qui nous positionne au cœur de l’image filmique et de ses possibles interactions. De même, étudier l’expérience corporelle du film oblige non plus à regarder le film mais à le ressentir, le film touchant à notre corporéité (identification / émotion). Ainsi cette démarche immersive permet-elle de questionner le territoire et la dimension émotionnelle que suscite sa mise en scène. Comment cette dernière agit-elle sur l’appréhension du territoire et de la narration ? Comment les aspects narratif et territorial se nourrissent-ils par la mise en scène d’un point de vue sensoriel et émotionnel ? En effet, les plans du territoire et leur temporalité agissent comme un amplificateur émotionnel qui interroge la manière dont le territoire participe d’une médiation sensorielle transmettant, amplifiant, construisant et jouant sur les émotions, la perception et la réception.
Comme l’affirme Laurent Jullier, le cinéma est un « médium homochrone » (Jullier, 2002, p. 151) puisqu’il impose sa propre temporalité aux spectateurs dans la salle. Plus encore, le cinéma s’appuie sur le système perceptivo-cognitif humain et joue sur ses limites, l’illusion, la suggestion. Au niveau cognitif, il joue sur l’appréhension. Ainsi, être attentif au cinéma c’est prévoir ce qui va arriver au plan suivant. Dès lors, le temps perçu par le spectateur est plus ou moins long selon son investissement attentionnel. En outre, il s’avère que le temps perçu par le spectateur est synchrone avec le temps diégétique seulement par à-coups8. Dans un ouvrage intitulé « Du récit au récit médiatique », Joëlle Desterbecq et Marc Lit indiquent que Paul Ricœur analyse la manière dont la fiction et l’histoire sont saisies par la conscience du lecteur :
Si la fiction organise son rapport au temps grâce aux variations imaginatives qui lui sont permises à cause de sa liberté par rapport au référent, l’histoire peut aussi remodeler le temps « réel » par « l’élaboration d’un tiers temps – le temps proprement historique –, qui fait médiation entre le temps vécu et le temps cosmique ». En effet, l’histoire (comme récit des événements du passé) est toujours une construction de l’histoire (des événements qui se sont réellement produits dans le passé), sous la forme de « représentances ». (Desterbecq et Lits, 2017, p. 126)
Or au niveau de la dynamique filmique de notre corpus, on peut voir que les scènes liées au territoire s’imbriquent dans des temporalités visuelle et narrative spécifiques qui renforcent ladite narration, la perception et la réception émotionnelles de la séquence. La perspective temporelle agit non seulement sur la représentation, la perception et la production temporelles, mais également sur ce que le spectateur reçoit de la narration et de l’image. Ce jeu des temporalités génère une fragmentation du temps et de l’espace qui influe sur lui et lui permet d’intégrer sensoriellement le territoire et l’action. Le temps conditionne l’action dans son déroulement, permettant une extension de et une pause dans la narration, propices à l’appréhension émotionnelle et sensorielle du territoire. Ainsi, comme nous l’évoquions, la lenteur des scènes génère une poétique scénique singulière de l’ordre de la contemplation, propice à une délocalisation sensorielle. Pris dans cette temporalité, le spectateur a toute possibilité d’intégrer le lieu, de déambuler avec le personnage. Par exemple, dans Une enfance, il se laissera aller au mouvement de l’image, suivant le vélo comme il se laisserait aller à la contemplation d’un paysage lors d’un trajet en train. Une forme de pénétration émotionnelle se met en place, ouverte à l’image affective, soit qui touche à nos sens et nos affects (Mons, 2020, p. 34). En effet, le territoire se trouve comme imbriqué dans la tension émotionnelle suscitée par la temporalité narrative. Dès lors, s’éprouve une expérience perceptive et sensorielle, voire émotionnelle, reliant le temps à une logique d’interactivité perceptive et temporelle. Cette temporalité de la scène (de l’action), que générera par exemple une promenade à vélo ou une déambulation urbaine, nourrit l’imaginaire et renforce la tension émotionnelle qui l’un et l’autre participent à asseoir la présence territoriale. Jouant sur les dynamiques temporelles de l’action, la lecture contemplative du territoire par le spectateur renvoie à une esthétique très présente dans le cinéma japonais. Cette expérience simultanément visuelle, sensorielle et émotionnelle du territoire, soutenue par l’expérience auditive9, fait appel à tous les sens et stimule l’imaginaire.
La conscience du « spectateur » devient alors flottante, errante, non bloquée sur une émotion ou une perception particulière, ouverte à tous les lieux du sensible. Le territoire s’observe alors par imprégnation. On retrouve là la notion de « Wu Wei » que François Laplantine définit comme le fait de s’imprégner, de laisser agir en soi ce que l’ambiance produit (Laplantine, 2010). Si l’on interroge le dispositif émotionnel à partir de la manifestation éprouvée par le spectateur lors du visionnement de la scène, on ne peut omettre ce qui en constitue le déclenchement. En effet, un réalisateur peut chercher à exprimer visuellement une émotion sans pour autant vouloir provoquer un état émotionnel et néanmoins le provoquer (voir Charaudeau, 2008, p. 49-58 ; Doury, Plantin, Treverso, 2000). Or cette émotion ressentie par la mise en images du territoire qui seconde la tension narrative se construit encore davantage au niveau de la temporalité filmique, qu’elle soit visuelle ou narrative (Lechenaut, 2020, p. 33-55).
Cette création d’ambiance est susceptible de troubler le spectateur dans la mesure où il peut avoir l’impression de ne pas maîtriser sa lecture filmique, ce malaise amplifiant la tension narrative. En ce sens, celle-ci relève d’une expérimentation. Nous ne sommes plus subordonnés à l’image : nous pouvons la laisser vivre dans la mesure où elle entre en résonance, par son dispositif, avec nous. Davantage qu’un écho à un vécu ou à une connaissance du lieu qui déclencherait une trace mémorielle, un souvenir, c’est dans la mise en tension entre narration, temporalité et territoire que se créent des propriétés qualitatives d’ordre affectif permettant une interaction, une implication, une relation de connivence propices à la création d’affects et à une errance sensorielle dans le territoire.
Jean-Luc Moriceau parle de la puissance de l’expérience esthétique qui se situe dans sa capacité à nous toucher, à nous transformer au cœur de notre subjectivité (Moriceau, 2016). Il y a dans les films claudéliens une expérience esthétique du territoire qui se joue, effectivement, du côté de la transformation sensible d’une subjectivité. La « lecture visionnement » de la scène, devenue contemplation, permet une traversée des images qui se situe du côté de l’expérience territoriale. Thierry Lancien indique d’ailleurs que dans « le domaine interculturel, la relation du spectateur à un film relève d’un engagement, d’une confrontation qui est sans doute à rapprocher de l’expérience du voyage dans ses dimensions ontologiques, sensibles, psychiques » (Lancien, 2013). C’est bien en ce sens qu’il y a possibilité d’une errance. « Cette perte de lieu va laisser place à une ‘‘dynamique temporelle virtuelle’’ » (Buci-Gluksmann, 2001, p. 25) où le flux des images va non seulement faire appel à notre mobilité mais aussi à une évasion « hors d’un dispositif de vision bloquée » (Païni, 2002, p. 74), « rendant le corps nomade jusqu’à le déterritorialiser » (Lechenaut, 2020, p. 50).
Le corpus dessine plusieurs types de déplacements qui ne mettent pas tous en avant le territoire mais qui, par la mise en scène, nous embarquent dans une déambulation. Dans les scènes où le territoire est montré – qui n’est plus alors un décor passif –, se noue une forme de complicité entre l’espace, le personnage et le spectateur, qui va permettre un « nomadisme dans l’écran » favorisant la « découverte » du territoire aux côtés du personnage. À partir de leur situation parfois difficile (Juliette, Jimmy) ou de doute (Paul), le territoire accueille une errance propice à la réflexion et au renforcement des émotions10.
Ainsi le territoire est-il également reçu à travers l’expérience errante que l’on en a. « C’est pourquoi le cinéma […] produit plusieurs sortes d’errances du regard : la fuite, la transversalité, la pulsion, la turbulence, le désir » (Mons, 2012, p. 31). Mais on ne saurait réduire l’errance à des déplacements : ces derniers relèvent aussi de la perception, de l’émotion voire d’une « inscription imaginaire ». Comme le souligne Alain Mons, c’est aussi une « échappée mentale et physique à l’intérieur de la ville [ouvrant à] des béances qui permet la réception et modifie la perception de cette dernière » (ibid.).
***
L’étude du corpus filmique claudélien invite à une approche plurielle du territoire. Il peut être montré de façon utilitaire, simple décor de fond à la narration ou comme un ancrage territorial s’avérant plus profond, comme en témoigne l’analyse d’Il y a longtemps que je t’aime. Certes, le territoire n’y est pas montré dans une dimension de type « carte postale », mais sa monstration n’exclut pas une vision « touristique » des lieux filmés. Le film, de fait, déborde la (simple) médiation touristique pour devenir un hymne au lieu, qui lui confère une dimension mémorielle et devient possiblement, pour le spectateur autochtone, un élément de sa propre réalité. Par là, la déambulation des personnages et l’expérience qu’elle génère pour le spectateur créent une forme de complicité et d’intimité avec le territoire. Davantage encore, nous avons voulu montrer que c’est dans une expérimentation filmique corporelle et émotionnelle que le territoire se révèle à nous. Cette déambulation permise par la temporalité générée par la mise en scène révèle également un point fort des films de P. Claudel : on y retrouve une « poétique » cinématographique propice à une expérience filmique plus perceptuelle, sensorielle et émotionnelle.
Œuvre de Philippe Claudel citée
Il y a longtemps que je t’aime. Petite fabrique des rêves et des réalités [PFR], Paris, Stock, 2008 [Paris, Le Livre de poche, 2010 et 2013].
Films de Philippe Claudel cités
Il y a longtemps que je t’aime, UGC, 2008, 115 min. Avec Kristin Scott Thomas, Elsa Zylberstein, Laurent Grévill, Serge Hazanavicius…
Tous les soleils, UGC, 2011, 105 min. Avec Stefano Accorsi, Neri Marcorè, Lisa Cipriani, Clotilde Coureau, Anouk Aimée…
Avant l’hiver, Les films du 24, 2013, 103 min. Avec Daniel Auteuil, Kristin Scott Thomas, Leïla Bekhti…
Une enfance, Les films du losange, 2015, 100 min. Avec Alexi Mathieu, Jules Gauzelin, Pierre Deladonchamps, Angélica Sarre, Patrick d’Assumçao…